
O n peut dire qu’en cette occafion , M. de T u - î
renne eut trop jde confiance au traité fait avec
M . l’Evêque deWirtzbou rg, q u i, contre ce traité &
la parole , laiffa paffer par fa ville un corps de
cavalerie de l'armée de l’empereur , qui enleva ce
convoi au for tir de cette place.
Si M . le maréchal de Turenne , à.qui il étoit
d’une conféquence infinie de tirer fon pain de
W ir tz b o u r g , parce qu’il n’avoit point de farines ailleurs
plus proches que celles qui étoient dans Phi-
lisb o u rg , n’avoit pas eu dans cette occafion trop
de confiance en un prince allemand , dans un temps
où il pouvoit être v ivement follicité de manquer à
fa parole par M . de M onté cticu li, qui étoit avec
l’armée de l’empereur proche de W irtzbourg aufii ,
& que M. de Turenne eût eu aux portes de cette
v ille un corps confidérable pour recevoir fon convoi,
il eft apparent que l’ennemi n’en auroit pas tente
l’enlèvement, parce qu’il ne l’ auroit pu taire fans
dé file r , au fortir de la ville , devant un corps qui
auroit été en bataille.
O n v o it par cet exemple d’une faute faite par
un des plus grands capitaines que la France ait e u ,
de quelle conféquence il eft à un général de veiller .
à la fureté de l'es convois de vivres.
Les deux convois dont je vais p a rler, font ceux
qui dans l’année 1708 ont mis nos ennemis en état
de former le liège de Lille 3 ôe de prendre cette
importante place.
Après le combat d’Ou denard e, l’armée de M.
le duc de Bourgogne s’étoit retirée derrière Gand ,
& celle de M. de Marlbouroug s’étoit avancée
jufqu’auprès de Menin , où elle pouvoit avoir des.
farines pour quelque temps.
L ’infanterie que M .le prince Eugène avoit menée
d’Allemagne , couvroit Bruxelles ; l’infanterie v e nue
d’Allemagne a v e c M . de B e rwick , é toit dans
les places du Hainaut & de l’Efcaut ; & la cavalerie
dans celles de l’Artois , pour couvrir ce pays
contre les courfes de la cavalerie ennemie de l’armée
de M . de Marlbouroug.
Dans cette difpofition générale des armées, nos
ennemis conçurent donc le deffein du fiège de Lille.
Ils firent pour cela venir de H ollande à B ru xe lles,
les v iv r e s & munitions de guerre qu’ils crurent
néceffaires pour commencer ce fiège. Ils afiem-
blèrent à Bruxelles fept ou huit mille charriots ,
qu’ils chargèrent, ôt les conduifirent jufqu’au camp
devant Lille , pendant que toutes nos armées
étoient depuis Gand jufqu’à Tournai.
Je ne m’étendrai point fur ce fu je t , parce que
fans une volonté déterminée de laiffer pafler ce
convoi, par mépris pour fon o b je t , je ne puis
encore comprendre qu’il ait effe&ivemeat pa ffé ,
fans qu’on ait fait la moindre démonftration pour
le troubler dans une marche dont la file devoit
être au moins de cinq lieues.
L e fécond convoi eft celui que les ennemis ,
pour ce même fiège de Lille , ont tiré d’Oftende.
B me par oit encore plus furprenant. Je n’en répéterai
point ici les raifon s , en ayant parlé ailt-
leurs. Pour m o i, je crois que la meilleure eft
l’incapacité de M. de la Motthe-, chargé de l’empêcher
de pafler, qui non-feulement ne détruifit
pas ce convoi a vec un corps infiniment fupérieur
à celui qui lui fervoit d’efcorte , mais trouva .le
moyen de faire battre fes troupes par cette foible
efcorte. —. . *. ' . _
Evènement, des plus rares ! car il s’eft v u affez
fou v en t, qu’un convoi hafardé a paflé heureufement,
par la diligence & le fecret de fa marche ; mais
il ne s’étoit point encore v u , qu’un convoi attaque
par un corps infiniment fupérieur à celui de fon
efcorte , ait non-feulement paffé tout entier , mais
que fa foiblepefçorte ait battu le corps fupérieur
par lequel ■ elle étoit attaquée. M . de la Motthe
étoit réfervé pour donner à la France un exemple
aufli ftngulier. ( Fey.quières. ).
Les maximes fuivantes font tirées de divers
auteurs.
De la conduite d’un convoi.
U n e des principales attentions d’un général eft
de couvrir & d’affurer les convois contre les courfes
de l’ennemi. ( V é g ét. Liv. lll.chap. 2, art.-3.),
Les précautions préliminaires font , que les
commandants des poftes , depuis les places ou
font ces dépôts juiqu’à l’a rm é e , aient fans ceffe
de petits partis en campagne, tant pour aflùrer
les chemins que pour faire comioître à l’ennemi
- qu’on eft continuellêment fur fes gardes.
L a conduite des convois eft une des opérations
les plus, importantes & les plus difficiles. L ’éloignement
de la ville d’où ils p a rtent, les dangers
auxquels ils font expofés par les différents partis
qu’ils peuvent rencontrer , l’éloignement & les
forces de l’ennemi , l’étendue & la nature du
pays qu’on a à parcourir , fi c’eft un pays de plaine
ou de montagnes , le nombre des charriots , la
qualité des convois, s’ils font en a rg en t, en munitions
de guerre ou de bouche , extraordinaires
ou journaliers, doivent régler le général dans le
plus ou moins d’efcorte qu’il doit leur donner ,
dans le plus ou le moins d’infanterie ou de ca valerie
dont elle doit être formée : des efcortes
nombrêufes fatiguent inutilement les troupes , ôç
fi elles font trop fo ib le s , elles font battues.
Il y a beaucoup de difficultés, à conduire des
convois 3 fur-tout lorfqu’ils tiennent une vaffo
étendue, de pays ; car en pareil cas on eft obligé
d’en partager tellement l’efcorte ,'.qu il faut bien
de la capacité pour qu’ils ne foient pas infultes.
Premièrement, il faut proportionner l’efçorte
. d’un convoi fur la proximité & l’éloignement de
l’armée de l ’ennemi ôt de ces places.
En fécond lieu , quand il y a quelque apparence
que le convoi pourroit être attaqué , on envoie
mafquer par des détachements les défiles par ou
l’ennemi pourroit déboucher, &. on fait occuper
ceux par où le convoi doit paffer. O n infau it en ■
même temps de ces difpofitions , . l ’officier qui
commande les troupes de l’efcorte , afin qu il latte
Joindre ces détachements en cas d’attaque , oC
réuniffe toutes fes fo r c e s , pour empêcher l’ennemi
de rien entreprendre. Le .commandant de la place
d’où part le convoi, prend fur lui le foin de taire
garder les défilés q u ife trouvent à fa portée^,^ &
le général' de l’armée ceux qui font de fon cote.^
Lorfque les convois marchent dans un pay s fe r re ,
où fouvent le chemin eft occupe par d autres qui
fe c ro ifen t, & qui en s’y jettant viennent des défilés
.& des bois , & fur lefquels l’ennemi peut
s’approcher fans être apperçu , il faut y laiffer un
détachement jufqu’à ce que 1 e convoi ait pane ;
alors ce détachement v a joindre 1 arrière-garde.
Comme un convoi èft prefque toujours b a t tu ,
occupé ou enlevé lorfqu’il eft attaque, a caufe de
la difpofition défavantageüfe où il fe. trouve fur
une colonne fort longue , qui ne peut jamais etre
bien foutenue , il faut avoir quelques détachements
de cavalerie , & mieux encore de huffards, quand
le convoi en vaut la p e in e , qui voltigent le long
■ des endroits par où l’on appréhende le plus que
l’ennemi ne v ien n e, afin de l’amufer & donner
le temps au convoi, ou 'd e fe fa u v e r , ou de fe
mettre en état de fe défendre. ; v
Les détachements doivent du moins fervir a
avoir des nouvelles des ennemis. Un commandant
d’efcorte ne fçauroit avoir trop d’efpions.
O n doit , mettre les principales forces de l’ef-
corte à la tête du convoi, lorfqu’il marche vers 1 endroit
où eft l’en n em i, ce qui n’arrive pas ordinairement
; & faire le contraire quand on a l’ennemi
derrière foi.
H ne faut point que les troupes du centre marchent
au fecours de l’arrière - garde , fi c e ft elle
..qui eft attaquée ; mais on doit raflembler une partie
des troupes qui bordent le convoi, &. les porter
•dans l’endroit attaqué 3 parce qu’on rifqueroit que
cette attaque ne fût faite que pour y attirer toutes
les forces du détachement, q u i , réunies dans^ ce
feül en d ro it, laifferoient àT e im em i embufqué la
facilité de tomber fur la partie du convoi 3 qui
dépourvue de troupes feroit fans defenfe.^
Si on eft obligé de prêter le flanc a 1 ennemi
.pendant la marche , celui qui commande l’efcorte
d o it renforcer les troupes qui marchent du côté
d e Fennémi, ne point abandonner le lieu où il y
a le plus à craindre , & veiller à to u t , afin d’être
en état de donner promptement fes ordres.
O n partage d’ordinaire les troupes de l’efcorte
d’un convoi en trois corps. O n met le premier a
la tête , le fécond au centre , ie troifième a
l ’arrière-garde;
En plaine on fait marcher à l’avant - garde la
cavalerie la première , enfuite l’infanterie , & a la
queue du convoi c’eft la cavalerie qui ferme 1 arrière
garde.
. Lçs petites troupes de cavalerie qui marchent
le long delà colonne des vo itu res, marchent en
bataille autant qu’elles peuvent , & fuivent les
hauteurs , s’il y en a à p o r té e , pour découvrir de
loin ce qui peut venir de leur côté. O n répand
aufli le long du convoi des détachements d’infanterie
, qui marchent également éloignés les uns
des autres , & tout joignant les charriots , tant
pour la fureté des vo itu re s , que pour faire marcher
les charretiers , fans néanmoins les frapper.
O n n’a pas befoin d e répéter qu’il foit muni de
bons guide s, & qu’il ait des travailleurs a la tete
de fon efcorte , pour accommoder & élargir les
chemins. C ’eft une règle qui regarde tout général
qui marche avec un corps de troupes. En 1 obfer-
vant i c i , on eft fans crainte qu’aucune voiture le
rompe ou refte embourbée.
A v an t de mettre le convoi en marche , il faut
faire la difpofition en cas qu’on foit attaqué , afin
que chaque commandant de troupe fçache où il
doit fe p o r te r , & ce qu’il aura à faire dans le
moment de l’attaque. Généralement, dans quelque
manoeuvre que ce puiffe être il faut toujours
prévoir l’attaque , la defenfe & la retraite. _
Le commandant de Fefcorte ne doit pas négliger
d’avoir des partis de troupes lég ère s, ou d autres
à leur d é fau t, du côté de l’ennemi & de fes places ,
afin d’être averti de bonne h e u re , s’il virent a lu i ,
pour faire les difpofitions avant que d’être attaqué.
■ , . V
Il ne faut jamais s avancer fans en v o y e r des
détachements à la découverte.
T e l eft l’ordre qui s’obferve lorsqu’on marche
dans un pa ys découvert & de plaine ; mais qui
doit fe changer quand on a des bois à traverfer.
Il faut mettre alors une partie des dragons & de
l’infanterie à l’avant - g ard e , &. l’autre tout-a-fait
à l’arrière-garde. Le canon , s’il y en a , marche
avec l’une ou l’autre de ces deux parties , fuivant
les craintes qu’on peut avoir.
O n tire quelquefois des détachements de 1 infanterie
de l’avant-garde, qu’on place chemin faifant
en pofte f ix e , à d roite & à gauche vis-a-vis les défilés.
Ces poftes fe replient avec Farrière-garde.
Si le commandant de l’efcorte etoit certain que
l’ennemi ne pût venir que par un feul pa ffage, il
peut raflembler la meilleure partie dé fes troupes
pour le g a rd e r , & faire feulement défiler le convoi
a v ec une petite efcorte ; mais il faut 3 pour prendre
ce p a r t i, bien connoître le pa ys & etre très aflùre
qu’il n’y a pas d’autres panages par ou 1 ennemi
puiffe venir à lui. t
L ’officier qui eft à la tête du convoi marche très
lentement, & fait des haltes de temps en tem p s,
afin que les voitures puiffent marcher fort ferrées.
Il les fait doubler toutes les fois qu’il fort du
défilé. _
Si le convoi doit pafler un pont ou un d é filé ,
ce n’eft pas affez de connoître le pa ys jufquau
pont ou dé filé ; il faut que les huffards aillent au-
delà fouiller au loin très èxadement. Pendant que
P ij