
n’ayant pas trouvé de quoi y faire fubfifPer fori
armée, il échoua dans l'on ent-reprife, & perdit
l ’efpérance de conquérir les terres que les catholiques
poffedoient en Efpagne. Si les .ennemis .ne
peuvent entrer dans vos états que par un feul
znorceau.de pays neutre. qui le. trouve; entre
vos provinces; & .celles.;des ennemis , il y a deux
chofes à confidérér pour fçavoir fi.vous pouvez
exécuter-dans ce pays.neutre ce que je viens .de
vous confeiller de pratiquer dans le vôtre ; la première,
eft d’examiner li le droit le permet ; la
fécondé , fi la bonne politique l’exige. Comme
cç n’eft pas à moi à difeuter la première , je dirai
feulement en paffant, que fi les ennemis font de
ce pays neutre un-palîage pour venir occuper
mes terres, je pouiyrois auffi employer dans ce
pays .les moyens propres pour me les confer.yer, ■
de la même manière que pour fauver mon vaif-
feau , je puis couper l.es cables & les vergues
d’un autre qui s’eft embarraffé avec le mien ;
ou de même .que ..fi’le feu- prenoit à un pont de
bois voifm des maifon;s, je pourrois. le couper,
quoiqu’il foit au. public , ahn d’éviter que ma
maifon ne brûle .; tout-au-plus, je. pourrais être •
obligé à payer le dommage , comme- votre fou-.,
verain pourra auffi le payer au prince neutre,
pour en éviter de beaucoup plus grands, que
l’armée ennemie, lui cauferoit en entrant dans fes
états. Je crois néanmoins qu’on eft. indifpenfable-
ment obligé de donner , en attendant ce dédommagement
, les moyens, de fubfifter. aux habitants
du pays neutre que vous ruinez, & de prendre :
avec le prince des mefures convenables pour ne
pas l’irriter , en tâchant de le convaincre que
ce n’eft que par néceffité que vous avez été
forcé de défoler cette partie de fes états. Si ces
mefures' que vous avez prifes ne fuffifent pas .
pour l’appaifer, il refte à examiner, en bon politique
, s’il y a plus d’inconvénient à l’irriter, qu’à
*e pas exécuter ce que vous avez projetté. Sur
cet examen, je renvoyé à ce que j’ai dit, en
traitant de la guerre ojfenjîve.
Des précautions à prendre, pour que les ennemis,
faute de vivres yne puiffent pas entrer ou fe maintenir
dans votre pays.
Il fe peut même qu’après avoir pris les précautions
que nous venons de propofer, les ennemis
s’opiniâtrent à vouloir pénétrer dans vos états;
dans ce cas, campez, à la faveur des rivière? &
des montagnes, dans des endroits où vous puiftïez
empêcher que les partis ennemis ne s’étendent vers
le front ou vers les flancs, pour tirer des vivres &
des fourrages du pays où il peut en être refté ; -
rompez les ponts & les chemins qui font entre
les ennemis & ce pays ; difputez à l’armée ennemie
les paffages difficiles, & employez toutes
fortes de moyens pour la détenir dans le pays
dèfolé , afin que fi elle ne fe retire pas, elle perde J
beaucoup d’hommes & de chevaux,' par la difetté
des vivres & de$ fourrages ; car le foldat, qui ne
peut pas fouffrir l’extrême chèreté, déferte , & il
tombe malade lorfque les vivres, dont même il
a faute ,.font mauvais.
Lorfque vous apprenez , par vos efpions , la
route que tient un convoi qui vient aux ennemis,
& quelle eft fon efcorte , donnez quelque chofe
a la fortune pour-tâcher de. la couper, principalement
fi les ennemis fe trouvent dans un extrême
befoin de vivres ; on peut y réuffir par quelque
embufcade, ou par quelque ftratagème qu’un général
habile & intelligent peut imaginer, félon
les circonftances.
Quintius Fabius. Maximus, après avoir fait tranf-
porter' touts les vivres & les fourrages du pays
par où l’armée d’Annibal devoit palier, campa
toujours dans des ports avantageux à la vue de
cette armée j afin d’incommoder de-jà les partis
qu’Annibal pourroit détacher pour aller chercher
•des fourrages & des vivres ; ce qui obligea les
Carthaginois de fe retirer à Cafelin ,• pour éviter
que les hommes & les. chevaux ne mouruffent de
faim. G’eft ainfi que le rapporte Tite-Live, dans
fon hiftoire Romaine ,■ & que le prince d’Orange
l ’a obfervé dans fon Annibal & Scipion. Tite - Live
ajoute, que le conful Paul-Emile avoit voulu fuivre
cette même conduite de Fabius & Maximus; mais
que Térence , Varron, l’autre conful, ne fut pas
de ce fentiment, de ; forte que l’armée Romaine
fut battue à Cannes , dans, un temps qu’Annibal,
n’imaginant plus aucun moyen de faire fubfifter
Tes troupes, étoit fur le point d’abandonner l’Italie.
Mêla Sala, général des Sarrafins, ayant occupé
•les paffages par où l’armée de faint Louis, roi de
France, pouvoit recevoir des fecours de vivres,
caufâ parmi les troupes chrétiennes une fl grande
famine, qu’elle fut fuivie. de la pefte, qui ht périr
beaucoup de monde, & obligea le relie de cette
malheureufe armée de fe retirer vers Damiète.
Melec l’attaqua dans fa retraite , il la battit, &
fit prifonnier faint Louis & fes deux frères, Charles
6c Adolphe.
Le prince Charles de Lorraine commandoit fur
le Rhin, en 1676, les troupes de l’empereur,
qui avoit promis de le foutenir jufqu’à ce qu’il
l’eût mis en poffeffion d.es pays que la France
avoit pris fur Charles IV fon onde. Dans cette
efpérance , le prince s’avançà vers l’armée impé- -
riale jufqu’à Mouflon, portant poùr devife dans
leurs drapeaux : maintenant ou jamais ; mais le .
maréchal de Créqui, en coupant feulement les
vivres & les convois au prince, l’obligea de fe
tetiret; fans avoir fait cette campagne aucune
opération importante.
Paul. Vitelli, général des troupes de Florence ,
détruifit p e u - à -p e u l’armée Vénitienne, commandée
par Charles des Urfins, en lui rendant
les vivres difficiles , ce -qui le força enfin d’abandonner
le pays.
$}es moyens de fe délivrer des troupes de voleurs,
qui prennent le nom de partifans.
Il y a dés états qui ont toujours le» mêmes
frontières , parce que le nombre des places extrêmement
fortes, la difette d’eau & des fourrages
dans les environs, & le mauvais air, ne permet
pas aux armées d’y camper plufieurs jours , &
par conféquent d’y faire des conquêtes, qui d’ailleurs
feroient peu utiles, à 'caufe de la pauvreté
du pays. Par ces confidérations, ni l’un ni l’autre
des deux princes ne porte le gros de fes armes de
ce côté-là ; mais les garnifons des places font des
incurfions pour enlever des troupeaux ou faire
des prifonniers.
Afin de vous défendre contre ces hoftilités,
conftruifez, fur les rochers ou les poftes forts de
cette frontière, des tours, dont chacune pourra
découvrir celles de fa droite & de fa gauche. On
fe fervira, pour monter à la tour, d’une échelle
qu’on retirera par dedans, afin que trois ou quatre
hommes, qui auront des vivres, des grenades, de
la poudre & des balles, foient en fureté contre tout
parti ennemi qui n’aura pas d’artillerie , ou qui ne
peut pas s’arrêter pour miner la tour. Pour éviter
que les ennemis ne réuffiffent à miner ces tours,
il feroit bon qu’il y eût en-dedans quelques groffes
pierres, afin de rompre les planches dont le mineur
fe ferviroit pour fe couvrir. Ce feroit encore
mieux de fe prémunir de quelques bombes , qu’on
defcendroit avec une corde, après y avoir mis le
fou, afin de les faire crever à côté de ces planches.
Lorfque la garde de quelqu’une des tours voit
ou apprend par les paffants qu’il y a des partis
des ennemis en campagne, elle fait un lignai qui
eft répété focceffivement par les autres. Ces fignaux
doivent être différents , afin- de défigner vers quel
côté marche les ennemis, & le nombre des hommes
dont le parti eft compofé, en les comptant & les
diftinguant par cinquante ou par cent. De cette
manière, l’avis fe répandra en peu de moments de
l ’un & l’autre côté dans touts les quartiers & dans
toutes les places qui doivent veiller à la fureté du
pays. Quand les habitants font affeélionnés , ils
gardent eux-mêmes les tours ; mais fi leur fidélité
eft fufpeéle , on les fait bâtir à leurs dépens ,
oc on y met une garnifon d’infanterie.
S’il y a quelques tours qui, à caufe des montagnes
& des bois, ne foient pas allez hautes pour
qu’on puiffe découvrir des uns aux autres les fignaux
qu’on fait avec des fumées ou avec des flambeaux,
il doit y avoir des fufées volantes, qui, tirées du
haut des tours , s’élèveront allez pour être vues.
Le nombre des flambeaux & des fufées, & les
intervalles des uns aux autres, diftingueront les differents
avis, qu’on donne ordinairement auffi avec
de petits canons , ou,avec des pierriers qu’il y a
dans ces tours, & qui fervent pour favorifer un
parti de cavalerie qui vient fe mettre à l’abri de
! ces tours, lorfqu’il eft chargé par un parti ennemi
fupérieur. Il feroit cependant beaucoup mieux ,
| en ce cas, qu’il y eût au pied des tours une petite
enceinte de murailles avec des embrafures.
> , Ces tours, tout le long de la frontière, rendent
j en Portugal les incurfions extrêmement difficiles ,
parce qu’en demi-heure de temps l’avis parvient à
plufieurs places. Dans une grande partie de la
côte de Catalogne, de Siléfie, de Sardaigne, &
de quelques-autres provinces de la Méditerranée ,
! iJ y a des tours le long de la mer, pour donner
j l’alarme lorfque les Maures ou autres ennemis débarquent
derrière' quelque petite île ou quelque
cap.
Si les fignaux dont nous venons de parler ne
fuffifent pas pour avertir affez clairement de tout »
[ ce qui fe paffe,ilvy aura au pied de chaque tour,
deux cavaliers , dragons ou payfans à cheval, qui,
par des fentiers cachés, ou par où il eft difficile
de rencontrer les.ennemis, iront à grands pas por-
I ter aux places la nouvelle qu’il importe de leur
faire fçavoir. Ænée, dans fon Commentaire Poliorc*-
j tique, propofe la même chofe, en traitant des fenti-
[ nelles qu’il veut qu’on mette de jour for les hauteurs,
afin qu’elles découvrent de fort loin toute!
j troupe des ennemis qui viendroit pour forprendre
la place ou pour commettre quelque auire dé-
fordre.
Il faut changer fort fouvent les fignaux des
tours | parce, que les ennemis , qui auront obfervé
ce qu’ils fignifient ^ vous donneroient, continuelle-
ment defauffes alarmes, en vous envoyant des
petits partis, qui feroient auprès de ces tours les
mêmes fignaux, ou parce que les ennemis, en
entrant effeélivement avec un détachement dans
votre pays, pourroient faire des fignaux contraires,
& donner, à entendre des chofes entièrement différentes
cfo "celles dont la garnifon de la tour
youdroit inftruire par .ces fignaux. Faites attention
a l’exemple qui fuit.
Les Lacédémonien?, affiégeant Platée, firent des
feux qui fignifioient qu’ils demandçient aux Thé-
bains du fecours contre une fortie de la place. Les
Platéens élevèrent peu après d’autres feux qui mar-
quoient que ce fecours n’étoit pas néceffaire. Les
Thébains ajoutèrent foi à ces derniers fignaux ,
du moins, dans le doute où ces fignaux contraires
les avoient jettes , ils ne vinrent point au fecours
des Thébains.
Vous me direz fans doute que les partis ennemis
pourront en filence , pendant la nuit, paffer entre
les tours. Je réponds qu’il ne fera pas toujours en
leur pouvoir de mefurer le temps fi jufte,'que
dans la diftance qu’on découvre de ces tours
on ne puiffe appercevoir le parti, ou du moins
quelques-uns des foldars qui fe feront avancés,
ou qui feront demeurés un peu en arrière. D ’ailleurs
j les dragons ou les cavaliers que j’ai pro-
pofé de mettre au pied de ces tours , peuvent
aller en patrouille d’une tour à l ’autre ; il s'échappe