
camp; maïs ils ne firent aucun mouvement. Cyaxàre
étoit d’avis de fe déployer dans la plaine, ôc de
leur présenter le combat. Cyrus s’y oppofa, difant
qu’ils refteroient derrière leurs retranchements,
obferveroient l’armée des Mèdes Ôc des Perfes,
mépriferoient leur petit nombre, ôc fe préfente-
roient au combat avec plus d’affurance.
Le jour fuivant le roi d’Àffyrie fit fortir fes
troupes, ôc leur rappella les fuites de la vi&ôire, la
confervation de leurs biens, de leurs efifants, de
leurs femmes & de leur v ie , la poffeffion des richeffes
ôc des forces 'de l’ennemi ; les dangers de la
défaite 6c de la fuite qui faifoit périr plus d’hommes
que le combat.
Cyaxare voyant une petite partie des troupes
ennemies hors de leur camp , fit propofer à. Cyrus
de les attaquer; celui-ci repréfenta que l’avantage
ne feroit pas affez grand ; que l’Afïyrien ne fe croi-
roit pas vaincu ; qu’il diroit que les Mèdes, effrayés
de leur grand nombre, avoient cherché l’occaüon
d’accabler une petite troupe, & qii’ils renouvelle-
roient le combat avec plus d’affurance, 6c peut-
être de précaution. -
Cyrus ayant reçu de nouveaux ordres de Cyaxare
, fe mit en marche fuivi de fon armée , toute
pleine de confiance, d’ardeur, de force, 'd’inftruc-
tion , d’obéiïfance , de defïr de la gloire. Quel pré-
fage contre l’ennemi î Les chars des Alïyriens for-
moient leur première ligne ; à l’approche des
Perfes ils fe retirèrent. Leurs archers , frondeurs,
ôc autres armes de j e t , lancèrent leurs traits de
beaucoup trop loin. Alors Cyrus animant fes
troupes, quelques-uns impatients de combattre,
prirent la courfe , 6c en même temps toute la ligne,
6c Cyrus même à leur tête , criant ; qui me fu i t ,
qui a du courage , qui tuera le premier ennemi ;
l’armée fuivoit répétant, qui fu it , qui a du courage ?
Les Affyriens effrayés s’enfuirent & fe jettèrent en
foule à l’entrée de leur camp, où les Perfes furvenant
en tuèrent un grand nombre, ainfi que dans les foffés
remplis d’hommes, de chars & de chevaux qui s’y
étoient précipités. En même temps la cavalerie
Mède s’abandonna fur celle des ennemis , qui n’àt-
tendit pas le choc. Ainfi touts les Affyriens de la
plaine furent en fuite & pourfuivis. Ceux qui
étoient dans le camp , fpeéiateurs immobiles,
frappés de terreur, ne penfoient même pas à lancer
leurs traits. Lorfqu’îls virent quelques Perfes
maîtres de l’entrée, ils prirent la fuite. Alors les
femmes effrayées erroient auprès de leurs tentes ,
fupplioient ceux qui fuyoient de retourner, de les
défendre, de ne pas les abandonner : dans leur
défefpoir, elles déchiroient leurs vêtements 6c leur
vifage même. Le roi d’Affyrie 6c Créfus entourés
de leurs meilleures troupes, s’arrêtèrent fur les
éminences 6c aux portes du camp , d’où ils ccm-
battoient ; exhortoient les leurs & tentoient de les
rallier : Cyrus craignant que fon armée pénétrant
dans le camp ne fût accablée par le grand nombre,
crdonna la retraite. Les homotimes obéirent 6c
firent paffer l’ordre aux autres Perfes.' Dès qu’ils
furent hors de la portée du trait , toute l’armée
prit fes rangs avec plus d’ordre que ne l’auroit
fait un choeur de muficiens.
Cyrus ayant rendu grâce aux dieux, fit publiquement
l’éloge de Chryfante, parce qu’ayant le
bras levé pour frapper un Affyrien , iorfqu’il avoit
reçu l’ordre de la retraite , il n’avoit pas porté
le coup, mais o b é i, 6c fait retirer fa troupe fi
promptemest , qn’elle étoit hors de portée avant
que l’ennemi s’en fût apperçu, il récompenfa fora
obéiffance en le faifant chiliarque, 6c lui fit efpé^
rer de plus grands honneurs.
Le roi d’AfTyrie étoit mort dans le combat ;
les meilleures troupes avoient péri. Le refte conf*
terné s’évada pendant la nuit, abandonnant beaucoup
de bagages 6c de befliaux. Cyrus 6c les
Perles demandèrent à Cyaxare de les pourfuivre.
Soit envie, foit prudence, il le refufa. Cyrus le
pria du moins de lui accorder ceux des Mèdes
qui voudroient l’accompagner, non qu’il eût def-
fein , difoit-il, de pourfuivre l’armée affyrienne ,
mais d’enlever ceux qui en feroient féparés ou
reliés en arrière. Le roi y Confentit, 6c ceux des
Mèdes qui étoient fes. amis depuis leur enfance,
ceux qui l’ayant fuivi à -la chaffe avoient éprouvé
fa bonté , ceux qui fentoient le fervice que fa
viéloire venoit de leur rendre, ceux qui en avoient
reçu des bienfaits , tandis qu’iL étoit à la cour
d’Aftyage, ceux qui prévoyoient que fes vertus
l’éièveroi'ent au faîte de la grandeur, ceux qui
fous un tel chef efpéroient quelque riche proie,
enfin prefque touts les Modes excepté ceux de
la maifon de Cyaxare, voulurent le fuivre.
En même temps les Hyrcaniens, nation voifine
6c fujette de l’Affyr ie, envoyèrent quelques députés
à Cyrus. Les Affyriens en faifoient le même
ufage que les Spartiates des Scirites, ils les acca-
bloient de travaux , 6c les expofoient aux plus
grands périls. Dans la retraite qu’ils venoient de
faire, c’étoient mille chevaux hyrcaniens qu’ils
avoient mis à leur arrière-garde , afin que le premier
danger fût pour eux. Ils fervoient fur-tout à
cheval , 6c comme toutes les nations d’Afie ,
menoient leurs chariots ôc leurs familles.
Lorfqu’ils virent leurs tyrans vaincus , abattus
fans chefs , ils faifirent l’occafion , ÔC firent fça-
voir à Cyrus que s’il vouloit fe joindre à eu x ,
ils feroient fes guides , 6c attaqueroient avec
lui : que les fatigues de la nuit précédente, la
retraite retardée par le défor dre 6c la grande
quantité de chariots aflyriens n’avoit pu fe faire
que lentement , ôc qu’il pourroit encore les atteindre
dès le lendemain. Cyrus demanda aux envoyés
quelques gages de la vérité de leurs discours
: ils offrirent des otages , 6c demandèrent
qu’il confirmât fon alliance avec l’Hyrcanie , en
prenant le .c ie l à témoin, ôc joignant fa main
à leurs mains. Il le fit, 6c jura que s’ils tenoient
leurs promeffes , il les regarderoit comme- des
hommes
hommes fidèles , comme des amis , 6c ne les
traiteroit pas autrement que les Mèdes ôc Perfes.
En effet , les Hyrcaniens eurent part dans la
fuite aux emplois 6c aux charges de l’état comme
touts les autres citoyens.
Cyrus ayant rendu grâce aux Mèdes pour le
zèle qu’ils lui témoignoient, partit de nuit avec
fon armée , la cavalerie Mède faifant l’arrière-
garde, 6c les Hyrcaniens à la tête. C eu x -c i demandant
au général pourquoi il n’^ttendoit pas
leurs otages , « ils font dans nos coeurs Ôc dans nos
bras, répondit-il ; fi vous nous fervez fidèlement,
nous avons la volonté de vous en récompenfer;
fi vous nous trompez , nous ne ferons pas en
votre puiffance, mais vous en la nôtre. Comme
ils ne vouloient pas tromper, ce difcours fier ÔC
impofant releva leur courage. Dès ce moment ils
fe crurent libres , 6c. ne craignirent plus ni les
Lydiens , ni les Affyriens. lin météore brillant
au-deffus de Cyrus 6c de fon armée la remplit
d’une fecrète horreur en préfence de cette flamme
regardée comme divine , 6c d’une ferme efpé-
rance de la vi&oire. Au premier crépufcule ils fe
trouvèrent près du camp des Hyrcaniens. Cyrus
renvoya un des députés leur dire qu’ils fe comportaient
à fon égard , comme il le faifoit au
leur , 6c que s’ils étoient fes alliés , ils vinffent
à lui les mains élevées. Il donna ordre à Tigrane 6c
aux chefs des Mèdes, que fi au contraire ils venoient
comme ennemis, ou prenoient la fuite , ils
enfiffent un exemple éclatant, 6c les immolaffent
comme traîtres. Mais on les vit bientôt accourir
les mains élevées : les Perfes ôc les Mèdes les
reçurent de même.
Cyrus , ne perdant jamais un moment, apprit
d’eux que les Affyriens n’étoient qu’à un peu plus
d’une parafange. « Perfes , Mèdes , Hircaniens ,
dit-il aux chefs , car vous êtes à préfent nos alliés
6c nos auxiliaires , fi nous agiffions avec lenteur ,
nous aurions tout à craindre. Si nous attaquons de
toutes nos forces , vous allez voir nos ennemis
comme des efclaves furtifs que l’on a découverts,
les uns fuppliants , les autres en fuite ou ne fçachant
à quoi fe réfoudre. Ils vont nous voir , 6c croiront
à peine que c’eft nous : ils feront fans ordre,
fans armes. Ne leur laiffons pas un moment pour
fe reconnoître. Qu’ils ne diftinguent pas même
que nous fommes des hommes ; qu’ils ne voyent
tomber fur eux que des boucliers, des épées,‘ des
haches, 6c des bleffures. Vous, Hircaniens, pour
les tromper plus longtemps, marchez devant nous.
Quand nous ferons près d’eux, que chaque nation
me laiffe une compagnie de cavalerie , pour m’en
fervir au befoin avec l’infanterie. Que les plus
vieilles troupes gardent leur$ rangs ? tandis que les
nouvelles chargeront 6c pourfuivront les fuyards ,
afin de foutenir celles-ci s’il eft néceffaire. Mais
gardons d’imiter ceux q u i, étant vainqueurs, ne
penfent qu’au pillage. Quiconque agit ainfi, n’a
l’efprit ni le coeur d’un militaire, mais celui d’un
Art militaire. Tome JJ,
lâche valet. Rappelions-nous que la vidoire abonde
en richeffes. Le vainqueur a en fa puiffance les
hommes , les femmes , les tréfors , les légions
entières. Ainfi n’ayons devant les yeux que la
confervation de la vi&oire, puifque Ja proie ne
dépend que d’elle. Que ceux qui pourfuivront
reviennent à moi de jour : les ténèbres venues,
nous ne recevrons perfonne. ».
Il dit 6c envoya les chefs à leurs troupes, en
leur enjoignant de communiquer ces ordres aux
Décadarques : ceux-ci étant au premier rang,
pouvoient les entendre, 6c les faifoient paffer à
leurs foldats. Cyrus marcha dans cet ordre, les
Hyrcaniens à la tête, l’infanterie Perfe occupoit le
centre, la cavalerie avoit deux ailes. Lorfque le
jour parût, ôc que les Affyriens les découvrirent,
une rumeur générale s’éleva dans le camp : les uns
obfervoient ce qui arrivoit, d’autres l’annonçoient ;
d’autres jettoient de grands cris; ceux-ci déta-
choient les chevaux, ceux-là ferroient leurs bagages
: on en voyoit d’autres s’armer, monter à
cheval, mettre leurs femmes fur les charriots , y
mettre leurs richeffes, ou les confier à la terre.
La plupart fuyoît ou périffoit fans combattre.
Croefus 6c l’Archonte de la Phrygie, près de l’Hel-
lefpont, voulant profiter de la fraîcheur du matin,
s’étoient mis en marche avec leurs femmes 6c leur
cavalerie. Inftruits par quelques foldats, ils prirent
auffi la fuite. Les Arabes 6c les Affyriens furent
ceux qui perdirent le plus. Les rois de ces deux
peuples, combattant fans cuiraffe, furent tués par
les Hyrcaniens. Tandis que ceux-ci, joints aux
Mèdes, pourfuivoient les vaincus, Cyrus donna
ordre aux cavaliers qu’il avoit réfervés, de faire le
tour du camp ennemi, de tuer ceux qui en forti-
roient armés, ôc fit ordonner à touts les autres,
fous peine de mort, d’apporter leurs armes liées
en faifceaux. La plupart obéirent, ÔC tandis qu’ils
les apportoient à la tête de fon armée qui étoit
en bataille l’épée à la main, ceux qu’il avoit chargés
de les brûler y mettoient le feu.
Il y avoit dans le camp des Affyriens une grande
quantité de vivres. Cyrus en fit préparer, pour.
fon armée, par les valets captifs, comme ils l’au-
roient fait pour leurs maîtres. 11 recommanda la
tempérance, en faifant obferver aux fiens , que
leur sûreté réfidoit en elle , puifqu’ils avoient dans
leur camp des ennemis en liberté, plus nombreux
qu’ils ne l’étoient eux-mêmes. Il fit réferver le butin,
pour le partager fidèlement avec les Hyrcaniens
ôc les Mèdes, qui pourfuivoient encore l’ennemi,
6c ramenant fans ceffe des charriots chargés de
femmes ôc d’effets précieux, après les avoir remis
au général, retournoient en chercher d’autres.
C y ru s , voyant le grand avantage qu’il retiroit
de cette cavalerie, forma le deffein d’en établir
une parmi les Perfes. Il leur repréfenta qu’ils étoient
a la vérité capables d’attaquer l’ennemi de près, 6c
de le mettre en fuite, mais inhabiles à le pourfuivre
6c à profiter de la yiéloire; que n’ayant aucune
E