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taines phrafes ou formules que chaque nation adop-
toit. félon fes idées , comme pour invoquer le
iecours du ciel & des dieux de leur pays. Ils
prononçoient le.nom.de leur chef pour-s’encourager
mutuellement ; & les chrétiens confacrèrent
plus particulièrement cet ufage pour implorer le
fecours de dieu dans les combats, ou obtenir la
vi&oire par lu iteicelhon de la vierge & des laints ;
c’eit ce que I on voit dans Gunter qui ' dit que ,
lorlque j empereur Frédérik paila avec fon armée
en Italie , ce p ince impioroir le fecours du c ie l,
par des Jiymnes ôl des chantons militaires.
■ On peut rapporter ce pieux ufage à Conftantin
qui , ayant abjuré l’idolâtrie , ÔL embrafté le
chrittiarulme , ordonna que les troupes invoque-
roient dieu ôl N. S. J. C. dans leurs cris de guerre ,
6c c’eit ce qu’Eusèbe nous dit dans la vie de cet
empereur ; 6c dès lors ces cris furent ÔL relièrent
dans la. fuite des cris de guerre, comme ceux dont
je parlerai bientôt : O mon dieu ; dieu, aide^-nous ;
notre-dame de Bourgogne , mère de dieu , St. Pierre,
St. Denis , St Jacques , Montjoie St. Denis, ÔL une
infinité d’autres de cette elpèce. Ces formules font
de toute antiquité , 8c on les voit ufitées chez ies
Hébreux , où le peuple crie , le glaive du Seigneur ,
le glaive de Gédèon.
Cælar parle des cris de guerre comme d’un
moyen.fort utile pour enflammer le fentiment de’
la valeur , ÔL animer l’ardeur des troupes. Les
hommes , dit-il, ont naturellement la faculté d’exciter
en eux ces fentimems-, ÔL les chefs doivent
Rattacher à. tout ce qui peut les y porter. Que-
dam animi incitatio atque a lac rît a s innata omnibus
que pugnez fludio incenditur ; quam non reprimeré
feu incendere imperatores debent.
Les Romains ne j.ettrient le cri de combat que
près de l’ennemi ; ils marchoient à lui avec autant
de filence que d’ordre ; mais , quand ils le
joignoient, ils ~ jettoient un cri très perçant pour
marquer leur ardeur & la. confiance avec laquelle
ils combattoient, ce qui- jettoit fou vent une fi
grande terreur dans l’armée ennemie, que Cæfar
blâme Pompée d’avoir fait combattre fes troupes
en filence. Jofeph dit que , dans la guerre de Pa-
leftine, il fit mettre aux troupes le doigt dans les
oreilles , .pour qu’elles n’en fuffent pas effrayées.
Chaque nation avoit fes cris ; & nous ne voyons
dans Homère , ni dans Virgile , aucun combat qui
ne foit précédé d’un bruit, ou d’un cri de combattants.
( Le poète Grec dit que les Troyens , marchant
au combat, pouffoient de grands cris- ; mais qu’é.-
tant.de différentes nations, ces cris étoient différents.
Il dit ailleurs que les Myrmidons, s’avançant
pour défendre leurs vaiffeaux, .jettèrent un cri
immenfe. ).
On lit dans Virgile :
Sxoritur clamorque virûm clamorque tubarum.
Ailleurs.
In flammas , & in arma firor , qno (rifth Erynnis P
Qiip fremitus vocat & fuklatus ad xthera clamor.
Et plus loin.
It clamor.... & agmine facto ,
Qjiadrupe dente patrem Jonitur quant unguia camp uni•
Quoiqu’à bien des égards , les effets du cri militaire
dont parlent les auteurs, puiffent être regardés
comme fabuleux , ou exagérés , il eft certain
que ce c r i, étant une marque de joie 6c de confiance
, e*ft un prélage de la viétoire, qui doit
naturellement intimider ceux que l’on attaque avec
une audace 6c une violence relative au ientiment
qui fait jetter le cri : c’eft ce que Virgile exprime
vivement par ce vers.
Teneri clamore fequuntur
Latitiaque fremunt, animofque ad Jidera tollunt.
Ces cris font en effet d’autant plus propres à
marquer la confiance ÔL l’allégreflé , que l’effet
de la crainte eft d’affoiblir , ou même d’étouffer
la voix. Virgile a bien connu l’effet de la peur,
en peignant Androgée effrayé, reculant ÔL perdant
la parole.
Obflupuit, utroque pedem cum voce reprejjît.
Il peint encore bien vivement cette paffion 3
en 'repréfentant les cheveux qui fe hériflént , ÔL
toujours la voix étouffée.
Obfiupui y fieteruntque coma , & vox faucibus hcejzt.
On peut croire jufqu’à certain point ce que
Tite-Live dit des Antemnotes mis en fuite par les
Romains dès le premier choc.
Fuji primo impetu & clamore hojles.
Il dit encore ailleurs primus clamor atque impe-
tus, rem diremit. L’affaire fut décidée au premier
choc ÔL dès le cri du combat. Agricola dit dans
Tacite, én parlant des Bretons : ce font les mêmes
troupes que vous avez défait l’année derrière par-
le feul cri de combat : Ht funt quos proximo anno
clamore debellatis.
Mais ce qu’on ne peut pas croire , ÔL que Tite-
Live donne auffi pour une”exagération de l’hiftorien
Cælius , c’eft que des oifeaux foient tombés aux
cris de l’armée de Scipiori. Volucres adtérram de-
lapfas clamqre militum ait. i
Si les cris militaires avoient de grands effets
fans circonftances particulières , il étoit encore plus
favorable de les jetter en des lieux propres à les
augmenter , comme les montagnes ÔL les forêts.
Ils étoient alors plus propres à tromper l’ennemi,
ÔL à lui faire croire qu’il y avoit beaucoup plus
de combattants , par les répétitions multipliées du
fon. C ’eft ce que Q. Curce dit être arrivé aux
Macédoniens moins nombreux que les Perfes; ils
parurent à ceux-ci un corps beaucoup plus confidérable,
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dérables, parce que leurs cris répétés par les échos,
fe multiplièrent. Per fez inconditum 6* trucem fuf-
tulere clamorem : redditur & à Macedonibus major ƒ
ex ercitus impar numéro ,fed jugis montium vajiifque
faltibus repereuffus. Tite-Live dit que ces cris ,
ainfi multipliés par les échos , font plus effrayants:
clamoribus dijfonis , quos nemora etiam, repercujpz-
que valles augebant, territi trepidabant. Le filence
de la nuit augmentoit l'horreur des cris. C ’eft ce
qu’obferve Dion Caffius : « Les barbares , dit-il ,
entendant les cris de l’armée pendant la nuit, en
furent faifis d’effroi ; d’autant plus que dans ce
lieu défert,les rochers ÔL les montagnes en rendirent
le fon plus terrible ». C ’eft auffi ce que Racine a
peint dans la défaite de Mithridate.
1 L e défordre par-tout augmentant les allarmes,
Nous-mêmes contre nous tournant nos propres armes ,
Les. cris que les rochers renvoyoient plus affreux,
Enfin toute 1 horreur d’un combat ténébreux.
La manière dont les troupes jettoient leur cri,
l’air gai ou trifte qu’elles avoient, devenoit un prer
fage de l’événement, Plutarque dit cjue le ton
foible ÔL inégal des Romains, en le jettant, annonça
la défaite de Craffus. Dans la bataille de
Sempronius contre les Volfques , le cri du combat
, dit Tite-Live , fut d’abord un indice qui fit
juger de quel côté fe fixeroit la fortune : chez les
Volfques il fut ferme, vif-, répété ; du côté des
Romains , inégal, foible , mal-affuré, tumultueux.
Caton difoit que les cris, plus que l’épée, effrayoient
l’ennemi, ÔL le-mettoient en fuite.
Les Romains regardoient comme peu habile ÔL
peu vaillant de jetter le cri de combat avant de
choquer l’ennemi. Ils croyoient plus efficace de le
frapper en même temps de leurs traits ÔL de leur cri.
Il étoit défendu aux valets de jetter le cri militaire
; Marcellus , pour cacher le petit nombre de
fes troupes.« ordonna qu’ils le jettaffent.
On a auffi appellé le cri de combat, clamor pa-
nicus 3 cri panique. Cette expreffion eft fondée fur
ce ,que Pan, fuivant Polyen , fut un des capitaines
de Bacchus, qui mit les ennemis en déroute
par le moyen des cris qu’il fit jetter par fes foldats
qui combattoient dans une vallée où il avoit ob-
fervé qu’il y avoit plufieurs échos ; ce qui fit croire
que fon armée étoit beaucoup plus nombreufe
qu’elle ne l’é toit, ÔL les ennemis prirent la fuite
fans combattre. Ce fut cet événement qui a fait
appeller les frayeurs mal fondées , • des terreurs
paniques.
Ces paffages de Polyen , outre ce qui a rapport
au cri militaire, renferme d’autres détails curieux
fur la guerre ; on y trouve que Pan étoit un
guerrier fi renommé , que Bacchus apprit fous lui
la fcience de la guerre. C ’eft à lui qu’on attribue
l’art des ordres de bataille ,. l’invention de la phalange
, ÔL celle de foutenir les corps de bataille
par des ailes ; c’eft pourquoi on l’a repréfenté avec
des cornes à la tête. Les inftrument^ militaires ,
Art militaire. Tome 11.
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& fur-tout la trompette, lui font attribues, ainfi
que la flûte & les inftruments champêtres.
Végèce dit que le cri de combat s’appelle a.uiu
buntus ; ce mot eft une expreffion des Germains,
qui l’appeïloient barditus ; il fignifioit moins un
bri tumultueux & inarticulé que de certains vers
ou chanfons par lefquelles ces peuples encoura-
geoient leurs troupes. Us s’en fervoient comme-
d’un augure fur l’événement des batailles , ÔL il
en réfultoit quelquefois un effet auffi bizarre que
le moyen étoit chimérique : ils s’effrayoient fou-
vent eux mêmes en voulant intimider 1 ennemi.
Leur façon de chanter étoit fin^uliere ; ils s atta-
choient à prendre un ton dur ÔL a former un murmure
rompu en mettant leurs boucliers devant leur
bouche , afin que la voix fe groffit par la reflexion
des fons.
Ammien Marcellin le reprefente comme un
murmure qui , d’abord foible ÔL tranquille , fe
fortifioit fucceffivement dans la chaleur du combat,
ÔL fifiiffoit par un grand bruit, femblable aux
flots qui viennent fe brifer fur les rochers; Suivant
le même auteur , les Romains ont quelquefois
employé le barditus, qui n’a ete propre qu aux
Germains. , .
J’ai dit que le cri d’armes ou de guerre etoit
différent de celui du combat j ÔL comme cette
efpèce de cri a été fort célèbre dans notre nation ,
je vais rapporter ce que nos auteurs en ont dit.
Les François avoient, comme les autres nations,
la coutume d’aborder l’ennemi avec de grands
cris, ÔL par les mêmes raifons, c’eft-à-dire , foit
pour les effrayer, foit pour empêcher leurs propres
troupes de s’effrayer elles-memes par les crix des
ennemis, en un mot, fur le principe de Végèce ,
que le premier pas vers' la vi&oire eft de jetter le
trouble chez l’ennemi avant que de le combattre.
Pars enim vitiorie eft inimicum turbare antequam
' dimices. »
Cet ufage étoit fort en vigueur en France fous
Philippe de Valois : les Turcs Tont retenu ÔL l’ont
encore , ainfi que quelques nations qui l’ont con-
fervé quelque temps , ÔL puis l’ont perdu comme
nous. Jufte-Lipfe , en parlant du cri des Romains ,
d it, que de fon temps, c’eft-à-dire du temps de
Henri TV , les Efpagnols , dans les Pays-Bas où ils
vivoient,crioient encore dans les comhats : Efpagne.
Mais ces cris, comme j’ai dit., ont été abolis en
France ainfi que chez les peuples voifins , ÔL l’on
n’obferve jamais un plus grand filence dans les
armées, que quand on eft fur le point d en venir
aux mains y chacun alors eft attentif aux ordres
des officiers, on n’entend que le bruit des tambours,
des timbales ôl des trompettes , auxquels ,
quand l’attaque commence , fe joint celui de 1 artillerie
ÔL des armes à feu. Il n’y a que quand on
monte à Faffaut, ou qu’un bataillon marche^ pour
charger brufquememt celui qui lui eft oppofe, que
Fon crie tue , vive le roi, ou comme les Efpagnols
dans ce ças amat, ÔLc, ÔLc.
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