
5 6 4 G Ê" N
courage, & -qu’au nom du bon connétable Si du
vertueux T prenne, les cités s emprefi'oient à baiffer
leurs barrières pour recevoir un vainqueur humain
6 généreux ; Si d’ailleurs quelle imprelfion vos
vices ne feront-ils pas fur vos armées ? Ne feront-
elles pas forcées de les imiter ? Tant eft grand le
pouvoir de l'exemple du chef. Avertis par l’honneur
, excités par la gloire , vous pourrez retenir,
réprimer vos pallions ; dompter, corriger vos vices,
vous pourrez même revenir à la vertu ; mais la l'ol-
datefque moins touchée par ces grands objets , ne
pourra plus rentrer dans la voie de l’honneur , &
peut-être même elle ne voudra pas le tenter. Ce
n’eft donc qu’en foumettant vos pallions & vos
goûts; ce n’eft qu’en exerçant les vertus de l’homme,
du citoyen, du militaire ôi du général ; ce n’eft
qu’en vous conformant aux loix qui découlent de
vos rapports avec toutes les claffes de la fociété,
qu’en accomplift'ant en un mot vos devoirs dans
toute leur étendue & fous tours leurs afpeéls, que
vous obtiendrez lurement les louanges , l’amour &
les hommages de la patrie, la reconnoiffance de
vos fouverains ; une place honorable dansl’hiftoire ;
les éloges de la poftérité & le glorieux furnom
de.Liéro$.
Q U A L I T É S P H Y S I Q U E S .
§• i " :
Dé la vue, “
Nous nous garderons bien d’attacher autant d’inv-
portance aux qualités phyfiques dont le général doit
être doué, qu’aux qualités morales dont fon ame
doit être ornée, & aux connoiflances dont fon él-
prit doit être enrichi ; en mettant en parallèles ces
branches diverfes , nous accorderions à un hafard
aveugle la gloire de produire les grands généraux ,
tandis qu’ils font formés, comme nous l’avons v u ,
par une étude confiante & un travail aflidu. Nous
demanderons cependant que la nature ait répandu
les faveurs fur celui qui iè deftine à remplir la
place éminente de général; parce qu’elles lui faciliteront
le moyen d’atteindre à l ’objet de fon
ambition; mais comme la nature toute prodigue
quelle eft, verfe rarement fes dons fur le même
être ; comme les hommes qu’elle a le plus favo-
rifés ne naiffent pas toujours dans cette dalle de
citoyens deftinés au commandement des armées ;
& comme enfin lame la plus belle , la plus noble ,
l’efprit le plus a â i f , le mieux cultivé, peuvent
être enfermés fous une enveloppe foible , groffière
ou défeélueufe : examinez quelles font les qualités
phyfiques qu’on doit exiger dans un général d’armée.
Une vue perçante , une fanté robufte , une
ccnftiîution vigoureufe fe préfentent d’abord.
Peu nous importe que Je coup-d’oeil foii un don
de la nature, ou ce qui eft plus probable qu’il
G É N
foie un effet de l’étude , de l’application &. de
l’exercice. ( Voye^ C oup- d ’oeil.) . Quelque opinion
qu’on adopte, il n’en fera pas moins vrai
que le commandant d'une armée à qui la nature
n’aura pas accordé une vue perçante , ne fera
aucun progrès dans l’art du coup - cÿceil, & ne
remportera que difficilement des viéloires.
Manlius-Torquatus , ce Romain célèbre par fon
amour pour la difeipline , & par fes victoires,
prié , preiTé par fes concitoyens d’accepter le con-
lulat, refufe avec confiance de s’en charger, &
ne donne pour exeufe que la foiblefle de fa vue :
non , dit-il, rien ne feroit plus imprudent & plus
coupable qu’un homme qui ne pouvant rien voir
que par des yeux étrangers , prétendroit ou fouf-
friroit qu’en le faifant général, on lui confiât la
fortune de l’état & la vie des citoyens. Manlius
avoit raifon , une vue courte eft dans un général
un vice d’autant plus dangereux que l’art n’y
fupplée que difficilement, & qué le commandant
en chef ne peut ici fe faire remplacer par per-
fonne. L’opinion du Romain célèbre que nous
venons de citer n’auroit pas befoiri, fans doute,
d’être appuyée fur des exemples. Cependant nous
croyons devoir entapporter deux , l’un pris encore
dans l’hiftoire ancienne & l’autre dans l ’hiftoire
moderne.
A la bataille de Philippes les troupes de Caf-
fius , cet intrépide défenfeur de la liberté rômaine ,
font plufieurs-fois repouffées : ce général les ramène
plufieurs - fois à la charge ; enfin , pour faire un
dernier effort, il fe retire fur une éminencë derrière
laquelle il veut les rallier; cependant Brutus
qui avoit battu le corps qui lui étoit oppofé, &
qui s’étoit emparé du camp d’Oélavien, fôupçonne
le malheur arrivé à Caffius. Il laiffe une garde fuf-
filante dans le camp ennemi ;il rappelle fes troupes
qui étoient à la pourfuite des fuyards , & vole au
fecours de fon collègue. On informe Caffius qu’un
corpsconfidérable de cavalerie approche;il envoie
Titinius pour le reconnoitre : ce font des réjmblb-
cains, des amis de l’officier envoyé par Caffius ;
ils mettent auffi-tôt pied à terre, embraflent Titinius,
& fe félicitent avec lui du fuècès deTa journée.
Caffius qui n’étoit frappé que de la deftruélion
de fon camp, & à qui la foibleffe de fa‘ vue ayolt
empêché de diftinguer les avantages de Brutus,
croit, encore trompé par fes y e u x , que4es cavaliers
qui ont mis pied à terre font du parti d’Antoine
, & qu’ils font defeendus de cheval pour
charger de fers les mains de fon ami. Auffi-tôt rl
croit tout perdu : il fe retire à l'écart avec un de
fes affranchis ; & quelques înftants après on trouve
la tête du général féparée de fon corps.
Touts ceux qui connoiflent les malheurs qui fux-
virentla mort de Caffius , conviendront que le falut
de la république Romaine ne tint peut-être qu’à la
vue foible de ce général. -
Le fécond exemple eft celui du maréchal de
Tallard : ce général fut battu à Hochtedt, parce
G É N
que la foibleffe de fa vue l’empêcha de faire les
difpofitions les plus convenables au terrein qu'il
occupoic, & il fut fait prifonnier parce que fa vue
Courte fit qu’il donna au milieu d’un efeadron ennemi
qu’il avoit pris pour un efeadron François.
§ . I I .
De la fanté 6» de la force,
Pendant que les armées furent peu nombreufes ;
pendant qu’un bâton noueux, ou une lourde maffue
furent les feules armes offenfives ; pendant que les
batailles générales devinrent autant de combats
finguliers qu’il y avoit de braves combattants dans
chaque parti; en un mot, pendant tout le temps
que la force feule eut le droit d’enchaîner la victoire
; la force du corps dût être la feule , ou du
moins la première vertu du général ; aufti voyons-
nous prelque toujours les poètes de l’antiquité
commencer l’éloge de leurs héros par vanter leur
force , leur fanté robufte, & dans les langues anciennes
, un même mot défigner la force & le courage.
Dans notre fiècle , fans doute , un général
aftoibli ou accablé par une" maladie grave, peut
livrer une bataille dont les fuites foient heureufes.
C ’eft ainfi que Luxembourg & Maurice femblèrent
s’arrêter fur le bord du tombeau pour remporter
encore une viéloire ; mais ces exemples font rares ,
& qui nous dira que la fortune eut balancé aufti '
longtemps dans les champs de Steinkerque & de Fon-
tenoi, fi les deux grands hommes qui cherchoient à
la fixer , euffent joui de la fanté heureufe qu’ils
àvoient à Rocoux & à Fleurus , &c des forces '
qu’ils montrèrent à Dettingue & à Lausfeld. S’il
eft poffible à un général accablé par une maladie
dangereufe de remporter une viéloire , il eft bien
. difficile , il eft même prefqu’impoffible qu’un général
d’une conftitution foible , d’une fanté chancelante
puiffe commander avec gloire pendant !e
cours d’une guerre, ou même pendant celui d’une
campagne entière. Si l’on demandoit, en effet,
quel eft de touts les militaires qui compofent une
armée celui qui doit prolonger fon travail le plus
avant dans la nuit ? Quel eft celui que l’aurore
doit toujours' voir debout ? Qui doit être le plus
longtemps à cheval, ou même quelquefois aller
le plus longtemps à pied ? Quel eft celui,qu’on
doit voir le premier aux travaux, & qui doit les
quitter le dernier? Qui doit fupporter les fatigues
& d’efprit & de corps avec le plus de patience , les
privations de touts les genres avec le moins de
peine , fouffrir & le froid & le chaud fans en être
abattu ; endurer la faim & la foif fans en être
accablé ? Quel eft enfin celui dont la maladie a
Les fuites les plus funeftes ? on répondroit c’eft le
général? Le général ne devroit-il donc pas être
l’homme de fon armée de la conftitution la plus
forte & de la fanté la plus affurée ?
G É N
§. 1 1 1 .
De la taille & de la figure,
Agéfilas, ce roi célèbre qui fournit une partie
de l’Afie, étoit, fuivant le rapport de touts les
hiftoriens, d’une taillé au-deffous de la médiocre „
il étoit boiteux, & fa figure n’offroit rien d’im-
pofant &. de noble ; Alexandre étoit petit ; le vainqueur
de Bajazet boiteux ; du Guefclin convenoit
lui-même qu’il étoit fort laid ; l'extérieur d’Antoine-
de-Lè ve étoit bas & ignoble ; Luxembourg étoit petit
&. boffu ; plufieurs autres grands hommes que nous
nous difpenfons de nommer , & qui ont pourtant
honoré leurs nations par leurs faits héroïques ,
avoient été traités aufti peu favorablement par la
nature. Ces dons extérieurs qu’elle difpenfe aveuglement
, ne font donc pas indifpenfables pour
captiver la viéloire , ils ne font même prefque pas
néceflaires ; mais on ne peut nier qu’ils foient
utiles. Les foldats & le peuple jugent d’un général
par fon extérieur ; une taille haute leur en impofe;
une figure mâle que les coups des ennemis ont
fillonnée les frappe vivement; une phyfionsmie
heureufe les féduit ; un air d’autorité & de grandeur
les entraîne ; ils aiment à trouver dans des
yeux étincelants le préfage affûté de la viéloire ;
ils défirent qu’une voix forte & fondre puiffe percer
quelquefois au-deffüs du tumulte des combats & du
fracas des batailles ; ils veulent que le général ait
toujours de la grâce , de l’agilité , de l’adreffe ; ils
font flattés d’obéir à un chef qui joint à des manières
nobles une contenance martiale , & fur-tout
un air de bonté & d’humanité', gage alluré de fon
attention à les rendre heureux. Pour faire triompher
un tel général , les foldats ne craindront
aucun danger & chacun d’eux s’empreffera de lui
faire un bouclier de fon corps.
§• I V.
D e Vâge du général.
Mais l’âge du général eft-il une chofe indifférente
? La vieiileffe eft communément lente , inquiète
, foible & timide ; mais elle répare d’ordinaire
une partie de ces défauts par une fage cir-
confpeélicn , par une longue expérience , & par
une connoiffance profonde des hommes. La jeu-
neffe pleine de force eft infatigable dans les travaux
mais trop bouillante , elle manque fiouvènt de lumières.,
de prudence, & toujours elle eft foumife
| à trop de pallions turAultueufes. Camille , Phocion ,
j Montmorenci, Villars, & quelques autres, ont
commandé avec gloire , quoique leur corps fût
courbé fous le poids des années ; mais Marins &
I plufieurs autres généraux ont vu la viéloire échapper
| aifément de leurs mains foibles & tremblantes.
1 Alexandre, Scipion & Pompée, la Tremoille,