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de venir leur vendre des herbages, des fruits êc
autres vivres,
Lucius Lucullus, 'par un plongeur qui traverfa
la mer, en paffant au milieu des vaiiïeaux de fes
ennemis , donna avis à ceux qui dçfendoïent la
place de Cyzique /qu’il' fe préparoit à leur donner
du fecours. Jean Fregofe, général des Génois,
contre don Alphonfe , roi d’Arragon , qui allié—
geoit la place de Bonnifacio, fe lérvit du même
moyen pour faire porter des avis aux affiégés.
J’ai dit précédemment comment on peut, par
de faux vivandiers, faire entrer lin fecours d’argent
dans*une place âïfiégée ; à plus forte raifon
on pourra de"cette .forte , avec plus de facilité ,
y envoyer une lettre , dont le poids ôc le volume
font infiniment moindres.
J’ai entendu dire à plufieurs officiers qu’au liège
de Namur, fait par les François, don Juan Diaz
Pimienta, qui avoit fon régiment dans cette place,
s’avança julqu’à la tête de la tranchée des allégeants
, avec un baril d’eau-de-vie , feignant d’être
un vivandier ; qu’au hafard de quelques coups de
fufil, il avoit couru vers la place , où il fervit
durant tout le fiège.
Harpagon , pour envoyer à 'Cyrus une lettre,
qu’il falloir faire palier à travers de fes ennemis ,
la-mit dans un lièvre , dont il fit fort adroitement
recou.’re la peau, ôc celui qui la porta étoit chargé
de re>.s & de lacets, comme s’il faifoit fon métier
de la chaffe.
On pourroit auffi: fe fervir de quelques foldats
de confiance , q u i, fous prétexte d’avoir déierté
de votre camp ou de la place, arriveront de nuit
chez les ennemis : ces faux déferteurs s’offriront
aux officiers de les fervir en qualité de domeftiques
ou de foldats , fans demander en entrant ni habit ,
ni engagement. Pour ne p?.s perdre une recrue
qui ne leur coûte rien, ils ne les déclarent pas
au général , afin que celui-ci ne les envoyé pas
dans quelque polie où ils foient gardés jufqu’à la
fin du fiège. S’ils font reçus parmi les ennemis ,
ou comme foldats , _ou comme domeftiquesp il
leur fera aifé de trouver une occafion de rentrer
dans la place, fur-tout la nuit, par un front qui-
n’eft pas attaqué : pour cela, en faifant femblant
de fe promener, ils'avanceront .fur le foir pour
recornoîtré Tinter val le d’une garde à l’autre des
affiégeants , afin de ne pas aller donner dan,s quelques
unes. C ’eft une des -inftruclions de Deville à
un gouverneur de place,.
Annibal, peur envoyer un avis à la ville de
Capoue , que les Romains affiégeoient, fit déferrer
de fon armée à celle des affiégeants, un
Africain , qui trouva enfuite le moyen d’entrer
dans la place.
Afin que la plupart des ftratagêmes que nous
venons de proposer ayent leur effet, le gouverneur
donnera ordre aux gardes du chemin couvert ôc
des portes de recevoir tout hoipme feul qui du
camp court vers la place.
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L ’efpion qui porte les lettres n’en doit pas fçavoir
le contenu ; il ne faut pas non plus qu’il foit inftruit
de là clef du chiffre dont on s’eft fervi pour écrire
la lettre qu’on lui confie. Touchant les précautions
à prendre fur ce fùjet, voyez ce que j’ai dit en
traitant des efpionsV
Avant que les ennemis occupent les avenues
d’une place qu’ils, menacent, convenez avec le
gouverneur de certains fignaux pour vous entendre
réciproquement ôc vous donner les avis nécef-
faires. En traitant des fièges, j’ai parlé de quelques
fignaux , dont on peut fe fervir lorfque votre
armée fe trouve proche de la place , lans avoir
néanmoins aucune communication avec elle.
Lorfqu’on eft plus éloigné de la place, les fignaux,
de la part de l’afliégé, peuvent fe taire la. nuit par
divers nombres de. grands fanaux fur une tour déterminée
, par des fufées volantes , par des flambeaux
d’illumination , ou par des bombes dirigées
vers les front de la place qui n’eft pas attaquéele
jour par des fufées Ôc des coups de canon tirés de
ce même front, ou par des bombes qui crèvent en
1 air ; de votre part, les fignaux fe feront de deflus
des tours des lieux de voire dépendance, ou de
deflus quelques montagnes , qui le découvrent
de la place.
Cornput ôc Berembrock, officiers qui étoient
de garni-on dans Steenwick , ôc Norrits , comman-
! dant des troupes des Etats- Généraux , qui tenoit
i la campagne , convinrent eniemble de ce que
fignifieroit certains fignaux, que durant la nuit on
feroit de cette place avec des fanaux ôc des feux,
ôc pendant le jour avec des pièces de toile étendues
en certains endroits défignés. line faut pas que lés
i fig; aux le puiffent confondre avec desévénements
; que fouvent le hafard fait, naître , comme feroit,
par exemple, un feu l'ur une montagne., cies.
hommes à cheval qui courent dans un'champ , & c .
Aratus, préteur d’Acaye , convint avec quelques
j citoyens de Cynette, qu’ils lortiroient d’une em-
j bulcade voifine pour attaquer la place , lorfqu’ils
; lui donneroient avis qu’il étoit prêt de h i en ou-
| vrir une porte , ôc qu’un homme qui paroîtroit fur
j le fommet d’une certaine montagne avec une ca-
| porte, feroit le fignal que tout étoit difpofê. Un
| berger qui gardoit Ion troupeau y parut, 6c comme
{ il étoit affublé de fa capotte, Aratus crut que
- c’étoit le ftgnal ; il fortit de fon embukade , avant
que ceux avec qui il étoit d’intelligence dans la
place fufient en état de lui ouvrir une porte, ÔC
la furprife fut manquée.
On doit inférer de cet exemple & du luivant,
que la prudence exige de mettre de .part 6c d’autre
- des gardes dans les poftes- dtftlnés pour faire les
fignaux, afin qu’il n’y ait perfonne qui y allume
du feu , qui y tire dés fufées volantes, qui y étende
de la toile , ou qui y pratique autre chofe qui
donne lieu à s’équivoquerfur quelqu’un des fignaux
concertés.
Lorfque Alexandre Farnèfe faifoit le .fiège d’An?
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v e rs , la garnifon de cetté place étoit convenue
avec le comte de Hoenlo, qu’au fignal d’un feu
qu’on allumeroit dans un certain endroit défigné,
Hoenlo attaqueroit , par le côté de la Zélande , la
digue de Convenftin, 6c que la garnifon charge-
roit en même temps par l’autre côté ; des foldats
allumèrent par'hafard du feu dans ce même éiir
droit ; les troupes de Hoenlo l’ayant v u , crurent
que c’étoit le fignal ; elles attaquèrent ôc perdirent
beaucoup de monde fans aucun fruit, parce que
les affiégés, qui n’avoient point fait de fignal, demeurèrent
tranquilles, ôc.Hoenlo, qui comptoit fur
une diverfion , fut battu.
On ne doit point changer les officiers qui font
de garde au pofie où fe doivent faire les fignaux ,
■ parce qu’en remettant chaque jour la garde à
d’autres, le .fecret feroit bientôt divulgué , 6cles
ennemis , qui auroient connoiffance de votre def-
fein, détacheroient des partis pour chaffer des
poftes de la campagne les hommes que vous y
avez logés pour faire 6c obferver les fignaux.
Les nuits qu’il n’y a ni brouillard ni lune, font
les plus propres pour les fignaux avec du feu ; le
meilleur endroit eft le front oppofé à celui de
l’attaque , afin qu’on ne confonde pas les lumières
6c les bombes de la tranchée, de la place du camp,
avec celles qui fervent dé fignaux.
Tout fignal doit être précédé par un nombre
déterminé de flambeaux d’illuminations ,de fanaux,
de' fufees volantes , de fumée , de coups de canon ,
ou de bombes tirées de la manière dont je l’ai
d it, afin que la garde qui doit obferver les fignaux
fe prépare à-le. faire. Alors l’officier de cette
garde répondra , par un autre fignal , qu’il eft
averti 6c fe tient prêt. Il prendra en même temps
de l’encre 6c du papier pour écrire les fignaux
qu’on va faire. Il ne permettra pas que les foldats
s’avancent pour voir ce qu’il écrit, afin qu’ils ne
comprennent pas ce que les fignaux fignifient.
Lorfque les fignaux feront finis, l’officier qui
les obferve en fera un pour marquer qu’il les a
entendus , ou un autre qui fignifie qu’il ne les a pas
bien compris, 6c qu’il a befoin d’une plus grande
explication. Le fignal ayant été réitéré , 6c l’avis
mieux expliqué.,-l’officier marquera, par le fignal
convenu , qu’il a entendu celui qui-lui a été fait.
Cette aflurance réciproque que les fignaux font
compris, fert infiniment pour ne pas retarder une
opération que la garnifon 6c votre armée doivent
exécuter de concert. Elle fert auffi , afin que les
troupes qui ont fait le fignal ne s’engagent pas dans
une expédition , en fuppofantt fauflement que leur ‘
fignal a été entendu des autres troupes, qui doivent
agir d’accord avec elles ; ce qui peut arriver facilement
, lorfqu’il s’eft élevé un brouillard près du
pofte où les fignaux doivent être obfervés. On
évite encore par-là qu’on ne prenne les faux
fignaux pour les véritables. Le fignal pour l’avis
fiera différent de celui de la réponfe, parce que fi
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c’étoit le même, on fe mettroit en danger d’être
trompé par les ennemis, q u i, par exemple, pour-
roient élever un même nombre de flambeaux qu’ils
ont vus.
Annibal, ayant deffein de furprendre Tarente
contre les Romains , convint de certains fignaux
avec Tragifque , qui étoit dans la place, 6c avec
qui Annibal étoit d’intelligence. De cette forte ils
fe répondirent l’un à l’autre pour commencer la
furprife en un même temps.
Gomme les événements qui peuvent furvenîr
font prefque infinis, Polybe v eut, 'qu’afin d’entretenir
une correfpondance par des fignaux , on
formé une forte d’alphabet pour exprimer toute
forte de mots. Polybe donne pour'cela une méthode,
qui eft celle qui fu t pratiquée par Cléoxène
ou par Démocrite. On la trouve dans lé livre X de
fon hiftoire ; je ne la rapporte pas ic i , parce que
je m’éloigne un peu de fon idée.-
Le jou r , chaque lettre fe peut défigner par un
certain nombre de futnées, de coups de canon, ou
de bombes ; la nuit, par un nombre de fufees
volantes , de fanaux ou de, flambeaux. Pour ne pas
confondre une lettre avec l’autre, il y aura un
fignal qui ftgnifiera la féparation de chacune ; par
exemple , f i les lettres font-marquées: p a r le nombre
de fois qu’o.n élève un fanal -, la féparation fera
diftinguée par une fufée volante, 6c fi elles font
déftgnées par le nombre.des fufées que l’on tire, on
diftinguera la féparation de H lettre par un flambeau,
ou un fanal qu’on élèvera.
Il faut tenir les flambeaux 6c les fanaux élevés
6c baiffés pendant un peu de temps, afin qu’on
puiffe mieux voir ôc compter le nombre de fois
qu’ib paroiffent.. Pour fignifier chaque lettre par
un nombre , on ne doit pas afligner ce nombre à
chaqué lettre, félon le rang qu’elle tient dans l’alphabet
ordinaire ; mais pour qu’il foit plus “difficile
aux ennemis de comprendre les fignaux, on change
cet ordre, 6c l’on convient Tl’un mot qui fert de
clef au chiffre. Par exemple, fuppôfons.que la clef
du chiffre foit le mot monfieur, & que nous ayons
retranché de l’alphabet les lettres K , J ôc V , couronnes
, qui ne font pas abfolument néceffaires, on
ajoute au mot monfieur, lesirotres lettres félon leur
ordre alphabétique, le nombre 24 fert pour avertir
qu’on va faire le fignal, le nombre 2-3 que le fignal
a été compris, 6c le nombre 12 que le fignal n’a
pas été entendu. Ces trois nombres fervent encore
pour rendre plus difficile aux ennemis la conf-
tru&ion du chiffre qui fe forme de cette forte :
Monfieur a b.~
2 4 2 3 12 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
c d f g. i p q . t x y ‘ z
11 13 • 1 4 15 16 T 7 l8 19 20 21 22.
Par exemple , fi. je veux dire troupes, je ferai
G g g g g ij