
de notre part. Ainfi l’on voit que la guerre en .Piémont
y a changé quatre fois d’efpèce. Voici , comment
la guerre a été conduite dans ce pays-là dans
l’année 1690.
J’ai dit ailleurs que dans le temps que M. de:
Savoie paroifloit agir de concert avec les généraux
de l’armée du roi dans la guerre contre les
Barbets, ce prince prenoit des melures ayec les
ennemis du roi, & que ce fut lui qui déclara le
premier la guerre.
Cependant il n’étoit pas pSêt à la foutenir ; fes
troupes n’étoient pas affemblées ; les Efpagnob n’o-
foient quitter le Milanès pour entrer en Piémont,
en laiffant Cazal derrière eux, & les Allemands
ll’y pouvoient arriver de trois mois.
Prefque toute l’infanterie, . dont le roi voulut
compoler fon armée de Piémont, avoit paffé les
Alpes; une partie de la cavalerie avoit auffi paffé
les Monts ; le refte, avec les équipages d’artille^
rie & de vivres, étoit à portée de paffer.
Dans cette fituation, il eft certain que fi ce
qui étoit déjà paffé au-delà des Alpes s’étoit campé
près de Turin, rien ne pouvoit empêcher que le
relie ne joignît il auroit été impoflible à M.
de Savoie de le-faire joindre près de la.capitale,
pour fa confervation, par les troupes féparées qui
étoient en Savoie, dans le comté de N ice , &
dans les autres extrémités de fes: états.
P,ar ce récit il eft aifé de comprendre que li M.
de Catinat, dont une partie de l’armée s’étoit
affemblée à Veillant dans la vallée de Suze, avoit
marché fur la plain-e de Millefleurs, & que l’autre
partie , qui étoit près de Pignerol, l'y eût joint le
même jour, il auroit été impoflible à M. de Savoie
, qui étoit alors dans Turin feulement avec
deux bataillons de fes Gardes, d’y être joint par
le refte de fes troupes féparées , comme je l’ai dit.
A in li, l’on auroit pu commencer la guerre en
Piémont par le liège de Turin, & même , dès' ce
premier temps, forcer M. le duc de Savoie d’accepter
des conditions de paix, telles que l’on auroit
voulu les lui impofer.
Au lieu de prendre ce parti, M. de Catinat,
çn for tant de la vallée de Suze avec la partie de
fon armée qui y étoit, parut feulement une nuit
fur la plaine de Millefleurs, & dès le lendemain
vint près de Pignerpl, joindre le refte de fon
armée qui y étoit.
Par ce mouvement en arrière, il donna à M. de
Savoie le temps de mettre enfemble fon infanterie
féparée , & aux trpupes Efpagnojes la facilité de
fortir du Milanès, & de venir au-devant de l’orage
qu’ils avoient cru deftiné à fondre fur eux.
A inft, cette première faute faite dans la ma*
pière de s’affembler à l'ouverture d’une guerre, en
détermina abfolument l’efpèce. Elle devpjt être
pffenfive de notre part, ellç fe trouva de la nature
de .celle qui fe fait entre puiffances égales,
La guerrç continua ainft pendant trois mpis, &
J’arjnée dp roi fe ferpit yue forcée À fortir de la
plaine de Piémont ^par l’arrivée des. troupes que"
j la ligue, envoyait: a M. [de Savoir , i i , par - un
événement .heureux , M. de Catinat : ne,: s etoit;
; pas -contervé l’égalité' des forces même après la
1 jonélion des lecpurs. d’A l emagne.
Pour .bien comprendre cette . vérité , il fuffira
de. dire que M. de Catinat étoit campé à Brillant,
&. M. de .Savoie, à Carignan , &. qu’ainft M..:de
Catinat;,ne pouvoit p,as erajbêch.er qùe les Aile—
• mands ne joigmiffent M^.de Savoie-; il.étoit même
impoflible : a attaquer [ce prirïce . dan» île pofte rde
Carignan où il avoit retranché tout le .front do
Ion.camp,.' q
Dans la néceffité où l’armée du roi fe trouvoit
de combattre 5c de vaincre , pour lé conlerver
dans, la .fuite de la campagne au moins ,l’égalité
avec l’armée ennemie,. après .l’arrivée des fecours
: qu’elle attendoit-d’AUémagne, M. de Catinat ré-!
folut de taire marcher l’armée du roi à Saluces,
qüi eft de l’autre coté du Pô., pour, attirer ,M..do
Savoie à fa fuite. Cette marche ne.pouvoit ’fe faire
qu’en prêtant le flanc, à l’ennemi.
On ne laiffa pas de halarder ce mouvement,’
afin de tenter M. de- Savoie de l’engager à
quitter Ion pofte de Carignan, ce qu’iffit , comptant;.
qu’en marchant de. front dans le flanc i.de
l’armée du r o i, il.la combattrait avec avantagé
à fon paffage du P ô , ou battroit ion arrièrergarde,
ou tout au moins fe camperoit. avec avantage
entre l’armée du roi & Pignerol, d’où l’on tiroit
le pain..,.
Dès que l’avant-garde de l’armée du roi fut
près de Saluces , M. de Catinat fit attaquer les
hauteurs qui font autour de cette ville , & qui
étoient couvertes d’un grand nombre de. milices
de ce pays; il fit même tirer quelques volées de
canon contre Saluces , afin d’engager par ce bruit
M. de Savoie à marcher pour tomber fur notre
arrière-garde.
Syr la fin du jour on fçut que le corps de cavalerie,
qui couvroit notre arrière-garde,- étoit
à vue de l’ennemi. On fçut même , par deux dé-
fçrteurs , que toute l’armée ennemie fuivoit : mais
comme le jour, étoit trop avancé pour pouvoir
engager une.,affaire générale, M. de Catinat fe
fervit du refte du jour & de la nuit, pour faire
revenir les troupes qui avoient attaqué les hauteurs
de Saluces , & mettre l’armée en difpofition
de combattre. Le lendemain,à la pointe du jour,
il apprit que l’armée ennemie avoit paffé la nuit
dans la plaine de Staffarde ; il marcha à e lle, la
combattit, & remporta ; for e l l e une viéloire com-
plette.
Cet exemple fera connoître qu’il eft bien dangereux
de précipiter le temps d’une a&ion , quand ,
avec un peu de patience, on peut raifonnable»
ment s’affurer de faire changer avec avantage la
conflit ution de la guerre dans laquelle or) fe trouve
engagé.
J’ai remarqué çi-defius que M, de ,Catinat, par,
là faute qu’il .avoit faite dans la manière d’affem-
bler fon armée, a v o it, à l’ouverture de cette
guerre, perdu l’avantage de la faire offenfive, &
qu’elle étoit devenue de l’efpèce de celle qui fe
fait entre puiffances égales.
Auffi, par l’impatience que M. de Savoie eut
de combattre avant l’arrivée de fes fecours d’A llemagne,
parce qu’il crut le pouvoir faire avec
quelque avantage , dans la perfuafion, que nous
ne nous ferions, pas fervi du temps de la nuit
pour nous mettre en difpofition de combattre le
lendemain, ce prince perdit tout l’avantage d’avoir
tourné cette guerre de défenfive de la part,
en guerre entre puiflances égales dès fon commencement
, & celui de nous faire une guerre offenfive
après l’arrivée! de fes fecours.
Les avantages de cette victoire furent même
fi grands , que M. de Catinat auroit pu en pro»
fiter pour Toffenfive beaucoup plus qu’il ne fit ;
mais au moins l’arrivée des fecours d’Allemagne
ne put pas ôter à M. de Catinat la jouiffance
paifible de la plaiae du Piémont au-delà du Pô !,
entre cette rivière & le Tanaro, où l’armée du
roi fubfifta jufqu’à ce qu’elle jugea à propos de
fe retirer , pour finir cette campagne par la prife
de la ville .& du château de Suze.
Je remarquerai ici que M. de Louvignies, qui
commanfioit les troupes Efpagnoles du Milanès qui
avoient joint M. de Savoie , fit tout ce qui lui
fut poffible pour détourner ce prince de combattre
, par lès. mêmes railon? que j’ai dites ; mais
que M. de Savoie, faute d’expé&encé à la guerre ,
ne voulût pas écouter ce fagq capitaine , & s’opiniâtra
à,.combattre.
Je paiîe'à préfent aux réflexions à faire fur
la quatrième elpèce de guerre, que, j’ai dit être
celle dans laquelle un prince s’engage pouf fe-
courir fon allié.
, J’ai dit que cette efpèce de guerre fe faifoit de
différentes manières, & fous différents prétextes;
ou en exécution d’un traité précédemment fait.,
ou en vertu d’un traité qu’un prince aura été forcé
de faire, par des motifs de jaloufie ou d’intérêt,
contre une puiffance ambitieufe ; ou par les fecours
que l’on fournit à fon allié , & dont l’efpèce
aura été ftipulée par le traité, foit en troupes, en
argent, ou en munitions de guerre ou de bouche ;
ou enfin par des diverfions contre.-la puiffance
qui attaque, ou contre les alliés de l’aggreffeur.
Pour examiner quelles ont été les guerres de
fecours que j’ai vu faire de mon temps, quelles
ont' été les raifons , & comment elles ont été terminées,
je dirai que la première-que j’ai vu faire
a été lorfque le roi envoya aux Hollandois un
.corps de-troupes auxiliaires > pour'les faire fervir
contre l’évêque de Munfter, qui les inquiétoit du
coté' de l’Over-Yflel.
va n nG v o u ^°*t Pas ^ o n n e r le temps à la maifon
d Autriche , ancienne ennemie de la France & des
Hollandois , de prendre part à cette querelle. Ce
fut-là le motif du fecours envoyé aux Hollandois
nos allies, .qui fit fon effet en fort peu de temps.,
& obligea l’évêque de Munfter à conclure promptement
la paix avec la Hollande.
Cette guerre s’eft donc faite en vertu des traités
d’alliance précédents entre la France & la Hollande
, & pour ôter promptement à l’empereur
l’occafion d’y prendre part : ce qu’il auroit fans
doute voulu faire , afin d’avoir un prétexte fpé-
p.ieux de faire approcher fes troupes des Pays-
Bas catholiques , fans donner atteints au traité de
Munfter.
Le fécond envoi de troupes auxiliaires que le
roi a fait, a été lorfqu’il en prêta à M. lele&eur
de Mayence de Schonborn, pour réduire la ville
d’Erfort eh Thuringe, qui eft de l’éle&orat de
Mayence. ■ La feule préfençe de:. ces troupes termina
cette affaire à la fatisfa&ion de cet éle&eur.
Ainfi cet envoi de troupes j qui ne produifit pourtant
point de guerre , eut tout l’effet que ce prince
notre allié en pouvoit defirer.
La troifième guerre de fecours qui fuivit celle-
ci , fut lorfque le roi, gratuitement & à fes dépens’
, envoya un - corps de troupes confidérable
jufqu’en Hongrie, pour fecourir l’empereur Léopold
, puiffamment attaqué par. les Turcs.
Quoique le gain de la bataille de Saint-Godart,
qui força les Turcs à faire la paix peu de jours
après , fut due à la valeur des troupes du ro i,
1 empereur ne laiffa pas de payer de beaucoup
d’ingratitude ce fervi.ee, rendu dans une conjoncture
auffi décifive pour lu i, & ne voulut avoir
aucune'attention ni à la fimple fubfiftance de nos
troupes,,pendant qu’elles agiffoient pour fon fer-
v ic e , ni même pendant leur retour en France.
• Cet exemple juftifie ce que j’ai dit, qu’il faifoit
qu’un prince, lorfqu’il fecourt ion ami & fon allié,
prît avec lui des mefures fûres, foit pour la confervation
raifonnable, la fureté & la fubfiftance de
fes troupes, foit pour les dédommagements ou les
remplacements, en nature des autres efpèces de
fecours qu’il fournit à fon allié.
L’empereur même; affe&a de regarder ce fecours
plutôt comme un devoir à l’égard de l’empire
, à caufe de l’Alface occupée par le ro i,
quoique détachée de l’empire par le traité de
Munfter , que comme un fecours purement gratuit.
6
Je puis même dire que ce fecours fut donné
trop généreufement, & contre les maximes judi-
ci'eufes à fuivre en pareil' cas, à caufe que l’on
pouvoit en France s’attendre que l’empereur, toujours
attache a fes grandes vues, donneroit à ces
fecours la raifon d un devoir dû à l’empire, &c
non celle d’un fecours gratuit.
La quatrième guerre de fecours a été lorfque
le roi envoya encore gratuitement des troupes
en Candie, aflïégée par les Turcs fur les Vénitiens.
Çe fecours , purement gratuit de la part du