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& les Hplîaadois ne verroient pas paifiblement
allumer une auffi grande guerre fans y prendre
part ; & il eut .ete de la politique d’un prince qui
v e ut entreprendre & foutenir ayec avantage une
guerre offenfive, de s’affurer contre les occafions
qui auroient pu en faire naître une autre éloignée
du pays où il a entrepris de porter une
guerre offenûve.
On ne prit pourtant en France aucunes méf
i a s , pour traverfer les Hollandois dans l’entre-
prife qu’on les voyoit prêts à exécuter fur l’Angleterre
pour les intérêts du prince d’Orange , q u i,
avec une flotte puiffante, &. des troupes des Hollandois,
aborda dans ce royaume , y fut reçu par fes
partifans , chaffa le roi Jacques fon beau-père ,
s’établit fur fon trône , & fut proclamé roi par le
parlement d’Angleterre.
L’arrivée de la famille royale d’Angleterre en
France engagea le roi à lui accorder fa protection.
L Ecoffe & 1 Irlande étoient reliées fidèles à ce
prince malheureux; mais l’Ecoffe fut promptement
réduite, & l’Irlande, à la faveur de quelques fecours
de la France , fe foutint encore l’année fuivante
dans les intérêts de fon roi légitime. Mais après fa
reduélion , les Anglois, engagés à foutenir le nouveau
roi qu’ils venoient de le donner, s’unirent
facilement avec les Efpagnols & les Hollandois
pour faire la guerre à la France, qui fe trouva ces
trois puiffances pour ennemies , pendant qu’elle
avoit encore la guerre contre l’empereur & l’Empire.
- Pendant la minorité du duc de Savoy e, & depuis
qu’il avoit pris le gouvernement de fes états, nous
eûmes avec ce prince des manières fort dures : il
n’eft point de mon fujet d’en dire les raifons.
Comme on connoiffoit le caraétère ambitieux,
vindicatif & intéreffé de ce prince, on crut, avec
raifon , qu’il pourroit prendre des liaifons avec nos
ennemis, & nous troubler à contre-temps pour
Cazal 5 Pignerol & le Dauphiné. On voulut de
lui des aflurançes trop fortes , qu’il ne prendroit
aucun engagement contre nous, puifqu’on exigeoit
qu il nous livrât la citadelle de Turin pour gage
de fa parole. On faifoit pendant cette négociation
avancer une armée fur la frontière de fes états, fous
prétexte de porter la guerre aux Efpagnols dans le
.Milanez,
Comme ce prince adroit ne fe trouvoit pas en
état de foutenir nos premiers efforts contre lui ^
il tira la négociation en longueur, autant de temps
qu’il lui en fallut pour conclure des traités fecrets
avec l’empereur, l’Angleterre, l’Efpagne, & la
Hollande, après quoi il nous déclara lui-même la
guerre au commencement de Mai 1690.
Il n’y avoit que du côté de l’Italie où la France
fut en repos. Par la déclaration de M. le duc de
S a v o y e , cette çoiirpnne fe vit en guerre de touts
les côtés.
•Je ne me fuis engagé dans cette longue digreffion
que pour faire connoître combien la France s’efl
éloignée des règles de la bonne politique, fur les
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maximes à fuivre pour entreprendre une guerre
offenfive , & la terminer avec avantage.
L’événement n’a que trop juflifié la vérité de
ce, que je dis fur ce fujet , puifque la France ,
après avoir gagné autant de batailles qu’elle en a
donné , pris même p^r-tout des places d’une grande
importance, & foutenu cette guerre pendant dix
années , s’eft trouvée forcée, pour défunir ce grand
nombre d’ennemis, de rendre à M. de Savoye tout
ce qu’on avoit conquis de fes états, & même l’importante
place de Pignerol, avec fon territoire ;
& par le traité de paix de Rifwick, de rendre
aux Efpagnols prefque toutes les places que nous
avions prifes fur eux ; à l ’empereur, les villes de
Philisbourg , Fribourg & Brifack, & Strasbourg
feul nous efl refié , lans fortifications lu-delà du
Rhin.
Après avoir fait voir quels font les dangers
que court un prince lorfqu’il s’écarte des véritables
maximes qu’il doit fuivre , quand il veut entreprendre
une guerre offenfive, il me paroît ici utile
de parler des fautes qui ont été faites dans la feule
guerre défenfive que la France a foutenue de mon
temps, & qui dure encore.
La révolution de la monarchie d’Efpagne , tom?
bée entièrement fur la tête d’un prince de la maifon
de France , fejnbloit devoir mettre le comble- à
la grandeur du roi. Il ne paroiffoit pas qu’il pût
y avoir dans l’Europe une puiffance en état de
reunir toutes les autres puiffances pour s’oppofer
à fon bonheur. Cependant la ligue formidable qu’on
a laiffé former, a eu jufqu’à préfent des fuccès
heureux, què je fuis même perfuadé qui ont fur-
paffé fon attente.
Pour traiter cette matière par rapport àu fujet
feul delà guerre défenfive, foutenue avec prudence,
je crois néceffaire de dire quel étoit l’état de l’Europe
dans le temps de ce grand événement ; parce
que je rendrai par ce portrait les fautes faites contre
les maximes de la guerre défenfiye, beaucoup plus
fenfibles & plus ailées à comprendre.
La mort de Charles I I , roi d’Elpagne, avoit été
précédée d’un traité de partage de la fucceffion
future de la monarchie d’Elpagne, conclu entre
la France, l’Angleterre & la Hollande, pour le
maintien d’un équilibre convenable au refie de
l’Europe , entre les deux maifons de France &
d’Autriche.
Ce traité, conclu fans la participation de l’empereur
, lui fut propofé par les Anglois & les Hollandois,
pour le maintien de cet équilibre fouhaité
par toute l’Europe , & même déjà figné par la
France. Mais l’empereur refufa de l’approuver &
de le figner, comme contraire à fes intérêts, &
au prétendu droit de fa maifon Allemande, au
défaut des mâles dans la branche Efpagnole.
Les autres puiffances de l’Europe furent conviées
d’entrer dans ce traité pour fa garantie contre
celle des parties qui ne voudroit pas fe fou-
mettre à fon exécution dans le temps»
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Voilà la fituation où étoit toute l’Europe,
lorfque le roi Charles II mourut, après avoir
fait un teflament, par lequel, en reconpoiffant
les juftes droits de la maifon de Bourboh, il appelait
a la fucceffion de tous fes états, M. le duc
d’Anjou, fécond fils de M. le Dauphin.
Ce teflament fut apporté en France par des
feigneurs députés du confeil de la monarchie
d’Efpagne, & accepté de M. le duc d’Anjou,
après les renonciations du ro i, de M. le Dauphin ,
& de M. le duc de Bourgogne en fa faveur.
Le roi d’Angleterre ( Guillaume ) , & les Hollandois
fe plaignirent d’abord de ce que le roi avoit
fait accepter ce teflament de Charles I I , par le duc
d’Anjou fon petit-fils , fans leur avoir offert de s’en
tenir au traité de partage dont ces deux puiffances
lui avoient garanti l’exécution.
Mais, dans le fond, comment l’exécution de ce
traité aüroit-elle été poffible dans lescirconflances
prefentes ? Ce teflament ne vouloit en aucune manière
que la monarchie fût démembrée. Le confeil
d’Efpagne vouloit l’exécution formelle & pré-
cife du teltament, & protefloit de fe donner à
l’empereur , en cas que le roi refusât d’accepter
le teflament pour le duc d’Anjou fon petit-fils.
L’empereur même avoit refufé de figner ce
traité de partage, quelqu’inflance qui lui eût été
faite par les Anglois & les Hollandois ; ainfi il
n’y avoit plus aucun moyen de nouvelle négociation
avec l’empereur pour ce partage. Comment
& en quelle main mettre en féqueflre une
monarchie comme celle-là ? Il n’y a perfonne de
hon fens qui puiffe penfer qii’il pût y avoir de
la poffibilité dans l’exécution du traité de partage
après la mort de Charles I I , & le refus que l’em- j
pereür avoit fait de le figner , en cas qu’il eût !
perfiflé dans ce refus.
a deux choies ; 1 une , que la maifon d’Autriche
Allemande, qui pendant tout le règne de Charles II
avoit paru conduire le confeil d’Efpagne, s’y fe-
rôit fait des créatures, & auroit des partifans fecrets
; l’autre, que l’empereur trouveroit dans la
perfonne du roi Guillaume, dans la nation An-
gloife, &. dans les Hollandois dévoués au roi
Guillaume| tous les efprits diipofés en fa faveur.
L’empereur tout feul n’étoit pas en état de foutenir
par les armes le droit qu’il prétendoit avoir
fur la fucceffion d’Efpagne ; auffi ne s’appliqua-
t-il d’abord qu’à former un .puiffant parti contre
la maifon de France. Le roi d’Angleterre '( Guillaume^
de Naffaw ) quoique mourant , craignoit
deux inconvéniens de la nouvelle grandeur de la
France.
Le premier lui étoit perfonne! : il pouvoit appréhender
que la France ne lui fufcitât des affaires
en Angleterre, en faveur du roi Jacques.
Le fécond inconvénient regardoit la nation
Angloife, qui l’affuroit du concours de fon parle-
ment contre la France & l’Efpagne, parce qu’elle
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ccaïgnoit que ces deux nations, de concert, ne
vouïuffent faire , à fon préjudice, le commerce que
les Anglois faifoient avec les Efpagnols jen Efpagne
pour leurs laines, dans le nouveau Monde y pour
les autres marchandifes de l’Europe, & que celui
que les Anglois faifoient de leurs manufaftures-de
laines, dans les Echelles du Levant, ne leur devînt
trop difficile , par la privation des ports des états
de la monarchie Efpagnole.
Les Hollandois, outre toutes les craintes raifon-
nables qu’ils pouvoient avoir pour leûrs différents
commerces , furent encore, fufceptibles de celle de
leur propre état, formé par leur révolte d’une partie
de la monarchie d’Efpagne dans les Pays-Bas.
Des princes d’Allemagne qui entrèrent dans
cette ligue , les uns y furent portés par leur inclination
particulière pour l’empereur, les autres par
le gain qu’ils font du commerce de leurs hommes,
qu’ils vendent bien cher aux Hollandois dont ils
tirent même des fubfides confidérables.
Les deux princes confidérables qui font entrés
les derniers dans la ligue contre les deux couronnes,
ont été le roi de Portugal le duc .de
Savoie.
Le premier, qui avoit d’abord paru vouloir demeurer
neutre , & conferver même une liaifon
particulière avec la France, a couvert fon manque
de parole , du prétexe dé la crainte des flottes Angloife
& Hollandoife , qui menaçoient fes états
hors du Portugal, de ruiner fon commerce dans
les deux Indes , & d’entrer même de force dans la
'rivière de Lisbonne & dans fes autres ports.
Il efl affez vraifemblable que la ligue lui a promis
quelques accroiffements de domaine aux dépens
du continent de l’Efpagne, & que les fubfides
que l’Angleterre & la Hollande lui donnent,
lui rendent la guerre moins onéreufe. D ’ailleurs ,
ce prince peut avoir appréhendé que la France ,
qui avoit foutenu le Portugal dans fa révolte contre
l ’Efpagne, n’aidât dans la fuite à le dépouiller ,
& à rejoindre fon petit royaume aux autres couronnes
de cette monarchie.
Toutes ces raifons de crainte & d’intérêt, peuvent
avoir porté le roi de Portugal à prendre des
liaifons avec les ennemis des deux couronnes,
qui les engageaffent dans la fuite à le protéger
contre l’Efpagne , & qui les fiffent comprendre
dans un traité de paix générale pour la fureté & la
garantie de fon état, comme il efl à préfent.
M. le Duc de Savoye fembloit avoir des raifons
puiffantes de demeurer attaché aux intérêts
des deux couronnes, par le mariage des deux prin-
celles fes filles. Mais un prince du cara&ère dont
je l’ai, répréfentè , ne le change pas facilement.
Il chercha donc des avantages nouveaux dans
le parti contraire, & prit des liaifons fecrettes avec
les ennemis des deux couronnes.
A la tête des armées de France & d’Efpagne, il
étoit en correfpondance avec M. le prince Eugène ,
qui commandait celle de l’Empereur.