
qu on voit avec plaifir régner parmi l’ennemi :
imitez en cela un jardinier habile, q u i, ayant
appris par 1 expérience que les fruits de certains
arbres tombent pourris avant de parvenir à une
parfaite maturité , les cueille dès qu’ils ont .pris
quelque couleur & ont celle d’être entièrement
yerds.
Saffi, colonel Allemand, & Fredage, général
Suédois, faifant le liège de Stockolm, avec les
troupes de Gufiave Yafa, en vinrent à de grandes
conteftations lut la prééminence du commandement.
Severin N o r v i, commandant des troupes
de Chriftierne I I , roi de Suède & de Danemarck,
1 ayant fçu , faillit cette occafion pour attaquer
d’abord le quartier de Fredage , & enfuite celui
de Safîi , qu’il défit l’un après l’autre , fans que
ces deux commandants, qui fe haïffoient, vou-
îuffent donner le moindre fecours.
On dit que mylord Peterborough tâchoit, à
quelque prix que ce fût , de faire rembarquer
les troupes dont l’archiduc fe fervoit alors pour
prendre Barcelone-, parce qu’il ne vouloit pas
que le prince' de Darmftat eût la gloire de cette
conquête ; mais dès. qu’il eût reçu la nouvelle que
le prince de Darmftat avoit été tué à l’affaut de
Mpntjoui, « prélentement, s’écria-t-il, on prendra
-Barcelone » ; & au lieu de penfer à la retraite ,
il nç fongea plus qu’à faire les efforts pour s’en
rendre maître.
■ -^es qu’Amilcar, général des Carthaginois, eût
appris que les troupes alliées de l’armée romaine
en Sicile s’étoient retirées, fur une. conteftation
-fur,venue, par rapport au pofte de l’avant-garde , il
attaqua les alliés de Rome 8c les défit*
Je ne prétends pas vous confeiller. de compter
B-fort fur la divifion des chefs des ennemis, que ,
dans cette unique confiance, vous alliez inveffir
leur armée, . fans avoir un nombre ' fuffifant de
troupes pour pouvoir faire au moins une honorable
retraite,.1'uppoié que vous ne profitiez pas,
autant que vous î ’efpériez , des diffentions des
ennemis , a moins que vous n’ayez ménagé auparavant
de bonnes ■ intelligences avec un de. leurs
partis. En traitant des furprifes., j’ai dit par quels
moyens on peut n’être pas trompé par rapport aux
intelligences.
Annibal ayant eu connoiffance de la délunion
qui règnoit entre Fabius Maximus 8c Marcus
Minutius , commandants de l’armée romaifte , ne
différa point de les attaquer ; il profita d’abord de
çetre conjoncture , qui pouvoit ceflèr, fi le fénat,
venant à être informé, avoit rappelle un de ces
deux chefs : mais la défunion de ces compétiteurs
»’empêcha pas Annibal de marcher en bon ordre
avec toute fon armée , qui étoit nombreufe &
aguerrie, & d’obferver toutes les précautions né-
eeffaires & accoutumées.
Deraclide , général des troupes de Sparte ,
apprenant les diffentions qui« étoient entre Phar-
«abare Ô4 Tyffapherne , , gouverneurs de J’Aft.O
po«r Artaxerce Mennon, v int, fans perdre de
temps, attaquer Pharnabare, & le défit, fans que
Tyffapherne lui donnât du fecours , comme il
auroit pu le faire ; mais Deraclide, qui étoit en
intelligence avec Tyffapherne, profita de l'inimitié
de ces deux commandants, avant qu’Artaxerce eût
pu les attaquer.
Des occafio'ns dans lefquelles il faut différer de profite?
des diffentions des ennemis.
Comme je m’étends au long fur cette matière,
en traitant des motifs de conjerver la paix ou de
| faire la guerre, il me refte peu ou prelque rien à
y ajouter. Je dois feulement appliquer, au cas des
diffentions civiles des ennemis,,les avis que je
donne à celui qui eft attentif à ce qui fe paffe
dans la guerre que font deux princes infidèles ,
afin que , quand tout le pays ennemi fe trouve
en combuftion par les guerres civiles, & que par
conféquent le prince n’a pas un nombre fupérieur
de troupes pour pouvoir affujettir en peu de jours
le ‘parti qui lui eft oppofé , 8c qui fe croit allez
fort par lui-même pour ne pas fe preffer d’avoir
recours à une proteélion étrangère , vous foyez
alors fpeétateurs-tranqailles, pendant que les deux
partis s’afioibliffent réciproquement 8c fe mettent
hors d’état de réfifter , lorfque vous les attaquerez
enfuite, quand même ils s’uniroient contre vous
comme contre leur ennemi commun. T ont ce que
vous pouvez faire en attendant efVde fournir fe-
crétement, ou par main tierce , au parti le plus
foible, des fecours en vivres^, en argent, ea
armes ou en chevaux, de peur que la diffentioa
civile ne finît.trop tôt fi ce parti étoit abattu.
Les officiers de l’armée de Néron confeilloient
à Ve^p-afien leur général de profiter de la guerre
civile des Juifs pour faire le liège de Jéruialem.
Vefpafien leur répondit, que cette guerre civil«
étant bien allumée , il falloit donner le temps aux
partis qui la fomentoient de s’entre-détruire les
uns les autres, afin de trouver les forces des Juifs
diminuées quand on les attaqueroit, & qu’ils s’uniroient
d’abord contre les Romains , leurs ennemis
communs.. Tout arriva comme Vefpafien l’avoit
prévu. Les partis parmi les Juifs augmentèrent
à cet excès que, s’étant fortifiés en différents
quartiers de la v ille , ils faifoient des forties pour
ruiner réciproquement les fortifications , détruire
les vivres & s’entre-tuer les uns les autres, ce
qui leur caufa un très grand préjudice, lorfque
Titus, fils de Vefpafien , attaqua Jérufalem & la
prit,.- Cependant Titus eut à peine rfiis le fiège
devant cette place, que les trois partis de Jérufalem
, commandés par Eléafar, Jean & Simon,
s’unirent enfemble, par la crainte & l’horreur qu’ils
^voient des Romains, 8c n’agirent plus que de
concert contre Titus, faifant fuccéder à la guerre
civile une défenfe fi confiante, qu’il y périt quinze
cents mille perfoniles des afiïégés.
Tite-Live
' Tite-Live rapporte que l’exécution de la loi
'Agraria avoit excité de continuels troubles parmi
le peuple Romain , fans pouvoir être appaifés ,
jufqu’à ce que les Veïentias, les Samnites & les
autres ennemis des Romains parurent armés dans
le territoire de cette ville ; car alors les Romains
faifoient céder Jes difputes fur leurs intérêts particuliers
, pour fongér uniquement à leur défenfe
contre leurs ennemis communs.
François Sforce, duc de Milan, ayant deffein
d’affujettir Gènes fous fa domination, favorifo’it
tantôt l’un & tantôt l’autre des partis qui divifoient
alors cette république , lorfqu’ayant elle-même
aidé à diminuer fes forces, le duc jugea qu’il étoit
temps de fe déclarer, & aftifté de Jérôme Spinola
& de Paul Doria, il fe rendit à peu de frais maître
des Génois.
Je dirai dans la fuite de quelle manière on peut
profiter des foulèvements des troupes du fouverain
avec qui vous êtes aéluellement en guerre : en
fuppofant que votre prince ait fur le pays oh
vous portez la guerre plus de droit que le fouverain
ennemi qui s’en eft rendu maître, dont les
troupes ou les peuples ne fe croyent obligés à la
fidélité que par force , ou lorfque ce fouverain
ennemi eft un perfécuteur déclaré de notre religion
, c’eft feulement dans ces circonftances que
• je crois honnête &. permis de fomenter des fédi-
tions dans lés provinces ou dans les armées des
ennemis ; & fi je cite des exemples ou toutes ces
circonftances ne fe rencontrent pas, c’eft uniquement
pour prouver que par-là on a îéuffi, fans
vouloir confeiller d’imiter ce qui n’eft pas conforme
à la raifon 8c à la juftice.
Des précautions & mefures à prendre avant que de
commencer une guerre offenfive.
A.yant déjà parlé des occurrences où il eft à
propos d’entreprendre une guerre offenfive , de
celles où elle eft trop périlleufe , & de la manière
dont il faut profiter des troubles élevés dans le
pays ennemi, il refte à examiner encore une fois
comment il- faut commencer à fe conduire dans
toute guerre que l’on veut porter dans les états
étrangers , lorfqu’elle n’eft pas fondée fur des
intelligences avec les peuples ou avec les troupes
du prince ennemi ; & comme je traite ailleurs des
précautions a prendre par rapport aux alliances &
aux fecours , & des préparatifs nêcéffaïre's avant de'
commencer la guerre , je ne le rappellerai point ici.
J’ajoute feulement, que fi votre deffein eft de
porter la guerre dans un pays où il y a beaucoup
de rivierès navigables , vous devez prendre vos
mefures pour avoir dés vaiffeaux, des galères, des
brigantins, & autres bâtiments proportionnés au
fond des eaux de ces rivières , & en un plus grand
nombre que n’eft la flotte des ennemis fur ces
mêmes rivières. Par cet avantage , le tranfport
des vivres , des munitions & de l’artillerie fera
Art militaire, Tome II,
de moins dé dépenfe 8c moins périlleux, & le
paffage des ri.vicres plus facile, aulli bien que Ia-
conftruélion des ponts.
Ce fut par cette voie que le prince Eugène de
S avoy e, ce Mars de nos temps, dans la dernière
guerre contre les Turc s , fe rendit maître abfolu
du Danube , & qu’il tira de fi grands avantages
de fes vaiffeaux de guerre fur ce fleuve.
Dans rhiftoirè de Flandres , écrite par le cardinal
de Bentivoglio, on voit en combien d’entrè-
prifes les Efpagnols échouèrent, fur-tout pendant
que le cardinal André d’ Autriche avoit le gouvernement,
parce que les ennemis , s’étant rendus
maîtres des principales rivières, empêchoient, par
leur plus grand nombre de bâtiments armés, le
paffage & les convois de l’armée d’Efpagne.
Quelquefois les pluies continuelles ou les fontes
de neiges des montagnes voifines, font croître ft
fort les rivières, qu’on ne fçauroit plus les guéer,
ni y jetter des ponts : alors l’armée qui eft de
l’autre côté manque de vivres ; ce qui n’arriveroit
pas, s’il y avoit tout auprès-une flotte , où les
vaiffeaux 8c les gros bâtiments pourroient fe maintenir
à la faveur-de leurs ancres, & les chaloupes
& les autres bâtiments à rames pafferoient les vivres
nécefïaires , pour éviter que l’armée ne fouffrît de
misère , ou ne fût obligée de décamper.
L’empereur Henri 111 fe vit réduit, en Hongrie,
à une ft grande extrémité par lés pluies, que ne
pouvant faire un pas vers aucun côté pour recevoir
f es vivres, il fut contraint de demander la paix aux
Hongrois, dont peu auparavant il vouloit détruire
,.le royaume.
J’ai déjà donné quelques avis fur les réflexions à
fairè-avant que d’entreprendre une guerre offenfiv
e , par rapport à la fidélité des fujets de vptre
prince, & au génie d’un autre fouverain voifin.
Indépendamment de ces deux confidérations r
j’ajoute que vous ne devez pas vous éloigner pour
aller'faire une guerre offenfive ', fans laiffer dans-
vôtre pays les troupes néceffaires pour le mettre
à couvert des incurfions des ennemis qui vou-
droient tenter une diverfion, ou s’emparer de vos
états.
Don Ramire I I , roi de Léon, & don Sanche-
Abarca , roi de Navarre, fe" liguèrent pour conquérir
les terres que lès Maures poffédoient en
Efpagne ; mais une des. conditions du traité fut
que tandis que le roi de Navarre s’éloigneroit pour
cette conquête , le roi de Léon demeureroit avec
une autre armée pour la - défenfe des provinces
chrétiennes. Marpefia & Lampedo , réines des
Amazones , firent un pareil accord lorfqu’ellés
résolurent de quitter le voifinage du Thermodon ,
pour étendre leurs domaines par lès armes.
Le marquis Ambroife Spinola entrant en Frife
avec l’armée de l’archiduc Albert , laiffa en
Flandres , fous les ordres du comte Frédéric de
Bergh, affez de troupes pour s’oppofer à tout ce
que le comte 'Maurice de Naffau pourroit eiftre-
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