
gagne qu’autant qu’il travaille, n’a befoin d’autre
chaffe-avant que fon propre intérêt. Il èû également
de conléquence d’éviter touts les ouvrages à corvée
qui demandent quelque façon_& de la promptitude,
attendu que la diligence &. le fçavoir ne fe rencontrent
jamais parmi des gens qui travaillent par
force &. qui ne tâchent qu’à couler le temps. Mais
quand on fera obligé de s’en fervir au remuement
des terres , il leur faudra impofer la quantité qu’on
leur voudra faire remuer , & la départir par communauté
j moyennant quoi ils traiteront les uns avec
les autres , ou ils s’accommoderont avec l’entrepreneur
pour en pouvoir venir à bout. De quelque
manière que cela le fafle il en faudra prendre con-
noiflance , & charitablement voir fi ceux avec qui
ils traiteront, ne fe trompent point fur le prix ou
fur le mefurage , 61 ne leur vendent pas trop chèrement
leur peine ; mais tout bien confidéré , cette
manière de travailler ne devroit être mife en ufage
que pour des charrois , ou des ouvrages fort grof*
fiers , & toujours le moins qu’on pourra.
Quand on fera le département des ouvrages
aux gens employés, il faudra bien prendre garde
d’appliquer chacun à celui qui lui conviendra le
mieux, & fur-tout tenir pour maxime d’avoir toujours
un homme fidèle & intelligent dans la maçonnerie
, qui ne perde jamais de vue la main des.
maçons ; car la plupart manquent extrêmement
de foin dans l’arrangement des matériaux , foit par
négligence , ignorance ou fripponnerie, ce qui
n’arrive que trop quand ils ne font pas éclaires
de quelqu’un qui les tienne en crainte. C ’eft
aufii pour cette raifon qu’on ne doit jamais fouffrir
qu’ils travaillent aux heures indues , ni fans la présence
de ceux à qui on aura commis le foin de
les obferver , n’y ayant rien de fi pernicieux dans
la conduite des travaux que ces fortes de négligences.
Touts ceux qui ont de l’expérience dans l’art
de bâtir n’oublient jamais de fpécifier cette condition
dans les marchés qu’ils en font, non plus
que celle de ne point faire les morbiers fans la
préfence d’un commis qui l.es fafle dozer ôc conditionner
félon les devis , & qui prenne garde
qu’on ne les emploie qu’après être refroidis , çe
qu’il ne faut point négliger, puifque de la main-
d'oeuvre & de la qualité du mortier dépendent
abfolument celle de la maçonnerie,
Il faut nécefldirement un certain nombre d’inf-
pedeurs & des chaflèrayants fur les ouvrages ,
puifque riena,c ’eft plus important que d’avoir des
argus fidèles fur la main des ouvriers qui obfer-
vent leurs adions & les faflent diligenter ; mais
U faut les connoître & les bien choifir, être aqfli
prompts à récompenfer ceux qui font bien, qu’à
renvoyer ceux qui manqueront d’application &
<lf fidélité. Par exemple, j’en voudrois un pour les
maeons, un autre pour les terrafljers , un autre
pour les voitures, un autre pour la décharge des
matérjaqx} s’ij -arriyoit que le nombre oqyriej-?
de même efpèce fût grand , il faut mettre urf
homme pour veiller à la conduite de cent autres ,
n’étant guère poflible qu’il püifle en éclairer davantage.
Sur quoi l’on remarquera qu’il en faut
beaucoup plus dans les ouvrages qui fe font en
détail, que fur ceux qui fe font par entreprife ,
puifque pour ceux-ci il fuffit d’en avoir à la maçonnerie
& au remuement des terres , au lieu
qu’aux autres il en faut de .néceflité fur touts les
différents ouvrages. Car , il ne faut pas penfer que
deux ou trois hommes puiflent fuffire pour conduire
xooo.ou 1200 ouvriers , qui étant divifés en
je ne fçais combien d’ouvrages différents, il eft
impoflible , qu’il ne fe commette une infinité
d’abus & de négligences. Si l’on n’y apporte une
attention continuelle , il fe fait beaucoup de dé-
penfes fuperflues , les ouvrages font mal façonnés,
de forte que ce qui fe fait mal-à-propos, excède
au centuple la dépenfe des appointements que l’on
croit épargner en employant trois ou quatre
hommes de moins qu’il n'auroit fallu. C e .n ’eft
pas ici une exagération , & je m’affure qu’il n’y
a perfonne qui ait fait un peu travailler, qui ne
demeure d’accord que quatre hommes bien ob-
fervés font plus d’ouvrage que fix autres qu’on
abandonnerait à leur propre conduite.
La précaution la plus néceffaire de toutes celles
qu’on peut prefcrire pour la bonne conduite des
travaux eft de ne commencer jamais aucun ou-r
vrage que l’on n’ait fait auparavant les amas de
matériaux , & tout ce qui eft néceffaire pour une
prompte exécution. Ce* matériaux doivent être
placés près des lieux pu il faut les employer ,
prenant garde cependant qu’ils n’embarraffent ni
les voitures ni les ouvriers. Rien n’eft fi néceffaire
à la fortifieation_c\p.Q la diligence , rien nç lui eft
fi oppofé que la grande précipitation avec laquelle
on la commence, le plu? fouvent fans avoir
fait provifion des matériaux dont on peut avoir
befoin , ni fans être afluré de la quantité d’ouvriers
qu’on y voudra' employer , d’autant que de
cet empreffement il arrive qu’avant qu’elles foient
à moitié faites, on manque de je ne fçais combien
de chofes qui caufent toujours un retardement
dangereux, & une augmentation de dépenfe con-?
fidérable par les fecours extraordinaires qu’on eft
obligé d’emprunter ailleurs , & qu’on paye quelquefois
bien cher , fans compter les dommages que
le pays fouffre de ce que l’on eft contraint d’exiger
de? coryées & des voitures , dans le temps même
que les payfans font occupés à leur récolte ; c’eft
ce qui nous fait encore répéter qu’on ne doit jamais
commencer un ouvrage fans avoir bien pris
des mefure? pour la fourniture des matériaux , &
fans en avoir fait un amas fi confidérable, que la
quantité d’ouvriers qu’on aura réfplq d’employer
n’en puiffe jamais manquer ; ce qui doit être ob-
fervé d’autant plus exactement, que rien n’eft fl
| dangereux pour une place que la lenteur de fes
» puvrages, attendu que jufqu’à ce qu’ils ayent acquisleur
perfe&ion , elle eft toujours en péril, &
confidérablement affoiblie par la propre imperfection
de ceux que l’on a bâtis , par l’embarras des
matériaux répandus à l’entour , par l’ouverture de
fes chemins-couverts pour faire pafler les charriots,
par le comblement desfoffés, accidents toujours
inféparables des travaux imparfaits , d’où il s’enfuit
, que jufqu’à ce qu’une pièce , telle qu’elle foit,
ait acquis fon entière perfection , elle eft toujours
contre la place ; c’eft-à-dire plutôt en état de lui
nuire que de fervir à fa défenfe. Situation mal-
heureule & qui devroit faire trembler ceux qui
ont la conduite des ouvrages qui font mal en train,
& qui languiffent faute d’avoir pris des mefures
aflez juftes pour les diligenter, principalement dans i
un temps de guerre , où l’ennemi peut à tout moment
former des entreprifes. Il n’y a rien de fi
commun dans l’hiftoire des guerres pafTées que la
perte des places qui ont été furprifes , ou que
l’on a été contraint d’abandonner, avant que leurs
fortifications fuffent en état de défenfe.
Soit que l’on conftruife une place neuve ou
qu’on en forfifie d’autres pour les mettre plus en
état de défenfe qu’elles ne le font, on doit toujours
commencer par les chemins - couverts , en-
fuite par les ouvrages les plus avancés, afin d’avoir
au moins une barrière pour arrêter l’ennemi j cette
précaution eft toujours néceffaire quand on eft
obligé de bâtir de nouveau quelque enceinte, ou
de démolir les dehors pour leur donner une conf-
truûion plus avantageufe que celle qu’ils a voient,
rouverture d’une place étant toujours dangereufe
dans la paix même la plus profonde ; l’art de fortifier
eft fufceptible d’une infinité d’attentions qu’on
ne peut négliger., fans qu’elles tirent à de grandes
conféquences.
Une attention qu’on doit avoir , & qui eft ef-
fentielle, (continue M. le maréchal de Vauba»,) ,
eft de donner les emplois lùivant la néceflité des
ouvrages & la capacité de chacun, afin de n’y
employer que des gens utiles & néceflaires, &
de ne charger perfonne de ce qu’il ne fçait pas ,
ni de plus qu’il ne fçait faire , ce défaut, auquel
on ne prend pas garde , étant ordinairement l’origine
ôc la fource de touts les défordres dans la
conduite des fortifications.
^11 eft très confiant que ce qui nuit le plus à
Teconomie & même à l’avancement des ouvrages ,
eft le renouvellement fréquent que l’on fait de
ceux qui en ont les principaux foins , d éc id ément
des ingénieurs ; vu que de ce changement
il arrive que perfonne ne s’inftruit jamais à fond , I
que l’on y eft toujours nouveau , que l ’on ne
connoît qu’imparfaite ment la qualité des maté- j
riaux, leur prix & la capacité des ouvriers, que
l’on ne fçait ni les moyens de faire les voitures,
ni de quelle manière s’y prendre pour établir un. j
bon ordre ; cependant ce font des parties qu’il I
faut neceflfairement fçavoir ,& qui ne s’apprerjnent 1
quavec du temps ; de plus ,-j’ofe bien dire , 6c j
Art militaire» Tome 11»
il n’eft que trop certain , que quelque foin que les
gens prennent a fe rendre fçavants dans ce métier,
le fouverain aux dépens de qui on l’apprend, en
paye toujours chèrement l’apprentiffage. Car , s’il
eft vrai 3 (comme l’on n’en peut pas douter, ) , que
dans touts les commencements des grands ouvrages
, il foit impoflible aux plus intelligents
mêmes, quelque application qu’ils y appprtent,
d’empêcher que la dépenfe n’en excède toujours
le jufteprix d’un cinquième ou d’un fixième , que
doit - il arriver aux travaux des places où l’on
change touts lés ans d’ingénieurs , ÔC où jamais
perfonne n’a le temps d’apprendre ce qu’il doit
fçavoir ? Certainement, il n’en peut procéder que
des defleins mal exécutés, & des redoublements
de dépenfes effroyahles 3 à quoi il n’y a d’autre
remède que de bien choifir, une fois pour toutes ,
les gens qu’on y voudra employer , fç donner
patience jufqu’à ce qu’ils y foient bien inftruits,
Ôl les perpétuer après dans l’emploi tant qu’on aura
befoin d’eux & qu’ils s’y conduiront bien. ( Dire
Heur général des fortifications , par Y a u b aN. ).
Du trânfport & remuement des terres.
La fouille des terres & leur trânfport font un
objet fi confidérable dans les grands travaux, qu’on
peut dire qu’il n’y a point de partie qui demande
plus d’attention, & un détail plus recherché pour
en bien régler le prix félon leur qualité 3 & la
diftance où il faut les porter. C a r , pour peu que
l’eftimation n’en foit pas bien entendue & les
relais bien ordonnés, on tombe dans des excès de
dépenfe ; la confufion & le défordre règne partout
, les travailleurs fe plaignent 3 les entrepreneurs
murmurent, & fouvent le mal devient fi
grand , que l’ingénieur , tout habile, qu’il puiffe
être, eft fort embarrafle du parti qu’il doit prendre.
M, le maréchal de Vauban, pour remédier aux
inconvénients dont ce fujet peut être fufceptible,
s’eft donné la peine d’écrire une ample inftruâion ,
& pour faire mieux fentir la folidité des moyens
qu’il propofe , il rapporte une copie d’un réglement
qui fut fait autrefois en Âlface, pour le
prix que les entrepreneurs doivent payer aux
foldats employés fur les travaux ; il fait voir les
défauts de ce réglement, & donne les moyens les
plus convenables de les corriger. Sans doute qu’il
en a ufé ainfi pour empêcher que ceux qui auront
la conduite des travaux ne tombent dans les mêmes
défauts. Un pareil écrit ne pouvant être placé
plus à propos que dans un ouvrage comme celui-
ci , j’ai cru qu’on feroit bien aile d’en avoir un
extrait.
« Les terres communes & ordinaires feront
payées à raifon de douze fols la toife cube dans
l’attelier, pour, les charger & pour les rouler ; il
fera augmenté de deux fols par toife, de dix toifes
en dix toifes courantes de chemin dans toute la
diftance de leur trânfport, lorfque le terrein fera
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