
dron, gefchwader ou reuter-fchaar, qui veut dire
bande de reiflres.
Le nombre des hommes , celui des rangs & des
nies, ainfi que la forme qu’on fait donner aux efca-
drons, a varié de touts les temps, & n’eft point
encore déterminée ; l’efpèce de gens à cheval, la
quantité qu’on en a ; les occurences, & plus encore
l’opinion de ceux qui commandent', ont juf-
qu’à préfent fait la loi à cet égard.
Les deux plus anciens livres que nous ayons, l’un
faeré , & l’autre profane , ne nous difent rien de
l ’ordre dans lequel on faifoit fervir la cavalerie.
Moyfe nous apprend feulement qu’avant lui l’ufage
de monter à cheval étoit connu ; &. Homère ne nous
enfeigne rien de la manière dont les Grecs & les
Troyens fe fervoient de leur cavalerie dans la guerre
qu’ils eurent enfemble. Voye^ Eq u it a t io n . Ainfi
nous parlerons de celle des temps moins reculés ,
comme on fe l’eft propofé par le renvoi du mot cavalerie
à celui à’efcadron : & après avoir dit quelque
chofe de fon utilité , de fes fervices , des fuccès
qu’elle a procurés -, & c . on expliquera les différentes
formes qu’on a données à la cavalerie, comprife
fpus lè nom d’efcadron.
Les plus grands capitaines ont toujours fait un
cas particulier de la cavalerie ; les fervices qu’ils en
ont tirés , le grand nombre de fuccès décififs , dus
principalement à ce corps dans les occafions les plus
importantes dont l’hiftoire ancienne & moderne
nous a tranfmis le détail ; enfin le témoignage unanime
des auteurs que nous regardons comme nos
maîtres dans l’art de la guerre , font autant de
preuvesindubitables que la cavalerie eft non-feulement
utile, mais d’une nécefïité abfolue dans les
armées.
Polybe attribue formellement les viâoires remportées
par les Carthaginois à Cannes & fur les
bords du Tefîin , celles delaTrébie & du lac de
Thrafymène , à la fupériorité de leur cavalerie.
« Les Carthaginois, dit - i l , ( liv. 111. ch. xxiv. )
eurent la principale obligation de cette vi&oire ,
aufîi-bien que des précédentes , à leur cavalerie,
& , par-là , donnèrent à touts les peuples qui dévoient
naître après eux , cette importante leçon ,
qu’il vaut beaucoup mieux être plus fort en cavalerie
que fon ennemi, même avec une infanterie moindre
de moitié, que d’avoir même nombre que lui de
cavaliers & de fantaflins. ».
La réputation dont jouit Polybe depuis près de
vingt fiècles, d’être l’écrivain le plusconfommé dans
toutes les parties de la guerre, femble mettre fon
opinion hors de doute ; il n’a d’ailleurs écrit que ce
qui s’eft pâlie pour ainfi dire fous fes y e u x , & il a
pour garants de fon précepte touts les faits dont fon
hiftoire eft remplie,les vi&oires d’Annibal aufti-bien
. que fa défaite à Zama, & l’on peut regarder la fécondé
guerre punique, comme la véritable époque
de l’établiflement de la cavalerie-dans les armées ;
avant ce temps, les Grecs & les Romains en avoient
très peu, parce qu’ils en ignoroient l’ufage , &. que
d’ailleurs les Grecs n’eurent long temps à combattre
que les uns contre les autres , & dans des pays fté-
riles oh la cavalerie n’auroit pu trouver à fubfifter ,
& qui étoient coupés de montagnes impraticables
pour elle. La fameufe retrait© des dix mille n’eft pas
un exemple qui prouve que les Grecs fçuffent fe
paffer de cavalerie ; il n’y a qu’à les écouter, pour
s’affurer qu’ils étoient au contraire très convaincus
qu’elle leur auroit été d’un grand fecours : « les
Grecs, dit Xénophon, en parlant de cette retraite
dont il fut un des principaux chefs, s’affligeoient
beaucoup quand ils confidéroient que, faute de cavalerie,
la retraite leur devenoit impofîible au cas
qu’ils fuffent battus, & que, vainqueurs, ils ne pou-
voient ni pourfuivre les ennemis, ni profiter de la
viâoire ; au lieu que Tiffapherne , ôt les autres
généraux qu’ils avoient à combattre, metjoient facilement
leurs troupes en sûreté toutes les fois
qu’ils étoient repouflés. ». Ce paffage prouve bien
que fi les Grecs n’eurent pas de cavalerie dans les
temps de la guerre des Perfes , c’eft qu’ils n’avoient
pas les moyens d’en avoir. Les uns étoient pauvres ,
®ardoient la pauvreté comme une loi de l’état,
parce qu’elle étoit un rempart contre la moleffe &
contre touts les vices qu’introduit l’opulence, aufîi
dangereufe dans les petits états, qu’elle eft néceffairë
dansles grands. Les autres plus riches furent obligés
de tourner leurs principales vues du côté de la mer ,
& l’entretien de leur flotte abforboit les fonds militaires
, qui auroient pu fervir à fe procurer de la
cavalerie.
Les Grecs, une fois enrichis des dépouilles de la
Perfe, crurent ne devoir faire un meilleur ufage des
tréfors de leurs ennemis , qu’en augmentant leurs
armées de cavalerie. Ils en avoient à la bataille de
Leuâres, & celle desThébains contribua beaucoup
à la viâoire. On leur compte aufîi cinq mille chevaux
fur cinquante mille hommes à la bataifte de
Mantinée, & ce fut à fa cavalerie qu’Epaminondas
dut en grande pârtie laviâoire. C ’eft à fon utilfe prévoyance
que les Thébains durent chez eux ce fage
établiffement,qui doit être regardé comme l’époque
du rôle le plus brillant qu’ils ay ent joué fur la terre.
Ce général, le plus grand homme peut-être que la
Grèce ait produit , entendait trop bien l’art de la
guerre pour en négliger une partie aufîi effentielle.
Dès ce moment les Grecs ne fe tiennent plus fur la
défenfive; on les voit porter la guerre jufqu’aux extrémités
de l’Orient : deffein que jamais Alexandre
n’eût fans doute oféconcevoir, fifon armée n’àvoit
été compoféeqûe d’infanterie. On fait quelesThef-
faliens ayant imploré le fecours de Philippe contre
leurs tyrans , il les défit, & qu’il s’attacha par-là ce
peuple dont la cavalerie étoit alors la meilleure du
monde ; ce fut elle qui jointe à la phalange Macédonienne
, fit remporter tant de viâoires à Philippe &
à fon fils : c’eft cette cavalerie que Tite-Live appelle
Alexandri fortitudo. Quant aux'Romains , il eft encore
vrai que dans leur premier temps ils n’eurent
que très peu de cavalerie. L’hiftoire nous apprend
que Romulus n’avoit dans les armées les plus flo-
riffantes de fon règne , que mille chevaux fur qua-
rante-fix mille hommes de pied : ,ce qu’on en peut
conclure , c’eft que Romulus n’étoit pas fort riche ;
la dépenfe qu’il eût été obligé de faire pour s’en procurer
davantage & pour l’entretenir, auroit de beaucoup
excédé les forces , dans un temps fur-tout où
il avoit tant d’autres établiffements àfaire : d’ailleurs
les environs de Rome, le feul pays qu’il pofîédoit,
& ceux d’Italie en général, étoient peu propres pour
la guerre : enfin les premières guerres des Romains
furent contre leurs voifins qui, comme eux , n’é-'
toient pas en état de s’en fournir, & , dans ce cas ,
les chofes étoient égales de part & d’autre. Les
.conquêtes & les alliances que firent par la fuite les
Romains , leur donnèrent les moyens d’augmenter
leur cavalerie ; celle que les peuples , devenus fu-
jets ou alliés de Rome , entretenoient pour elle à
leurs dépens , étoit , en ce genre, la principale
forcé des armées Romaines : mais cette cavalerie
étoit mal armée. Les Romains ignorèrent longtemps
l’art de s’en fervir avec avantage ; & c’eft
cette inexpérience qu’on peut regarder comme le
principe de touts les malheurs qu’ils efîiiyèrent
dans les deux premières guerres puniques : dans la
première , Regulus eft entièrement défait par la
cavalerie Carthaginoife; & dans la fécondé, comme
on l’a déjà dit, Annibal bat les Romains dans toutes
les occafions. La cavalerie faifoit au moins le cinquième
de fes troupes ; aufîi Fabius n’eft pas plutôt
à la tête- des armées Romaines , qu’il prend le
fage parti d’éviter le combat : & que , pour n’avoir
rien à'fouffrir de la cavalerie Carthaginoife , il eft
obligé de ne plus conduire fes légions que fur le
pied des montagnes,
Les Carthaginois firent enfin fentir aux Romains
l’obligation d’être forts en cavalerie , ils le leur apprirent
à leurs dépens , & les Romains ne commencèrent
à refpirer que lorfque des corps entiers de cavalerie
Numide eurent paffé de leur côté : ces déferrions,
qui affoiblifloient d’autant l’ennemi, leur procurèrent
infenfiblementla fupériorité fur les Carthaginois.
Annibal obligé d’abandonner l’Italie pour
aller au fecours de Carthage , n’avoit plus cette
formidable cavalerie avec laquelle il avoit remporté
tant de viâoires : à ion arrivée en Afrique, il fut
joint par deux mille chevaux ;mais un pareil renfort
ne legaloitpas à beaucoup près à Scipion , dont la
cavalerie s’étoit augmentée par des recrues faites
dans l’Efpagne nouvellement conquife , & par la
jonâion de Mafîiniffa, roi des Numides , qui avoit
appris des Grecs à bien armer fa cavalerie , & à la
bien faire fervir : ce fut cette fupériorité qui, au rapport
de touts les hiftoriens , décida de la bataille de
Zama. « La cavalerie, dit M. de Montefquieu ( calife
de la grandeur & de la décadence des Romains ) ,
gagna la bataille & finit la guerre. ». Les Romains
triomphèrent en Afrique par les mêmes armes qui,
tant de fois, les avoient vaincus en Italie.
Les Parthes firent encore fentir aux Romains avec
quel avantage on combat un ennemi inférieur en cavalerie.
« La foîce des armées Romaines, dit l’auteur
ci - deffus cité , confiftoit dans l’infanterie la
plus ferme , la plus forte , & la mieux difciplinée
du monde ; les Parthes n’avoient pas d’infanterie ,
mais une cavalerie admirable ; ils combattoient de
loin & hors la portée des armes Romaines ; ils afîié-
geoient une armée plûtôt qu’ils ne la combattoient,
inutilement pourfuivis , parce que, chez eux, fuir,
c’étoit combattre : ainfi, ce qu’aucune nation n’avoit
pas encore fait (d ’éviter le joug) , celle, des
Parthes le fit, non comme invincible, mais comme
inacceflïble ». On peut dire plus , les Parthes firent
trembler les Romains ; & c’eft fans doute le péril où
cette puiffance rivale mit plus d’une fois leur empire
en Orient, qui les força d’augmenter confidérable-
ment la cavalerie dans leurs armées. Cette augmentation
leur devenoit d’autant plus néceffaire , que
leurs frontières s’étant fort étendues, ils n’auroient
pu,fans des troupes nombreufes en ce genre, arrêter
les incurfions des Barbares : d’ailleurs , le relâchement
de la difcipline militaire leur fit infenfiblement
perdre l’habitude de fortifier leurs camps, & dès-lors
leurs armées auroient couru de grands rifques, fans
une cavalerie capable de réfiftér à celle de leurs ennemis
; enfin l’on peut dire que prefque toutes les.
difgraces effuyées , ainfi que-la plupart des avantages
remportés par les Romains, ont été l’effet j les
unes de leur infériorité , les autres de leur fupériorité
en cavalerie.
Si l’on veut lire avec attention les commentaires
de Cæfar, on y verra que ce grand homme, qui dut
fes principaux fuccès à fon inimitable célérité , fe
fervoit fi utilement de fa cavalerie , qu’on peut en
quelque forte regarder fes écrits comme la meilleure
école que nous ayons en cè-genre.
Quand il feroit vrai que les anciens fe fuffent
paffés de cavalerie, il n’en réfulteroit pas qu’on dût
aujourd’hui n’en point faire ufage : autant vaudroit-
il prétendre qu’on fît la guerre fans canon ; ces deux
propofitions l'eroient d’une nature toute femblable ;
ce font des fyftêmes qu’on ne pourra faire approuver
que lorfque toutes les nations guerrières feront
convenues entre elles d’abolir en même temps
l’ùfage de la cavalerie & du canon.
Pour ne parler que de nos temps & de nos plus
grands généraux (les Turenne & les Condé ) , on
fait que M. de Turenne dut la plupart de fes fuccès,
pour ne pas dire touts , à la cavalerie : ce général,
fans doute comparable aux plus grands perlonnages
de l’antiquité, avoit pour maxime de travailler l ’ennemi
par détail, maxime qu’il n’auroit pu pratiquer
s’il n^eût eu beaucoup de cavalerie ; aufîi fes armées
furent-elles compofées prefque toujours d’un
plus grand nombre de gens de cheval, que de gens
de pied.
La célèbre bataille de Rocroi nous apprend le cas
que faifoit le grand Condé de la cavalerie , & combien
il favoit la faire fervir avec avantage. Cette
viâoire fixe l’époque la plus florifîante de la nation
O o i j