
Trançoife ; c’eft elle qui commence le règne de
Lo uis-le-Gran d.
Dans cette fameufe journée,des manoeuvres de
cavalerie furent exécutées avec autant d’ordre , de
précifion, 6c de conduite , qu’elles pourroient l’être
dans un camp de difcipline par des évolutions concertées
; jamais l’antiquité , dans une affaire générale
, n’offrit des traits de prudence 6c de valeur ,
tels que ceux qui ont fignalé cette vi&oire ; elle
raffemble dans fes circonftances toiits les événements
fmguliers qui diftirguent les autres batailles ,
& qui caraâérifent les propriétés de la cavalerie.
« Jamais bataille, dit M. de Voltaire , n’avoit été
pour la France ni plus glorieufe , ni plus importante
; elle en fut redevable à la conduite pleine d’intelligence
du duc d’Enguien qui la gagna par lui-
même , 6c par l’effet d’un coup-d’oeil qui découvrit
à la fois le danger 6c la reffource ; ce fut lui qui, à
la tête de la cavalerie, attaqua par trois différentes
fois , 6c qui rompit enfin cette infanterie Efpagnole
jufque-là invincible ; par lui le refpeét qu’on avoit
pour elle fut anéanti, 6c les armes Françoifes, dont
plufieurs époques étoient fatales à leur réputation ,
commencèrent d’être refpeétées ; la cavalerie acquit
fur-tout, en cette journée, la gloire d’être la meilleure
de l’Europe ».
Il n’eft point étonnant que les plus grands hommes
ayent penfé d’une manière uniforme fur la néceflité
de la cavalerie ; il ne faut que fuivre pied à pied les
opérations de la guerre pour fe convaincre de l’importance
dont il eft , qu’une armée foit pourvue
d’une bonne 8c nombreufç. cavalerie.
A examiner le début de deux armées , on verra
que la plus forte en cavalerie doit néceffairement
impofer la loi à la plus foible^, foit en s’emparant
des poftes les plus avantageux pour camper, foit en
forçant l’autre par des combats continuels à quitter
fo n p a y s , ou celui dont elle auroit pu fe rendre'
maîtreffe.
Alexandre , dans fon paffage du Granique, 6c
Annibal, dans fon début en Italie par le combat
du Telîïn , nous fourniffent deux exemples qui
donnent à cette propofition la force de l’évidence.
O r , deux viéloires, dont tout l’honneur appartient
à la cavalerie, ôc l’influence qu’elles ont eu
l ’une 8c l’autrefur les événements qui les ont fuivis,
prouvent combien ce fecours eft effentiel aux premières
opérations d’une campagne. Si l’on en veut
des traits plus modernes 6c analogues à notre manière,
de faire la guerre, la dernière nous en offre
dans prefque chacun de nos fuccès , ainfi que dans
les circonftances malheureufes.
Dans les détails delà guerre, il y a quantité de
manoeuvres , toutes fort effentielles , qui feroient
impraticables à une armée deftituée de cavalerie ;
s’il s’agit de couvrir un deffein, de mafquer un corps
de troupes, un pofte, c’eft la cavalerie qui le fait.
M. de Turenne fit lever le fiége de Cazal en 1640,
en raffemblant toute la cavalerie fur un même front ;
les ennemis, trompés par cette difpofition, perdirent
courage, prirent la fuite : jamais viiftoire ne fut plus
complette pour les François, dit l’auteur de l’hif-
toire du vicomte.
A la journée de Fleurus, M. le .Maréchal de Luxembourg
fit faire à fa cavalerie un mouvement à-
peu-près femblable, fur lequel M. de Valdeck prit
le change ; ce qui lui fit perdre la bataille ( 1690 ).
C ’e ft, dit M. de Feuquieres, une des plus belles
aérions de M. de Luxembourg.
La fupériorité de lacavalerie donne la facilité de
faire de nombreux détachements , dont les uns s’emparent
des défilés, des bois , des ponts , des débouchés
, des gués ; tandis que d’autres , par de fauffes
marches , donnent du foupçon à l’ennemi, 6c l’af--
foibliffent en l’obligeant à faire diverfion.
Une armée qui le met en campagne eft un corps
compofé d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie, 6c
de bagage ; ce corps n’eft parfait qu’autant qu’il ne
lui manque aucun de fes membres ; en retrancher
un, c’eft l’affoiblir , parce que c’eft dans l’union de
touts que réfide toute fa force, 6c que c’eft cette
union qui , refpeéfivement, fait la fûreté 6c le fou-
tien de chaque membre. Dans la comparaifon que
fait Iphicrate d’une armée avec le corps humain, ce
général Athénien dit que la cavalerie lui tient lieu
de pied , 6c l’infanterielégère de main; que le corps
de bataille forme la poitrine , 6c que le général en
doit être regardé comme la tête. Mais, fans s’arrêter
à des comparaifons , il fuffit d’examiner comment
on difpofe la cavalerie lorfqu’on veut faire agir 5
pour fentir l’étroite obligation d’en être pourvu.
C ’eft elle dont o.n forme la tête, la queue, les flancs;’
elle protège ,pour ainfidire , toutes les autres parties,
qui, fans elle , courroient rifque à chaque pas
d’être arrêtées, coupées', 6c même enveloppées;
s’il eft queftion de marcher, c’eft la cavalerie qui
allure la tranquillité des marches ; c’ëft à elle qu’on
confie la fureté des camps , laquelle dépend de fes
gardes avancées ; plus elle fera nombreufe, 6c plus
fes gardes feront multipliées : de-là les patrouilles
pour le bon ordre 6c contre les furprifes en feront
plus fréquentes, 6c les communications mieux gardées;
les camps, qui en deviendront plus grands ,
en feront plus commodes pour les néceffités de la
vie ; ils pourront contenir des eaux, des vivres ,
du bois 8c du fourrage , qu’on ne fera pas obligé de
faire venir à grands frais , avec beaucoup de peine
6c bien des rifquès.
On peut confidérer que de deux armées , celle
qui fera fupérieure en cavalerie fera l’offenfive ;
elle agira toujours fuivant l’opportunité des temps
6c des lieux ; elle aura toujours cette ardeur dont
on eft animé quand on attaque ; l’autre, obligée de
fe tenir fur la défenfive , fera toujours contrainte
par la néceflité des circonftances qu’une grofle
cavalerie fera naître à fon défavantage à chaque
moment ; le foldat fera toujours furpris, découragé;
il n’aura finement pas la même confiance que l’attaquant.
Lorfqu’tme armée fera pourvue d’une nom,!«
breufe cavalerie, les détachements fe feront avec
plus de facilité ; touts les jours fortiront de nouveaux
partis, qui fans ceffe oblédant l’ennemi, le gêneront
dans toutes fes opérations, le harcèleront dans
fes marches , luuenlèveront fes détachements , fes
gardes , 6c parviendront enfin à le détruire par les
détails, ce qu’on ne pourra jamais efpérer d’une
armée foible en cavalerie , quelque forte qu’elle foit
d’ailleurs : au contraire, réduite à fe tenir enfermée
dans un camp d’où elle n’ofe fortir , elle ignore
touts les projets de l’ennemi ; elle ne fauroit jouir
de l’abondance que procurent les convois fréquents,
on les lui enlève touts ; ou , s’il en échappe quelques
uns , ils n’abordent qu’avec des peines infinies.
C ’eft la cavalerie qui produit l’abondance dans un
camp ; fans elle point de fureté pour les convois :
il faut qu’à la longue une armée manque de tout ;
vivres , fourrages , recrues , tréfors , artillerie ,
rien ne peut arriver , fi la cavalerie n’en affure le
tranfport.
Les efcortes du général ôc de fes lieutenants font
suffi, de fan reffort, 6c c’eft elle feule qui doit être
chargée de cette partie du fervice. La guerre fe fait
à l’oeil. Un général qui veut reconnoître le pays
ôc juger par lui-même de la pofition des ennemis ,
rffqueroit trop de fe faire efcorterpâr de l’infanterie ;
outre qu’il ne pourroit aller ni bien loin ni bien vite ,
il fe mettroit dans le danger de fe faire couper 6c enlev
e r , avant d’avoir apperçu les troupes de cavalerie
ennemie chargée de cette opération. Le feul parti
qu’ait à prendre un général, s’il manque de cava-
. lerie, c’eft de ne pas paffer les gardes ordinaires : or
que peut-on attendre de celui qui, ne pouvant con-
noître par lui-même la difpofition de l’ennemi, ne
fauroit en juger que par le rapport des efpions ? 6c
le moyen que fes opérations puiffent être bien dirigées
, fi faute de cavalerie il ne peut ni prendre langue
, ni envoyer à la découverte, ni reconnoître les
lieux ?
La vîteffe , comme le remarque Montécuculli, eft
bonne pour le fecret, parce qu’elle ne donne pas le
temps de divulguer les deffeins ; c’eft par-là qu’on
'faifit les moments, 6c c’eft cette qualité qv.idiftingue
particulièrement la cavalerie ; prompte à le porter
par-tout où fon fecours eft néceffaire, on l’a vue ion-
vent rétablir, par fa célérité , des affaires que le
moindre retardement auroit pu rendre défefpérées,
La vivacité la met dans le cas de profiter des moindres
défordres; 6c fi elle n’a pas toujours l’avantage,de
vaincre , elle a en fe retirant celui de n’être jamais
totalement vaincue. La viétoire, lorfqu’elle eft l’ouvrage
de la cavalerie, eft toujours complette; celle
que remporte l’infanterie feule , ne l’eft jamais.
La guerre eft pleine de ces occafions , dans lesquelles
on ne fauroit fans rifque accepter le combat.
Il en eft d’autres, au contraire , où l’on doit y forcer
, 6c c’eft par la cavalerie qu’on eft le maître du
choix.
Une armée ne peut fe paffer de vivres, d’hopi-
fau x , d’artillerie ? d’équipages ; il faut du fourrage
pour les chevaux deftinés à ces différents ufages ; il
en faut pour ceux des Officiers généraux 6c particuliers;
6c s’il n’y a point de cavalerie qui foit chargée
du foin d’y pourvoir , l’infanterie ne pourra feule
aller un peu loin faire ces fourrages ; elle n’ira
pas interrompre'ceux de l’ennemi, lui enlever'fes
fourrages ; la chaîne qu’elle formeroit ne feroit ni
affez étendue pour embrafferun terrein fuffifant, ni
affez épaiffe pour, foutenir l’impétuofité du choc de
: la cavalerie ennemie.
Enfin Montécuculi, le Végèce de nos jours, efti-
me que la cavalerie pefaute doit au moins faire la
moitié de l’infanterie, 6c la légère le qùart au plus
de la pelante : lesfentiments de ces grands généraux
de nations différentes, ceux des anciens 6c des plus
grands capitaines, la raifon 6cl’expérience, les opérations
les plus importantes de la guerre , 6c tous
les befoins d’une armée, font autant de témoignages
de la néceflité de la cavalerie.
C ’eft fans doute à caufe de l’importance des fer-
vices d elà cavalerie en campagne, que'de tout
temps on a jugé que dans les occafions où il fe trouve
mélange des deux corps, l’officier de cavalerie com-
manderoit le tout, parce que les opérations de la
cavalerie exigent une expérience particulière que ne
peut avoir l’officier d’infanterie ; 6c Ton peut dire
que fi celle-ci attend la mort avec fermeté , l’autre
y vole avec intrépidité.
On a prouvé de tout temps que des cavaliers
épars n’auroient aucune folidité ; c’eft ce qui a
obligé d’en joindre plufieurs enfemble, ôc c’eft cette
union, comme on l'a dèjadit , qu’on nomme
efcadron.
Bien des peuples formoient leurs efcadrons eft
triangle , en coin, en quarré de toutes efpèces : le
lof ange étoit l’ordonnance la plus généralement reçue
, mais l’expérience a fait fentir qu’elle feroit
vicieufe , 6c a fait prendre à toutes les nations la
forme des efcadrons quarrès. Les Turcs feuls fe fervent
encore du'lo fange 8c du coin; ils penfent,
comme les anciens, que cette forme eft la plus
propre pour mettre la cavalerie en bataille fur
toutes fortes de terreins, 8c la faire fervir avantageusement
aux différentes opérations de la guerre
d’autant plus; facilement, qu’il y a un officier à
chacun de fes angles ; d’ailleurs comme cet efcadron
fe préfente en pointe , ils croient qu’il lui eft aifé
de percer par un moindre intervalle ; que n’occupant
pas un grand efpace , il a plus de vivacité dans
fes mouvements, 8c qu’enfin il n’eft pas fujet, lorL
qu’il veut faire des converfions, à tracer de grands
circuits comme l'efcadron quarré , qui eft contraint
dans ce cas de parcourir une grande portion de
cercle. Mais fi les efcadrons en iofange ont effectivement
ces avantages, ils ont auffi les défauts de
ne préfenter qu’un très-petit nombre de combattants
; les parties intérieures en font inutiles, 6c la
! gauche n’en peut combattre avec avantage. Cet
i efcadron, pris par un autre , formé fur un quarré