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• la p la c e , cho'ifit le v a le t d’un T u r c baptlfé pour
porter la lettre. L e T u r c repréfenta à Staremberg
qu’il ne de voit plus fe fier à ce v a l e t q u o iq u ’il fe
fût déjà acquitté fidèlement de deux autres com-
miffions femblables ; parce qu’ajoutoit le T u r c ,
il y a à craindre que. trois cents monnoies de Hongrie
qu’il a reçues pour les deux précédentes commif-
fions j n’àyent fatisfait fon ambition , & qu’il ne fe
fauve ,- pour ne pas rifquer de -perdre ce qu’il a
■ acquis. Cette repréfentation ne diffuada point Staremberg
; Si le tout arriva comme le T u r c Pavait
prévu. C e valet , au lieu de porter la. lettre au
duc de Lorraine , la mit entre lés mains du vifir qui
attaquoit la place.
Charles I I , roi de France , parlant d’une forte
de gens , difoit qu’il falloit les traiter comme l’on
traite les ch e v au x , à qui il faut donner à manger
fans les trop engraiffer. Il en ufa ainfi à l’égard
des poètes Ronfard & B a ïf qu’il tint toujours dans
le be fo in , afin de les forcer à travailler.
De la correspondance avec les personnes affidées, v ■
En fuppofant que vous avez dans l’armée , ou .
dans le pa ys ennemi , un officier , ou un habitant
h a b ile , qui vous aura promis de vous avertir
ponctuellement de ce que vous fouhaiterez fçavoir
de ce pa ys ou de cette armée ; je dis que toutes 1
les fois que vous lui é c r ire z , vous d e v e z , fi vous ■
a v e z affez de temps pour cela , vous fervir du
chiffre dont j’ai parlé , ou de quelque autre qui
ne paroiffe pas être un chiffre. La lettre doit être
lignée du nom de quelque parent, compatriote,
ou ami de la perfonne affidée , afin que , fi les
ennemis l’in tercëptent, il paroiffe que c’eft feulement
un ami qui écrit à l’autre pour apprendre
des nouvelles de fa fanté , ou pour le prier de lui
en vo y e r quelque marchandife qui fe trouve p lutôt
dans le pa ys ennemi que dans le vôtre. Ce tte
perfonne vous écrira auffî de la même man ière,
en mettant aù-dèffüs de la lettre le nom d’un de
fes parents , ou dé fes amis qui réfident dans
votre pa ys , & on inftruira le porteur que , s’il
vient à être reconnu , & qu’on lui trouve la lettre ,
il dife fans héfiter qu’elle e f td ’un tel pour un t e l,
conformément au feing & au-deffus ; qu’il l’avoit
ca ché e , parce que le commerce des deux pays
n?eft pas permis ; & qu’il n’avoit pas cru en cela
faire un grand crime ; puifqu’il ne s’agiffoit dans
cette lettre que d’affaires indifférentes , fe l’étant
fait lire avant que de s’en charger/ E t , pour éviter
que les ennemis ne le furprennent, en lui demandant
le contenu de la lettre , on doit l’inftruire de
c e qu’elle contient en apparence, fi vous croy ez
qu’ il n’y a pas beaucoup de rifquè à cela.
* V o u s p réviendrez cette perfonne affidée que fi
les ennemis font un petit détachement, ou quelque
mouvement, pour une expédition peu importante^
elle peut fepaffer de v ous en donner avis.^ parce
que , fi elle vous dépêchoit un courier pour chaque
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bagatelle à parmi un fi grand nombre , il y en
auroit quelqu’un de pris , & l’intelligence étant
d é co u ve r te , il n’y auroit plus moyen de recevoir
par cette vo ie des" avis d une plus grande confé-
quence. '
• Si les ennemis erçvoyent, loin de leur camp,'
pour un fourrage général , pour furprendre un
p o fte 'im p o r tan t , pour former une groffe embuf-
cade ; s’il attendent un convoi uiVoertain jour déterminé
, qui doit arriver par un chemin où Ton
peut le couper ; ou s’ils font quelque autre mouvement
, d’oû il puiffe revenir beaucoup d’avantage
d’en être informé , ou de préjudice de ne l’avoir
pas fçu : c’eft .alors que cet homme affidé d o it, à
quelque prix que ce fo i t , vous en avertir promptement
, afin que vous preniez à propos vos me-
fures fur cet avis qui d o i t , s’il fe p e u t , êtrq cir-
conftancié, en marquant le nombre des trbupes
qui partent pour quel en d ro it, par quel chemin,
& dans quel deffein ; Si de' tels avis doivent être
en vo y é s par deux différentes V oies.
Çorbée dreffa aux fourrageurs de Cæfar une
embufcade compofée de mille chevaux &, de fix
cents hommes d’infanterie , nombre fort fupérieur
à celui de l’efcorte que Cæfar donnoit ordinairement
, lorfqu’il en vo yo it au fourrage. Cæfar •'fut
informé a propos par les perfonnes affidées qu’il
avoit dans l’armée de Corbée , du motif de cette
embufcade , & du nombre des troupes dont elle
étoit formée ; & , ayant fait avan cer l’efcorte
ordinaire de ces fourrageurs , inftruite de.ee qui fe
p a ffoit, il la fit fuivre d’un peu loin d’un détachement
confîdérable de fes troupes. Les ennemis
fortirent de leur embufcade ; & , s’étant engagés
fans ménagement à vouloir combattre l’efcorte de
Cæ fa r , qu’ils ne croyoient pas plus nombreufé qu’à
l’ordinaire ,'ils furent entièrement défaits.
L e général Montdragon fit précifément la
même chofe que Cæfar , contre une embufcade du
/comte M au r ice, commandée par le comte Philippe
de Naffau.
A y e z un chiffre différent pour chacun de ceux
a v ec qui vous êtes en intelligence, afin que fi l’un
d’eux devient infidelle,, ou s’il eft intimidé , là c lef
de fon chiffre ne ferve pas à découvrir l’intelligence
que vous avez avec les autres. ■
Divers expédients pour faire parvenir les avis,
Lorfque celu i qui vous donne les avis , ne trouve
pas dans le pays les perfonnes dont il a befoin ,
pour vous les en v o y e r , foit parce que les habitants
font intimidés ou mal intentionnés pour votre
prince , & ne veulent pas s’employer pour fon
fervice ; foit parce qu’il ne connoît» pas affez ces
habitants pour ofer fe fier à l’un d’e u x , faites paffer
chez les ennemis , fous prétexte de déferter , dix
$ou douze de vos foldats , en , qui vous avez de la
confiance ; & , s’il eft poffible , choififfez ceux qui
laiffent dans votre pays leurs femmes, ou quelque
autre
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autre gage qui vous affure mieux de leur fidélité.
Infirmiez chacun d’eux en particulier ; défignez-lui
précifément le régiment des ennemis , dans lequel
ïl doit prendre p a r t i, & avertifiçz-le q u e , toutes
les fois qu’un homme lui nommera un tel fa in t ,
ou un tel mot du g u e t , il vienne vous apporter
la lettre ou les avis dont ce même homme le chargera.
Aucun de ces. foldats ne fçaura la commif-
fion de l’autre , Si ils auront touts un mot du guet
différent, afin q u e , fi l’un eft infidèle, les autres ne
foient pas en danger.
11 ne faut pas non plus leur nommer celui avec
qui vous êtes en intelligence , ni leur apprendre
à quelles marques ils pourront le reconnoître. Il
fuffit que chacun ait ordre de v en ir , lorfqu’on lui
aura nommé fon faint. A p rè s avoir pris ces précautions
, vous écrirez à votre affidé par la première
occafion , bien fûr q u e , dans un tel régiment
des ennemis , il y a un homme que vous y
avez vous - même fait paffer; qu’il pourra reconnoître
à telles marques , qui a tel nom , Si tel m ot
du guet , Si ainfi des autres que vous aurez fait
déferter.
Il feroit bon que ces faux'déferteurs fçuffentlac
langue du pays où ils v o n t , comme tout efpion
doit la fçavoir ; Si que cette perfonne affidée eût
des habits de pa yfans à la mode du même pays
pour en donner à ces fold a ts, afin qu’en retournant
à votre armée , ils ne foient pas arrêtés comme
déferteurs, ou reconnus pour étrangers, ainfi que
vous l’avez vu par l’exemple de Zénophane.
Si celui a vec qui vous êtes en intelligence , n’a
qu’une lettre à vous faire tenir , il n’a pas befoin
de fe faire connoître , en la, donnant lubmême ;
jna is., a y an t . bien fait obferver les marques auxquelles
on 'doit recoftnoître le fo ld a t , il peut lui
en vo y e r le mot du guet & la lettre par un homme
de confiance que le foldat ne connoiffe pas ; ou , f i'
la chofe fe peut différer fans inconvénient., il attendra
lui-même jufqu’au foir , & à la faveur de la
n u it , fous un habit deguifé , il paffera auprès d,e ce
fo ld a t , Si lui donnera , a v ec le mot g u e t , la
lettre qu’il veut vous faire tenir.
Le duc de Guife fe trouvant à Rome en 16 4 7 ,
fans avis des perfonnes affidées qu’il avoit à Naples
dont il favorifoit la révolte , en v o y a à cette ville un
François, domeftique de M. de Sinar, afin que, fous
pré te x te , comme Bourguignon , d’ aller chercher à
fervir , il s’introduisît parmi les troupes d’Efpagne ,
aye'c ordre, de revenir d.ès qu’il fe feroit bien informé
de ce que le duc foufiaitoit de. fçavoir : en
quoi il réuffit parfaitement par la voie de ce domef-
rique , quoique lés Efpagnôls eùffent jetté quelque
foupçon fur lui.
L ’exemple de D a v id , qui fe fervit de C h u fa ï,
fait v o i r , qu’au défaut,d’un homme du p a y s , qui
vous donne avis de ce qui fe paffe dans farinée
ou dans le pays des ennemis, on.peut à cette fin
faire déferter un officier de confiance.. En traitant
des. fuïprifes., j’ai dit comment on pourra rendre
Art militaire. Tome II,
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cette défertion vraifemblable, fans qu’on puiffe
en concevoir le moindre foupçon. Si celui avec
qui vous êtes en intelligence, eft de réfidence fixe
dans un lieu , il faut convenir a vec lu i , que dans
un tel endroit, fous une telle p ie rre, en droiture
d’un tel arbre, Sic. il mettra les lettres qu’il vous
écrira pour vous informer, de quelque chofe d’important,
ce qui lui fera, aile ën fortant , comme
s’il alloit à la chaffe ou fe promener. Ce s lettres
ne feront ni fignées ni écrites d’un caraélère qui
p u iffe'être reconnu; Elles auront pourtant une
marque, afin que vous fo y e z affuré qu’elles font
de cet homme affidé. Lorfqu’il vous aura informé
de l’endroit où il laiffe les le ttre s, qui fera fans
doute au-delà de toutes les .gardes ennemies, du
côté où leurs partis vont le ,m o in s , Si dans le lieu
le plus défert^, vous enverrez de temps en temps
un homme de confiance , q u i, ayant reconnu l’endroit
, vous apportera la lettre qu’il y aura tro u v é e ,
Si y laiffera celle que vous lui aurez donnée. C e lu i
pour qui eft la lettre venant y en mettre une
au tre , trouvera la v ô t r e , & y fera enfuite réponse
, fuivant ce,qu’elle contient. L’homme , dont
vous vous lervir,ez pour aller prendre ces lettres,
aura fo in , avant de s’approcher de l’en d ro it, de
bien obferver fi quelqu’un peut le v o i r , Si fi cela
é to it , il attendra qu’il ,foit nuit.
C e fut de cette manière que dans la dernière
guerre de Ca ta lo gn e , d’Arragon Si de V a le n c e ,
nos ennemis furent inftruits de ce qui fe paffpit
dans nos garnifons & dans nos quartiers : car les
payfans affectionnés pour e u x ,fo u s prétexte d’aller
t ra v a ille r, laiffoient dans des endroits connus des
ennemis, des billets qui les inftruifoient de tou t;
& quoique l’on trouvât quelques-uns de ces billets,
comme ils étoient fans fignature ôefans adreffe,
il n’étoit pas poffible de vérifier qui étoit Y efpion.
Des intelligences.
Il feroit important de faire entrer dans la fe-
crétairerie du prince en n emi, dans celles, de fes
miniftres de guerre & d’ é ta t , & dans celle du
général de l’arm é e, des hommes qui vous don-
naffent avis des réfolutions qu’on y prend. Pour
y réuffir, il faudrait en v o y e r dans le pays ennemi
différentes perfonnes qui parlaffent bien , qui fuf-
fent d ’une b elle ,figu re , & qui euffent une bonne
plume. Ils s’intrigueroient d’abord pour être fe-
crétaires de quelques; gentilshommes, enfuite de
quelques principaux feigneurs,.jufqu’ à ce qu’enfin>
gagnant du terrein peu-à-peu, ils parvinffenî à
entrer dans quelqu’une des quatre fecrétairies
dont j’ai parlé, quand même ce ne feroit qu’en
qualité de copiftes. E t comme il n’y a point de
porte qu’une c le f d’or n’ouvre , il faut leur fournir
de^’argent pour fe faire des connoiffançes & des
amis qui leur, aident à réuffir dans leur deffein.
ti C e n’eft qu’avec une c le f d’o r , dit Strada, qu’on
pénètre dans le confeil des ennemis ».
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