porterai à ce fujet ce que .dit un auteur de nos
jours dans un ouvrage rempli d’idées, qui n’a pas
plu a tout le monde , mais dont on peut choifir
ce qui eft applaudi généralement fans prendre de
parti fur le refte. On ne peut, fans étonnement,
çit 1 auteur, confidérer la conduite de la plupart
aes nations qui chargent tant de gens de la régie
oe leurs finances , oc n’en nomment aucuns pour
Veiller à l’adminiftration des honneurs. Quoi de
plus utile cependant que -la difcuflîon févère du
mente de ceux qu’on élève aux dignités ? Pourquoi
chaque nation n’auroit-elle pas un tribunal
q u i, par un examen profond & public , l’affurât
de la realite des talents qu’elle récompenfe ? Quel
prix un pareil examen ne mettroit-il pas aux honneurs
? Quel defir de les mériter ? Quel chancre-
ment heureux ce defir n’occafionneroit-il pas dans
I éducation publique .^ Changement duquel dépend
peut-etre toute la différence qu’on remarque entre
les peuples.
C ’efl une règle générale que les grandes récom-
penfes dans une monarchie & dans une république ,
font un figne de leur décadence , parce qu’elles
prouvent que leurs principes font corrompus;
q u e , d un côté , Tidée de l’honneur n’y a plus
tant de force; q u e , de l’autre., la qualité de citoyen
s’eft affoiblie.
Les plus mauvais empereurs Romains ont été
ceux qui ont le plus donné ; les meilleurs ont été
économes. Sous les bons empereurs , l’état repre-
noit fes principes : le tréfor de l’honneur fuppléoit
aux autres tréfôrs.
Partout ce que j’ai rapporté fur la difcipline,
il paroît que les anciens étoient plus riches & en
même temps plus économes que nous dans la
difpenfation des moyens de l’entretenir. Et f i , ,
d’un coté, l’hiffoire nous montre les fuccès qui ont
fuivi l’exaéritude à l’obferver, elle nous exppfe
avec autant de foin que fon affoibliflement eft
.1 epoque ordinaire de là deftruétion des empires,
parce qu’indépendamment. des caufes que nous
avons citees ci-deflus , il en eft d’autres encore
qui en font le poifon mortel, je veux dire le luxé
& la moleffe qui entraînent toujours l’afTerviftè-
ment & la baffefîe de la nation.
Platon, nous dit que ce fut le bas afferviffement
lefclavage des ferfs qui furent caufë de la
tuinë de leur empire. En effet, ce qui conferve
les états , & fait remporter des viéioires, ce n’eft
point le nombre , mais la force & le courage des
armées ; félon la brillante penfée d’Homère , du
jour qu’un homme a perdu fa liberté, il a perdu
la moitié de fon ancienne vertu.
II ne s’intéreffe plus au bien de l’état qu’il regarde
comme étranger ; & , perdant les principaux
motifs qui pouvoient l’y attacher, il devient indifférent
au fuccès des affaires publiques. On peut
<î:re que te règne de Cyrus fut te règne de la li--
berté ; il n’agifToit point en maître , & ne croyait
pas. qu’une autorité defpotiqua fût digne d’un ro i,
ni quil fut fort glorieux de ne commander qu’à
des efclaves, Sa tente, toujours ouverte laifl'ofo
une entrée libre à quiconque vouloit lui parler';
il fe montroit , fe communiquoit , fê rendôit
affable & acceffible à touts ; écoutoit tes plaintes,
connoifleit par lui - même , & récompenfoit le
mérité.
Trente mille hommes libres 'valent cent fois
mieux que des millions d’efclaves , tels que devinrent
depuis ces mêmes Perfes ; on 1e fent bien
dans une aéfiôn & dans une journée décifive*,
oc le prince encore plus que les autres. Ce fut
la hauteur des princes chez eux qui acheva leiîr
ruine. Les rois ne commandoient qu’avec menaces ;
les fujets ne marchoient 8c n’obéiffoient qu’ave-c
peine & répugnance. Que pouvoit-on attendre
d hommes abattus & réduits à une baffe fervitude ,
qui eft une efpèce\de prifon , où l’ame décroît Qc
le rapetiffe en quelque forte ?
Le manque de bonne foi fut encore un des
fujets du renverfement des Perfes ; les Rois-, dît
Xénophon , avoient une idée jufté de la royauté ,
& ils penfoient avec raifon que , fi la vérité 8c
la probité étoient bannies du refte de la terre',
elles devroient trouver un afyle dans le coeur d’un
roi qui, étant le lieu & le centre de la fociëté ,
doit être aüfti le protecteur & le vengeur de la
bonne foi qui en eft le fondement ; mais ces qualités
ne durèrent pas longtemps. - • 1
Au furplus, tous ces vices' dans un état font
toujours fondés fur le luxe porté à l’excès , qui
corrompt enfuitë.
C eft donc au légiflàteur habile à prévenir par
la fageffe de fes conftitutions les caufes deftruc*
tives , que femblent porter avec foi touts les
établiffements humains. Que ce foit la gloire
qui enchaîne les hommes, & non pas la terreur.
Que la difcipline élève l’ame par l’éclat des'récompenfes
& des rangs au lieu de l’abattre-pat
1 ignominie des menaces. Une nation généreufe
ne> verra jamais qu’avec uif dégoût qui ne peut
qu abattre les facultés , cette odieufe përfpe&îve
des fupplices dont te recueil des loix de la difet-
pline lui p.réfentera fans ceffe le tableau ; au lieu
que la valeur femble s-’accroître par la vue , quoi
qu’éloignée des objets qui flattent les deftrs, ex-,
citent le mérite , & enflamment l’émulation.
Il paroît que François, Ier étoit perfuadé de.
l’effet de ce fentiment fur les* hommes. Comme
ce prince forma fes légions fur l’idée de l’ancienne
milice Romaine , ce fut fur le . même • modèle
qu il établit que , fi un foldat fe diftinguoit par
quelque belle a&ion , fon capitaine devoit lui
donner un anneau d’or , que le feldat avoit droit
de porter au doigt ; & fi , en montant de degré
en degré , il parvenôit jufqu’à être lieutenant .,;
de-là il fut cenfé être annobli.
Nous avons vu dans Polybe & les autres auteurs
de l’hiftoire Romaine , que jamais un foldat
ne fe fi-gnaloit par , quelque a&ion éclatante
qu’on lui donnât quelque marqué d’honneur qu’il
gardoit précieufement dans fa famille, & avec
laquelle il afliftoit aux jeux publics ; mais je n’ai
pas remarqué dans notre hiftoire que l’ordonnance
de François Ier ait été fouvent mife à
exécution pour l’anneau d’or. On en voit un
exemple environ deux ans après que l’ordonnance
eut été publiée : ce fut l’an 1536 , où l’amiral
Chabot fit donner en préfence de tout le monde,
un anneau d’or à un légionnaire qui ,* en prcfence
de l’ennemi, avoit paffé-,à la nage la rivière de
la grande Doire pour aller prendre un bateau
qu’il amena fo.usùne grêle de coups d’arquebufe.
Il feroit bien defirabie" que nos ordonnances
continfient de pareilles promefles ; ce feroit une
oppofition confolante & agréable aux peines dont
elle eft remplie pour les délits. L’émulation feroit
, flattée. Quoique .les récompenfes ne manquent-
, affurërnent pas dans notre militaire , on ne peut
pas fe diffimulçr que c’eft bien plus -l’ufage , qui
n’eft qu’arbitraire, & non la lo i , qui récompenfe
fort; fouvent-, & que pat conféquent la brigue 6c
* la proteérion peuvent enlever au mérite le tribut
qui devroit lui appartenir ; ce qui ne peut que
le rendre languiffant.
De cè que la loi ne prononce pas fur les récom- ;
penfes comme fur les peines , il doit néceffaire-
ment arriver , i ° . que les grands foins arrachent
des mains du miniftre qui en eft le difpenfateur , !
par la naiffance , le crédit, la protedion 8c les
•intrigues; &c.
2,0. 'Que les grades militaires les plus diftingués
ne font accordés qu’à la claffe la plus qualifiée
de la nohleffe, à qui ils femblent comme‘dévolus
dès. la naiffance à l’exclufion des autres; & que,
quoiqu’il n’y ait pas d’empêchement pofitif qu’un ’
fimple gèntilhomme parvienne aux premiers em- )
plois , néanmoins l’ufage retient éternellement les
îubalternes.
3°. Q u e , par la difpenfation qui s’en fait lorf-
qu’on les attribue au crédit 8c au rang , à la
naiffance, & non au mérite fur lequel la loi ait
ftatué , ils ne font que^ piquer la cupidité fans
enflammer le defir de les mériter ; & femblent
moins faits pour récompenfer la vertu que pour
fatisfaire Favidité des gens puiffants & en faveur :
d’où il doit naturellement réfulter que les gens
diftingués par les dignités foient fouvent les moins
propres à les remplir.
- , •. Que lès objets de Fefpoir des officiers parr
ticuliers n’étant que fecondaires.^- leurs efforts
pour les obtenir , doivent être de même nature :
car. tout, eft relatif dans le monde : ce qui engourdit,
irrévocablement les facultés.
50. Que les difpenfateurs des grâces, perpétuellement
féduits par l’intrigue , font fouvent entraînes
a en diminuer la valeur par le choix des fujets,
fur lefquels ils font forcés de les répandre ; & f i ,
pour porter la nouvelle dè la reddition d’une
gaffine , je fuis plus honorablement récompenfe j.
j que celui q u i, ayant entré dedans 1e premier , a
effuyé mille coups auxquels il a été affez heureux
d’échaper , bu aimera mieux porter la nouvelle,
I que d’emporter bravement le pofte , il y aura
J moins de defir d’obtenir des récompenfes, & moins
I d’aéîions pour les mériter. On regardera moins
J comme honorable de les avoir obtenues , que
j douloureux d’en être privé , on attendra dans I le dégoût celles auxquelles l’ufage donne droit
de prétendre avec des années-, 8c l’on fe retirera
le lendemain.
| Ce que je dis des récompenfes honorifiques,
| peut s’appliquer auffi aux pécuniaires. Si l’économie
ne les difpenfe pas ; fi elles font moins le
, figne de la reconnoiffance de la nation envers un
fujet qui fe fera diftingué , qu’une marque de la
j bienveillance de l’homme en place qui a la clef
du tréfor ; fi la juftice n’établit pas la proportion
entre elles & les aérions dont elles feront le prix :
fi la vertu , toujours timide , n’obtient rien , parce
que l’intrigue, toujours audacieufe, fçait les moyens
de tout envahir ; fi , pour avoir eu peur d’une
contufion à la jambe, j’ai cent écus comme mon
camarade qui a perdu un bras : ces récompenfes
deviendront onéreufes à l’état fans ftimuler le
mérite, le dégoûteront au contraire , 8c ne feront
qu’allumer davantage dans les intriguants l’infatiable
defir dont ils font dévorés, de tout obtenir fans
les porter à rien mériter.”
Une difcipline qui manque de ces qualités, 8c
qui a ces défauts , doit le céder à celle des peuples
chez qui elle eft plus parfaite : il faudra que ceux-
ci l’emportent fur les autres dans la guerre ; ayant
des qualités plus folides pour mériter des fuccès,
il faut que des effets proportionnés s’enfuivent : à
la guerre comme en phyfique , les effets font proportionnels
aux caufes.
Mais le grand art dans' les récompenfes eft
qu’elles foient fenfiblement utiles à l’état qui les
donne , & ce que j'ai dit plus haut de l’ufage
des Athéniens de prendre foin des vieillards, des
veuves & des orphelins, font des exemples.que
fuivent aéhiellement quelques nations de l’Europe ,
& que toutes devroient fuivre à Ferivi. En effet,
de quelle intrépidité ne devroient point être tes
hommes qui ne conferveroient nulle inquiétude
fur des objets fi chers, en défendant leur patrie !
Quelle récompenfe touchante 1 Quelle fait honneur
à l’humanité ! Quel François refuferoit de
fouferire à une impofition auffi honorable ? De
quels heureux effets ne feroit-elle pas fuivie ?
Pourquoi faut-il que nous fermions les yeux fur
des intérêts auffi chers ? Pourquoi la France qui a
tant d’établiflements agréables , n’en a-1-elle pas
tenté un Suffi intéreffant ?
‘ Virgile nous donne fur cette charité , vraiment
faite pour donner les plus grandes idées - d’un
peuple chez qui on trouve une auffi fublime fen-
fibilité , un morceau bien touchant. Nifus &c
Euriale, jeunes héros, propofent d’aller furprendre