
Le roi fut longtemps certain de fa trahifon, avant
que de faire éclater Ion refientiment : & ce ne
fut que lorlque l’on eut de juftes craintes des
effets de cette trahifon , que la majeffé ordonna
a M. le duc de Vendôme de faire arrêter les
troupes de ce prince,dont une partie étoit jointe
a l’armée des deux couronnes, & de lui déclarer
la guerre.
Du récit fuccint que je viens de faire des motifs
particuliers des puiffances qui lé font liguées
contre les deux couronnes , je paflerai au fujet de
la matière que je traite, qui eft celle de ia guerre
défeniive , & je ferai voir quelles ont été les
principales fautes contre les règles de cette efpèce
de guerre , qui ne doit jamais être choifie par un
prince , par préférence à l’offenfive.
C ’eft un principe certain de politique & de
guerre, qu’une puiilance doit toujours faire touts
les efforts par la négociation & par les armes,
pour defunir ceux qui fe veulent liguer contre
e lle , ou pour empêcher que les forces des princes
ligués fe puiffent unir pour agir de concert. Examinons
à préfent fi -la conduite des deux couronnes
a été réglée lur ce principe.
Quoique l’empereur foit la feule véritable partie
dans la conjonéture prélente , il eft pourtant certain
que par les feules forces il ne pouvoit agir
contre les deux couronnes , que du côté du
haut Rhin & de l’Italie.
Tant que les Hollandois n’auroient pas voulu
la guerre , ce prince ne pouvoit pas faire agir lés
armées du côté du bas Rhin, pour s’approcher
du Pays-Bas catholique, & pourvu que , de gré ou
de force , nous euifions empêché les Vénitiens de
laiffer le débouché du Tirol libre à l’armée de
l’empereur , il eft certain qu’elle ne feroit pas
entrée en Italie, & n’auroit pu porter la guerre dans
le Milanois. Les Hollandois ne prenant donc point
de liaifon avec l’empereur contre les deux couronnes
, il eft certain qu’ils éviteroient la guerre
dans les Pays - Bas, & dans le continent de l’Ef-
pagne, où il auroit été impoflible à l’empereur
de porter des troupes, & de faire agir avec efficacité
les partifans fecrets de la mail’on.
Il falioit donc , aufli-tôt après l’acceptation du
teftament, donner des furetés aux Hollandois pour
leur commerce, telles qu’elles leur paruffent rai-
fonnables, & engager la couronne d’Efpagne à leur
céder en propriété quelques places qui leur fer-
viffent de barrière pour la confervation de leurs
états, & qui leur ôtaffent l’idée de crainte qu’on
leur dohnoit de la nouvelle grandeur de la maifon
de France.
Je n’entre point en politique dans les moyens
de procurer toutes ces furetés aux Hollandois ;
cela n’eft pas de mon fujet. Il me paroît pourtant
que ce traité, qu’il ne falioit pas héfiter de
faire avantageufement pour cette république , prod
uisit infailliblement deux bons effets pour les
deux couronnes.
Le premier, que les Hollandois défintéreffés
dans cette affaire , n’euffent pas pris d’engagement
avec l'empereur, pour un intérêt qui ne re-
gardoit que 1a maifon.
Le fécond, que ces mêmes Hollandois, raffu-
rés pour leur propre état & leur commerce, au-
roient avec plaifir concouru avec nous à la ruine
de celui des Anglois, & cela avec d’autant plus de
certitude , que la iport prochaine du roi d’Angleterre
(Guillaume ) , que l’on voyoit comme lûre,
& qui arriva prefque dans ce temps-là, auroit
vraifemblablement défuni ces deux puiffances maritimes,
dont les jaloufies pour le commerce &
la puiffance de la mer feront éternelles.
Loin de prendre toutes ces mefures avec les
Hollandois, il leur parut avec quelque vraiiem-
blance que nous en prenions contre eux : voici
quelle fut la conduite des deux couronnes à leur
égard.
Par un article du traité de Rifwick , les Hollandois
, fous le nom de Barrière pour la tranquillité
de leur propre état, étoient en poffeflion
de la garde des places Efpagnoles les plus voifines
des frontières de la France. Ils avoient vingt-deux
ou vingt-trois bataillons dans ces places, & quelque
cavalerie. On leur demanda , au nom du roi Philippe
V , de retirer leurs troupes de ces places 9
comme ne craignant plus qu’elles fuffent trop facilement
conquifes par les armes de la France.
Ainfi on leur ôtoit cette barrière ftipulée par le
traité de Rifwick pour leur fureté , fans leur en
offrir une plus voifine de leur état, pour leur
ôter tout prétexte de crainte.
IJ me paroît qu’il auroit été d’une politique cir-
confpe&e, de s’affurer de ces troupes après leur
fortie des places Efpagnoles, au moins jufqu’à ce
que par un traité avec les Hollandois , on eût
pu être fûr de les avoir raffurés pour leur état &
leur commerce.
Les deux éle&eurs de la maifon de Bavière, &
le duc de Wolfenbutel, étoient dans les intérêts
des deux couronnes. On les fit armer, & on in-
troduifit dans toutes les places de l’éle&eur de
Cologne, des troupes, fous le nom de troupes
du cercle de Bourgogne, qui, depuis longtemps,
ne fourniffoit plus de contingent à l’empire.
Cette nouvelle démarche , avant que d’avoir
pris aucune mefure avec les Hollandois, ne leur
fit que trop fentir que nous les entourions du côté
du Rhin , comme ils l’étoient du côté du Brabant
& de la Meufe ; ce qui les engagea à fe lier ab-
folument avec l’empereur & les Anglois.
A l’égard de la conduite des deux couronnes
envers les Anglois, je n’y ferai pas la même attention
que celle que je viens de faire. Cette nation
eft ennemie de la France par une inclination
naturelle, & par fes anciennes & chimériques prétentions.
Dans cette conjonéture, il ne paroiffoit pas fi
indifpenfablernent néceffaire de prendre des mefures
fures avec les Anglois. Il auroit pu fuffire de
traiter avec les Hollandois , même à leur exclu-
f i o i ï , quoique le roi Guillaume tînt ces deux
puiffances étroitement unies.
Pourvu que les Hollandois fuffent défintéreffés
dans cette affaire , il n’y avoit rien à craindre des
Anglois. Quelque traité qu’ils euffent pu faire
avec l’empereur, ils ne pouvoient, fans les ports des
Hollandois, & fans leur confentement, débarquer
des troupes de ce côté du continent, pour aider l’empereur
à faire la conquête des Pays-Bas Efpagnols.
Ils ne pouvoient non plus, malgré’ la France
& la Hollande, tenir la mer contre nous , ni porter
les troupes en Efpagne en affez grand nombre,
pour mettre le parti Autrichien en état ^d’éclater.
Ils ne pouvoient faire paffer des flottes dans la
Méditerranée , pour agir contre les états de la
monarchie d’Efpagne en Italie, pour les intérêts
de l’empereur, parce qu’ils n’auroient eu aucun
port fur la côte de l’Europe.
Ainfi, il fuffifoit aux deux couronnes d’être fûres
que lès Hollandois feroient tranquilles, parce qu’ils
auroient eu fujet de l’être , pour n’avoir rien à
craindre de l’Angleterre , malgré fes mauvaifes
intentions, fon chagrin fur l ’affaire du traité de
partage , & fes craintes pour fon commerce.
Toutes les fautes que je viens de remarquer
ont été faites par les deux couronnes avant l’union
des forces des puiffances liguées, &. leurs a&ions
pour l’offenfiye.
Ces fautes furent faites contre les réglés d’une
politique prévoyante, qui va à empêcher une ligue
trop puiffante de commencer à entrer en aéfion par
l’offenfive.
Il reftoit encore un moyen fûr pour fe parer des j
effets de cette guerre offenfive qu’on fe préparoit à
leur faire , en ne fe réduifant pas d’abord foi-même
a la défenfive, & en agiffant offenfivement & avec
vivacité contre les puiffances qu’on auroit vues fe
préparer les premières à la guerre , & lever des
troupes.
Je paffe donc à préfent aux fautes qui furent
faites en Italie , à l’ouverture de la guerre, contre
les maximes qui font le fujet de mes réflexions.
L’empereur prétendoit avoir deux droits fur les
états de la monarchie d’Efpagne en Italie ; le premier
etoit fon droit général fur la fucceflion entière d’E fpagne
, comme prince de la maifon d’Autriche ; le
fécond, fon droit, comme empereur, de pouvoir in-
veftir du duché de Milan , comme fief de l’empire.
Il falioit donc , pour empêcher ce prince de
faire valoir fes droits , empêcher que fon armée
n entrât en Italie. Il en affembloit une fous le
commandement de M. l’éleâëur de Bavière, qui
étoit dans les intérêts des deux couronnes, & qui
avoit déjà un corps confidérable de troupes , &
Ion voulut que cet électeur laifsât paifiblement
affembler l'amiée de l’empereur dans le Tirol.
Pour que cet armée pût porter la guerre dans
le Milanez, il falioit qu’après avoir débouché des
Art militaire. Tome U.
montagnes dans le Trentin , elle traversât une
grande partie de l ’état de la république de Venife.
Les deux couronnes fe contentèrent d’un traité
de neutralité avec cette république, qui ne vouloir
pas s’oppofer à aucune des deux puiffances ; mais
les effets de cette neutralité n’étoient qu’apparents
pour les deux couronnes , &. les afliftances réelles
étoient pour l’empereur, avec qui les Vénitiens ,
par rapport aux intérêts communs contre les Turcs,
garderont toujours de grandes mefures. *
L’on voulut donc que M. le maréchal de Catinat,
qui commandoit l’armée des deux couronnes , la fit
vivre fur un petit coin de l’état de Venife, en
payant jufqu’au bois & à la paille, pendant que ces
mêmes Vénitiens, leulement pour la forme, fe
contentoient des billets des commiffaires de l’empereur
, pour ce que fes troupes prenoient dans leur
état, au lieu qu’ils vouloient de l’argent comptant
des deux couronnes; & notre général vit entrer
l’armée de l’empereur dans les plaines de Véronne,
fans s’y -oppofer , & lui laiffa commencer les
premières hoftilités.
Il eft certain que fi , dans cette conjoncture
effentielle , pour prévenir la guerre d’Italie, les
deux rois avoient , de gré ou de Force , obtenu
Véronne de la République, ou au moins des lieux
fûrs pour placer des magafins fur l’Ad ige, & au-
delà de cette rivière , & que l’armée portée au-
delà de l’A d ig e , fe fût oppofée à celle de l’empereur
, au débouché des montagnes du T ir o l, il
auroit été impoflible à l’empereur de faire entrer
fon armée en Italie.
On négligea cette précaution, & celle de s’affurer
des communications avec M .l’éleâeurde Bavière
& M. le duc de Wolffembuttel , ce qui auroit été
facile pendant que nous étions les maîtres des
places du bas Rhin , de l’éleâorat de Cologne, &
que nous le pouvions faire fur le haut Rhin par
Huningue & Strasbourg, de forte que M. l’éleâeur
de Brandebourg, & la maifon d’H anovert, accablè
r e n t M. le duc de "Wolffembuttel, qui avoit levé
à nos dépens un corps de douze mille hommes,
lefquels même, pour la plus grande partie, pafsè-
rent au fervice des alliés; après quoi ces deux
princes s’approchèrent vers le bas Rhin , où l’on fit
encore la faute de ne point affez foutenir les places
de Téle&orat de Cologne.
On laiffa aufli M. l’éleâeur de Bavière dans
l’inaétion , pendant que l'empereur, par fon crédit
à la diète’ & dans l’empire , travailloit paifiblement
à la ruine de ce prince. Après avoir fait
paroître notre armée aux portes de Nimègue, on
s’en éloigna fans raifon : on perdit Kaizeriwerk , &
les’ autres places de i’éleftorat de Cologne & en-
fuite la Gueldre, les places Efpagnoles de la
Meufe , Limbourg & Liège.
Je ne parle ici de ces pertes, que parce qu’elles
ont été les fuites indifpenfables de nos iautes ,
faites contre les règles à oblerver, quand on veut
par choix foutenir une guerre défenfive. Touts .les
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