
nècle , ne font rien d’heureux pendant qu’ils commandent
avec un pouvoir partagé ; le duc de V alois
commande f e u l , l’inaéfion celle & les fuccès fe
multiplient.
Pelcaire & Colonne commandent en 1512, une
armee formidable que le partage dans le commandement
rend inutile. Les hiftori<yis conviennent
que fi ces deux chefs avoient eu chacun un corps
(ép a ré, cette campagne eût été pour nous des plus
funeftes.
M ontluc , éclairé par les évènements nombreux
dont il avoit été le témoin, évènements qu’il rapporte
très au lo n g , co n c lu t, tome 2 , pag. 1 5 7 ,
qu’il vaut mieux un moindre capitaine fe u l, que
deux bons enfemble. .
Robertfon attribue les malheurs de la'ligue de
Smalkalde , au partage dans le commandement.
L é le â eu r de Saxe , dit-il , & le Landgrave de
Heffe;, quoique touts deux propres à conduire une
grande armée, avoient un caractère & des vues fi
différentes, qu’ils ne s’accordoient pas mieux dans
leurs opérations que dans leurs motifs. Infenfi-
blement la jaloufie & l’animofité s’accrurent ; les
autres membres de la ligue ceffèrent de vouloir
obéir à des chefs qui mettoient ff peu de concert
dans le commandement. A u fîï cette armée n’eut
qu’une aélion dénuée de vigueur & d’effet.
Guife & Montmorenci ont un. pouvoir à-peu-
près ég a l; ils-perdent le fruit de la bataille de
D r e u x , & le connétable eft fait prifonnier.
Les grandes entreprifes , difoit Walffein , ne
peuvent guères réuflir que fous la conduite d’un
feul homme ; elles échouent ordinairement quand
pluiieurs s’en mêlent.
Lifez a y ec foin l’hiftoire de, Louis X I V , vous
verrez que les armées de ce prince furent heu^
reufes lorfqu’elles n’eurent qu’un ch e f, & lorfque
celles des ennemis en eurent plufieurs. C e roi fut
f i convaincu de cette vérité , qu’il .rend it, le premier
août 1675 , une ordonnance par laquelle il
abolit la coutume que l’on avoit fuivie jufques-
là de faire rouler le commandement entre les officiers
du même grade , & qu’il voulut que le
commandement appartînt au. plus ancien.
L ’hiftorien du prince Eugène rapporte qu’un
des amis de ce grand homme , lui ay an t un jour
demandé quelle étoit la caufe de la profonde
rêverie dans laquelle, il étoit plongé : Je faifois
réflexion , répondit le p r in c e , que fl Alexandre
le grand avoit été obligé d’avoir l’approbation des
députés de Hollande pour exécuter fes .projets, I
il s’en feroit fallu plus dé moitié que'fes conquêtes '
n’euffent été f l rapides.
Nous n e rapporterons pas des faits plus récents;
chacun de nos leéleurs nommera aifément les
journées que le partage dans le commandement
a rendu malheureufes. Nous terminerons cette
longue fuite d’exemples , en priant les militaires
de lire une lettre de M . le maréchal de .Noailles
à M . d’Argenfon. Ce tte le tt re , relative à l ’objet j
qui nous occupe, eft confignée dans le tome fécond
, page 268 des campagnes de Noailles : campagnes
qui doivent être mifes au rang du petit
nombre d’ouvrages que les généraux ne peuvent
trop étudier.
Puifque l’hiftoire prouve à chaque page , que
les armées commandées par deux hommes feulement
, ont prefque toujours été battues, on peut'
conclure , a plus forte raifon, qu’une armée commandée
par un confeil, o u , ce qui eft la même
chofe , par un général obligé de fuivre les déci-
flons d’un confeil, feroit encore plus malheureufe.
, Quoique les écrivains politiques & militaires fe
réunifient a dire que chaque armée ne doit avoir
qu un chef , ils décident encore plus unanimement,
s il eft poflible , que Ion autorité doit être indépendante
& fans bornes | autant, difent-ils, les contrepoids
font utiles dans l’adminiftration intérieure ,
autant ils font dangereux à la guerre ; un général
qiii eft obligé d’attendre les ordres d’un prince ou
d’un miniftre , perd prefque toutes les occafiôns
favorables de vaincre ; en' un m o t, un général doit
avoir carte blanche : mais s’il eft obligé de fuivre
les avis d un- confeil, il n’a pas la carte blanche 1
donc la conclufion n’a pas beloin d’être énoncée.
, Appelions encore à l’hiftoire des dédiions des
écrivains dida&iques : elle eft le véritable creufet
des opinions fur l’adminiftration des états, & fur
la conduite des armées. Il eft dés vérités qu’on ne
peut trop répéter, & prouver de trop de manières;
les raifonnements font quelques-fois contrariés paf
les faits , & puifque nous ne pouvons point fonde?
une théorie militaire fur de nouvelles expériences ,
tenons-nous-en aux effais qu’ont fait les guerriers
qui nous ont précédés. Ne remontons pas cette
fois au - delà du fiècle de François Ier : à cettè
époque la guerre a véritablement mérite le nom
d’a rt, & les récits des annaliftes celui d’hiftoire.
Les François font en Italie : le comte d’Enguien
les commande ; ce prince ne veut livrer Ja bataille
qu’après en avoir obtenu la permiflion du.
roi : Montluc arrive à la cour : il parle, il preffe ,
le confeil balance : François Ier fe lève : je m'en
rapporte , dit - il , à ceux qui font fur les lieux*.
Montluc repaffe les Alpes , &. les François triomphent
à Cerizolles.
Charles - Quint a pénétré en Provence. ; le
royaume eft dans la confternation : on préfente à
François Ier une foule de plans pour la campagne.
Le roi s’adreffe à fon connétable, à qui il avoit
donné le commandement de fon armée. Vous
voyez , lui dit-il, l’importance des intérêts que je
vous confie : foutenez votre gloire & fauvez mes
états ; les conjonctures vous apprendront ce. que
vous avez à faire.
Le célèbre duc de Guife avoit , fans doute, de
grands talents militaires; mais les meilleurs hifto-
riens conviennent que fes fuccès furent l’effet du
pouvoir fans bornes qu’on lui avoit confié.
Guftaye Adolphe donnant des ordres aux chefa
de fes troupes , leur mandoit : Etant éloigné de
vous , je ne puis diriger vo s opérations qu’en
termes généraux : il arrive à la guerre des événements
que toute la prudence humaine ne peut
prévoir. Sàififfez ces moments : profitez des o éraflons
favorables qui fe prélentent & s’échappent au
même inftant. Je vous donne carte blanche. Agiffez
a vec la fageffe qui eft digne de vous & de moi.
Bannier , ce digne élève du grand Guftave ,
difoit à fes confidents : Pourquoi croyez-vous que
Galas & Picolomini n’ont jamais rien pu faire d’heureux
contre moi ? C ’eft qu’ils ne pouvoient rien
entreprendre fans le contentement des miniftres
de l’empereur.
Pendant que Louis X III régna , le cardinal de
Richelieu &. le père Jofeph, dirigèrent la plupart
des armées. Prelque touts les généraux qui fe
laifsèrent ainfi conduire, furent battus.
Les mémoires du. temps nous apprennent que
le prince Eugène , avant de prendre le commandement
de l’armée impériale en 16 98 , exigea que
l’empereur lui .lignât une permiflion de faire tout
ce qu’il jugeroit à propos , fans qu’il pût être recherché
tous aucun prétexte.
Le duc de Malbouroug , cet émule célèbre
d ’E u g èn e , étoit plus roi que général. 11 difpofoit
à ton gré des volontés de la cour & du parlement,
des finances & des troupes ; aufli fit-il de grandes
choies. Dès l ’inftant où fon crédit eut diminué ,
& où il fut contrarié, il abandonna le commandement.
Louis X IV 3 ce prince exceflivement jaloux de
fon autorité , fit dire à Turenne , qu’il feroit
charmé d’apprendre un peu plus fouvent de fes
n ou ve lle s , &. qu’il le prioit de l’inftruire de ce
qu’il auroit fait. C e même prince s’exprime de la
manière fu iv an te , dans une de fes ordonnances
xinilitaires. Comme fa majefté a reconnu par expérience
que rien n’eft fi important à fon fervice ,
qu’en fon abfence le commandement refide - toujours
en la perfonne d’un f e u l, lequel ayant la
direélion de toutes ch ofes, puiffe donner à chacun
des généraux des armées les ordres de ce qu’ils
auront à faire , fa majefté veut & entend , & c .
fans que celui qui aura la principale divifion en
l ’abfence de fa majefté, puiffe entrer dans le détail
de l’armée où il ne fera pas ; l’intention de fa
majefté étant qu’il donne feulement en gros les
ordres de .ce qu’il y aura à faire pour l’exécution
de ce qu’il aura réfolu.
M. le maréchal de Noailles donnant des inf-
truéfions au comte d e Berchini, parle ainfi : il fuffit
de dire en gros à un homme de guerre a o n t i’in-
telligence & le mérite font connus , les points
principaux dont il eft chargé , & il convient même
de lui laiffer la liberté de changer les difpofitions
propofées , fuivant les circonftances & les con-
noiflarices qu’il acquiert fur les lieux.
Avant le commencement de la bataille de Fon-
te n o i, le comte d’Argenfon , au lieu de donner des ,
ordres'au maréchal de S a x e , en vo y a prendre les
fienSi Et pendant cette même bataille Louis X V
dit tout haut : Je fuis bien fur qu’il fera tout ce
qu’il voudra.
Qu oiqu e nous nousvfoyons impofés FpJ)lîgàtion
de ne point citer des hommes v iv an ts, nous ne
pouvons nous refufer. au plaifir de rapporter un
propos de Jofeph II ; l’éloignement des lieux équivaut
à celui des temps, & il eft impofîible qu’on
nous foupçonne de flatterie.
En commençant la guerre , que la paix de
T efchen a terminée , l’empereur dit au général
Laudon : Je ne vous donne aucun ordre ; un
homme comme vous n’a pas befoin d’inftru étions,
qui le gêneroient peut-être : ferve z-moi, & foy e z
perfuadé que quand vous perdriez une bataille dé-
c i f iv e , je n’en conferverois pas moins pour vous
toute l’eftime qui vous eft due.
Puifque tout concourt à prouver qu’il ne faut
qu’un chef à chaque a rm é e , & que l’autorité de
ce chef doit être indépendante ; puifque le général
quiieroit obligé de fuivre les décifions d’un confeil,
ne feroit ni chef unique ni chef ablolu ; il eft clair
que les confeils doivent uniquement confeiller ,
mais jamais commander. Q u ’on ne dife point que
la reftriétion que nous donnons au pouvoir des
confeils les rend inutiles , le confeil fervira de
flambeau ; il montrera les différentes routes ; le
général choifira c e lle . qui lui paroîtra meilleure.
Les armées commandées par des rois ont remporté
des victoires prefque continuelles : ces rois avoient
certainement, un confeil; ce confeil ne commanda
jamais , il fe contenta toujours de donner des
avis.
5. Q u e les Grecs étoient fages & ingénieux ,
lorfque dans leurs fi étions , voulant faire con-
noître aux princes combien un confeil leur étoit
utile , ils plaçoient toujours Minerve à côté de
Jupiter 1 Pour nous g fans recourir au v o ile de l’a llégorie
, pourquoi laiffer toujours la v érité derrière
un v o ile ? C ’eft lui dérober une partie de fes attraits.
Nous dirons aux chefs des a rm é e s a y e z
fans cefle à vo s côtés une cour martiale compofée
a vec foin : elle vous tiendra lieu des y e u x d’argus,
des cent bras du géant Briarée , & de toutes les
têtes de l’hydre.
Pour qu’une cour martiale foit réellement utile ,
elle doit êrre divifée en deux parties. La première
& l a plus nombreufe préparera toutes les décifions
du chef de l’armée. Dans fa fageffe , elle examinera
les objets fur touts les points de vu e ; elle
propofera la manière de faire réuflir chaque entre-
prife qu’efie aura jugée poflible ; elle écartera les
obftacles & applanira les difficultés ; elle prévoira
les projets des ennemis, & fournira fe moyen de '
les faire échouer ; elle dreffera des inftruéfions
pour les officiers détachés ; elle fongera au moyen
d’avoir des v ivres & des munitions de guerre ;
elle s’occupera de la police des camps , de l’inf-
truélion des régiments, de la difcipline des troupes;