
tire eft trop éloigné ; ce font les paroles de cet
écrivain.
Si votre prince a quelque droit fur la province
où vous voulez vous faire un parti, & fi le bruit
des armes a déjà fait éclater le bruit de vos négociations
, répandez des manifeftes, qui faffent
voir la juftice de fa prétention, afin de faire éclater
en fa faveur ceux qui par-là croiront éviter le nom
de traîtres , ne pas mériter d’être traités comme
tels, en cas qu’ils fuffent.faits prifonniers.
Louis X I I , roi de France, avant d’entreprendre
la conquête de l’état de Milan contre Louis Sforce,
fit répandre des manifeftes, pour faire voir l’ancien
droit qu’avoit la France^fur ce pays; ce qui fut
auffi pratiqué par François Sforce, avant de fe
rendre maître du même état de Milan , & par
Guillaume-le-Conquérant, quand il voulut chalfer
Herald I I , roi d’Angleterre.
Les Allemands, dans la dernière guerre de la
ligue contre les deux couronnes, firent valoir le
droit qu’ils prétèndoient que l’archiduc avoit fur
l’Efpagne ; ce qui attira à leur parti un grand
nombre d’Efpagnols , qui crurent ou firent fem-
blant de croire que la prétention de la maifon
d’Autriche étoit fondée ; & ceux qui furent faits
prifonniers évitèrent, fur ce fondement, d’être
punis, parce que les Allemands avoient protefté
de traiter les nôtres de la même manière que
nous traiterions le? Efpagnols qui étoient à leur
fervice.
Lorfque les princes ne peuvent pas employer le
moyen dont je viens de parler , ils ont coutume
avant la guerre d’époufer des princeffes, qui, par
elles-mêmes, peuvent alléguer avoir des droits fur
le pays que leurs maris ont deflein de conquérir.
Les princes alors ont l’avantage de n’etre pas
regardés purement comme étrangers, & on a par
çonféquent moins de répugnance à les recevoir.
Le pape Céleftin I I I , voulant faciliter à l’empereur
Henri V I la conquête de la Sicile, ménagea
le mariage de cet empereur avec Confiance, qui,
comme fille légitime du roi Rog er, avoit droit à
ce royaume ; car quoique Tancrede , qui le pofi-
fédoit, fût de la famille royale de Sicile, il étoit
bâtard.
Ladiflas, roi de Bohème, afpirant à la couronne
de Hongrie , commença par époufer Beatrix ,
veuve de Mathias Corvin , rpi de Hongrie ; après
quoi il lui fut aifé d’obtenir le royaume, quoique
Jean Cprvin & Maximilien, fils de l’empereur
Frédéric, le lui difputaflent.
Les Suédois ayant offert au comte Henri de
Holftein la couronne qu’ils prétendoient ôter de
. deffus la tête de Magnus 11 , Henri la refufa,
& confeilla à ceux des Suédois qui lui en fai-
foientr la propofition 9 de mettre fur le trône le
prince Albert de Mekelbourg fon parent, parce
qu’Albert , étant fils d’Euphémie , feeur du roi
Magnus, ne feroit pas regardé comme étranger
«fon? 1? Suède, & aue les Suédois, par conféquept,
n’auroient pas autant de répugnance à recevoir le
prince de Mekelbourg que le comte de Holftein ,
ce qui réuffit.
J’ai déjà dit comment vous pouvez vous former
des intelligences pour femer des divifions parmi
les généraux, les miniftres, les peuples, les troupes
des ennemis ; je répète qu’afin de pouvoir faire,
fans fcrupule, toutes les démarches que j’ai pro-
pofées à ce fujet, il faut vous trouver dans les
circonftances dont j’ai parlé, ci-devant.
Des moyens d'empêcher quun pays conquis, 6* dont
on a gagné l'ajfeBion 3 ne veuille ou ne puijfe fe
foujlraire à fon nouveau prince.
Si dans un pays oii la fidélité peut être encore
un peu fufpeéfe, il y a des perfonnes qui,
par leur qualité ou leur mérite , ayent quelque
crédit fur le peuple ; & f i , par leur peu de bien
ou par leurs dépenfes exceffives, elles fe trouvent
dans l’impoffibilité de payer leurs dettes, fur-tout
fi ces perfonnes font plus hardies que fcrupuleufes ,
craignez que leur mifère ne les portent à quelque
extrémité, '& qu’elles ne fe laiffent fuborner par
des dons & des promeffes de la part de l’ennemi
de votre prince ; prévenez alors tout ce qu’elles
pourroient faire , en les tirant- du pays par le
moyen des levées des régiments dont j’ai parlé ,
ou propofez à votre fouverain de leur donner de
l’emploi dans une autre province ou à la cour,
ou tâchez de les enrichir par les voies que je
vais propofer, parce que, de toutes ces différentes
manières, vous éviterez que leur pauvreté
& leur génie ne vous jette dans quelque embarras.
Sallufte, faifant le portrait de Pifon , qui s’étoit
affocié à Catilina , dans fa confpiration contre
Rome, dit « que c’étoit un jeune gentilhomme
d’une audace extrême, pauvre & faétieux , que
fa mifère & fes moeurs perverfes avoient porté à
troubler la république.
En 15 13, don Raymond de Cardone, vice-roi
de Naples pour don Ferdinand- le - Catholique ,
voulant changer le gouvernement de Florence,
& y faire, un foulèvement en faveur de Médicis,
exilé de cette république, s’adreffa à deux jeunes
gens nommés Paul Vetori & Barthelemi Valori,
qui , aimant l’exceflive dépenfe , extrêmement
endettés , écoutèrent avec plaifir la propofition
de don Raymond ; & par leur affiftance & celle
de quelques autres de leurs femblables, il réufiit
dans fon deflein.
Marcus Manlius Capitolinus fe fit un parti très
confidérable dans Rome, de touts ceux qui étoient
accablés de dettes, en fe déclarant leur défen.feur,
& en foutenant que les citoyens Romains ne de-r
voient pas être emprifonnés, parce que d’autres
citoyens avoient des créances fur eux.
Afin que ces perfonnes dont je viens de parler
trouvent qu’il eft de leur intérêt que votre prince
conferve les conquêtes, donnez - leur la facilité
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devoir une bonne partie des emplois & des biens
dont quelques autres du même pays jouiffent,
& qu’ils ont abandonnés pour fuivre le prince
ennemi.
Après que Henri V I I I , roi d’Angleterre, fe fut
fouftrait à v l’obéiffance qu’il devoit au pape , il
dépouilla les monaftères de leurs biens, & les
donna ou les vendit pour peu de chofe à ceux
de fes fujets qui , pour ne pas les perdre , fe
trouveroient par-là à portée de foutenir plus opiniâtrement
frn parti. C ’eft-là un des plus grands
obftacles, qui fe rencontrera toujours , lorfqu’il
s’agira de rétablir dans cette île la religion catholique
, puifque plufieurs des plus riches feigneurs
de ce royaume ne le font qu’aux dépens des
églifes , des monaftères & autres fondations, dont
les biens & les revenus ont été donnés par ce
prince à des féculiers.
Si ce que je viens de propofer ne peut pas avoir
lieu , parce qu’il n’y a pas de perfonnes qui ,
ayant quitté le pays , n’ayent abandonné des
emplois & des biens confidérables, il faut donner
à la pauvre nobleffe des terres du domaine',
qu’elle craindra de perdre, s’il arrivoit que fon
précédent fouverain vînt à recouvrer le pays ;
car il prétendroit alors que le conquérant n’avoit
rien pu aliéner dans une province qui ne lui ap-
partenoit pas de droit. Cette aliénation de bien
du domaine eft pourtant néceffaire, lorfqu’il n’y
a pas d’autre moyen pour pouvoir conferver l’af-
feélion des fujets par des dons, ou pour les
retenir dans l’obéiffance par la force. L’empereur
qui règne aujourd’hui a mis très fouvent cette
politique en ufage dans les pays qu’il a conquis
fur l’Efpagne.
Je prouverai dans un autre endroit qu’ordinai're-
ment on réuffit à élever des troubles , iorfqu’on a
des intelligences dans un pays où il y a beaucoup
de vagabonds & de pauvres, qui, dans leur mifère
& l’oifiveté, cherche cette occafion pour pouvoir
voler impunément ; ainfi qu’on le vit à Naples
& à Palerme , dont les foulèvements furent caufés
par cette multitude de fainéants, que dans ce
pays-là on appelle les Lazaronis. Lorfque David,
pourfuivi par Saiil, fe fit un parti, l’écriture dit
« que touts ceux qui avoient de mauvaifes affaires,
& ceux qui étoient accablés de dettes ou mécontents
, s’affemblèrënt auprès de lu i , &. il devint
leur chef ».
Pour remédier à ce danger, enrôlez ces vagabonds
dans les troupes , par des levées volontaires
ou forcées;-formez-en des colonies, pour les faire
paffer dans des pays qui manquent de monde ,
& diffribuez-leur des terres en friche à cultiver ;
occupez-les dans les travaux publics , en leur donnant
-une certaine p a y e , & envoyez aux galères
C,CUX A11* ’ n’ayant point de métier , refuferont de
s’appliquer à ce à quoi on les deftine.
J’ai déjà dit comment on peut engager les
peuples conquis a faire quelque démarche qui
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choque dire&ement leur ancien prince : j’ajoute
que, cette démarche faite, les perfonnes qui vous
font fecrétement affidées doivent adroitement re-
préfenter à leurs concitoyens combien leur premier
fouverain a fujet d’être irrité & d’en vouloir tirer
vengeance , & leur rappeller des exemples de
divers pays, q u i, après un pardon accordé, ont
été enfuite rigoureufement punis fous un frivole
prétexte : de l’autre côté, ces perfonnes affidées
vleur feront voir que votre prince ne peut que les
eftimer, après s’être rendus à lu i, & qu’ils doivent
efpérer umauffi bon traitement de fa part, qu’ils
devroient s’attendre à un rigoureux, fi leur premier
maître venoit à recouvrer le pays.
Les Efpagnols ayant, en 1575 ? affiégé Oude-
water, les officiers de la garnifon expofèrent en
public les images que les habitants de cette ville
avoient facrilégement arrachées des autels , pour
que le fouvenir d’un fi grand crime les obligeât à
faire les derniers efforts pour fe défendre , afin
d’éviter le châtiment que leurs forfaits méritoient,
fi les Efpagnols fe rendoient maîtres de la place'.
Quelquefois les ennemis, qui ne font pas tou- '
jours fcrupuleux pour fe venger de quelques particuliers
ou de quelques villes qui auront embraffé
votre parti, uferont de divers artifices pour vous
jetter dans des défiances à leur égard , foit en
faifant tomber entre vos mains des lettres, pour
preuve de leur intelligence avec les ennemis, ainfi
qu’en ufa Iphicrate à l’égard de deux Athéniens
qui avoient paffé chez les Lacédémoniens. Souvent
même, fans que les ennemis s’en mêlent, il fe
trouvera des accufateurs , q u i, par une inimitié
particulière ou par un zèle affeélé, en vue d’une
récompenfe, tâcheront de vous rendre la fidélité
de ces nouveaux fujets fufpeâe. Je fais voir ailleurs
qu’il eft dangereux de prêter trop facilement
l’oreille aux accufations d’état ; je dis quelles font
les mefures & les précautions qu’il faut prendre
pour vérifier l’açcufation, & comment il faut agir
lorfque le crime eft avéré : ainfi, je prouverai
feulement i c i , par l’exemple fuivant j qu’on ne
doit pas, par des défiances fouvent mal fondées ,
troubler le repos d’une province dont vous êtes
poffeffeur tranquille.
Le duc de Guife, pour attirer à fon parti la
nobleffe de Naples, qui avoit embraffé celui de
Philippe IV , tâcha, malgré la fureur du peuple,,
qui s’étoit foulevé en fa faveur, de conferver les
biens & les familles des nobles ; il viûtoit fouvent
leurs parentées, qu’il avoit laiffées dans les monaftères
; il leur faifoit mille offres de fervices; il
s’informoit de la fanté de leurs proches, & il les
protégeoit dans toutes les occafions. D’un autre
côté, s’entretenant un jour avec le duc de Turfis
fon prifonnier, de l’état de la guerre & du royaume ,
il affeâa de lui dire qu’il avoit avancé auprès de
la nobleffe plus qu’il ne croyoit. Dans une conférence
q ue , par la permiffion de don Jean d’Autriche,
il eut avec le duc d’Andria, en préfence