
à bafe triangulaire, dont chaque côté avoit environ
trois cents toiles, & qui étoit furmcritée par une
ftatue colofTale.
Une partie des Mèdes vivoit dans l’indépendance.
Elle n’avoit point de rois; mais feulement
des juges pour décider les diftérends'. Leurs arrêts
fouvent injuftes, loin d’éteindre les animofités, les
augmentoient, 8c portoient les citoyens au crime
& à la vengeance. Le feul Déjoce étoit jufte &
incorruptible. 11 en reçut un prix qui devoit toujours
être celui de l’équité fuprême, le gouvernement
du peuple. Son règne fut heureux 8c paifible.
I l eft rare d’en voir un femblable, 8c on ne peut
pas en efpérer deux de fuite.
Phraortes, qui lui fuccéda, fournit les Perfes,
attaqua touts les peuples voifins l’un après l’autre ,
parvint à cette Ninive qui avoit dominé l’A fie ,
mais -que fes alliés avoient délaiflee : il y périt
avec la plus grande partie de fes troupes.
Cyaxare, fon fils, neveu de Dé joce, lui fuccéda.
Il fut le premier, qui, dans l’armée, fépara
l’une de l’autre en différentes armes. L’arnour de la
guerre, 8c l’amhition, l’excitèrent à la conquête
de Ninive. Mais avant de l’entreprendre, il voulut
aflùrer la tranquillité de fes états, 8c augmenter
fes forces par des alliances.
Touts les peuples d’A fie , qui habitoient au-
deffus du fleuve Halys, fe joignirent à lui. Avec
leurs troupes 8c les fiennes, il marcha contre les
Aflyriens , les défit, & il affiégeoit leur ville ,
lorfqu’il furvint tout-à-coup une grande armée de
Scythes. Cette nation Nomade, ayant pafle l’A -
raxe, aujourd’hui le Rha, avoit obligé des Cimmé-
riens de lui abandonner le pays qu’ils occupoient
au nord, du Pont-Euxin. Une partie de ce peuple
étoit paffée en Afie , en fuivant les bords de la
mer, & une armée Scythe l’avoit fuivie, en laif-
fant le Caucafe à fa droite. Elle pénétra dans la
Médie , fous la conduite du roi Madyes, fils de
Protothias , & vint furprendre Cyaxare. Il la
combattit, fut vaincu, & fut ainfi que toute l’Afie,
pendant vingt-huit ans, tributaire du vainqueur.
Ce fut alors qu’ils s’avancèrent jufques dans la
Paleftine, reçurent les préfents de Pfammitticus,
roi d’Egypte, & s’emparèrent de Bethfem, ville
de la tribu de Manafle, qui prit d'eux le nom de
Scythopolis, & refta en leur pouvoir, tandis qu’ils
furent maître de l’Afie.
Mais leur empire ne confiftant que dans l’exercice
d’une licence effrénée, dans les aâions 8c les
rapines, outre le payement du tribut, ne pou voit
pas fubfifter longtemps. Cyaxare & les Mèdes
s’étant concertés, en attirèrent chez eux le même
jour la plus grande partie, & les ayant enivres les
égorgèrent. Ce fut par cette trahifon qu’ils s’affranchirent
de la domination la plus tyrannique, &
rentrèrent dans leurs poflefliôns. Cyaxare ayant
repris fes projets, s’empara de Ninive, 8c fournit
les Aflyriens, excepté quelques parties des terres
Babyloniennes,
Un petit nombre de Scythes Nomades, s’étant
féparée de la nation, le retira en Médie. Le roi les
reçut avec bonté comme fuppliants, 8c leur confia
quelques enfants pour leur enfeigner la langue
Scythe, 8c l’exercice de l’arc. Il les employa aufli
I à la chaffe ; mais comme il étoit violent, il les trai-
toit mal, lorfqu’ils ne rapportaient rien. Offenfés
de cette injuftice, ils tuèrent des enfants qui leur
J étoient confiés , 6c l’ayant apprêté comme les
I animaux fauvages qu’ils tuoient dans les bois, ils
j fervirent à Cyaxare cet effroyable mets, dont il
J mangea , lui 8c fes convives. Les barbares s’enfuirent
à Sardes, fous la proteéfion d’Alyatte, roi
de L yd ie , qui refufa de les livrer.Jl en réfulta une
guerre de cinq ans entre ces deux puiflances. Dans
la ûxième, au milieu d’une bataille dont le fuccès
étoit difputé avec une ardeur égalé, tout-à coup le
jour devint ténébreux, & parut fe changer en nuit.
C ’étoit l’éclipfe annoncée aux Ioniens par Thalès
de Milet. ( An du M. 3004. av. J. C. 600 , Iç
dimanche 20 feptembre, a 8 heures 1$ minutes du.
matin.). Ce phénomène, fouvent regardé comme
un préfage de maux , produifit cette fois un grand
bien, celui de la paix. Les Lydiens & les Mèdes
fe hâtèrent de la conclurre, 8c elle fut cimentée
par l’union d’Aftyage, fils de Cyaxare, avec
Ariénis, fille d’Alyatte.
Ce fut ce roi de Lydie qui chafla d’Afie les Cim-
mériens, prit Clazomènes, s’empara de Smirne,
& fit la guerre aux Miléfiens d’une manière extraordinaire.
Lorfque lés fruits étoient murs dans
les campagnes de Milet, il y conduifoit fon armée
au fon des chalumeaux, des lyres & des flûtes, n’y
faifoit aucune efpèce de ravage, mais recueilloit
lés fruits 8c fe retiroif. Il ne détruifoit ni ne brûloit
les maifons, afin que les Miléfiens, habitant toujours
leurs terres, continuaflent de les cultiver. Ils
le faifoient, les enfemençoient, 8c l’année fuivante
le roi de Lydie venoit recueillir leurs moiflons.
Il fit pendant cinq ans cette récolte, efpérant que
les Miléfiens manquant de bleds, ôc de fruits,
feroient contraints de fe rendre.
La fixième année le feu prit aux moiflons, &
brûla le temple de Minerve Aflefienne. Une
maladie qu’eut alors Alyatte, fut attribuée à cet
incendie. Il envoya des ambafladeurs à Milet,
pour demander une trêve, jufqu’à ce qu’il eût fait
rétablir le temple. Il fe propofoit fans doute de
le rebâtir promptement / & d’aller moiflonner fuivant
fa coutume. Thrafibule gouvernoit Milet.
Prévenu de l’ambaflade, il fit apporter fur la place
publique tout le bled que les citoyens avoient,
& celui qu’il avoit lui-même : cette ville pouvoit
en avoir reçu par mer une grande quantité. Il
ordonna qu’au fignal qui feroit donné, ils s’aflem-
blaflent 8c fiftent entre eux des feftins & des réjouif*
fances. Les ambafladeurs, témoins de cette abondance,
racontèrent à leur roi ce qu’ils venoient
de vo ir , & ce prince défefpérant de réduire une
ville aufli bien approviflonnée, fit aufli-tôt la paix.
Cette efpèce de guerre avoit été commencée
& faite pendant flx ans, par Sadyatte , père
d’Alyatte & fils d’A rd y s , auquel il avoit fuccédé.
Cet Ardys s’étoit emparé de Friene 8c de Milet ;
& ce fut fous fon règne, que les Cimmériens cédant
leur pays aux Scythes Nomades, pafsèrent
en Afie.
Cræfus, fils 8c fuccefléur d’A lyatte , fit la.guerre
aux colonies grecques d’Afie. Les premiers attaqués
furent les Ephéfiens, enfuite l’Ionie & l’OEolie,
lur divers prétextes, la plupart frivoles. Lorfqu’il
eut fournis à un tribut les peuples des côtes, il
fe propofa de conftruire une flotte pour attaquer
les infulaires. La puiflance 8c la renommée que
fes conquêtes lui avoient acquife, attiroient auprès
de lui les philofophes célébrés. Bias, ou fuivant
d’autres , Piftacus, étant à Sardes, Cræfus lui demanda
ce qu’il y avoit de nouveau en Grèce.
« O roi., répond le philofophe, on y dit que
les infulaires ont acheté dix mille cheyaux , & fe
préparent à une expédition contre Sardes ». Plaife
aux dieux , dit Créfus, qu’ils attaquent les L y diens
avec de la cavalérie ! Tu defires , dit Bias ,
les voir à cheval fur le continent, & tu as raifon :
mais penfes-tu qu’ils défirent moins trouver tes
Lydiens fur des vaifleaux ? Cette vérité frappa
Créfus & le détourna de fon projet. Il fit alliance
avec les Ioniens des îles ; & , tournant ailleurs fes
armes , il étendit fa domination jufques fur la
Thrace, & là côte méridionale du Pont-Euxin.
Mais celui qui emploie la force doit toujours
craindre la force. Une puiflance redoutable s’é-
levoit peu à peu contre celle de Cræfus. Aftyage ,
roi des Mèdes , fils de Cyaxare , effrayé par
quelques fonges qui fe-nabloient annoncer l’empire
d’Ane à la poftérité de fa fille Mandane , ne l’avoit
donné en mariage à aucun des grands de Médie ,
mais au Perfe Cambyfe , homme d’un efprit modéré
, d’une famille honnête , 8c dont l’état 8c
la fortune étoient fort inférieurs à celle des Mèdes,
d’un rang médiocre.
Tout effraie la fuperftition. Un nouveau fonge
vint troubler Aftyage ; 8c , comme les efprits
foibles font toujours cruels quand l’ambition les
domine , celui-ci chargea l’homme de fa maifon
qui lui étoit' le plus fidèle, d’aller prendre le fils
de Mandane & de le tuer. Harpage promit d’obéir
; mais attendri fur le fort de cet enfant, qui
ne lui étoit pas feulement allié par l’humanité ,
mais encore par le fang , craignant d’ailleurs qu’A f-
ty a ge, déjà vieux 8c fans poftérité , n’eût Mandane
pour fuccefîeur, 8c qu’elle ne vengeât la
mort de fon fils, il le remit à un des Bergers
d’Aftyage , en lui enjoignant avec menaces de
la part du roi de l’expofer dans les montagnes aux
bêtes fauvages. La femme du berger étoit accouchée
depuis peu d’un enfant mort. Touchée de
la beauté de celui qu’on vouloit perdre, elle engagea
fon mari à le conferver 8c l’élever comme
leur fils, 5c à .mettre en fa place dans les montagnes
celui que le fort avoit fait périr en naiflant.
Le fils de Mandane, âgé de dix ans , jouoit
avec des-enfants de fon âge. Il fut un jour «élu
roi parmi eux , leur diftribua des emplois : les
uns furent fes gardes, d’autres fes miniftres. Le
fils d’un, grand de Perfe nommé Artembare lui
ayant défobéi, il le fit faifir 5c battre de verges.
Artembare s'en plaignit au roi , qui fit venir le
berger 5c ce roi enfant. Ses réponfes fières, fon
air noble, fes traits qui lui rappellèrent ceux de
fes parents , fon âge qui s’acçordoit avec celui du
fils de Cambyfe , le plongèrent dans un morne
filence. Le berger 8c Harpage interrogés avouèrent
ce qu’ils avoient fait. Les mages confultés décidèrent
qu’Aftyage n’avoit rien à craindre de cet
enfant, 5c que les fonges n’avoient défigné que
cette royauté paflagère dont il venoit d’être revêtu.
Cette explication calma les allarmes d’un
efprit crédule ; mais le defir de la vengeance refta.
On dit qu’il fit tuer le fils d’H arpage, qu’il invita
ce malheureux père à fa table , lui fit fervir ÔC
manger les chairs de fon fils, 8c lui ordonna enfuite*“
d’aller découvrir une corbeille où étoient la tête ,
les pieds , les mains, touts les reftes fanglants de
la viéîime. Harpage contint fa douleur 8c fon
reflentiment. Il recueillit triftement ces reftes 8c
fe retira.
Le monarque fatisfait renvoya le fils de Cambyfe
à. fes >parents. Ils le croÿoient fans vie : que
les pères 8c les mères jugent de leur joie. Ils ne
pouvoient cefler de l’embrafler , de l’interroger ,
de lui redemander plufieurs fois ce qu’ils venoient
d’entendre. Ils craignoient encore que leur malheur
pafle., ne fût une vérité , 8c leur bonheur
préfent un fonge.
Lorfque Cyrus ( ce fut le nom qu’ils lui donnèrent
) fut parvenu à l’âge v ir il, Harpage crut
que le temps de la vengeance étoit venu. Il fol-
licita fecrétement quelques - uns des grands du
royaume , leur repréfenta la dureté du gouvernement
d’Aftyage , & le fervice qu’ils rendroient
à leur patrie en lui ôtant le pouvoir fuprême pour
.le remettre au fils de Mandane. Il envoya des
préfents à ee jeune prince, avec des lettres qui
lui expofoient fon projet. « Si tu as du courage ,
lui difoit - i l , la Médie eft dans tes mains. Le
peuple eft opprimé , les grands mécontents , 8c
difpofés à embrafler ton parti. Perfuade aux Perfes
la défeélion, 8c marche en Médie.
Cyrus ayant aflemblé le confeil de fa nation
y déclara qu’Aftyage , le créoit général des Perfes.
Il ordonna enfuite que touts les nomades 8c laboureurs
en état de porter les armes fe trouvaflent
armés de fauîx en un lieu 8c un jour'marqués.
Le terrein du rendez-vous étoit couvert de buif-
fons 8c de grands herbages. Il exigea qu’on lès
coupât touts en un feul jour. Le lendemain il fit mener
une grande quantité de beftiaux 8c devin dans
le même endroit, les fit diftribuer à fe's troupes ,
6c lorfque ce feftin fut achevé, il leur demanda