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pourvu de provifions de bouche & de guerre , ne )
fçauroit efpérer du fe cours.
Les eaux de la rivière de Cinca augmentèrent fi
fort dans l’hiver de 1707 , qu’elles entraînèrent
les ponts de Fraga & de Monçon , & 1 on ne
pouvoit plus paffer le bac d’Euna. Cette conjoncture
parut favorable aux Allemands , & ils fe
préparoient déjà: à inveftir le quartier de Graus ,
qui étoit entre, eux & cette riviere ; . mais ils
abandonnèrent enfuite ce projet , parce qu’ils
apprirent que l’officier Efpagnol qui commandoit
le quartier , avoit tiré de touts les lieux de la
contrée une groffe .quantité de vivres , dès qu’il
avoit vu que la Cinca commençoit à groffir, &
quelque temps, avant, il s’étoit pourvu des munitions
de.guerre,néceffaiçes. ,
Lorfque , pour la communication de vos quartiers
, il eft important de vous conferver le pàffage
libre d’une rivière , il faut fortifier & garder les
têtes des ponts de bois & les bacs , dont des
cables, qui trayerfent d’un, bord de la rivière à
l’autre , empêchent qu’ils ne foient entraînes par
le trop, rapide courant, des eaux; autrement les
partis ennemis ,1 ou même les payfans qui leur
1er oient .afieftionnes , mettroient une nuit le feu
à ces ponts, couperoient ces cables & brûleroient
ces bacs , pour vous ôter cette communication ,
&. vous empêcher dé fecourir un quartier qu’ils
ont deffein d’attaquer. ■
Quand les ennemis commencent à affembler
leurs troupes, à la fin de l’hiver , renforcez ou
faites retirer ceux de, vos quartiers qui peuvent
être expofés à un coup de main, parce qu il eft
à préfumer que le généràl ennemi, pour bien com mencer
la campagne , tâchera d’enlever quelqu’un
de vos quartiers , ou de porter fon armée au milieu
d’eux, afin d’empêçher la jonéfion de vos troupes ,
fur-tout fi, à la faveur d’une rivière ou d’un défilé,
les ennemis peuvent , avec peu de régiments, faire
tête à votre gros , pendant qu’avec leurs autres
troupes ils tiennent en échec ceux de vos quartiers
qu’ils ont coupés pour les forcer de fe rendre'.
Des gardes avancéesg
La conduite des gardes avancées ne regarde
pas directement le chef de l’armée ; elle dépend
des officiers des régiments, du major - général ,
des maréchaux-généraux des logis , & des officiers
de jour ou de garde de l’armée, qui prefcrivent
aux gardes avancées ce qu’elles ont à Faire , & qui
par leurs rondes les tiennent vigilantes. Néanmoins
, comme le premier chef fait auffi quelquefois
ces rondes, & que-d’ailleurs il ne doit pas
ignorer ;tout ce qui peut fervir à la fureté de ces
troupes, je dirai en peu de mots quelles font les
précautions les plus néceffaires qu’il faut prendre
par rapport aux gardes avancées , parce que c’eft
fur elles que fe repofent les armées du foin de
veiller à leur tranquillité, & de les garantir d’une
furprife.
La grande garde fe compofe ordinairement de
cinquante jufqu’à cent chevaux. On la porte fur
les avenues les plus dangereufes, à un quart ou
à une demi-lieue de l’armée. Quand il 1e rencontre
un peu plus loin, ou un peu plus près, un petit
pont, un gué ou un défilé , on y rqet la grande
garde , pour qu’il n’y ait pas à craindre que les
ennemis puiffent aifément la couper , parce qu’en
difputant aux ennemis la marche à la faveur de
cet étroit paffage qu’elle a de front, elle donne
plus de temps a l ’armée , depuis qu’on a fonne
l’alarme, pour être prête à recevoir les ënnemis.
Si. la grande garde doit moins fervir pour découvrir
que pour entretenir l’ennemi, on la forme
plus nombreufè qu’à l’ordinaire, & l’on la compofe
d’infanterie , quand toute fa retraite, jufqu’à
l’armée, eft par des bois, des ravins, ou par
une montagne efcarpée.
Lorfqu’à une diftance convenable de l’armée il
y a quelque tour , ou autre édifice , fort par fa
fituation , d’où l’on peut découvrir la campagne ,
on y met une garde fixe d’infanterie , & alors on
peut fe paffer d’une grande garde ; il fuffira de
joindre à celle d’infanterie un petit parti de
'cavalerie pour faire la patrouille la nuit , pour
aller reconnoître ce que de la tour on n’a pu
obferver que confufémënt pendant le jour , &
pour porter avec célérité à l’armée les avis convenables.
Pour moi, je voudrois au moins quatre grandes
gardes, une à chaque aile , une troifième vers le
front, & la quatrième vers l’arrière-garde , ' & je
prefcrirois que les batteurs d’eftrade de chacune
euffent à fe rencontrer avec ceux des deux plus
proches. Si l’armée étoit plus grande 9 j’augmen-
terois le nombre des grandes gardes de la tête &
de la queue. . -
Frachetta • donne pour confeil aux gardes
avancées, afin de fe garantir la nuit d’une furprùe,
d’allumer du feu dans un endroit, & de fe porter
dans un autre , parce que fi' les ennemis s’approchent
en croyant que la garde eft où ils voyent le
feu , vos fentinelles les appercevront à la faveur
de cette clarté. Onofàndre eft auffi de ce fenti-
ment ; ce qui fuppofe que la garde obferve un
grand filence. Elle pourroit auffi fe- porter la nuit
dans un endroit différent de celui ou il a etc
poffible aux ennemis & à leurs efpions de la découvrir
pendant le jour ; & fans, allumer du feu ,
1 il fuffira, pour fe garantir du froid, à moins qu’il ne
; foit extrême , de faire promener les hommeS«& les
: chèvaux. '
Xénophon veut qu’on change fouvent le pofte
de ces gardes & le nombre des foldats dont on
la compofe, afin que les ennemis les rencontrent
à l’improvifte dans les endroits où ils les foup-
çonnoient le moins , & qu’ils tombent ainfi dans
une groffe embufcade, lorfqu’iis ne fe font préparés
qu’à venir furprendre une petite garde»
Cette appréhenfion , félon Xénophon, fera que
lés petits détachements des ennemis noieront .
rien entreprendre contre vos gardes avancées.
11 feroit à propos de pofter votre garde avancée
dans quelque endroit où il n’y eût que peu d avenues
, par lefquelles les ënnemis puflent venir,
afin de les couvrir toutes par un petit nombre
de fentinelles , ou que depuis la garde au camp il
y eût plufieurs retraites, afin que.fi les ennemis
en occupent quelques-unes, la garde en puiffe
toujours prendre une autre.
La garde, qui fort du camp pour s’aller placer
dans un pofte àvancé, aura fes batteurs d’eftrade
vers le front & vers les flancs , & elle^ prendra
la langue des payfans, pour fçayoir s’ils n’auroient
point découvert quelque troupe des ennemis.
Lorfque la garde arrive au pofte de fa deftina-
tion , fi elle n’y en rencontre pas une autre , elle
aura foin de reconnoître touts les environs, pour
voir .s’il n’y auroit point quelque embufcade. Elle
fe tiendra à cheval, jufqu’à ce que les environs
ayent été reconnus, que les vedettes foient po-
fées, & qu’on ait détaché les batteurs d’eftraàe,
dont je parlerai bientôt. Les officiers, les maré-
chaux-des-logis &. les brigadiers, observeront avec
foin , de jour , tout le terrein voifin, afin de faire
la nuit, fans confufion, les patrouilles, les rondes ,
& touts lés autres mouvements néceffaires.
Jeme trouve pas qu’il y ait de l’inconvénient le
jour, dans un pays découyert, que les deux tiers
de la garde mettent pied à terre , que les chevaux
ayent leurs morceaux pour manger, & que les
officiers & les foldats dorment , en fe relevant
tour-à-tour. De cette maniéré, les. hommes & les
'chevaux pourront plus commodément fupporter
la fatigue de la nuit, pendant laquelle il ne fera
permis à aucun foldat ni officier de dormir ; la
moitié de la garde fe tiendra à cheval, & touts les
chevaux feront bridés.1
L’officier commandatit de la garde, dès qu’elle
fera remife dans le camp , reconnoîtra les chevaux,
les armes & les munitions, & fera changer
les hommes qù’il ne trouvera pas en état de faire
le fervice ; il aura enfuite attention que les foldats
couvrent leurs armes fous leurs cafques ou leurs
manteaux , lorfqu’il faudra les garantir de la pluie
& de la rofée.
Les officiers fubalternes , & les bas-officiers de
la garde, accompagnés de deux ou trois foldats,
feront, l’un après l’autre, continuellement la ronde,
pour voir fi les vedettes font vigilantes,.s’il n’y
en a point qui ak déferté , &. s’il ne fe paffe rien
de nouveau, dont il foit néceffaire de donner
avis.
Je voudrois, que la garde avancée eût deux
mots dé guet ; l’un different' de celui de l’armée
pour les vedettes & les batteurs d’eftrade , afin
que la garde les connoiffe & les reçoive , lorsqu'ils
fe retireront ; l’autre mot de güet fera le
même que celui de l’armée ; les officiers feuls
doivent le fçavoir, &. ils le donneront à un foldat
de confiance, s’ils le détachent pour porter un
avis important au général dé l’armee ; ce premier
mot de guet S’appelle muet, lorfque fans parole il
confifte feulement à mettre la main droite fur là
tête de l’homme ou du cheval, fur la botte,
fur la poitrine, &c. ce qui s’obferve de la forte,
afin que quelqu’un des ennemis, qui fe feroit approché
à la faveur de l’obfcurite, n entende pas le
mot de guet. O’eft une ancienne obfervation que
je trouve dans VArt militaire d’Onofandre dan-s
le Commentaire Poliorcetique d’Ænée le taéiicien.
On change ce mot de guet muet, dès qu’on
apprend qu’un foldat a déferté.
Lorfque l’officier de la grande garde verra qu’il
vient du côté de l’armée une troupe qui paroic
être la nouvelle garde, il fera monter a cheval
la fienne, & détachera fur - le - champ pour aller
reconnoître l’autre ; car prefque toutes les grandes
gardes, qui ont été furprifes, ne l’ont ete que
parce que les ennemis ont feint d’être une troupe
amie ; ainfi, ce n’eft pas affez qu’ils donnent le
mot de guet, dont ils pourroient avoir été inftruits
par quelque efpion ou par quelque perfonne de
votre armée , avec qui ils font d intelligence ,
comme je l’ai fait v oir en traitant des furprifes.
La première fentinelle fe met au corps - de-,
garde; elle ne laiffe approcher aucun homme le
jour, qu’elle ne le connoiffe pour etre de la garde,
& la nuit, qu’il n’ait fait halte , en attendant qu’un
maréchal - des - logis ou un brigadier de la garde
s’avance pour le reconnoître.
On pofe les autres vedettes à vue de touts les
chemins qui peuvent être acceffibies, tant à la
cavalerie qu’à l’infanterie, fans omettre d'en pointer
aux avenues du côté de votre armée , parce
que les ennemis, comme je viens de le dire,
pourroient prendre ces routes pouh venir fondre
fur la garde.
Dans un pays plat ,! où tout le terrein peut
fervir de chemin, il y aura tout-au-tour de la
garde des fentinelles ou vedettes , à une telle diftance
l’une de l’autre, que chacune puiffe voir
le jour de deux de ces côtés, & entendre la
nuit le bruit de toute perfonne qui marcheroit
contre elles. Dans les nuits, obfcures & orageuiës,
il ne faut laiffer qu’un peu d’efpace entre l’une 6c
l’autre vedette. Il faut avoir attention le jour de
placer les vedettes dans un pofte, d’où elles découvrent
un grand terrein, & où elles foient couvertes
| par quelques arbres ou par la brouffaille.
Il feroit bon que la fentinelle du corps-de-
garde pût voir les autres ou entendre leur coup
de fufil, afin d’avertir promptement lorfqu’elles
tirent.
On pofera les fentinelles doubles , fi le nombre
des foldats de la garde le permet, afin que l’une
continue à obferver , pendant que l’autre vient
donner avis à la gardé de ce que l’on commence à
découvrir de nouveau. Les fentinelles doubles fervent
encore pour éviter qu’un foldat ne déferte ,