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Les trois articles que nous venons de rafle m-
bler en un feul ne nous paroiflent point aflez détailles.
Il faut que le ftyle des loix foit concis,
mais , avant tout, il faut qu’il foit clair : n’auroit-
on pas du dire dans quelle circonftance on appellera
les officiers des garnifons voiflnes ; qu’eft-
ce qu’on entend par une garnifon voifine ; quelles
formalites doit employer le commandant d’une
place qui veut faire venir des officiers fur lefquels
il n’a aucune autorité ; dans quelles circonftances
il doit avoir recours aux bas-officiers, &c. ?
« Lorfqu’un capitaine de la garnifon , où le con»
fe ild e guerre fe tient commande dans la place , il
a la préfeance fur ceux qui fe rendent dans ladite
place, quoique plus anciens».
■ « Tous ceux qui doivent compofer le confeil de
guerre fe rendent, à l’heure de la matinée qui leur
a ete fixée , chez le commandant de la place , qui
doit prefider audit confeil. Avant l’ouverture du
confeil ils vont avec lui entendre la mefle ».
“ Touts les membres du confeil de guerre doivent
etre a jeun. Les officiers d’infanterie en guêtres
en haufle-col ; les officiers des troupes à cheval
& en bottes ».
« Au retour de la mefle , le préfident étant affis
les juges prennent leurs places alternativement à fa
droite & à fa gauche, fui van t l’ancienneté'de leurs
commiffions, ou de leurs brevets ».
« Quand des officiers de cavalerie font appellés
à un confeil de guerre qui doit juger un foldat
fantaffin , ilsSprennent féance à la gauche du président
, & vice versa ».
« Le commiflaire des guerres qui a la police de
la troupe dont eft l’accufé,. ou dans le département
duquel le confeil de guerre fe tient, y affifte,
s’il le juge à propos. 11 a la fécondé place, il repréfente
aux juges les ordonnances relatives au
délit dont il eft queftion ».
S ’il le juge à propos ! Quand les commiflaires des
guerres ne feroient utiles , dans un confeil, qu’une
fois fur cent ; quand ils ne ramèneroient qu’une
fois à l’équité , des juges qui peuvent en être éloignés
par une févérité exceffive , fruit de leur
genre de vie , ou par une clémence condamnable ,
quoiqu’elle foit l’effet de l’humanité , quand ils ne
préfenteroient qu’une fois une lumière utile, leurs
peines n’auroient-elles pas reçu la plus douce des
récompenfes. J’ai vu quelques confeils de guerre ;
mais jamais je n’y ai rencontré un commiflaire
des guerres. Les devoirs de leur état font très multipliés,
je le fçais; mais le font-ils aflez pour ne
pas leur permettre de facrifier une heure ou deux
par femaine, à un objet auffi intéreflant? Si les
commiflaires des guerres étoient obligés d’affifter
à touts les confeils, ils y feroient chargés des
mêmes fondions que les auditeurs dans les fer-
vices étrangers.
« Le major de la place s’affied près de la table ,
vis-à-vis le préfident ; il apporte les ordonnances
militaires & les informations ».
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« Tous les officiers de la garnifon, de quelque
corps qu’ils foient, peuvent être préfens au confeil
de guerre, ils s’y tiennent debout, chapeau bas &
en filence. ».
Pourquoi les feuls officiers de la garnifon ont-
: ils la permiflion d’affifter aux confeils de guerre ?
Cette permiflion devroit être illimitée ; touts les
officiers, touts les foldats, touts les citoyens dev
a ien t pouvoir y affifter. Aufli, loin de raflem-
bler les juges dans l’étroite enceinte d’une falle,
c eft au milieu d’une grande place que je voudrois
les voir : cette publicité diroit hautement : Soldats,
& vous citoyens, approchez ! écoutez le jugement
que nous allons porter : nous ne fournies comptables
de nos arrêts qu’à Dieu & à notre prince ;
nous voulons cependant que vous foyez auffi nos
juges : accablez-nous de vos malédi&ions : accordez
à l’accufé une tendre commifération, fi nous
le condamnons injuftement; mais s’il a mérité la
féverite des loix , accablez-le de votre indignation
, & tenez-nous compte de la peine que nous
fouffrons, en rayant un de nos compagnons du
nombre des vivans, ou de celui des citoyens.
C e ft ainfi qu’en Angleterre, le coupable ne comparent
& ne répond que dans des lieux dont
l’accès eft ouvert à tout le monde. Les témoins ,
lorfqu’ils dépofent, le juge, lorfqu’il donne fon
avis, les jur.és , jorfqu’ils font leur déclaration ,
font fous les yeux du public. « Le préfident & les
juges.étant affis & couverts , le préfident fait
connoître le fujet de l’alfemblée du confeil de
guerre. ».
Que j’aimerois à entendre les juges d’un confeil
de guerre jurer folemnellement qu’ils rendront la
juftice avec toute l’impartialité dont ils feront capables;
qu’ils chercheront à s’inftruire à fond 1 &c.
Ce ferment ne pourroit guères ajouter à l’impartialité
des juges , mais il en impoferoit au peuple,
& il ôteroit aux coupables tout efpoir de féduc-
tion. C ’eft ainfi que dans l’armée angloife la tenue
d’un confeil. de guerre eft'toujours précédée d’un
ferment prêté par touts les officiers qui le com-
pofent. Le chapitre V de l’ordonnance de la guerre,
donnée par George III dans l’année 1779 »yeut flue
les officiers qui affiftent à un confeil de guerre ,
prononcent le ferment fuivant :
Moi N. je jure que fadminiftrerai exactement la
juftice fuivant les régies (y articles donnés pour le
gouvernement des troupes de fa rnajefté, & fuivant
l ’aéle du parlement actuellement en vigueur ,• que je
jugerai fans partialité , fans faveur oit. affection ,*
s ’il s’ élève quelque doute qui 11 ait pas étépréyupar
lefdits articles ou par l’aCte du parlement, je jugerai
fuivant ma confcïence, mon intelligence & les coutumes
militaires en pareil cas j je jure eu outre , que
je ne divulguerai point la fentence de la cour jufqu à
ce qu’elle' foit approuvée par fa rnajefté , ou par
quelque perfonne duement autorifée par elle, que je
ne découvrirai fous quelque prétexte & dans quelque
temps que ce foit l ’avis ou qpinion d'aucun membre
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particulier, à moins que je n’y fois juridiquement
Iobligé.
f « Le major lit enfuite la plainte, la dépofition
[ de l’accufé , les informations, le récollement, la
|confrontation. Il fe découvre quand il lit fes conduirons
qu’il a fignées. Les conclufions du major
[ de la place font conçues de la maniéré fuivante :
Modèle des conclufions du major de la place.
jf Vu par nous N .9N . j major N . , le procès extraor-
| dinairement inftruit au nommé N. , dit N. , foldat
\ du régiment N. , accufé du crime de N. , l ’informa-
\ tion, les récollemens & confrontations des témoins,
des jours & au N. , ènfemble l’interrogatoire fubi
par ledit N. , le N. , nous l’avons trouvé fuffifam-
\ ment atteint & convaincu du crime de N . , & pour
: réparation d’icelui, nous concluons pour le roi, à ce
que fa procédure foit jugée bien & diiement inftruite ;
6* qu’en conféquence ledit N. , foit condamné conformément
a l ’article N. de Vordonnance du roi , du
N. , N. mois ? N. année , &c.
Si le major de la place n’a pas trouvé que l’accu
fë fût convaincu du crime dont on le. croyoit
coupable , fes conclufions finifient de la maniéré
fuivante.
; Nous n avons pas trouvé le nommé N . , dit N . ,
: atteint & convaincu du crime de N . dont il eft accufé,
pour quoi nous requérons pour le roi j qu’il foit renvoyé
i übfous & mis en liberté.
Quand le major de la place ne trouve pas l’ac-
\ cufé fuffifamment convaincu , & qu’il efpére que
■ de nouvelles informations répandront un plus grand
jour fur l’objet à juger, il termine ainfi fes con-
[ clufions :
f Nous n’avons pas : trouvé le nommé N. , dit N. ,
fujftfamment atteint & convaincu du crime de N . .
■ pendant lequel temps il tiendra prifon.
i .« Auffitôt après la leéiure des conclufions, on
R fait entrer l’accufé ; il a été conduit au lieu de
R 1 aflemblée du confeil de guerre par dix hommes de
■ fon régiment, commandés par un bas-officier ; il
I eft amene dans la falle du confeil par quatre de ces
B ^ a ^es mains liées : fi les conclufions
I JJ13!01, la place font pour une peine affiiâive,
1 ^ tv a®s / ur une Pellette ; finon il eft debout.
t Des qu un citoyen eft convaincu d’un crime
I capital , qu’il eft condamné par la lo i, livrons-le
» a la honte & à l’infamie ; qu’il foit environné de
R I appareil le plus terrible, qu’il voie fur touts les
R Viiages les Agnes d’une vive indignation , il a mérité
R on *®.rt i a peine je puis le plaindre : mais jufqu’à
Rce qu’il ait été marqué du fceau de la réprobation,
■ Je ne vois en lui qu’un homme peut-être injufte-
| nient accuféj mon coeur s’ouvre à la compaffion,
Pîêt à répandre des larmes, & je voudrois
1 1/1 er. ^es ^er,s qu’il porte. Ces fentiments , touts
i umains qu’ils paroiflent, ne font pas, il le faut
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avouer, infpirés par l’amour de l’humanité, c’eft
l’amour de moi-même s qui les a fait naître dans
mon ame. Je me fuis dit : tu n’as commis aucun
crime qui mérite la mort ou l’infamie, mais tu as
fans doute des ennemis ; ca r , quel eft l’homme
qui n’en a point ? Que deux de ces êtres que tu
as bleffés fans le vouloir & même fans le fçavoir ,
fe concertent pour te perdre; qu’ils t’accufent d’un
crime capital; qu’une longue prifon ait affoibli ton
ame ; que des foldats, avec un air fombre, mé-
prifant & farouche, viennent te tirer de ton cachot ;
qu’ils te conduifent devant le tribunal qui doit décider
de ton fort : tribunal que tu es habitué à
redouter , parce qu’il eft compofé d’hommes que
tu es accoutumé à refpeéler ; qu’on t’offre pour
fiége la fellette redoutable , qui eft , tu le fçais
bien , le précurfeur de la mort : auras-tu aflez de
force & aflez de fang froid .pour démêler les filets
d’une trame odieufe ; pour vaincre la prévention
qu’aura infpiré à tes juges, & l’état dans lequel tu
paroîtras devant eu x , & l’avis de celui de tes
chefs qui eft fenfé le mieux inftruit de ta conduite
? Non 1 dénué de confeil & d’appui , feul
contre touts, tu balbutierois à peine quelques mots
fans fuite, qu’on prendroit avec aflez de raifon,
pour une efpèce d’aveu. Si la diftinâion de la fellette
n’avoit pas lieu , je ne me regarderois pas
comme condamné ; je m’armerois de tout mon
courage ; je mettrois la vérité dans tout fon jour,
jeferois reconnu pour innocent, & je parvien-
drois peut-être à prouver que mes accufateurs méritent
feuls l’indignation des loix. Aboliffons donc
cette diftinétipn inutile , & qui peut même devenir
fùnefte ; mais ne nous bornons point là. Pourquoi
ne permettrions-nous point à un capitaine , ou à
tout autre officier de prendre la défenfe des foldats
accufés ? Cette permiflion ne fauveroit aucun
coupable, mais elle aflùreroit le fort de toutsles
innocents. Je ne lis jamais fans attendriflement,
les raifons que le premier préfident de Lamoignon
donna à fes collègues, pour les déterminer à donner
un cônfeil aux accufés. « Il eft v ra i, difoit-il,
que quelques criminels fe font échappés des mains
de leurs juges , & exempts des peines, par le moy en
de leur confeil ; mais fi le confeil a fauvé quelques
coupables , ne peut-il pas arriver auffi que des
innocents périffent faute de confeils. Or , il eft certain
qu’en touts les maux qui peuvent arriver dans
la diftribution de la juftice, aucun n’eft comparable
à celui de faire mourir un innocent ; il fau-
droit mieux abfoudre mille coupables. ».
Ces fages réflexions d’un grand homme font
déjà confignées, je le fçais, dans un des dictionnaires
de l’encyclopédie ; mais, qui pourroit me
fçavoir mauvais gré de les avoir tranferites encore
une fois ; peut-être qu’elles frapperont enfin quelque
homme fait par fon génie , ou par fa place, pour
donner des loix aux nations : peut-être qu’on dira
quelque jour, fi les militaires, ces hommes dont
les délits font toujours fi clairs ; fi eux qui font