
faire tirer avec précipitation qu’avec foin ; nous
avons éprouvé, dans différents combats, que fur
deux cents coups de fufils, il y en a à peine un qui
porte (témoin Malplaquet). Nous avons vu une
ligne de troupes prefque retranchée derrière les
cartouches quelle avoit brûlées, fans avoir fait
beaucoup de mal à l’ennemi ( témoin Czaflau ) ;
touts nos guerriers & touts nos écrivains didactiques
nous recommandent de nous occuper davantage
de bien tirer que de beaucoup tirer, &
cependant nous nous occupons prefque uniquement
de cet objet. Si vous me demandiez la rai-
fon de cette contradi&ion , je répondrois : nous
avons été féduits par l ’exemple d’un grand prince
que nous nous faifons gloire de copier dans les
petites chofes ; nous imaginons que le grand bruit
étourdit &, anime nos propres foldats ; nous avons
l’air do. croire que nos troupes ne font deftinées
qu’aux exercices de parade & qu’à l’amufement
de ceux qui les commandent, ou qui les regardent.
Que vous êtes fous, repartiroit le fauvage ;
fi un de nos guerriers tenoit jamais un femblable
langage y il ne trou ver oit perfonne qui voulût
kafarder avec Lui ; croyez - m oi, changez de manière
, accoutumez vos foldats à ne tirer, qu’après
avoir chargé avec foin , & vifé avec attention, où
la première campagne que vous ferez fera marquée
par autant de défaites que vous aurez livré
île combats.
§. X X I V .
Quels moyens peut-on employer pour rendre les feux
de Vinfanterie très meurtriers ?
Pour rendre le feu de l’infanterie très meurtrier,
il faut que le foldat fçache, non - feulement qu’il,
doit charger avec foin, & vifer avec attention ;
mais qu’il connoiffe encore les différentes manières
dont il doit vifer, fuivant l’éloignement de l’objet
vers lequel il dirige fes coups. Il y a déjà longtemps
que *M. de Guibert a avancé ces vérités ;
fon livre a été lu avec tout l’empreffemént qu’il
devoir infpirer ; touts les colonels l’ont étudié ,
touts les officiers généraux l’ont médité, & touts
ont été convaincus, mais aucun n’a mis en pratique
les excellents confeils qui y font renfermés
; nous ne tranfcrirons point ici fes confeils ,
nous aimons mieux renvoyer à l’ouvrage même.
Voyeç donc le chapitre quatrième du tome premier :
l ’auteur y enfeigne, non - feulement la manière
dont on doit diriger les coups de fufil, mais il indique
encore les exercices par le moyen defquels
on peut faire atteindre à une troupe la perfeéfion
en ce genre. Voye% auffi Varticle VI du chapitre VI
du tome II de U E x amen critique du militaire François,
§ . X X V.
Des occajions où Ton doit faire feu , & de celtes où.
Von doit charger à Varme blanche.
De toutes les queftions militaires, celle qui eft
l’objet de ce paragraphe, étoit jadis la plus comp
liq u é e^ aujourd’hui c’eft la plus fimple, fur-
tout pour la nation Françoife. Lifez les partifants
de l’ordre mince, lifez ceux de Tordre profond ;
parcourez les ouvrages des écrivains nationaux ;
ceux des écrivains etrangers ; méditez les écrits
des maîtres de l’ar t, & ceux des hommes les
moins inftruits ; confifltez les plus ignorants ôt les
plus doéles, les généraux & les foldats ; touts vous
diront, qu’on ne doit fe borner à faire feu, que
lorfqu’on ne peut joindre l’ennemi avec l’arme
blanche. On trouvera de nouvelles preuves de
cette vérité dans une infinité d’articles de. cette
Encyclopédie, & dans le paragraphe fuivant.
g. X X V I.
Doit-on faire feu enmarchant ?
L’ordonnance de 176 4 , deftinée à régler l’exercice
de l’infanterie réfout ce problème de la manière
la plus claire: « Il feroit inutile, dit-elle,,
d’apprendre à l’infanterie à tirer en marchant ; il
faut bien imprimer dans l’efprit de l’officier & du
foldat, qu’on ne doit jamais s’amufer à faire feu y
que lorfqu’il eft abfolument impoffible,. par rapport
à des obftacles infurmontables du terrein,:
de charger les ennemis à l’arme blanche ; que la
vraie force de l’infanterie confifte dans fon im-
pulfion & à joindre promptement lés ennemis
fans tirer, & qu’il n’y en a point dont la nation
Françoife ne vienne aifément à bout, en fuivant
cette méthode •».
Rien de plus clair & de plus vrai que cette
affertion ; rien de plus fage que de répandre ainfi
dans les ordonnances, les opinions que Ton veut
graver dans le coeur des militaires ; je ferai fort
trompé, fi à la première guerre, on ne voit point
l’infanterie, tenir tête à la cavalerie, même dans,
les endroits les moins favorables. Et cette révolution
ne viendra peut-être, que des mots fuivants,
• que le rédaéleur de l’ordonnance de 1776 y a inférés.
u L’infanterie , dans quelque difpofition
qu’elle combatte , foit en colonne,fôit en bataille,
doit être convaincue que la cavalerie n’eft redoutable
pour elle qu’à Tinftant où elle ceffe de vouloir
lui réfifter ». Je fçais bien que l'ordonnance
qui règle l’exercice de la cavalerie, avance une
opinion tout-à-fait oppofée; mais qu’importe. La
plupart des militaires lifent à peine les ordonnances
de leur arme ; comment iroient-ilss’ennuyèr
à étudier celles qu’ils ne font pas obligés de iça-
voir ? Si l’on, vouloit avoir de nouvelles preuves
de l’inutilité du feu en marchant, on pourroit
recourir à la fin du chapitre VI de VEJfai général
de taélique.
§. X X V I L
Lequel ejl préférable ou du feu règle ou du feu à
volonté ?
Cette queftfen a dèj,a été débattue dans le para-'
graphe VI I I de cet article ; mais comme ttotré
n’avons pu rapporter, dans cet endroit, qu’une
partie des raifons qui exîftent en faveur de Tune
& de l’autre de ces opinions , nous allons achever
de les raffembler ici. Les partifants du feu
réglé par pelotons, feâion & divifion, dilënt
que cette régularité eft faite pour produire de
grands avantages ; que cent, deux cents coups de
fufils qui arrivent en même temps fur un efpace
peu eonfidérable , y mettent un grand ,défordre ,
y font une large trouée; qu’au moyen du feu
réglé , on ne fe défait que du feu que Ton v eut, ôc
à l’inftant où on le juge à propos , & qu’on n’en
eft jamais dégarni dans le moment où il eft le
plus néceffaire.
Les partifants du feu à volonté , rapportent à
leur tour, pour défendre leur opinion , toutes
les raifons que nous avons données dans les
paragraphes précédents ; & ils ajoutent, quand on
fait le feu à volonté, les foldats s’animent les
uns les autres à charger promptement , & à tirer
à .coup sûr; l’attention n’eû point diftraite ou
partagée, par la néceflité d’écouter les commandements
; & chacun faifant de fon mieux,
le fuccès en eft prefque certain. Pour prouver
les avantages du feu à volonté, ils difent : que
nos ennemis ne redoutent point notre feu réglé,
mais beaucoup notre feu à volonté ; que nos
grands généraux n’ont jamais exigé que leurs ;
foldats tiraffent enfemble, mais qu’ils ajuftaffent
bien ; quant à nous, nous difons que le feu à
volonté, tel que n ou s'l’avons décrit, obviant
aux inconvénients qu’on reproche généralement
à cette efpèce de fe u , il doit avoir prefque toujours
la préférence fur le feu réglé ; mais qu’on
peut cependant quelquefois , avec avantage , em-
ployer le feu de bataillon & de demi-rang,
mais jamais de plus petites divifions.
§ . X X V I I I .
Doit - on tirer le premier ou doit - on ejfuyer la
décharge de l\ennemi?
Ce problème, tel que nous venons de l’énoncer
, nous paroit infoluble : pour bien le réfoudre,
il faut le rendre moins général, & demander,
premièrement, fi une troupe qui va attaquer un.
ennemi dont elle n’eft féparée par aucun obftacle,.
& qu’elle veut enfoncer ?i.doit attendre avant de*
faire feu qu’il ait tiré fur elle ; fecondement, fi un#
troupe qui va être affadie en plainè par un ennemi
qui marche à elle, doit attendre qu’il foit
très proche pour tirer fur lui ; troifièmement enfin,
comment doit agir une troupe placée derrière un,
retranchement.
D ’après les principes que nous avons établis
dans le Ncourant de cet article, on devine d’avance
que nous ne confeillerons jamais à une troupe
qui yeut en forcer une autre de s’arrêter à reinquantô
pas d’elle pour faire feu ; mais fi elle avoit
commis cette faute , quelle conduite devroit-elfe
tenir ? Elle devroit, ce me femble, fans attendre
la décharge de l’ennemi, oubliant l’ufage confiant
des François , faire fur lui un feu vif , réglé ou à
volonté ; c’eft le récit de la bataille de Fontenoy
qui nous a déterminés à adopter cette opinion ;
pourquoi cette journée célèbre , une ligne d infanterie
compofée de beaucoup de troupes d eiite,,
entre autres des gardes Françoifes & Suiffes, d une
partie du régiment du Roi, prit-elle la fuite, après
avoir laiffé fur le champ de bataille environ mille
hommes , dont cinquante officiers , & cela fans
avoir tué un feul des alliés ? C ’eft parce que ceux
qui commandoient cette ligne crurent qu’il etoit
glorieux d’effuyer à bout portant tout le feu des
ennemis ; j ’admire cette intrépidité, mais je ne
puis applaudir à cette conduite. Si au moment où
les François s’arrêtèrent, ils avoient fait une première
décharge ; fi, à l’exemple des officiers An-
-glois , ils avoient forcé leurs foldats à bien vifer ,
ils auroient fans doute mis le défordre dans la
fameufe colonne, qui ne faifoit que commencer
à fe former ; ils auroient pu fondre fur elle &. la
difperfer , ou au moins , s’ils n’avoient pas eu affex
de réfolution pour l’attaquer à l’arme blanche,
n’auroient-ils pas eu à foüffrir le feu de touts les
hommes, qu’ils auroient mis hors de combat.
Dans cette première fuppofition, il importe
donc de ne point avoir la vanité mal placée ,
d’attendre que l’ennemi ait fait la première décharge.
Ce fera encore la bataille de Fontenoy qui nous
fournira le moyen de réfoudre la fécondé fuppofition
que préfente notre problème général. Les
alliés qui voyoient venir à eux une ligne d’infanterie
affez eonfidérable, firent-ils bien d’attendre
pour faire feu fur elle qu’elle fût arrivée à la diftance
de cinquante pas ? O u i, dira-t-on, puifque le füc-
cès couronna leur conduite ; mais les militaires fages
qui ne décident point fur un feul évènement, ne
feront-ils pas d’un avis différent ? Si j’avois cette
dernière opinion à défendre, je dirois : en ne
tirant point fur un ennemi qui vient à vou s , &
auquel vous ne voulez pas épargner la moitié du
chemin ( ce qui feroit cependant bien fait) , vous
vous privez de l’avantage de tuer plufieürs de fes,
foldats , d’en intimider plufieurs autres par le
fifflement des balles, & par le fpeéracle des.-morts
& des bleffés:; vous ne profitez pas de l’effet
! que cette frayeur doit produire fur les nouveaux
foldats vous ne mettez pas dans les rangs un
défordre que vous pourriez y porter. On ne peut
douter en effet que de deux troupes, également
| braves & nombreufes , dont une attend fans tirer
! l’ennemi qui vient à elle , & dont l’autre fait fuc-
ceflivement éprouver à celui qui fe dirige vers
elle \mfeu bien ajufté , on ne peut douter, dis-
je , que la fécondé ne foit plus aifément v iâo -
I rieufe que la première. Le bataillon qui fe diri