guerre, vous venez d’abord à la changer, vous ne
les trouverez peut-être pas en état de parer le
coup que vous leur prépariez, lorfqu’ils s’étoient
formé de fauffes idées fur votre conduite.
Varillas, parlant de Louis X I , roi de France,
dit qu’afin qu’on ne pût pas pénétrer fes maximes ,
il alloit toujours par des détours qui rendoient fa
manière d’agir incompréhenfible.
J’ai oui dire à plufieurs habiles officiers qui ,
dans la grande guerre dernière, avoient ferviTous
les ordres du duc de Vendôme & du prince
Eugène de Savôye, que chacun de ces deux grands
hommes avoient fait plufieurs expéditions par des
méthodes qui paroiffoient extraordinaires, & qu’ils
y avoient toujoursréuffi,parce que l’un fçachant
que fon compétiteur avoit coutume de ne pas fuivre
les routes ordinaires de la guerre, il fallait auffi
que l’autre agît par les voies extraordinaires qùe les
occafions pouvoient lui préfenter.
Epàminondas, qui n’avoit coutume de marcher
à l’ennemi qu’au lever du foleil, changea cette
heure dans le Peloponèfe contre les Lacédémoniens
, qu’il défit, les ayant trouvés fans être fur
leurs gardes & endormis la nuit qu’il les attaqua ;
parce qu’ils s’étoient trop confiés dansl’obfervation
qu’ils avoient faite fur fa conduite, qu’il fçut fort à
propos changer dans cette occafion.
Xénophon fuppofe que Cambife confeilloit à
Cyrus de tacher de découvrir les deffëins ou les
ordres des ennemis,& de leur cacher les fiens.
Pour éviter que les ennemis ne pénètrent vos
idées , vous pouvez donner à entendre que vous
avez des ordres différents de ceux que vous avez
reçus réellement, en conférant avec certaines per-
fonnes fur ces faux ordres, par-là vous trouverez
peut-être les ennemis moins vigilants pour s’être .
fiés aux avis de leurs efpions.
On peut auffi tromper les ennemis par des ennemis
, par des éfpions doubles, dont ils fe fervent
contré vous ; par leurs propres prifonniers, que
vous ’ laiffez adroitement échapper ; par de faux
déferteurs ; par des inftruéHons feintes, que vous
‘fuppofez lignées du miniftre ; par des toldats que
vous mettez à portée d’être faits prifonniers ; par
des efpions doubles' contre les ennemis ; par le
terrein que vous occupez ; enfin, en employant
touts les moyens pour empêcher que les ennemis
n’ayent connoiffance ni de vos deffeins, ni de vos
difpofitions.
Dans un très grand nombre d’endroits de mes
réflexions, vous rencontrérez ces expreffions :
dites a faites voir, donne£ à entendre, feigne£, &c.
Quoique Platon enfeigne « que V if eft permis à
quelqu’un de mentir, c’eft principalement à ceux
qui gouvernent la république, lorfqué, s’agiffant
des ennemis ou des citoyens , cela peut tourner à
X’ütiîîté' piibliqifé jj; on fçait que, par les principes
de notre religion , le menfonge eft défendu ,
&. comme il eft très fouvent néceffàire de diffi-
ihulèr, & qûè le feul fiience ne fuffit pas toujours.
pour cela, *11 faut néceffairement avoir recours
a une diflimulation , q u i, fans tenir du men-
fonge, cache la vér.ité. Par exemple, fi on vous
demande quelque chofe , que vous voulez faire
croire véritable, ce fera peut-être allez d’un fou-
rire d’approbation, d’un mouvement des lèvres ,
qui marque de la joie, d’un léger coup de main fur
.l’épaule de celui qui vous parle, d’un on le dit, &c.
& , pour en diffuader , il ne faudra quelquefois
qu’un gefte, ou un ris moqueur fur la demande
qu’on vous fait ; un froncement de fourcil, comme
étonné d’une telle Angularité ; une réplique accompagnée
des difficultés les plus apparentes ; une
réponfe qu’il y a des hommes dans le monde qui,
croient tout ce qu’ils entendent dire, ou mille
autres geftes ou paroles qui cachent la vérité.
O r , il paroît qu’une pareille diffimulation n’eft pas
un menfonge , par ce que faint Luc écrit de Jéfus-
Chrift notre Sauveur : « qu’il feignit d’aller plus
loin jj ; & Cornélius à Lapite, commentant ce paf-
fage, ajoute que « quoique Jéfus marcha, comme
s’il avoit voulu aller plus loin, ce n’étoit pourtant
pas fon defiein. jj. Ainfi, je protefte que toutes les
fois que, dans cet ouvrage, je me fers des expreffions
dont je viens de parier, ou d’autres fembla-'
blés, & même plus fortes, mon intention eft feu-,
lement de confeiller une fiélion , où une diffimulation
qui ne tienne pas du menfonge.
Si lç général ennemi , parce que votre fage
conduite lui donne de l’inquiétude, tâche, fans
être retenu par la confcience, de vous mettre mal
dans l’efprit de votre prince, en cherchant le
moyen de lui perfuader que vous êtes d’intelligence
avec le fien, ainfi que cela fut pratiqué par
Annibal, rompez d’abord tout commerce particulier
avec ce général, & dans celui que vous ferez
encore obligé d’avoir par rapport aux troupes,
ufez de la précaution de ne recevoir les trompettes
ennemies qu’en préfence de quelques-uns de vos
officiers. Lifez devant eux les lettres qui vous
feront rendues de la part du commandant ennemi,
& celles que vous lui écrirez ; n’en recevez aucun
préfent, & ne lui en enyoyez aucun. Enfin, fi vous
découvrez en lui un pareil deffein , n’ayez à fon
égard d’autre politeffe que celle que la politique de
la guerre exige indifpenfablement.
Dès que le duc de Guife eut reçut une lettre *
qui lui fut rendue de la part de don Jean d’Autriche,
& dont le contenu fuppofoit qùe c’étoit une
réponfe à une autre, dans laquelle le duc lui parloir
de la fomme d’argent qui lui avoit été pro-
mife, & qu’il devoit toucher à Gènes, pour faciliter
aux Efpagnols l’entrée de Naples, il lut cette
lettre en public ; & , par cette précaution, le
peuple de Naples ajouta foi à fa fincérité.
Guftave Troile , archevêque d’Upfal, reçut une
lettre, par laquelle Guftave Vafa, chef du parti
oppofé à Chriftierne I I , roi de Suède , l’exhortôit
d’entrer dans ce parti; mais l’archevêque ayant
d’abord porté cette lettre au vice-roi de Chriftlerne,
fe mit ainfi à couvert d’être foupçcnnepar
lé roi de favorifer le parti des révoltés.
Le duc de Guife envoya un préfent de deux
chevaux au duc d’Andria & à don Fabrice Spi-
nelli, dans le deffein de les rendre par-là fuf-
peéls à don Jean d’Autriche, & demies obliger
ainfi à fe retirer du fervice d’Efpagne ; mais ils
renvoyèrent l’un & l’autre les chevaux au duc de
Guife, & lui firent répondre qu’ils n’ignoroient pas
qu’il y avoit dans fon préfent autant de malice que
de générofité.
Alexandre envoya un riche préfent en argent à
Phocion , capitaine Athénien, qui demanda à celui
qui le lui préfenta , pour quelle raifort Alexandre
lui faifoit ce préfent ; l’envoyé lui ayant répondu
que c'étoit parce qu’il le croyoit plus homme de
bien que le refte des Athéniens , Phocion lui' répliqua
: « puifqu’Alexandre me croit honnête
homme , qu’il n’empêche pas du moins que les
autres me croient te l, & lui renvoya fon préfent.'
y.
Je parlerai ailleurs de plufieurs autres précautions
à prendre pour empêcher que vos ennemis ne
viennent à bout de vous mettre mai dans l’efprit
de votre fouverairi, principalement lorfque vous
êtes vainqueur.
Des moyens de rompre une ligue ennemie.
La guerre efl le fruit qu’on recueille des difeordes
quon sème, dit l’ancien proverbe; mais celui qui
a déjà la guerre ne riique pas beaucoup de femer des
difeordes. Il y a des remèdes qui nuifent, lorfqu’on
eft en fanté , & qui font falutaires dans la maladie.
On -court moins de danger à fe fervir de la plume
que de l’épée. Une négociation qui ne réuffit pas ,
ne caufe pas tant de préjudice qu’une bataille
perdue, parce qu’il eft plus aifé de remettre de
l’encre dans un écritoire qu’on a mis à fe c , que de
rétablir une armée'défaite.
Après que le prince Thomas de Savoye eut été
battu, les Efpagnols n’ayant pas affez de troupes fur
pied pour s’oppofer à la Hollande & à la France,
femèrent fi bien ladivifiôn parmi ces deux nations,
que les Hollandois, choqués du mépris avec lequel
les François les traitoient, furent caufe que Tannée
françoife manqua de vivres^ ce qui l’obligea de
lever le liège de Louvain.
Georges Poggibrace, roi X IV e de Bohème,
voyant que plufieurs princes de l’empire's’étoient
ligués pour fa ruihe, para ce coup, en lufcitant des
diffentions parmi ces princes , qui fe déclarèrent les
uns contre 'les autres.
Comme je parle ailleurs des moyens qu’il faut
employer, afin que les troupes & les peuples des
ennemis embraffent le parti de votre louverain, de
ceux qu’il faut mettre en ufage pour femer des défiances
& des divifions en divers corps de métiers
révoltés contre votre prince, & pour profiter des
diffentions qu’il y a entre les généraux &. les mimitres
des ennemis, je ne propoferai à préfent
que quelques expédients propres à rompre l’union
& l’intelligence parmi les princes vos ennemis.
Quelques-uns de ces expédients pourront peut-
être paroître peu juftes, ou peu décents pour être
employés dans toute forte de guerre ; mais prenez
garde que je ne les admet que lorfqu’il n’y a pas
d’autres reffources pour défendre l’état dont on veut
s’emparer injuftément, ou pour recouvrer ceux
qu’on a vifiblement ufurpés, ou contre des princes
perfécuteurs déclarés de la chrétienté ; & , dans
pareil cas, on peut fans fcrupule femer la divifion
entre les ennemis.
Pour mettre ou pour entretenir la divifion entre
les alliés ennemis, traitez , s’il eft poffible, ou
du moins faites femblant de traiter en même-temps ,
féparément l’un avec l’autre , afin que chacun
d’eux fe hâte de vouloir faire la paix avec votre
prince, de peur que l’on ne le laiffe feul dans l’embarras
de fôùtenir la guerre , & qu’il ne puiffe plus
alors faire un traité avantageux.
C ’eft de cette manière qu’en 1502, le duc de
Valentinois fit rompre la ligue formée contre lui
par les Uroins, par Vitelozzo Viteli, Jean-Paul
Balonio, Liveroto de Fermo &. Pandolfe Petruci.
Teribazè, général des troupes d’Artaxerce à-
contre les Caducéens, commandées par deux rois ,
traita avec l’un & envoya fon fils pour traiter avec
l’autre ; chacun des deux difoit au ro i, avec qui il
étoit en négociation , « que fon allié avoit des pratiques
fecrètes avec Artaxerce , & que s’il ne fe
hâtoit de faire la paix, il auroit à foutenir la guerre,
parce que l’autre fe prefferoit de s’accommoder
avec Artaxerce , afin de faire un meilleur traité jj.
Par cetartifice, ces deux princes, dans une défiance
mutuelle, ne pensèrent plus qu’à faire au plutôt la
paix à l’envi l’un de l’autre.
Lorfqu’une place qui dépend de votre commandement,
fe trouve réduite à la néceffité de fe
rendre à l’armée des alliés ennemis, avertiffez le
gouverneur , qu’il tâche de faire mettre dans la
capitulation qu’il n’entrera dans cette place d’autre
garnifon que les troupes de. tel prince, & qu’il
nomme celles de celui qui peut être plus fufpeél à
fes alliés. Quoique par-là vous ne tirerez d’autre
avantage que de faire voir votre intention, il eft
naturel de croire que les autres princes ligués craindront
quelqu’intelligence avec votre fouverain , &
celui à qui vous voulez remettre la place , & que
cette défiance fera naître la divifion parmi touts
ces alliés, fur-tout fi le prince, entre les mains de
qui vous voulez laiffer la place, a intérêt de la
conferver pour quelqu’avantage particulier qui lui
en revient.
On croit que cette maxime que Louis X I I , roi
de France, mit en pratique en 15 13, lorfqu’il
ordonna à M. d’Aubigny, gouverneur du château
de Gaette ,que s’il fe trou voit obligé de le rendre
a l’armée de la ligue entre Vende, l’empereur
Maximilien & le roi don.Ferdinand le Catholique,