
ou du pofte appellé la Puma Mala 3 pour peu de
vaiffeaux 8c de galères qu’il y eût dans chacun,
on empêcheroit le paffage du détroit aux ennemis,
excepté qu’ils ne fuffent efcortés par des elcadres
confid érables ; dépenfe que nul commerce ne peut
foutenir longtemps : alors même l’arrière-garde
ennemie ne feroit pas en fûreté', parce que les
bâtiments de guerre Efpagnols de Ceuta, ou ceux
des Algézires, ne rilqueroient pas beaucoup de
fortir, en prenant le deffus du vent pour, l'attaquer
, 8c à la faveur de la retraite voifine dans
l’un de ces ports.
Ce n*eft pas affez de faire voir qu’il feroit né-
celfaire d’avoir en Efpagne une puiffante armée
navale , fi l’on ne propofe par quels moyens on
pourroit y parvenir. Je ne traiterai pas à fond
cette matière, parce qu’elle n’eft pas de ma pro-
fefùon, & que je n’avois même pas eu jufqu’à
préfent la penfée d’en parler. Je me contenterai de
rappeller par quels moyens le père Daniel, dans
le livre X IV , dit que Louis X I I & Louis X I V
»voient formé leurs armées navales ; 8c comme il
eft permis à chacun de faire des réflexions fur ce
qui s’eft p’affé , il me paroît que celles que j’ajouterai
à ce fujet perfuadaront évidemment que les
expédients mis en ufage par ces deux fouverains
font infiniment plus praticables en Efpagne. Le
caractère italique diftinguera les paroles du père
Daniel, 8c pour plus grande clarté, je les diviferai
en articles.
Art. Ier. La première démarche de Louis XIII fut
4 e donner une grande autorité fur la marine à fon
habile miniflre le cardinal de Richelieu , qui lui
i epréfentoit fans ceffc l'importance de cet armement.
Le roi môn maître peut trouver furement dans
la perfonne de don Patigno, fon intendant général
de la marine, & dans fes autres miniftres, par
l’expérience qu’il en a faite, tout ce que Louis XIII
fe promettoit, par conjeâure , de l’habileté du
cardinal, par rapport à l’heureux fuccès de ce
dont il le chargeoit.
Art. I I . 7/ eut permijfon de faire conflruire des
vaiffeaux en France.
L’Efpagne n’eft pas fi fort dépourvue de directeurs
8c d’ouvriers pour cette conftruéHon, qu’on
puifle -la regarder comme une nouveauté, ainfi
que le père Daniel le dit de ce temps-là en France,
puifque, depuis1' dix ans , il s’eft conftruit dans nos -
ports plufieurs vaiffeaux de ligne fort bons , fous
]a direéfion de don Caftagnete, lieutenant général
de marine, 6c de quelques autres perfonnes intelligentes.
A l’égard des chofes néceffaires à la conftruéHon,
je crois que la France n’a , ni en qualité ni en
quantité, plus de fer que la Bifcaye 8c les autres
provinces d’Efpagne, ni plu? d’arbres 8c de toutes
fortes de bois que nos Pyrénées, d’où , à très peu
de frais, on peut, par le Sègre, la Cinea 6c l’Ebre,
lçs faire venir dans le port des Alfaqs ; 8c fi l’on
excepte les mâts, nos montagnes des Afturies,
de Galicé 8c de Bifcaye , fourniffent touts les bois
néceffaires pour cette conftruéHon.
Notre terrein eft fi propre à produire de bons
chanvres pour les cables 6c autres cordages de
.navires, qu’il y a encore des vieillards qui fe fou-
viennent qu’autrefois aucun vaiffeau d’Angleterre,
de Hollande, d’Italie ou de France, ne paffoit
pas pour bien équippé , lorfqu’il ne tenoit pas
de Séville le cable de la groffe ancre, nommée
; 1 efpérance 3 parce que, dans les grandes bourafques,
; elle eft la dernière reffource des vaiffçaux pour
donner fond ; 6c fi aujourd’hui on ne trouve pas
en Efpagne cette quantité de chanvre néceffaire,
cela ne provient que de ce qu’on a ceffé de conf-
truire des vaiffeaux ; car les payfans, n’étant pas
affurés de le vendre, n’en sèment pas autant qu’ils
feroient, s’ils étoient iurs du débit ; fur-tout fi l’on
ne mettoit là-deffus aucune impofition, en quoi
le roi trouveroit même fon intérêt, en évitant
par-là que l’argent ne fortît du royaume. Si le
fer manque en Bifcaye , pour les fabriques du
royaume 8c des Indes, ce n’eft pas par la ftérilité
des mines, mais par le défaut des travailleurs 8c
de certains miniftres, qui, chargés de veiller aux
arbres que touts les ans on doit planter dans
chaque lieu , négligent ce foin, ce qui fait que
le bois manque dans les endroits où fe doit affiner
le fer.
Ces grands lieux , plantés . de pins , qui fe
trouvent en Caftille, en Andaloufie, en Eftra-
madure, en Catalogne, en Arragon , peuvent
fournir abondamment le goudron néceffaire, fur-
tout fi l’on oblige les peuples à conferver toujours
de bons pins, parce que les bâtards ne font propres
qu’à brûler.
Mais fuppofons que, pour une nombreufe conf-
truéHon de vaiffeaux , il manque à préfent en
Efpagne une partie des matériaux dont manquent
l’Angleterre 6c la Hollande , qui, pour cela , ne
laiffent pas d’avoir des puiffantes armées navales ;
y a - 1 - il quelque loi qui nous défende de les
acheter en Mofcovie ou en Norvège , comme
font les Ànglois 8c les Hollandois, non-feulement
pour s’en fervir , mais même pour en tirer du
profit en les vendant dans nos ports ? Ne pour»*
rions-nous pas gagner nous-mêmes ce que ces
nations gagnent fur nous, en achetant de la première.
main tout ce qui eft néceffaire pour la
fabrique des vaiffeaux, ce qui pourroit fe faire
en partie par un échange de ce qui fe recueille
en Efpagne ? De cette manière, par une double,
raifon, il fortiroit moins d’argent d’Efpagne, 8c
il y auroit un plus grand débit de ce qu’elle produit.
Par exemple , le Hollandois vient acheter
l’e au -d e -v ie ÔC-le vin à Reus, à Alicante, à
Cadix, à Malaga ou à Pontevedra, 6c il va les
vendre en Mofcovie, en Dannemarck, en Suède
ou en Norvège , à un plus haut prix qu'il ne les
a achetés. Il fait la même chofe à notre égard par
rapport slu boi$ de charpente, au f<sr? au goudron,,
©u fuif, & c ., qu’il a achetés en Suède, à Dantzick,
& Pétersbourg, à Copenhague ou à Chriftianftat :
donc, fi noue allions direétement chercher toutes
ces chofes en Norvège , en Mofcovie , en Suède
6c en Dannemarck , 6c fi nous chargions nos vaiffeaux
de ce qui manque dans ces p ay s , 8c qui eft
furabondant en Efpagne, notre nation feroit un
gain plus confidérable dans ce qu’elle achète 8c
dans ce qu’elle vend ; 8c au lieu d’enrichir ces
puiffançes, avec qui nous avons fréquemment la
pierre, nous enrichirions notre royaume 8c les
Mofcovites, qui, peu affectionnés à ces puiffançes,
pourroient, dans quelque bonne conjeéture, faire
une fecourable diverfion en notre faveur.
On me répondra què notre nation a,peu d'inclination
pour le commerce. J’en conviens : je
propofe même , dans quelques endroits de cet
ouvrage , divers motifs pour l’y engager ; mais
en attendant qu’elle s’y adonne, les vaiffeaux du
roi ne pourroient-ils pas faire ce trafic pendant
1 inaétion de la paix ? Par-là tout l’avantage feroit
plus direéiement pour le profit du roi ; fes officiers
8c fes matelots fe rendroient plus expérimentés,
8c connoîtroient mieux plufieurs côtes, qu’ils ne
connoiffent aujourd’hui que parles_cartes marines •
le voyage ne feroit ni plus périlleux , ni moins
utile que celui que plufieurs petits vaiffeaux de
Bifcaye font touts les ans à Terranova pour la
peche de la haleine.
Mais ce n’eft: là encore que parler en général 8c
®n gros > puisque, pour contenter la curiofité du
lecteur, il faudroit détailler en particulier quelles
fortes de chofes néceffaires à la conftruéHon des
vaiffeaux nous pouvons acheter à meifteur prix de
chaque pays , 8c quelles on peut y porter pour
vendre. Le détail conviendroit mieux à un négociant
qui auroit pratiqué toutes les provinces où
ce Commerce peut fe faire ; ainfi , au lieu des
reflexions que je pourrois ajouter à ce fujet, je
devrois donner ici le projet par écrit, qu’un gentilhomme,
négociant d’un pays neutre, m’a confié :
tnais comme il ne fouhaite pas encore que je publie
m fon nom, ni fon projet en entier, je me contenterai
d’indiquer que cet ami, traitant des avân-
tages que l’Efpagne retireroit en établiffant un
commerce avec la Mofcovie, par l’entremife du
comte de Galifcin, ambaffadeur Mofcovite, qui
clt actuellement a Madrid , trouve que nous
pourrions tirer de Mofcovie , à bon prix, 8c en
échange des marchandifes d’Efpagne , des mâts
des antennes, 8c touts les bois néceffaires pour la
conftruéHon des navires Sc des maifons, le goudron,
la p oix , le fe r , le chanvre 8c le fuif, 6c
porter en Mofcovie ce dont elle manque; fçavoir,
16 7 n.’1ireau: de: v ie ’ le fe l» te favon, le tabac
en feuille , l’indigo, la cochenille, le fucre, les
oranges, les citrons, les amendes, les figues, les
taifins fecs, les olives 8c l’anis.
Il faudroit connoître bien peu l’Efpagne, pour
ae pas fçavoir combien elle abonde en toutes ces
chofes, ou par elle-même, ou par fon commerce
avec les Indes, qui pourroient aufiî nous fournir
de très beaux mats, en les tirant de la Havane,
du cèdre qui croît en divers endroits de la Nouvelle
Efpagne, 8c du bois appellé Tiga 3 prefque
auffi dur que le fer, 8c impénétrable aux boulets
de canons, que l’on pourroit faire venir des îles
Philippines.
Ce meme ami, dont je viens de parler, m’a
affuré qu’un vaiffeau conftruit de ce bois en avoit
battu quatorze Hollandois. A l’égard du cèdre, je
puis certifier avoir vu un navire de foixante-dix
pièces de canon , nommé la Capitana de Barlo-
vento , qui alors avoit plus de vingt-huit ans , 8c
dont les bois étoient fi fains, qu’en raclant tant
foit peu la fuperficie avec un couteau, ils paroif-
foient aufti frais que s’ils n’avoient été employés
que depuis deux mois. Outre que ce bois dure
extrêmement, je dois encore ajouter que les boulets
de canon y entrent, 8c s’y arrêtent fans en
détacher aucun éclat, ainfi que ceux qui en avoient
été témoins me l’ont affuré.
Quelques perfonnes, qui fe croyent habiles en
affaires d’état, prétendent que la bonne politique
ne veut point qu’on envoyé aux Indes des ouvriers
avec du fer 8c les autres matériaux qui ne s’y
rencontrent pas , pour employer ces excellents
bois à la conftruéHon des vaiffeaux ; mais comme
il n y a point de rifque de les conduire en Efpagne ,
après les avoir fait feulement un peu applanir, 8c
de s’en fervir pour left des navires , je ne m’arrêterai
pas à examiner fi cette raifon de politique
eft bien fondée. . ,
Art. III. I l établit a B rouage y au Havre-de-Grace
& a Marfeille des fontes, de canons defiinés pour les
armer. . r
Les canons fondus en France 8c dans les autres
pays n’ont aucun avantage fur Colindres, de Bar-,
celone 8c de Séville. Dans cette dernière ville ,
il s’eft fabriqué pour.l’Efpagne 8c les Indes,. 8c
anciennement pour l’Italie, l’Angleterre 8c la Hollande,
autant de pièces de canon que dans le refte
. de^ la moitié de l’Europe. S’il s’agit de canons de
metail, quel pays a de plus abondantes mines
de cuivre que la Havane 8c les autres provinces
du roi ? ^ -
Art. IV. Pour accoutumer les François à la mer,
on fit des compagnies de commerce pour les îles de
VAmérique & pour le Canada.
•i 'V Ji°n c°mPare ces deux pays avec nos Indes,
il n eft perfonne qui ne comprenne l’infinie disproportion
qu’il y a entre eux pour leurs richefles,
& par conféquent pour un plus grand profit du
commerce., Il eft vrai que nous ne tirons pas au- .
jourd’hui de ce commerce tout l’avantage que
nous .devrions, parce que n’ayant pas en Éfpa»ne
de fabriques des marchandifes qu’il faut trafiquer
aux Indes, on eft obligé de les acheter des
étrangers, qui gagnent fur nous; ce qui fait que,
nous trouvant enfuite forces de les vendre très