l’appréhenfion que la ville de Platée ne fût aftié-
gée par les Lacédémoniens, en firent fortir les
femmes, les petits enfants , & toutes les perfonnes
inutiles pour la défenfe, qui eurent ordre de fe
retirer à Athènes.
11 eft toujours à propos de laiffer dans la place
quelques femmes de foldats, les plus accoutumées
au travail & au danger, ou à leur défaut, quelques
pay fannes -robuft es pour coudre les facs de I
terre , faire le pain 8c la lefïive , 8c débarraffer
les foldats de pareilles occupations , afin qu’ils
foient toujours prêts à accourir où le befoin 8c
le péril les appellent. Le même Thucydide ajoute
que les Platéens , dans la conjon&ure dont je viens
'de parler, laiflèrent i io femmes pour y faire le
pain.
Les premières familles qu’il faut mettre dehors
de la place, doivent être celles que vous croirez
peu affectionnées pour votre prince. Si la fidélité
de touts les habitants vous eft fufpeéle , faites-les
touts fortir de la place ou défarmez - les. Peut-
être ne vous fe ra - t- il pas aile d’y réuflir, foit
parce que votre armée, occupée dans quelque
autre endroit, ne pourra pas vous prêter le fe-
cours néceffaire , ou parce que les habitants , fu-
périeurs à la garnifon, refuferont de recevoir de
nouvelles troupes. En ce cas , il faut avoir recours
aux ftratagêmes dont j’ai parlé en traitant des
révoltes y afin que la garnifon ait cette fupériorité
que les habitants avoient auparavant.
Ne permettez aucun concours d’étrangers , à
l’occafion d’une foire ou de quelque fête , dans
une place où les ennemis pçurroient occuper les
avenues, parce qu’ils fe ferviront péut - être de
7 cette conjoncture pour enfermer dans vos murailles
toutes ces bouches inutiles.
Lorfque vous prévoyez quelle eft la place que
. les ennemis veulent affiéger , faites-y par avance
amener des environs tout le bois néceffaire pour
les feux , les fafcinés 8c les piquets , dont elle peut
avoir befoin , 8c brûler touts les autres bois, afin
qu’ils ne fervent pas à l’afliégeant. Pour empêcher
ces précautions' font extrêmement avantageufes*
Barthelemi d’Albiano-, gouverneur de Padoue,
pour la république de Venife , pratiqua la meme
chofe, peu dë jours avant d’être aifiege par les
Efpagnols 8t les Impériaux, q u i, en 1 5 x 3 , lurent
'obligés-de lever le fiège.
que les ennemis ne s’approchent de la place
à la faveur de quelques édifices démoliffez touts
.ceux qui fe trouvent - à la portée du canon des
murailles, principalement fi ces édifices font affez
; proches, pour que de-là on puiffe dominer la place
par le fufil y ou s’ils ont des voûtes élevées , qui,
bien étançonnées, foient affe^ fortes pour y loger
du canon.
René d’Aubuiffon, grand-maître de Rhodes, pour
fe préparer au fiège qu’il foutint avec beaucoup
de1 gloire contre Mahomet I I , brûla dans la cam-
. pagne voifine & dans les fauxboürgs qui n’étoient
pas de défenfe , les arbres-& les bois qui auroient
pu lervir aux ennemis pour faire des gabions ,
des fafcinés 8c des piquets; il rafa aufli toutes les
maifons des champs, à la faveur defquelles ces
infidelles fe feroient approchés à couvert : l’expérience
fit vo ir , durant le cours du fiège , que
Charles V , duc de Lorraine, général des troupes
de l’empereur Léopold - Ignace , brûla près de
Vienne le bois deftiné pour la chaffe de 1 empereur
; afin que les Turcs , qui fe preparoient a
attaquer cette capitale de l’empire , ne trouvaiient
pas de quoi faire des piquets 8c des fafcinés.
Outre les précautions dont je viens de parler,
il eft encore néceffaire qu’en vous difpofant a Soutenir
un fiège , vous preniez les fuivantes.
' Comblez les puits 8c les citernes ; faignez les
mares; rompez les fontaines ; empuantiffezles.eaux
que vous ne pourrez pas faire écouler ; fuppolez
que par toutes ces voies.vous réufliffiez à rendre
l’eau rare parmi les.ennemis.
Détruifez dans le pays voifin de la place que
les ennemis doivent affiéger , les vivres , les four-
; rages, le v in, l’huile, les légumes 8c toutes les
autres denrées dont l’armée affiégeante proiite-
roit, lorfqu’il ne vous eft pas, poflible de taire
conduire toutes ces provifions dans quelque endroit
où les ennemis ne puiffent pas les enlever.
Si les ennemis , pour conduire leur artillerie oc.
leur gros bagage , ont néceffairement à paffer par
des ponts fur des rivières qui ne font pas güéables ,
où par des chemins aifés à être rompus, tels que
font ceux qui fe trouvent fur le penchant dune
montagne , & qui répondent a des précipices ,
rompez ces ponts 8c ces chemins, parce que quelques
heures feulement de travail, pour ruiner çes
paffages , coûteront plufieurs jours aux ennemis
pour-les réparer. Y ‘ ; Y *v S
Rompez aufli les digues & faignez les nvieres,
fi vous pouvez de cette manière inonder les avenues
les plus favorables aux ennemis pour rece-
voir leurs fourrages 8c leurs convois, ou te ter-
rein dans lequel ils doivent ouvrir la tranchée ou
camper. I , , t
S i , pour peu que l’on creufe du cote du iront
par lequel la place peut être attaquée , on trouve
d’abord l’eau , le roc ou la pierraille , faites transporter
la terre à la place , afin que le& afliégeants
ayent béaucoup de difficulté a avancer les travaux
& la tranchée.
Dans ce même cas, & lorfqu’on ne rencontre
que du fable volant, détruifez ou faites retirer
de touts les lieux circonvoifins les tonneaux , les
grands coffres, les facs, la toile, les matelats &
la laine , que les ennemis pourroient employer ,
afin de fnppléer à la terre qui manque pour la
conftmflion des batteries & des tranchées. Çe
que de toutes ces chofes vous pourrez faire entrer
dans la place , vous fervira beaucoup pour les
coupures , & pour-les parapets qui auront été
ruinés.
Applaniffez les murs des enclos 8c les haies
parallèles à la place , 8c comblez les chemins
profonds fur le même alignement qui fe trouve fous
la partie du canon. Si les ennemis ne vous donnent
pas le temps néceffaire pour finir ce travail, commencez
le tout auprès de la place , afin que du
moins votre moufqueterie ne permette pas aux aflié-
geants de venir d’aucun côté que par une tranchée.
Reconnoiffez de nouveau les magafins de bouche
& de guerre de la place , fans vous fier au rapport
des entrepreneurs ou des gardes - magafins.
Voyez s’il n’eft point néceffaire de remplacer
quelque chofe qu’on aura laiffé perdre , ou qui
manquera par la négligence ou l’infidélité des
gardes-magafins.
Changez ceux des gardes - magafins qui ne feroient
pas d’une fidélité reconnue ; car , quoique
à l’ouverture des portes des magafins il dût aflifter
un aide du gouverneur, un du commandant de l’artillerie
, 8c quelquefois un commiffaire de guerre,
on fe' fie ordinairement au garde-magafin, qui ,
s’il eft capable de fe laiffer fùborner, pourroit fe-
crètement corrompre les vivres, ou laiffer du feu
pour faire fauter les munitions..
Il faut proportionner la quantité des vivres &
des munitions au nombre des hommes de la place
8c des jours qu’elle peut fe défendre , félon qu’elle
a à foutenir un fiège ou un blocus. Par là on évite
que la prife de la place ne devienne plus utile aux
ennemis, par, la trop grande quantité de vivres
& dé muriitions qu’ils y trouveroient de refte.
On ne doit pas néanmoins faire ce compte trop
jufte, parce que les bombes ruinent quelquefois
des magafins; ; 8c l’aifiégeant n’accorde pas une
bonne capitulation à une place , lorfqu’il apprend
par les défertéurs; &. les efpions qu’elle n’a plus
pour longtemps des vivres 8c des munitions.
Donnez ie gouvernement de la place à un officier
habile , expérimenté , vigilant, robufte ,
courageux, 8c qui ne foit pas odieux à la garnifon.
La plus grande partie de la garnifon ne doit
pas être . compofée de troupes auxiliaires , mais
de celles de:votre prince, qui autrefois ont défendu
des places.
Avant'de mener paître les troupeaux de la place
par une avenue que votre armée ne couvre pas,
faites avancer des partis pour aller à la découverte.
Quoique ces partis faffent toujours l’avant-
garde , ces troupeaux ne s’étendront pas fi loin ,
que des détachements ennemis plus forts que les
partis de la place puiffent les enlever , furrtout
lorfque votre armée de lecours s’eft un peu
éloignée.
Dans ce dernier cas, le prince ne doit pas s’enfermer
dans une place dont les ennemis pourroient
fiarprendre les avenues pour lui couper la
retraite & vous engager a.infi à un combat défa-
vantageux, pour tâcher de fauver votre fouye-
frain.
Vos vaiffeaux de guerre ne doivent pas non plus
fe tenir dans un port, dont il fera aifé aux ennemis
de fermer l’embouchure avec leurs navires ou les
batteries qu’ils drefferont fur les pointes qui forment
l’entrée du port.
Si votre armée n’eft pas au voifinage de la place
que les ennemis menacent , ayez foin de bien
garnir 8c de bien défendre les ouvragés extérieurs,
particulièrement ceux qui font plus éloignés, 8c
qu’un détachement ennemi, qui les auroit furpris ,
pourroit mieux conferver, en attendant que le
gros ë e fon armée arrive.
Cette précaution , 8c celle d’avoir toutes les
nuits des patrouilles fur le chemin couvert 8c en-
dehors , fervent à empêcher que les ingénieurs
ennemis ne s’approchent la nuit pour reconnoître
le terrein 8c les fortifications.
Afin de l’éviter pendant le jour , il faut, dès que
quelque petite troupe des ennemis fe préfente,
tirer fur elle avec le canon des ouvrages avancés,
8c avec les fufils rayés 8c les gros moufquets , lorsqu’elle
s’approche de plus près. On doit principa-,
lement ajufter les coups .contre pn ou deux
homînes que l’on voit de pied ferme , pendant que
les autres efcarmouchent, parce que les premiers
feront des ingénieurs , qui, pour éviter que touts,
les coups ne fe dirigent contre eux , font accompagnés
d’une petite troupe, qui, par fes efcar-,
mouches, tâche de faire diverfion du feu de la
place ; le gouverneur peut aufli faire avancer
quelques petits partis de carabiniers 8c cavalerie
; ce qui demande de la fageffe 8c de la conduite
* pour ne.pas les expofer -à être coupés par
une embufcade , qui fe trouvera certainement derrière
ou à côté desingénieurs.
Deville donne fur ce fujet divers avis à un gouverneur
de place .; mais ils ne fçauroient, lèlon
moi, être mis en pratique par la feule garnifon , ü
elle n’eft aidée par votre armée , pendant que
celle des ennemis approche. J’ajouterai ici quel-,
ques-unes de mes réflexions à ce que Deville pro-
pofe, afin de faire mieux entendre ce qu’il conseille.
En traitant des Jicges, j’ai examiné quels
défauts un front de place peut préfenter plus
qu’un autre; mais alors c’étoit dans la vue d’en
•profiter, afin d’attaquer la place par le côté le
plus foible. A préfent que je parle pour fa
défenfe, je dois apprendre comment on peut remédier
à ces défauts. Ce n’eft pas affez pour les
corriger d’y faire travailler la garnifon 8c l’armée,
il faut encore y employer les artifans 8c les pionniers
de la place , 8c ceux des lieux voifins.
Si ce qui fait le foible de la place eft de pouvoir
l’approcher à couvert par des ravins ou le long
des bords élévés d’une rivière, qui ne font pas
commandés de la place ni des tours ou des cavaliers
, dont je parlerai bientôt ; voyez s’il ne feroit
pas plus court 8c plus aifé de combler les ravins
8c d’aplanir les hauteurs des bords de la rivière,
ou d’augmenter quelque morceau de fortification,