
ornés des vertus contraires ; ils ont été chéris des
peuples , aimés des foldats, récompensés par leurs
maîtres j & l’équitable' poftérité lès a placés aq
glorieux rang des héros. Vois , compare & choifis.
Comment un pareil contrafte ne feroit-il pas naître
dans le coeur de l’homme de guerre le defir ardent
de cultiver ces vertus ; mais les avantages de
l’hiftoire ne fe- bornent pas-là. Demandez-vous
un confetl à votre ami ? il connoît ce que vous
voulez entreprendre, & il peut, par foibleffe ,
divulguer votre Secret, l’hiftoire le garde & vous
apprend à le garder : votre ami peut Se tromper ;
votre ennemi peut prendre le maSquè de l’amitié
pour vous faire tomber dans quelque erreur ;
l’hiftoire toujours vraie , toujours impartiale ne
peut ni ne veut voiis égarer. Il eft des foibleffes
que vous n’oSez confier à l’ami le plus intime;
ayez recours -à fhift'oire , elle vous fortifiera contre
vous-même > elle élévera & agrandira votre âme.
Quelquesinftants avant lafameufe bataille qui devoit
décidèr du fort de Tamerlan & de Bajazet, l’intrépide
Tamerlan fient des mouvements de crainte &
de frayeur ; il fait appeller fion hiftorien , il fie
fait lire quelques aérions mémorables de fies prédé-
ceffeurs ; Son courage renaît ; il ordonne en héros,
combat en Soldat, & met Bajazet dans les fers.
T e l eft le pouvoir de l’hiftoire ; tel e f t , dans
touts les genres, dans touts les événements, futilité
dont elle peut être à l’homme de guerre. D ’après
cela , doit-on être Surprix qu’elle ait été l’occupation
continuelle des héros de touts les âges ?
Mais quels Sont les hiftoriens que le général doit
lire de préférence ? Ceux qui fie font plus occupés des
détails militaires que des moeurs, des arts & de la
légiflation ; tels Sont Polibe, Arrien, Quinte-Gurce
&. Rohan. Après ceux - ci viendront les écrivains
qui ne fe font propofés que de parler des faits d’un
Seul monarque, tels que Quinci, Robertfon, &c. ;
mais, comme dans ces deux genres nous n’avons
pas de grands fecours , touts les militaires doivent
defirer qu’une fociété de guerriers inftruits veuillent
s’occuper a nous donner un cours complet d’hiftoire
militaire de l’Europe. Voye^ le mot His to ir e ,
l’auteur de cet article y a donné le plan d’une-
hiftoire militaire françoife.
Jufqu’au moment où nous aurons l’ouvrage militaire
dont nous venons de donner une idee , on
fiuivra , toutes les fois qu’on voudra lire l’hiftoire,
la méthode que nous avons donnée en parlant des
mémoires & des vies des hommes célèbres ; on
ne s’en tiendra ni à un fieul auteur, ni aux écrivains
d’une feule nation ; la plupart voient mal
qu veulent mal voir ; l’un augmente les forces des
ennemis , l’autre diffimule celles de fon parti ; celui-
ci groffit le nombre des morts ; celui-là le diminue;
le premier réduit à rien les avantages ; le
fécond les exagère. C e n’eft donc qu’en confultant
plufieurs hiftoriens, ce n’eft qu’après avoir vu ce
qu’ont écrit les hommes des différents pays , des
divers partie ; des différentes fiedes qu’on peut êjre
affuré d’avoir trouvé la vérité. Non-feulement ou
jouira de cet avantage inappréciable, mais on recueillera
ainfi une infinité de petites circonftances
qui auront échappé à tel hiftorien, mais que tel autre
n’aura pas négligées. D’après tout cela on pourra
fie former une idée vraie de chaque événement s.
& en porter un jugement Sûr.
. Mais 'comme les militaires ne peuvent tirer une
grande utilité de la leéhire des meilleurs hiftoriens,
s ils Sont privés d’une bonne carte topographique
ou d un plan bien détaillé, on ne négligera rien pour
le procurer un pareil plan ; avant de l’étudier, on
tachera cependant d’en faire un Soi-même d’après
la description de l’hiftorien. On comparera les deux
plans, & s ils font Semblables, on fera affuré d’avoir
fiaifi touts les détails. On retracera fur le
plan qu on aura fait les mouvements des différents
„ corps ; on remarquera les fautes, on y remédiera ;
enfin, fe plaçant alternativement à la tête des
deux armées, on cherchera à fe forpaffer foi-
même. Toutes les fois que des voyages vous con*<
duiront vers des lieux célèbres par des combats :
alors muni de votre defcription , de vos plans ,
vous parcourrez plufieurs fois le champ de bataille,
vous ordonnerez en idée les deux armées comme
leurs chefs lesavoientdifpofées, vous les ferez combattre
, & vous reélifierez, par cette efpèce de pratique
, ce que votre théorie avoit de défe&ueux. Vous
reconnoîtrez aufli les marches, & les campements
des grands généraux, les poftes avantageux qu’ils j
ont choifi , &c. C ’eft ainfi que le grand Condé
apprit l’art de la guerre ; c’eft à l’étude des campements
& des marches de Cæfar qu’il dut les
vi&oires à jamais célèbres qu’il remporta ; c’eft:
ainfi qu’il mérita que les capitaines des fiècles futurs
vinifient à leur tour s’inftruire fur fes traces , en re-
cpnnoiffant jufqu’auxplus petits poftes qu’il occupa.’
Il eft encore une claffe d’hiftoriens qui ne doit f
pas etre oubliée par 1 & général ^ je veux parler dos
poètes célèbres, de l’antiquité. On a prouvé que
ces, génies immortels n’éioient que des hiftoriens
qui le permettaient d’ennoblir les faits, de les raconter
avec enthoufiafme, & de les fou mettre à
un certain rithme , pour qu’on pût retenir &
chanter plus aifément les a (frions des héros qu’ils
célébroient. Ces poètes illuftres étoient inftruits
à fond de l’art de la guerre : ils en ont configné
les maximes en mille endroits de leurs ouvrages ;
aulfi Alexandre appelloit Homère le guide de fon
armée & le précepteur de la vertu guerrière ; il
portoit toujours fes poèmes avec lui. Le maréchal
de Puifégur a mis aufli Homère à la tête des écrivains
militaires. M. de Sigrais , homme de guerre
inftruit, écrivain fçavant & judicieux , n’a pas
fait difficulté de dire que Virgile , dans fon Enéide,
avoit aufli bien parlé de la guerre que Cæfar dans fes
commentaires. Un fçavant Italien a prouvé enfin
que le Taffe entendoit parfaitement la fcience militaire.
5
Mais n’eftril pas d’autres écrivains que le général
doit avoir médités ? C ’eft vous, orateurs éloquents,
qui avez confacré vos talents fublimes à louer les
grands hommes ; c’eft vous, Fléchier & Mafcaron,
& vous fur-tout, immortel Boffuet, que le géhéral
doit lire. Vos oraifons funèbres , en lui offrant
limage des vertus militaires que vous célébrez,
feront pour lui les leçons les plus fortes, & l’efpoir
d’obtenir des honneurs femblables à ceux que vous
avez décernés aux héros , fera fur fon âme fen-
fible à la gloire, l’impreflion la plus vive & la
plus durable.
Les éloges que les académies célèbres couronnent,
&. ceux qu’elles prononcent inftruiront encore
l’homme de g,uerre & allumeront dans fon âme
la fl âme afrive de l ’émulation. Il ne quittera jamais
l’éloge de M’aurice , de Baï-ard ou de Mont-
morenci fans être enflammé d’un noble enthou-
liafme ; hommes éloquents , comment a-t-on pu
vous accu-fer d’avoir embelli vos modèles, & vous
en faire un crime ? La flatterie ne peut corrompre
les héros qui ne font plus, & les grands exemples
que vous offréz ne peuvent qu’agrandir l’âme de
»os neveux & y déve-loper des vertus énergiques.
§ . m .
De la géographie.
La coanoiffance de la géographie eft néceffaire
pour apprendre la théorie de la guerre ; elle l’eft
en'core plus pour la pratique de l’art militaire. Le
-général ne doit pas fe Gontenter de connoître la
iituation refpeérive des différentsétats, leurs bornes,
leurs villes principales , & les rivières qui les ar-
rofent ; ces connoiffances ne lui fuffiroient pas ,
fur-tout dans le pays qui doit fiervir de théâtre à
la guerre. ( V. fettion des connoiffances des hommes-,
paragraphe de la connoijfance de la \nation au’il-a à
combattre.'). Il faut entrer ici dans les plus petits
détails ; il faut qu’il connoiffe les plus petits accidents
du terrein , la fituation du-plus petit hameau,
la force, la pofition d’une maifon ifolée , la largeur
d’un petit pont , l’étendue d’un- petit bois ,
les chemins, les (entiers, &c. Comment acquerra-
t il toutes ces connoiffances ? Ce ne peut être
qu’au moyen de cartes topographiques levées avec
art, rédifiées avec foin & étudiées avec attention.
Mais comme il eft encore une infinité de chofes
que les cartes conftruites fur fa plus grande échelle-
ne peuvent faire connoître a fond , le général
joindra à l’étude des cartes laleéture des mémoires
dont nous avons fait voir l’utilité , enfeigné l’ufage
& donné un modèle dans l’article R e c o n n q i-s-
SANCES MINUTAIRES.-
§. i v , .
Des ordonnances militaires'.
L’homme de guerre devant obéir fans ceffe aux
ordonnances militafrçs-, la-connpiffance-de ces loix
méri'toit fans doute d’être mife à la tête de celles
qui font indifpenfables au général ; mais c’eft pré-
cifiément leur grande importance qui nous a empêchés
de l’y placer ; peut-être même aurions - nous
entièrement ©mis d’en parler, fi nous avions pu
nous refufer au plaifir de dire combien la rédac-
• tion des ordonnances militaires dans un feul corps
d’ouvrage, facilitera le moyen d-e les connoître ;
combien la fageffe des réglements nouveaux en
rendra l’exécution aifée ; & avec combien d’éloges
la poftérité reconnoiffante prononcera , & le nom
du miniftre qui a conçu ce grand projet, & celui
des officiers généraux qui l’ont exécuté.
Telles font les connoiffances indifpenfables aux
généraux. Avant de paffer à celles qui leur font
prefque néceffaires ,. nous croyons devoir dire aux
militaires de touts les grades qu’ils ont befoin des
connoiffances dont nous venons de nous occuper ;
qu’elles leur feront peut-être un jour indifpenfables.,
& que, pour les acquérir, ils auroient tort d’attendre
le moment où ils'devront en faire ufage. Nous
croyons devoir fleur, répéter encore que', s’ils af-
pirent feulement à atteindre leurs r iv a u x ils refi-
terontbien loin derrière eux : l’amour propre leur
fera croire qu’ils les. ont dépaffés dès- les premiers
pas qu’ils auront faits dans la carrière, tandis qu’ils
les atteindront au moins, s’ils s’impofent l’obligation
de les devancer.
§v V.
Des langues.
La- connoiffance des langues eft néceffaire au'
géaérai dans une infinité d’occafions. Veut-il, un
jour de bataille, haranguer les différents peuples
dont fon armée eft oompofée ? S’il eft obligé de
fe fervir d’un interprète ,- fes expreflions privées1
du ton & de l’énergie que d©nne la voix du chef,
ne feront plus qu’une froide tradufrion qiii n’ira
poftit à-l’ame. Veut-il, dans le fort de la mêlée, faire
palier à des étrangers quelque ordre important ? S’il
eft dépourvu de fes interprétés, commentfie fera-t-il
entendre ? A-t-il befoin de traiter avec des princes
ou des miniftres qui ne parlent point fa- langue
maternelle l Encore un interprète , encore une
tradu&ion que l’impéritie ou la mauvaife- foi du
truchement peuvent rendre infidelle ; & l’interprète
fut-il fidèle &. habile , il fait toujours perdre un’
temps confidérablé, & une méfiance réciproque
peut naître fouvent de ces doubles- traductions*
Le general a befoin' d interroger des prifonniers *
il veut parler à des déferteurs ; fes gardes, fes
partis fe feront emparés' des- dépêches- du générât
ennemi.; il faut qu’il donne fècrétement des ordres*
à des gens- du ^ pays ; qu’il prenne d’eux des informations
fecrètes ; dans toutes ces circonftances
s il eft oblige de recourir à des interprètes, combien''
n’a-t-il pas à redouter de leur indifcrétion ,
combien d-équivoques fâcheufes n’a-t-il pas. &