
vains amufements des fouverains , qu’il feroit glorieux
pour un général ’d’attacher à fa perfonne un
fage dont Tunique fonction ieroit de mettre la
vérité fous fes yeux. C’étoit ainfi qu’un philofophe
moderne gardoit auprès de fa perfonne un homme
dont, en quelque forte, la fonction étoit de lui
parler de fes défauts. Pourquoi n’aurions-nous pas
preienté aux généraux un lage pour modèle ? Il
y a longtemps que Ton a reconnu le prix de la
philofophie affile fur le trône. Importe - t - il
moins au bonheur des peuples qu’elle fe montre
a la tete des armées ? Un général philofophe feroit
un des plus beaux préfents que le ciel peut faire
à la terre ; il offriroit, fans doute, des traits plus
beaux encore que ceux que nous nous fommes
propofés de raflèmbler, mais fur-tout combien fon
courage ne le rendroit-il pas infenfible à la flatterie ?
Dans le moment même où les autres l’exalteront
davantage,le geWrtfi philofophe fe jugera encore plus
févèrement que jamais ; il regardera les louanges
quon lui donnera comme des leçons adroites, &
cependant craignant de fe laifler féduire par leurs
charmes trompeurs, il ne voudra pas même entendre
celles qu’il croira avoir le plus méritées,
& telle fut toujours la conduite des héros.
Ne craignez pas que le général affez courageux
pour bannir la flatterie , laifle l’entrée de fon ame
ouverte , ni à une baffe jaloufie j ni à la haine
plus baffe encore, ni enfin à la noire envie ;
paffion la plus aviliffante de toutes celles que le
coeur de l’homme peut nourrir. A l’exemple de
Lycurgue , de Jules-Gæfar & de Marc Antonin ,
il ne fera ufage de fon pouvoir que pour combler
les ennemis de fes bienfaits. I l;fe modèlera encore
fur Louis X I I , & fi quelqu’un de fes ennemis
vient à fervir fous fes ordres, dès ce moment il
lui dira avec Adrien , tu as échappé à ma vengeance.
Comme Louis de Bourbon , il aura l ame affez
grande pour prendre en main la défenfe d’un rival
malheureux, & pour rendre juftice à celui qu’il
•aimera le moins ; & comme le célèbre maréchal
de Guébriant, il répondra aux perfonnes qui voudront
le diffuader de voler au fecours d’un général
dont il aura grièvement à fe plaindre : « à Dieu ne
plaife que je me venge d’un particulier aux dépens
de la caufe commune ; ne s’agit - il même que de
fauver l’honneur que Bannier a fijuftement acquis
, je ferois prêt à tout entreprendre. L’indignation
que m’a caufé fon injufte procédé fera pleinement
fatisfaite , fi je puis lui donner une preuve
convaincante de ma générofité ; j’ai raifon de me
plaindre de lu i , mais j’aurois honte de me venger
autrement que par de bons offices : » il fera plus
encore, s’il eft jamais affez foible pour fe lafifer
emporter aux tranfports de la colère , ou fi dans
des inftants malheureux il lui échappe une parole
capable de flétrir l’honneur d’un de fes fubordon-
r.és, il fera hautement l’aveu de fa faute & la réparera.
Cette conduite , loin de paroître une foiblefle
fera regardée comme l’effort fublime d’une grande
ame qui s’élève au - deffus de fes propres fautes.
C e ft d’après ces principes que le célèbre duc de
Guife fe conduifit avec Saint-Fai ; le grand Henri
avec le capitaine Tifche , & Guftave - Adolphe
avec le colonel Scaton. Pour ne pas accroître la
gloire d’un de fes rivaux, le général courageux ne
réitéra jamais dans une lâche inaéfion pendant une
bataille ; jamais pendant un combat la haine ne
lui fera faire de fauffes manoeuvres ; jamais il ne
rendra une guerre malheureufe par une méfintel-
ligence volontaire ; il ne combattra point avant
1 arrivée d’un puiffant renfort, pour ne pas partager
les fruits de la vi&oire ; & enfin , pour fe
venger d’un concurrent ou d’un ennemi perfonnel ,
il ne rendra point douteux ou funefte le fuccès
des journées que tout annonçoit devoir être heu-
reufes. Non , jamais on ne verra le général courageux
, infcrit au rang de ces hommes v ils , qui
fans porter les armes contre la patrie, lui font de
plus profondes bleffures que fes ennemis les^plus
déclarés : ne méritant jamais , comme eux , l’infâme
nom de perfide & de traître ; il netranfmettra point
à fes defcèndants un nom jufietnent flétri, il ne
les privera point du glorieux avantage de confacrer
leurs jours à leur patrie ; pour reconnoître , au
contraire , les preuves qu’il aura données de fou
courage en facrifiant fes biens , fes goûts, fes paf-
fions , & fes jours au fervice de l’état, la poftérit’é
recorinoiffanie &L jufte lui confacrera des lauriers
immortels, & ce fera pour fes neveux un titre,glorieux
dans les armées, & un droit pour les commander
que de le compter au nombre de leurs
ayeux.
Les généraux obtiendront ces- gîorieufes récom-
penfes s ils réunifient le courage qui fupporte les
difgraces, & qu’on peut nommer philofophie, celui
qui ne fe laifle point abattre par les événements
malheureux , qü’on peut appeller confiance ; celui
qui fé roidit contre les peines & les travaux , &
qu on peut nommer patience ; & enfin., celui qui
méprife la flatterie, réprime le vice & Tinjuftice ,
& qu’on doit appeller fermeté.
§. J X.
De la juftice.
t Bes exploits du général peuvent paroître l’effet
d un hafard aveugle; fes fuccès (peuvent être produits
par des opérations qu’il n’a pas dirigées ; on
peut attribuer fes vi&oires à la valeur &.au nombre
de fes troupes , ou à la foiblefle &c à l’ignorance
de fes ennemis : il n’y a donc que fes vertus qu’on
ne peut lui contefter ; mais parmi ces vertus , .il en
eft cependant que leshommeseftimentdavantage
de ce nombre eft la juftice. Ils lui .donnent la
première place parce que. c’eft la vertu qu’il eft le
plus aifé à l’homme puiffant de ne pas exercer,
& fur-tout parce qu’ils en reffentent plus générale-
*tent les effets heureux. C ’étoit ainfi que penfoit
Périclès , à qui la Grèce entière, donna le glorieux
iurnom d’Olympien. Il étoit au lit de la mort, fes
amis affemblés autour de lui ne croyant pas qu’il
pût les entendre , partaient de fes exploits , ils
comptoient les viâoires qu’il aroit remportées , &
les nombreux trophées qu’on lui avoit éleves ;
mais le héros leur dit : « Je m’étonne que vous
releviez fi haut des chofes auxquelles la fortune
a eu autant de part, & que vous ne parliez pas
de ce qui m’eft le plus glorieux , je veux dire de
ce que je n’ai fait prendre injuftement le deuil à
aucun citoyen.» A'géfilas, ce roi célèbre de Lacédémone
, mettoit auffi la juftice au rang des
remières vertus ; il prétendoit avec raifon , dit
lutarque, que les vertus militaires ne font rien
fans la juftice , & que fi touts fes hommes étoient
juftes, la bravoure deviendroit inutile ; auffi Boileau
met-il dans la bouche de ce ro i, cette maxime
fublime : que jamais, on eft grand, qu autant que l’on
eft jufte.
Mais fans nous arrêter à faire un plus long éloge
de la juftice, voyons plutôt en quoi celle du général
confifte : un général qui aime la juftice ob-
ferve exaûement <k fait exécuter à la lettre les
loix du droit des gens , de la guerre & de la paix ;
empêche le vol ,1e pillage , la maraude ; impofe à
chaque pays Tefpèce de contribution , qu’il peut &
qu’il doit fournir ; les fait répartir avec égalité ,
en fait rentrer le produit entier dans les coffres
de l’état ; diftribue le butin d’après les loix établies,
ou d’après le mérite des corps & des individus;
proportionne dans toutes les circonftances les
peines aux délits, penche plutôt vers la douceur
qu’il ne fe laifle entraîner vers une févérité excef-
five , car une juftice trop rigoureufe dépeupleroit
les camps ; évite que les coupables puiffent attribuer
aux chagrins ou aux malheurs du chef les
punitions qu’on leur inflige ; récompenfe les belles
aéfions avec magnificence, & toujours fans acception
de perfonnes ; ne fuit jamais dans la diftribu-
tion des emplois fon inclination au préjudice du
mérite ; veille fur la manière dont les fubordonnés
rendent la juftice * les reérifie quand ils ont mal
v û , les punit quand ils ont voulu mal voir , car
on impute toujours aux chefs les injuftices que les
fubordonnés commettent ; fait connoître combien
un tel officier général ou particulier a contribué à
la viéloire, lui en renvoie l’honneur , lui fait donner
fes récompenfes qu’il a méritées ; publie quel eft
l’auteur d’un avis falutaire & lui fait obtenir les
grâces qui lui font dues ; tels font les divers objets
fur lefquels doit principalement s’exercer la juftice
des généraux ; mais les deux derniers font ceux
qui méritent de leur part l’attention la plus fcru?-
puleufe. Oui , un général affez vil pour dérober à
fes fubordonnés la gloire qu’ils ont méritée , ce
Bien le feul auquel ils afpirent , celui auquel ils
facrifient leur tranquilité , leurs plaifirs & leur vie ;
ce général ne doit plus efpérer pendant la durée
de fon commandement que fes officiers &. fes fol-
dats animés d’un, enthoufiafme rare , mais nécef-
faire, aillent au-delà de ce qui leur eft prefcrit
par leur devoir ; il ne doit plus s’attendre qu’on
vienne lui indiquer le chemin de la vi&oire par
des confeils dont il s’attribueroit l’honneur , ou
le lui applanïr par des faits héroïques qu’il cher-
cheroit à faire oublier ; le terme de fes glorieux
fuccès eft arrivé, & peut - être touche - 1 - il au
moment de fa honte ; tandis que le commandant
en chef qui renverra à leur véritable auteur l’honneur
des aérions gîorieufes fera immorta'ifé , &
par les grandes chofes que feront fes fubordonnés ,
& fur-tout par cet aéte de juftice qui ne mériteroit'
peut-être aucun éloge.
Touts les écrivains militaires, perfuadés de cette
vérité , s’empreffent de la mettre fous les yeux des.
généraux, polar d leur préfente M. de Barbefieux ,
qui fut couvert de honte pour avoir voulu enlever
au brave " Montluc la gloire d avoir détruit le
moulin d’Aubagne , & d’avoir contribué par cette
aérion à forcer Charles - Quint a évacuer la Provence.
Il cite'encore l’aérion du comte de Péri à
Haguenau. Si ce maréchal-de-camp content, dit-il,
d’avoir fçu adopter un bon avis , de lavoir fait
exécuter , n’eût pas voulu s’attribuer 1 honneur
d’avoir imaginé cette fortie fameufe , fon nom
auroit été configné avec gloire dans les faftes
militaires., tandis qu’il n’y eft conferve que pour
offrir aux généraux une leçon effrayante.
Après avoir rapporté ces deux faits , & les
avoir accompagnés des réflexions les plus aigres
& fes plus mortifiantes pour touts ces chefs qui
dérobent à leurs fubordonnés la gloire qui leur eft
due, le commentateur de Polibe répand des fleurs
à pleines mains fur le tombeau de Sylla , parce
que ce Romain illuftre , apres la viétoire qu il
remporta fur Archelaüs, dreffa un trophée fur le
champ de bataille, & y mit en. lettres grecques :
à la valeur d’Homaloïcus & d Anaxidamus , qui
ont contribué par leur bravoure au fuccès de la
journée. Folard donne auffi de grandes louanges
à Agricola , parce qu’il rendoit un témoignage
éclatant de la valeur de fes fubordonnés , & parce
qu’il ne leur déroboit jamais la portion de gloire
qui leur étoit due.
En parlant de la modeftie , un plus grand nombre
d’exemples nous préfenteront la même inftruérion.
Mais, fi le général doit être attentif à ne dérober
jamais à fes officiers la gloire de leurs faits mili-
; taires, il ne doit pas moins employer de foins
pour leur en faire obtenir les juftes recompenfes.
Que j’aime le brave Cavoie, lorlqu’il employé
tout le crédit dont il jouit auprès de ion maître,
pour faire accorder à des officiers de, mérite les
I grâces qui leur font dues ! Que j aime 1e célébré
du Gu ai Trouïn, lorfqu’il refufe une penfion que
le miniftre veut lui donner , qu’il le prie de la faire
retomber fur fon capitaine en fécond, & quil
ajoute ; je fuis trop récompenfé, fi j’obtiens 1 avun-
j ' D d d d \\