
Nous apprenons de Tite -L iy e 8c de P olyb e9
que les armées des anciens combattoient indifféremment
fur mer 6c fur terre, ôc que les Romains
recrutoient leur marine également dans le coeur
du pays comme fur les côtes. Je ne vois pas
même quelle difficulté il y auroit a fnivre cette
méthode, puifque, dans le même temps qu’on
employé pour difcipliner un payfan de recrue
pour en former un bon fantaffin ou un bon dragon
, on pourroit auffi difcipliner un marinier.
Par-là on trouveroit fur chaque vaiffeau un nombre
de vieux foldats, comme ôn le trouve dans les
régiments. C ’eft à ce fujet que je ne comprends
pas par quelle illufion l’Efpagne manque toujours
de mariniers, lorfqu’elle pourroit en avoir'autant
que de foldats, en les recrutant, non-feulement
fur les côtes , mais encore dans. l’intérieur du
royaume. Je me fuis déjà etendu au long fur cette
matière en traitant de la guerre ojfenfive ; j’y renvoyé
le leéleur. En parlant des embarquements ÔC
des débarquements , j’ai fait voir qu il lé paffe un
temps confidérable depuis qu’on commence de
fréter & d’affembler les bâtiments pour tranf-
porter une armée, jufqu’à ce que tout le convoi fe
mette à la voile. Si, pendant ces entrefaites, les
ennemis n’ont pas réuni leurs efcadres, examinez {
fi vous ne pourriez point en équiper une fupé-
rieure aux vaiffeaux de guerre qui. efcôrtent dans
quelque port mal ferme les batiments de tranf- 1
port tretés par les ennemis , & tâchez alors, avec
cette petite flotte, de les prendre ou de lés couler I
à fond avec votre canon ôc vos bombes, fi le peu
de hauteur des eaux ne vous permet pas de les
aborder, ou de les brûler avec des brûlots. Si
ces bâtiments de tranfport des ennemis font hors
de la portée de vos canons ÔC de vos bombes,
les ports que l’on choifit pour un embarquement
fourniffent fouvent la commodité de réuffir dans
ce que je propofe , parce que ce nombre extraordinaire
de voiles dont on a befoin, rie peut pas
ordinairement être contenu dans le môle. Par con-
féquenton jette l’ancre dans les placés ouvertes,
où un bon fond 6c les caps qui forment la rade,
mettent en fureté les navires contre les vents,
mais non contre les ennemis.
P e n d a n t q u e n o u s fa i f io n s n o t r e d e r n i e r a rm e -
m e n t c o n t r e l a S i c i l e , j ’ a i v i t n o s p lu s fa g e s g é n
é r a u x c r a in d r e c o n t in u e l l em e n t q u e l e s A n g l o i s ,
fa n s s’ am u f e r à f o rm e r la g r o f f e f l o t t e q u ’ il s m i r e n t
e n fu i t e e n mer, n ’e n v o y a î f e n t q u e lq u e s v a i f f e a u x ,
q u i , e n f e jo ig n a n t à c e u x q u ’il s a v o i e n t d é jà d a n s
l a M é d i t e r r a n é e , a u r o ie n t p u p r e n d r e n o s b â t i m
e n t s d e t r a n f p o r t , d o n t l a p lu s g r a n d e p a r t ie
a v o i t j e t t e l ’ a n c r e h o r s d e l a p o r t é e d u c a n o n d e
B a r c e l o n e , d a n s u n t em p s o i i l’ e l c a d r e d e C a d i x
n ’ é t o i t p a s e n c o r e a r r i v é e p o u r l e s d e f e n d r e .
Q u o i q u e v o s b â t im e n t s d e t r a n f p o r t f o i e n t fo u s
l e c a n o n d e l a p l a c e . v o u s n ’ e m p ê c h e r e z p a s q u ’ o n
n e l e s a t t a q u e d e n u i t , s’ i l s f o n t d a n s u n e p l a g e
o u v e r t e , p a r c e q u e v o u s n e f ç a u r i e z , d a n s l ’ o b f -
curité, vous fervit de vos batteries de terre fans
vous mettre en danger d’incommoder autant vos
propres vaiffeaux que ceux des ennemis.
Pour moi, qui m’eftimerois heureux, fi dans tout
ce long ouvrage il fe trouvoit un feul avis qui pût
convenir à mon roi 6c à ma nation, je crois ne
devoir pas omettre ici la néceffité qu’il y a d’avoir
en Efpagne un port bon ôc sûr dans la Mediterranée
, tel qu’on pourroit le faire à Carthagene.
On ne craindroit pas alors , dans les embarquements,
qu’une efcadre ennemie fît manquer 1 expédition
, en diffipant ou en enlevant les bâtiments
de tranfport avant que les vaiffeaux du rbi foient
venus joindre le convoi qui fé prépare. Je dis la
même chofe par rapport au chantier des navires ,
qu’autrement les ennemis brûlent quand ils veulent,
ainfi qu’il eft arrivé en Bifcaye, il n’y a pas
encore fort longtemps-. Si vous étés fupérieur en
. vaiffeaux, envoyez votre armée navale devant le
port d’affemblée des ennemis , quand meme leurs
efcadres de guerre s’y feroient déjà rendues, parce
que fi vous, les attendez plus longtemps le long
de vos côtes, ou en tenant la haute met-, peut-etre
vous éviteront - ils , 6c apres avoir exécuté leur
débarquement, ils reviendront dans leurs ports. Ils
y réuffiront plus facilement, li une longue étendue
de côte leur donne la commodité de débarquer
dans différents endroits , fort éloignés les uns des
autres. On peut voir fur ce fujet l’exemple des
Hollandois contre Jacques I I , roi d’Angleterre,
que j’ai rapporté ci-devant en traitant de la guerre
offenjîve
Il peut auffi arriver que les ennemis foient obligés
néceffairement dé paffer quelque détroit, afin
d’affembler divers convois, qu’ils ont formés en
différents ports pour compofer le gros de la flotte
qui doit faire le débarquement. Dans ce cas , il
eft à propos de faire que la vôtre attende dans ce
détroit ou dans, ce voifinage pour donner lachaffe
aux efcadres ennemies qui fe préfenteront avant
cette jon&ion, particulièrement fi auprès de c.e
détroit il y a dans le pays neutre ou ami des ports
où vos vaiffeaux puiffent entrer , pour s’y mettre
en fureté contre une forte bourafque, qui les
oblige d’abandonner le pofte qu’ils gardent.
André Doria , ayant eu avis que les Turcs fai-
foient des préparatifs pour affiéger C adix, alla les
attendre avec la flotte d’Efpagùe auprès du détroit
de Gibraltar , qu’ils dévoient néceffairement
paffer. La flotte d’Argel fut la première qui fe
préfenta, ôc D,oria la battit avant que les autres
l’euffent jointe : ce qui fut caufe que les Turcs
abandonnèrent l’entreprife. Il n’y a que peu d années,
qu’un certain miniftre Anglois, s échauffant a
faire valoir les raifons de politique que fa nation
avoit pour ne pas rendre.Gibraltar, me dit avec
chaleur, que le principal motif étoit d’empêcher
par-ià l’union des efcadres de l’Océan & de la Mediterranée
, que les François & les Efpagnols pour-
roient mettre en mer pour quelque entrepriie.
Lorfque le détroit n’eft point tel que celui
de Gibraltar , qu’il faut in,difpenfablement paffer ,
faites avancer des gaüiotes, des felouques ôc des
frégates légères, pour découvrir fi la flotte ennemie
fait route en dehors de l’ile-, qui fert à former
ce détroit, parce que, fur l’avis qui vous en fera
auffUtôt donné , vous pourriez fortir avec votre
armée navale pour la couper. Ces mêmes bâtiments
légers s’informeront de touts les autres navires
qu’ils rencontreront, à quelle hauteur ils ont
laiffé le convoi ennemi.
Soit que votre armée navale aille attendre les
ennemis dans le détroit ou devant le port de leur
affemblée, elle doit porter plus de vivres qu’elle
pourra ; & à melure qu’il s’en confumera, ^pn les
remplacera de ceux qui font fur les bâtiments de
tranfport, de peur que,faute de vivres,vos vaiffeaux
de guerre ne iuffent contraints ' d’abandonner le
pofte où ils doivent fe maintenir, jufqu’à ce que
vous ayez fait touts les préparatifs néceffaires pour
vous défendre fur terre , ou que le temps favorable
aux ennemis pour leur expédition de mer foit
paffé.
Si la tempête oblige vos vaiffeaux de quitter le
pofte qu’ils gardoient, il eft à craindre que les
ennemis ne profitent de cette occafion pour mettre
a la voile. Par conféquent votre amiral ne doit
point perdre de temps pour revenir à fon pofte,
dès que le vent le permettra ; s’il trouve que le
convoi ennemi s’eft mis à faire route , il forcera
de voile pour tâcher de l’atteindre , parce que s’il
le bat ou le diffipe après qu’il aura feulement débarqué
quelques troupes, elles feront perdues ; 8c
s’il le combat, lorfque les ennemis ont encore
toutes leurs troupes à bord, ils ne pourront ni
bien manoeuvrer , ni bien manier les armes par
l’embarras que caufent le grand nombre defoldats,
& la quantité des provifions de bouche & d e guerre
qu’on a embarquées. Ce furent ces confidérations
qui portèrent le conful C. Lutatius . à attaquer
l’armée navale de Carthage avant qu’elle f ît un
débarquement en Lilibée, & il la battit facilement.
Lorfque les ennemis font les maîtres de la mer,
& qu’il n’y a fur votre côte que quelques ports
néceffaires aux ennemis pour s’y mettre à l’abri
dans les continuels voyages qu’ils feront, après
que leurs troupes feront entrées dans votre pays,
fortifiez les caps ou la côte d’où ces ports font
commandés. Si vous prévoyez que vous n’aurez
ni le temps ôc l’argent nécefiàires pour finir les
ouvrages de fortification , ni le monde pour les
defendre , tâchez de fermer ces ports avec de
vieux navires, que vous chargez de pie'rres pour
les couler à fond , ou de faire déboucher dans ces
ports des ruiffeaux qui en débarrafferont l’entrée
par la terre qu’ils y entraîneront des champs,
lorfqu’on les forcera de fortir de leur lit. Ce dernier
expédient demande dés années ; ainfi il fau-
droit s’y être pris par avance. Le fécond eft d’une
■ facile exécution dans les ports où l’on n’entre
que par, un canal qui n’eft pas fort large.
Les.Athéniens qui, après avoir été battus par
Lyfândre , n’étbient plus les maîtres de la mer ,
fermèrent touts leurs ports, afin qu’ils ne fervif-
fent pas aux Lacédémoniens leurs ennemis. En
traitant de la guerre offenlive, j’ai dit de quelle"
manière il faut faire un débarquement à la vue
de l’ennemi, d’où vous pourrez inférer comment
vous devez agir lorfque vous vous trouverez
avec un corps de troupes fur une plage où les
ennemis prétendent débarquer. Au refte, ne vous
mettez jamais en tête de vouloir que des troupes à
découvert tiennent ferme à la portée de l’artiUe-'
rie des vaiffeaux ennemis ; cela ne ferviroit qu’à
en perdre un grand nombre ôc à intimider les
autres. Par conléquent, -s'il n’y a pas une colline,
lin vallon , des élévations de fable , ou un retran-
chement pour les mettre à couvert, tenez-les hors
de la portée du canon , jufqu’à ce que les troupes
des premières chaloupes ayent mis pied à terre,
6c alors vous viendrez à grands pas vous mêler
avec elles ,^8c les battre avant que le fécond voyage
des chaloupes arrive. En précipitant ainfi la marche,
vous aurez beaucoup moins à fouffrir des décharges
des bâtiments ennemis , qui vous prennent
en flanc , depuis que vous commencez d’être fous
la portée dè leur canon , jufqu’à ce que vous
abordiez les troupes débarquées. Si vos ailes ne
s’étendent pas plus que. les leurs , vous n’avez
rien à craindre de leur artillerie du front, parce
qu’elle ne tirera jamais dëffus leurs 'troupes 6c
leurs chaloupes, par le danger évident qu’il y auroit
de les frapper, à caufe des] vagues de la
mer, qui font perpétuellement varier la vifée.
Dès que vous aurez défait la première troupe
d’ennemis, retirez-vous avec vîteffe, fans défordre,
vers le pofte que vous occupiez , ôc toutes les
fois que viendra un nouveau débarquement, agif-
fez de la même manière que vous avez agi avec
le premier.
Comme vous avez beaucoup plus de troupes ,
que celles qui peuvent débarquer par un voyage
de chaloupes, divifez les vôtres en autant de corps
qu’il fera néceffaire pour que chacun d’eux foit un
peu plus fort que cette partie d’ennemis qu’il
doit attaquer. De cette forte vous conferverez
toujours des troupes fraîches en ordre de bataille,
ôc .qui peuvent fe fuccéder tou r -à - to u r dans les
différentes attaques.
S’il n’y a rien auprès de la mer qui puifie vous
mettre à l’abri du canon de l’armée ennemie,
préférez à l’infanterie là cavalerie ou les dragons,
pour vous oppofer au débarquement, parce qu’à
la faveur de la légèreté de leurs chevaux, ils ne
tarderont pas dé fe mêler avec les ennemis débarqués
,.6 c à revenir enfuite avec la même
viteffe dans leur premier pofte hors de la portée
de l’artillerie. Cependant fi les ennemis couvrent
leur front 6c leurs flancs par de bons piquiers ou