
vous forcent de rifquer le tout pour le tout, j
Si les places dont les ennemis peuvent occuper [
les avenues d’un jour à l’autre , font fi bien fortifiées
qujen y mettant une bonne garnifon, &. en
les muniffant de provifions de bouche & de guerre ,
vous deviez compter davantage fur leur longue
défenfe que fur l’efpérance d’une bataille douteufe
en rafe campagne , il y aura de la prudence a
démembrer une partie de votre armée pour augmenter
les garnifons, principalement fi vous avez
lieu de vous promettre que l’armée ennemie diminuera
avec le temps. -
Je dis la même chofe , fi votre armée , même
fans renforcer les garnifons, n’eft pas affez forte
pour difputer la campagne aux ennemis , parce
qu’il n’y auroit rien de pire que d’être tout à la
fois inférieur en raie campagne., & de n’avoir pas
les places dans un bon état de défenfe.
Les troupes qui vous relieront , après avoir
renforcé vos. garnifons, & qui feront pour la plupart
de cavalerie , ferviront pour incommoder les
convois , les fourrages & les détachements des
ennemis, ou pour jetter dans la place affiégée des
fecours à la dérobée , ainfi que je le dirai dans
la fuite.
Il ell extrêmement avantageux d’être fupérieur
en bâtiments armés fur les lacs & fur les rivières
navigables du pays où l’on foutient une guerre
défenfive , tant pour empêcher les tranfports des
vivres & des fourrages des ennemis, & les conf-
truâions des ponts , que pour fecourir les places
lituées fur les bords de ces eaux, lorlqu’elles feront
affiégées.
Des moyens de défendre Ventrée d'un pays contre
une armée ennemie.
J’ai déjà obfervé, dans un autre endroit de cet
ouvrage , qu’il y a des frontières plus favorables
les unes que les autres pour entrer dans le pays
ennemi. Sur les avis que j’ai donnés à ce fujet,
vous pourrez conjeâurer par quel côté il eft à
préfumer que les ennemis pâmeront la guerre dans'
les états de votre fouverain. Prenez garde pourtant i
de vous laiffer tromper par les premières appa- I
rences, ou par les bruits que les ennemis répandront
par rapport à leur marche pour entrer dans
votre pays.
Si l’ennemi, pour pénétrer dans vos états, eft
néceffairement obligé de paffer des détroits & des
défilés , fortifiez-les & faites-les'garder, avant qu’il
mette en campagne des troupes pour les venir
occuper. Souvent , 'à la faveur d’un terrein extrêmement
rude , dix mille hommes font ce que
quarante mille n’oferoient pas même entreprendre
dans un terrein plus étendu.
George Caftriot Scanderberg, prince de Croye,
voyant qu’il n’y avoit qu’un feul chemin par où
les Turcs puffent entrer dans l’on p ay s , les en
empêcha, en faifsnt conftruire par avance la citadelle
de Modrifa fur le fommet d’une montagne
qui commandoit ce chemin.
Lorfque les IfraélitesTe préparoient pour fe
défendre contre Holopherne , le prêtre Eliachim
écrivit à touts ceux qui habitent auprès des. chemins
par où l’ennemi pouvoit paffer à Jérufalem,
d’occuper le haut des montagnes, & de garder les
défilés entre une montagne & l’autre.
Je dois avertir que le defir d’aller occuper un
défilé ne doit pas vous porter à vous avancer fi
avant, que les ennemis puiffent, en panant par
un autre côté , vous couper la retraite ou les
y'ivres*
Léonidas , roi de Sparte , défendit, avec huit
mille Grecs, les défilés des Termopiles, contre
un million d’hommes de l’armée, de Xercès Logi-
manns, jufqu’à ce qu’enfin, par la trahifon d’Ipialte
Trachinius , Xercès entra par un autre chemin.
.Léonidas , ayant par-là été coupé , & ne trouvant
plus le moyen de fubfifter ni de taire retraite, ne
chercha plus que la glorieufe mort dont j’ai parlé
dans un autre endroit.
S i, en occupant un défilé qu’il y a fur le chemin
qui va en droiture de votre pays à celui des ennemis
, vous les contraigniez à prendre un grand
détour, il eft à propos' d’occuper ce défilé, afin
qu’ils confument plus de ' temps , plus de vivres
& d’argent , & qu’ils perdent dans une longue
marche des hommes &. des chevaux , pourvu
néanmoins que vous vous retiriez avant que les
ennemis puiffent vous epuper.
Les Athéniens &. les Lacédémoniens, qui fai-
foient la guerre contre Xercès , s’avancèrent pour
occuper les défilés du mont Olympe , ce qui
obligea Xercès de prendre le détour de la Haute-
Macédoine ; mais ils les abandonnèrent avant que
ce prince fût en fituâtion de les couper.
Afin que des ennemis peu fcrupuleux ne vous
engagent pas , par des ordres fuppofés de' votre
prince, à abandonner le défilé dont nous parlons,
il eft néceffaire d’avoir concerté, avec les miniftres
de votre cour, les précautions dont j’ai parlé dans
le commencement de cet article.
Céfar Mormile, qui avoit obtenu du roi très
chrétien, quelques feings en blanc, pour les faire
valoir à Naples, repentant.de fervir les François,
paffa à Rome fpus certains prétextes ; il s’y
aboucha avec don Diego de Mendoza & avec
le 'cardinal Pacheco , miniftres d’Èfpagne , pour
réfoudre fur la manière d’empê;cher la jonélion
de la flotte Françoife avec celle des Turcs, commandée
par le bacha Ruyten, qui étoit déjà devant
Naple*. Il fut déterminé, par un commun accord
entre ces trois perfonnes, que Mormile fe ferviroit
de ces feings en blanc du.roi de France pour écrire
à Ruyten que, par des événements furvenus, il
étoit impoflible à l’armée Françoife de fe joindre
cette année à celle des Turcs j que par conséquent
Ruyten pouvoit fe retirer à Conftantinople ; ce
qu’il fit, fur,la foi de cette lettre, & trompa ainfi
l’attente
l ’attente du prince de Salerne, qui, quatre jours
après, arriva auprès de Naples avec l’armée de
France, dans la fuppofitio» qu’il y rencontreroit
Ruyter; de forte que, par toute cette manoeuvre',
les projets des François s’évanouirent cette campagne.
G’eft ainfi que Lazzari le rapporte.
Les partifans de France contrefirent un ordre
de l’empereur Léopold, qui défendoit au général
Montécuculi de joindre fes troupes avec celles
de l’élefteur de Brandebourg. Ce faux ordre fut
envoyé à Montécuculi, qui s’exeufa auprès de
l’éleâeur, lorfcjue ce prince lé preffa peu après
d’accélérer la jonéliôn ; parce que Montécuculi,
lùr la foi de cet ordre fuppofé., croyoit que l’intention
de l’empereur n’étoit pàs de donner du
fecours à l’éleéleur. Ce fait eft ainfi rapporté dans
la vie de Charles V , duc de Lorraine, ou dans
celle du vicomte de Tureraie , & il, en eft. fait
mention dans le livre intitulé : Vempereur & Vempire
trahis.
Si les gués des rivières que les ennemis doivent
paffer font aifés à garder avec peu de troupes, 1
caufe de leur rapidité | de leur profondeur & de
leurs mauvais fonds , ou parce ,que ces gués font
un peu éloignésles uns des autres, ( car ce n’eft
que dans ces circonftances que vous devez penfer
den empêcher le paffaee à l’armée ennemie ),
dans ce cas, envoyez des détachements, qui fe
retrancheront, au-devant de ces gués , qui y. dref-
feront de bonnes batteries , & qui fe tiendront de
pied fërme chacun dans fon pofte, quand même
ils apprendroient que les ennemis en attaqueroient
un autre. Pour le fecours des poftes attaqués,
confervez un gros de troupes, dont la plus grande
partie fera de cavalerie , afin qu’elle accourre plus
promptement, où le befoin l’exigera.
11 faut indifpenfablement, dans cette entreprife,
avoir parmi, les ennemis des perfônnes affidées,
qui ;vous donnent des. avis exaéls fur le nombre
v & fur la deftination précife de chaque détachement
que les ennemis font, afin de n’être pas
trompe par les rufes & les fauffes apparences :
autrement »■ par une fauffe marche , ils. vous, appelleraient
loin du' gué.^qu’ils.prétendent’ forcer,
& ils ,1e pafferoient encore avec plus de. facilité,
y vous aviez éloigné ce corps de réferve que je
Viens de propofer pour accourir où il fera né-
çeffaire., Lorfque la rivière eft navigable, vos
• aTfn^s ne cefferont de la courir, afin
: J^rvér ce quLfe- paffe, pour vous en donner j
aVr ” n s.,0PP°^er au Pafiage des ennemis.
C eft ên mettant en ufage toutes les précautions
^ v^ ns de parler, que le comte Maurice de
Nallau empêcha Je paftage de l’Iffel & du Waal
aux troupes de l’archiduc Albert & de Philippe III,
F01.4 ? £Pagne » commandées par le marquis Am-
broife Spinola.
W Sl ^s.ennemis veulent tenter de jetter un pont
ua .V°|re vu e , tâchez de les empêcher d,e s’appro- '■
pher du bord par le feu de vos batteries & de
A r t militaire* Tome U .
votre infanterie retranchée. Les moufquets de
Bifcaye font d’un grand fervice dans jeette opération.
Pour éviter enfuite qii’ils ne s’établiffent fur
votre bord , faites de continuels détachements
pour attaquer les foldats ennemis à mefure qu’ils
auront paffé. Tenez un peu loin,le gros de vos
troupes que vous n’aurez pu couvrir ; aùtrement
elles feroient trop expofées au feu du canon & du
.moufquet des ennemis , qui fans doute fe feront
auffi retranchés de leur côté : il faut néanmoins
que ce gros de vos troupes foit à une diftanoe
convenable pour foutenir les détachements.
: S i , malgré touts vos efforts,, ils réuffiffent à fe
fortifier fur votre bord , battez leur ouvrage avec
toute votre, artillerie ; & pour empêcher qu’ils ne
le mettent en un meilleur état de défenfe , ou
qu’ils ne détendent davantage., afin de couvrir un
plus grand nombre de léurs; troupes, réitérez les
affauts pour obliger l’avant - garde dés ennemis
à repaffer la rivière , ou à> fe jetter dans leurs
bateaux : retranchez-vous alors fur le terrein qu’ils
occupoient, s’il vous paroît convenable, ou un
peu plus en arrière, en ruinant leur travail.
Cette attaque fe doit faire de nuit, afin d’être
moins incommodé par je feu des batteries & des
retranchements que lés ennemis ont fur l’autre
bord : conftruifez auffi la.nuit des batteries q u i,
s’il eft poffible , flanqueront celles des ennemis &
leurs retranehements qui tireront auffi fur les
pontons que. les • ennemis jettent dans la rivière
pour la co'nftruâion de leurs ponts , qu’il faut
encore tâcher de rompre par les machines dont
je parlerai dans la fuite.
S i , nonobftant vos nouveaux efforts, les ennemis
ont-étendu leur ouvrage; Ôt y ont logé leur
armée, campez un peu ,pjus loin de la portée de
leur canon, pour les charger Jorfqu’ils, défileront
en fortant ;de: leur retranchement, fuppofé qu’ils
n’ayent pas pris auparavant la précaution de le
ruiner & de l’applanir ; quand même ils l’auroient
prife, attaquez-les , fi entre leur retranchement &
la rivière il n’y a pas Tçfp.ace convenable pour
fe mettre en ordre de bataille & pour former, libre
ment les lignes- : tout cela doit s’entendre dans
la fùppofition que vous n’ètes-pas exceffivemeht
inférieur en troupes.
L’armee de Louis X I I I , roi de France , jetta un
pont fur le Garillan , & fe fortifia fur l’autre bord
de la rivière. L’armée d’Efpagne, commandée par
le grand capitaine, quoique beaucoup plus foible ,
vint fe retrancher à la vue des François „ qui
n’ofèrent fortir de leur camp fortifié. C ’eft dans
cette occafion que ce général, n’ayant pu empêcher
ce paffage, adreffa ces héroïques paroles à
ceux des fiens qui lui confeilloient de fe retirer :
j'aime mieux, leur d it - il, trouver mon tombeau
en gagnant ün pied de terre fur l'ennemi, que de
prolonger ma vie de, cent années en reculant de quelques
pas,
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