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fur les lieux, de voir même plus librement & de
pouffer plus loin fa curiofitê que ne ,peut faire fon
général ; car , rien ne l’empêche de courir le parti
fur l’ennemi ; ce que l’autre ne fçauroit faire. Il
peut aller où il lui plaît pour reconnoître le pays,
& raifonner à la vue des objets, après l’avoir fait
fur la carte du pays ; car , c’eft la première chofe
que l’on doit faire : par là on ne laiffe pas que de
s’en former une idée qui nous aide beaucoup , lorf-
qu’après cet examen l’on fe tranfporte fur les’
lieux où l’armée eft bien.établie.
On doit d’abord commencer par bien recon-
jnoître la pofition du camp & tout le terrein que
l’armée occupe, fes avantages & fes défauts : on
paffe delà au champ de bataille, on le parcourt
en gros , enfuite on l’examine en détail ôc par
parties : on obferve d’-abord fi les ailes font appuyées
; fi c’eft un ruiffeau , on examine les
bords & le fond , s’il eft bon. ou mauvais, s’il eft
guéable partout, ou en certains^ndroits feulement.
S’il l’e f t , on doit juger alors que c’eft un mauvais
appui ; que l’ennemi peut profiter de cet avantagé,
& gagner le flanc ou les derrières de cette
aile par un détour. On obferve alors le terrein
qui eft au-delà , s’il eft couvert , ou s'il eft ras
& pelé , s’il y a des hauteurs qui commandent
au camp , & s’il eft néceffaire de s’y établir pour
fe couvrir de ce côté , ou fi on peut s’en prévaloir
contre l’ennemi. Si c’eft un marais qui couvre
cette aile , on doit examiner *fi le fond eft de
bonne tenue ; on doit le fonder , & s’informer
des gens du p ay s , fi l’on peut faire regonfler les
eau x , pour le rendre moins pratiquable. On écrit
tout ce qu’on remarque pour y méditer à loifir ,*
S i en tirer les conféquences par l’infpe&ion du
terrein.
On paffera delà à la gauche : fi elle fe trouve
fermée par un village , il en fera le tour pour
le reconnoître avec toute fexactitude militaire ; il
examinera les maifons qui le bordent, fi elles
lont bonnes , ou de bois. Si de chaume ; s’il y
en a qui en foient éloignées , & dont l’ennemi
puiffe fefervir , s’il eft important de fortifier le village
, ou de faire des coupures dans les rues, en
foutenant les maifons ; fi l’églife eft bonne , fi le
village n’eft point commandé par quelque hauteur,
«u s’il peut être tourné ; il l’attaquera par imagination
; il le défendra de même : rien ne me paroît
plus capable de former le coup d’oeil &. le jugement
que cette méthode. Après avoir mûrement examiné
Si écrit ce qu’on aura remarqué & obfervé du
côté des ailes , on doit parcourir tout le front
du champ de bataille d’une aile à l’autre.
Si l’armée eft.campée félon la coutume ordinaire
, la cavalerie fur les ailes , & l’infanterie
au centre ^.on doit examiner le terrein que la
première a devant elle , & s’il eft propre à cette
arme : s’il eft couvert, Si qu’il forme une plaine
affez fpacieufe pour contenir cette aile de cavalerie
, celui qui l’examine, ne doit pas fe régler
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là-deffus ; îl doit obferver le terrein qui eft au-
delà , Si que l’ennemi doit occuper ; car le pofte
de l’un doit fervir de règle' à l’autre' pour la dit*
pofition des armes. En effet fi l’ennemi qu’on veut
combattre , ou qui cherche à nous attaquer a
derrière ou devant lui un terrein tout diffèrent,
Si favorable à l’infanterie , il eft aifé de comprendre
par le raifonnement & les règles de la
guerre , que fi l’ennemi eft pouffé jufqu’à l’endroit
couvert qu’il aura derrière lui , la cavalerie
devient alors inutile , qu’elle ne pourra pouffer
plus loin fon avantage , & qu’elle fera repouffec
par l’infanterie que l’ennemi plus habile & plus
fenfé aura logée dans ces ljeux couverts pour fou-
tenir fa cavalerie.
Cette obfervation doit lui faire connoître la
nécefiké de faire foutenir cette aile par une autre
d’infanterie à la fécondé ligne ; car fi la cavalerie
de la première ligne eft pouffée jufqu’a l’infanterie
ennemie , logée dans ces endroits couverts ,
il ne faut pas douter qu’elle ne fe rallie fous le
feu de cette infanterie , quelle ne revienne en-
fuite à la charge , Si que l’infanterie ne s’intro-
duife dans; les efcadrons : on peut juger de ce qu’il
peut arriver , fi l’on n’a pas de l’infanterie à lui op-
pofer ; au lieu qu’en faifant foutenir une aile de
cavalerie par une d’infanterie à la fécondé, Si des
pelotons entrelaffés & emboîtés dans les efcadrons,
on fe trouve en état , après avoir battu l’ennemi,
de le culbuter fur fon infanterie , & de l’attaquer
à l’inftant par l’infanterie , qu’on peut faire paffer
i promptement entre les diftances des efcadrons. Ces
raifonnements naiffent aifément par Tinfpe&ion du
terrein. On juge alors qu’une aile de cavalerie ,
foutenue par elle feule , ne vaut rien , & que le
général auroit dû faire camper de l’infanterie où
ïl a mis de la cavalerie : on remarque cette faute
pour en €aire ufage , Si en avertir le général,
s’il ëft capable de recevoir un avis de cette importance.
Qu’on ne nous dife pas qu’on tombe
rarement dans ces fortes de fautes nous répondrions
qu’on les remarque touts les jours dans
les campements , Si qu’on eft obligé , lorfqu’on
fe trouve attaqué , de faire une infinité de manoeuvres
toujours dangereufes en préfence de
l’ennemi, en changeant une arme , Si la remplaçant
par une autre. Je pourrois citer une infinité
d’exèmples, même de nos jours, fi cette matière
n’étoit un peu trop abondante pour l’allonger par
des faits d’une beaucoup moindre im'portance que
des raifonnements démonftratifs.
’ Tout le terrein du front dè cette aile étant
bien obfervé , on pouffe vers l’infanterie que nous
fuppoferons au centre ; on jette les yeux fur ce
terfein , on s’apperçoit qu’il eft varié, Si mêlé
en certains endroits de chicanes Si d’obftacles très
propres pour l’infanterie , Si quelques autres où
la cavalerie peut être d’un grand effet, foutenue
par l’autre. Après avoir examiné le terrein de la
droite de l’infanterie, fi Ton trouve que le terrein eft
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égaletrient avantageux d’un côté comme dé l’autre ,
ou du moins propre à cette forte d’arme , on
avancera plus avant fur le champ de bataille , ou
fur le terrein que les deux armées doivent occuper
des deux côtés ; l’on fuppofe qu’il eft different
d e l’autre que l’on vient d’obferver, c’eft une petite
élévation de terre qui va fe perdre en pente
douce jufqu’à l’ennemi, on doit l’obferver.avec
foin. Si le terrein qui lui eft oppofé , forme une
plaine , on juge alors que c’eft un endroit propre
pour y dreffer une batterie que l’ennemi n’aura
garde de laiffer en repos , de peur d’en être longtemps
incommodé, Si que , pour s’en délivrer
par un bon effort de ce côté-là , l’attaquer Si s’én
‘rendre maître pour-féparer les deux ailes des deux
autres, il ne pourra faire le coup que par l’infanterie
foutenue d’autant d’efcadrons que la petite
plaine en peut contenir. Il jugera alors qu’il faut
pofter de l’infanterie fur cette petite éminence,
foutenue de la cavalerie pour oppofer des armes
femblables.
i: S’il fe préfente enfuite des terreins variés &
mêlés depetites plaines § de champs clos , de maifons
, tant d’un côté que de l’autre fur tout le front
de l’infanterie , il les obfervera avec attention.
S ’il y en a qui lui paroiffent difficiles à forcer du
cô té^ e l’ennemi, il jugera bien que l’ennemi s’y
poftera , qu’il n’abandonnera pas un $el avantage ,
Si qu’il y auroit trop de témérité à les attaquer.
I l doit donc par imagination fortifier ces endroits
moins que les autres , c’eft-à-dire , qu’il doit les
tenir un peu moins garnis d’infanterie que’ ceux
qui lui paroiffent plus foibles, où il doit approcher
fes réferves , & obferver les emplacements
les plus commodes Si les plus avantagëux pour
y établir des batteries. S i , en avançant plus avant
jufqu’à la gauche , Si au ruiffeau qui la couvre,
il voit que le pays eft ras Si ouvert , Si propre
pour les manoeuvres de cavalerie , il trouvera
que la cavalerie eft bien placée félon la méthode
ordinaire , obferyant pourtant, fi les bords du
ruiffeau font bordés de haies Si d’arbres touffus.
S i les bords, de l’autre côté ne font pas garnis
comme ceux d’en deçà, il jugera alors que l’én-
nemi pourroit y loger de l’infanterie , Si y établir
un feu fur le flanc de cette aile , & prendre
même des revers ; il penfera alors d’enlever cet
avantage à l’ennemi , non feulement en propofant
de rafer & de couper ces haies , ces taillis ou
ces arbres , mais de pofter de l’infanterie ou des
dragons fur les flancs des deux aîles de la cavalerie.
Par ces ohfervations , il comprendra bientôt
qu’on s’eft campé en bien des endroits , tout au
contraire de ce qu’on doit pratiquer félon les
règles de la guerre ; qu’une partie de la cavalerie,
qui fe trouve portée à une aile , auroit dû être
placée au centre , ou vers le centre, Si l’infanterie
occuper fon terrein. C ’eft la nature des lieux
qui doit régler le campement Si l’emplacement
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de chaque arme. On ne peut pas camper partout
, Si dans toutes fortes de fituations , felon
l’ordre ordinaire de bataille ; ca r , lorfqu’on fe
trouve l’ennemi fur les bras , l’on fe voit obligé
de changer tout l’ordre , & un tel remuement
d’armes eft très^dangereux. On fait tout à la hâte ;
les corps tranfportés d’un terrein à un autre, font
déforientés ,• ils ne fe reconnoiffent plus , au lieu
qu’ils connoiffoient leurs premiers poftes d’où l’on
vient de les retirer.
Un champ de bataille , quelque bon & quelque
avantageux qu’il puiffe ê tre, perd tout le mérite
de fa' fituation, fi chaque arme n’eft en fa place,
c’eft-à-dire , poftée au terrein qui lui convient.
Les généraux qui lèvent un peu la tête au-deffus
de ceux du commun , fe contentent, de fuivre ces
règles , & croient avoir avancé beaucoup : en effet
. c’eft beaucoup ; mais ceux qui excellent dans le coup
d’oeil, qui l’ont fin & prompt, vonfffort au-delà ;
ils s’apperçoivent bientôt , par les ohfervations
qu’ils font fur la nature des lieux, qu’il faut qu’une
arme foit foutenue par l’autre. Mais , comme cela
doit être partout, Si dans toute forte de terreins,
nous nous réfervons de le démontrer dans le cours
de notre ouvrage. Revenons à notre lùjet.
Ce feroit peu, & ne faire les chofes qu’à de*4
m i, que de .s’en tenir à ce que je viens de dire.
On doit fe retirer dans fa tente , méditer très-
profondément fur ce qu’on aura remarqué, l’accompagner
de réflexions , former un projet Si un
ordre de bataille félon la nature du terrein. C ’eft
la première journée ; on ne s’inftruit pas moins
à la fécondé ; on monte à cheval pour reconnoître
le pays jufqu’aux grandes gardes; on s’informe
des noms des villages , des hameaux &
des maifons ; on remarque les chemins , les ruif-
feaux , les bois , les marais , les hauteurs ; enfin
on ne laiffe rien échapper , Si l’on médite fur
tout ce qui peut être favorable ou défavantageux
à l’erinemi, s’il marçhoit à nous , ou fi l’on a voit
quelque deffein d’aller à lui ; «ou fi l’on n’auroit pas
mieux fait de fe pofter ailleurs que dans l’endroit
que l’on a choifi ; ce qui n’eft pas difficile à remarquer
; car il y a quelquefois certains camps ,
où l’on ne va plutôt par coutume que par raifon ,
parce qu’un grand capitaine les aura occupés,
fans fçavoir que ce qui étoit bon de fon temps,
ne vaudra rien dans un autre.
• La Flandres eft aujourd’hui toute changée ; le
pays eft fi couvert , qu’il ne diffère en rien de la
Lombardie Si du Mantouan, & je fuis perfuadé
qu’à la première guerre la cavalerie fera d’un
beaucoup moindre ufage que l’infanterie ; cela
n’empêchera pas d’en lever beaucoup , Si d’en
inonder le pays fans aucune néceffité.On ne trouve
pas toujours des Turennes qui fe contentent de
peu.
Les fourrages forment beaucoup le coup d’oeil,
Si l’afinent extrêmement : on ne doit pas en
manquer un feul ; comme on ya plus avant du