
troupes vivant de l’herbe des campagnes arrivent
aux déferts fabloneux,, & font forcées de, recourir
à un aliment pjlus affr,eux que la famine. Elles
fedécimèrent, & .jcliaque dixième ,fur qui le fort
tomba, ferait de nourriture aux autres. Il falloit
à la démence ..du defpote ce remède horrible : il
la calma fans la guérir.
Cambyle revenu à Thèbes livra au pillage touts
les; temples. Les plus fuperbes produélions de l’in*
duftrie Egyptienne , les précieux monuments des
arts que ces édifices confervoient,Te. fameux cercle'
d’or qui èntouroit le tombeau d’Ofymandion , 8c
fur lequel touts les mouvements des affres étoiènt
repréfentés, furent détruits par ce barbare.
Il defcendit à Memphis & y congédia fes troupes
Grecques. Elles étoient reliées en Egypte pendant
fa malheureufe expédition. Les habitants célébraient
la fêté de leur dieu Apis. Tout le peuple,
revêtu de fes plus riches habits, fe livroit au plai-
firque lui’ infpiroit le retour de l’être dont il atten-
doit fon bonheur. La joie publique ralluma toute
la fureur du 'monarque. Il imagina que la honte
qu’il venoit d’éprouver en étoit la caufe. Les principaux
de la ville interrogés lui répondirent que,
lorfque leur dieu paroiffoit parmi eux , ce qui étoit"
rare, ils fe livroient à la joie. Cambyfe répondit .
qu’ils mentoient, 8c ordonna qu’on les mît à mort.
I l fit venir les prêtres , 8c recevant d’eux la même
réponfe , il voulut voir cç Dieu de Memphis.
Furieux à la vue du taureau qu’on lui amenà, il
tira fon épée , bleffa l’animal à la cuiffe, condamna
les prêtres au fouet, 8c fit tuer touts les Egyptiens
qui furent trouvés célébrant la fête d’Apis.
Les .Egyptiens prétendoient qu’il étoit aufîï - tôt
tombé en démence. Mais fes aélions prouvoient
allez qu’elle avoit commencé plutôt , Ô£ la mort
feule y put mettre un terme.
Darius, fils d’Hyflafpe, celui qui avoit fervi avec
Çyrus , étoit fur le trône, lorfque les Babyloniens
fe révoltèrent. Ils y furent excités par le poids
des tributs, par la jaloufie que leur caufa le liège
de l’empire transféré à Sufe , 8c par les troubles
qui agitèrent quelque temps la Perfe. Mais ne
pouvant oppofer une arniée à Darius , ils fe bornèrent
à la défenfe de leurs murs , réfolution qui
prouvoit leur foiblefTe 8c leur imprudence. On
he doit pas entreprendre une guerre fans alliés,
fans armée , 8c fans général,
Leurs préparatifs, furent commencés par une
exécution barbare. Pour diminuer la confpmma-
$ion des viyres , chacun d?eux fe çhoifit une femme
parmi fes fiennes, 8c une efclave pour la fervir :
toutes les autres furent étranglées. Darius parut
„devant la ville avec une armée norpbreufe , 8c
çn forma l’enceinte. Il employa pour II: réduire
toutes les relfources que l’art des fièges, put lui
fournir, toutes les machines , toufs les ftratagêmes,
8c même celui dont Çyrus avoit fait un heureux
^fage, Mais les afliégés fe gardoient avec vigilance ;
8c le fiège fut continué pendant dix-neuf mois fan§
aucuns fuccès.
Un des grands de Perfe, nommé Zopyre, alla
fe préfenter aux chefs des Babyloniens , le nez
coupé, les oreilles déchirées, le vifage 8c le corps
couvert de fang 8c de bleffures. Il leur dit que
c ’étoit Darius qui l’avoit mis dans ce malheureux
état, parce qu’il lui confeilloît de lever le fiège »
qu’il ne relpiroit que haine 8c vengeance, 8c qu’il
venoit implorer auprès d’eux les moyens d’affouvir
fon reffentiment. Les Babyloniens prirent part à
l’indignation 8c à l’infortune d’un homme de ce
rang. Ils lui confièrent d’abord le commandement
de quelques troupes. Darius envoya quelques
jours après un détachement de mille hommes vers
la porte de Sémiramis. Zopyre fortit, les enveloppa,
8c ils furent touts maffacrés. Cette aélion
augmenta la confiance qu’on lui témoignoit. Il fit
fubir enluite le même fort à deux mille Perfes,
puis à quatre mille. Ces trois fuccès lui concilièrent
la faveur publique. Il fut déclaré chef des
troupes, 8c commis à la garde de la ville.
Peu de temps après, Darius fit donner uq affaut
général, 8c chargea les Perfes d’attaquer la porte
Ciffienne 8c celle de Belus. Les'Babyloniens coururent
à la défenfe de leurs murs : mais tandis qu’ils
s’occupoient à repouffer les affiégeants, Zopyre
ouvrit lçs portes aux Perfes..C’étoit lui qui, fatigué
de la durée du fiège, avoit imaginé.ce ftratagème.
Il étoit difficile qu’on le foypçonnât de s’être ainft
mutilé par attachement pour fon roi. Tout s’étoit
fait de concert avec Darius, 8c les troupes facrifiées
étoient les moindres de fon armée.
La reconnoiffance du prince égala le fervice de
‘Zopyre. Celui-ci eut Babylone pour le refte de
fa v ie , fans aucune rétribution. Il reçut de plus,
chaque année ,les préfents regardés en Perfe comme
les plus honorables. Mais ce qui touche une grande
ame infiniment plus que l’or 8c les préfents, ce
fpt le fentiment v if 8c profond que fon prince
çonferva de fon aélion généreufe, 8c de l’attachement
qu’il lui avoit montré. Darius répétoit fouvent
qu’il aimeroit mieux voir Zopyre , tel qu’il étoit
autrefois, 8c non défiguré, que d’acquérir vingt
autres Babylones.
Après cette conquête, il forma le projet d’attaquer
les Scythes, pour les punir, difoit-il, de leur
invafion dans l’Aiie , mais en effet pour étendre fa
domination. Son frère Artabane lui repréfenta
en vain les dangers de cette expédition, contre
une nation courageufe 8c pauvre. Darius raffembla
une armée de fept cents mille hommes, équipa
une flotte de fix çents vaiffeaux, marcha au Bof*
phore de Thraçe, fur lequel il avoit fait jetter
un pont de bateaux par Mandrocle de Samos. ,
entre Byzance 8c le temple de Jupiter. Parvenu
à l’Hellelpontj il ordonna aux Grecs, qui mon-
toient fa flotte, d’aller à l’embouchure de lifte r ,
de jetter un pont fur cette rivière, 8c de l’y pfe»
tendre. Enfuit« il travçrfa le Bofphore, entra dans
ïa Thrace, paffa le Téare, 8c y fit élever un cippe,
dont l’infcription atteftoit la bonté des eaux du
fleuve : mais ce monument atteftoit encore plus
la vanité du monarque. Il s’y difoit le plus beau
des hommes, 8c le roi de tout Je continent. La
plupart des peuples du pays fe fournirent à lin.
Les Gètes réfiftèrent, 8c furent réduits en fer-
yitude.
L’armée Perfane arriva fur l’Ifter, au pont que
les Ioniens avoient jette, près de fon embouchure.
Le roi fit affembler leurs chefs, 8c leur remit une
courroie qui avoit foixante noeuds, leur donna
ordre d’en défaire un touts les jours, 8c, s’il n’étoit
pas revenu avant qu’ils fuffent au dernier , de
mettre à la voile pour leur pays. Ce prince, enorgueilli
de fa puiffance, 8c d’une fortune toujours
heüreufe, croyoit pouvoir difpofer du temps, des
régions, des climats, 8c des peuples. Il connoiffoit
peu les nations qu’il attaquoit, encore moins leur
pays, 8c il déterminoit déjà le temps de fa con-
. quête.
Les Scythes ne fe croyant point allez forts pour
s’oppofer feuls aux Perfes, demandèrent des fe-
cours aux peuples voifinsï Les Gelons, les Budins,
& les Sauromates en promirent : mais les Taures ,
les Melanchlenes, les Neures, 8c les Agathyrfes,
repondirent que n’ayant eu aucune part aux in-
,Vafions des Scythes en Afié, ils n’en prendroient
point à une guerre qui en étoit la fuite.
Deftitués d’une partie du fecours qu’ils efpé-
roient, les Scythes fe réfolurent au genre de défenfe
, qui, dans toutes les circonftances, leur étoit
le plus avantageux. Us comblèrent les puits 8c les
fontaines, fe divisèrent en deux corps pour con-
fommer les fourrages, convinrent que les Sauromates
fe retireraient vers le Tanaïs, le long du
Palus Moeotide , 8c que s’ils tournoient d’un autre
cô té , les Sauromates les pourfuivroient fans livrer ,
de bataille. C ’étoit en effet ce qu’ils dévoient
éviter, inférieurs comme ils l’étoient en nombre
& en connoiffance de l’art de la guerre; 8c ce
qu ils pouvoient faire poux détruire leurs ennemis,
c’etoit de les renfermer entre deux armées , au
milieu d’un pays ftérile, fans eaux, fans vivres,
& fans fourrages.
Ces difpofitions étant convenues pour ce lieu
de la Scythie, ou règnoit Scopafis, ils s’occupèrent I
de régler ce qui regardoit les deux autres. Inda- *
thyrfe & Taxakis, qui en étoient rois, fe réunirent
aux Gelons 8c aux Budins. Ils convinrent de 1e
retirer devant l’ennemi, en ne le devançant
jamais que d’une journée, 8c de l’attirer fur les
terres de ceux qui avoient refufé d’entrer dans l’alliance
, afin de les rendre malgré eux ennemis des
Perfes. Lorfqu’ils l’y auraient conduit, ils dévoient
revenir fur leurs propres terres.
Une précaution manquoit encore à ces préparatifs
: elle ne fut point oubliée. Pour fe débar-
raffer d’une fuite inutile, ÔC pouvoir fe retirer ou
pourfuivre avec légèreté; ils ordonnèrent que les
<4rt militaire, Tçme IL
i «harriots qui portoient leurs familles, 8c les trou-*
peaux qui n’etoient pas néceffaires, fe retiraffent
toujours vers le nord, autant qu’il en feroit befoin.
En même temps l’élite de leur cavalerie fut envoyée
vers l’Ifter, pour avoir des nouvelles de
l’ennemi.
Dès que les Scythes apprirent que Darius étoit
à trois journées au-delà du fleuve, 8c feulement à
une journée de leur camp, ils ravagèrent le pays.
Les Perfes, voyant la cavalerie Scythe, fe hâtèrent
de la fuivre. Elle fe retira, ainfi que l’armée, qui,
marchant toujours en retraite vers le Tanaïs, paffa
cette rivière, parcourut le pays des Sauromates,
8c parvint à celui des Budins, toujours fui vie par
les ennemis qui ne purent faire aucun dommage
à ces deux régions déjà dévaftées. Dans celle des
Budins, ils ne trouvèrent que des villes défertes,
entourées de murs de bois qu’ils brûlèrent. Et continuant
de marcher vers l’orient , ils ne virent
bientôt que des déferts.
Ici Darius campa für l’Oare, 8c fit commencer
huit villes ou grandes fortereffes, diftantes entre
elles de foixante ftades ou un peu plus de deux
lieues. C ’étoit peut-être à deffein d’y féjourner,
8c de contenir les Scythes hors de leur pays. Mais
apprenant qu’ils étoient revenus en Scythie par les
régions fupérieures, il abandonna fes ouvrages 8c
fe remit à leur pourfuite.
Les Scythes marchant devant eux, à une journée
de chemin, les attirèrent dans le pays des Melanchlenes,
des Neures 8c des Androphages, qu’eux
8c les Perfes ravagèrent ; 8c ces peuples s’enfuirent
plus haut, vers le nord. Mais les Agathyrfes leur
refusèrent l’entrée de leurs terres, & voyant
l’armée Scythe près de leurs frontières, lui firent
annoncer que fi elle la paffoit, ce feroit contre eux
qu'elle auroit à livrer le premier combat. Cetté
armée repaffa donc de la Neuride en Scythie, où
les Perfes la fuivirent ; 8c les Agathyrfes ne craignant
plus que les Neures 8c leurs voifins fuffent
pourfuivis, leur accordèrent un libre paffage.
Enfin Darius, las de pourfuivre, fit propofer
àlndathyrfe de s’arrêter, foit pour combattre, foit
pour fe reconnoître vaincu, 8c lui offrir la terre 8c
l’eau comme à fon maître. Indathyrfe répondit que
fes peuples ne fuyoient pas ; qu’ils paffoient d’un
lieu à l’autre comme ils avoient coutume de faire
en temps de paix ; qu’ils ne pofsèdoient ni villes ni
champs cultivés, 8c que le feul objet qu’ils pour-
roient défendre étoient les tombeaux de leurs ancêtres
; que fi les Perfes les ayant trouvés, ten-
toient de les violer , ils verroient alors fi les Scythes
vouloient combattre ; mais que jufques-là ils ne
combattroient pas fans caufe. Quant à l ’empire,
ajouta-t-il, je ne reconnois pour ancêtres 8c pour
maîtres que Dis 8c V e fta , Dieux des Scythes.
Quant au préfent de la terre 8c d$ l’eau que tu
demandes, je t’enverrai au lieu d’eux les dons qui
te conviennent ; 8c pour le titre de maître que tu
affeétes, il te coûtera du repentir 8c des larmes.