
côté de l’ennemi , lorfqu’on fourrage devant foi ,
on voit tout le pays qui eft entre nous ôc lui. Si
l’armée décampe 8t fe met en pleine marche ,
on doit alors examiner l’ordre des colonnes, le
pays qu’elles traverfent , & l’efpace a-peu-pres
qu’il y a de l’une à l’autre. On fe demande alors
fi l’ennemi, par une marche fecrette & accélérée,
venoit tout d’un coup tomber fur là tête de notre
marche , quel parti prendroit notre général , ou
quelle réfolution prendrois-je moi-même fi j’étois
a fa place ? Voilà une colonne de cavalerie engagée
dans un pays brouillé & parfemé dé défilés ,
où elle ne fauroit agir. Si' l’ennemi lui oppofoit
de l’infanterie, que ferois-je ? Comment m’y prendrois
je pour le tirer d’un tel coupe-gorge^ d’un :
pas fi dangereux , pour la transporter d un lieu
en un autre, où elle pût être de quelque ufage ?
De l’autre côté je n’apperçois qu’une colonne
d’infanterie J marcher tranquillement a travers la
plaine, où elle aura peut-être en tête une partie
de la cavalerie ennemie ; ce n’eft peut-etré pas la
faute du général, fi les chofes arrivent de la forte,
parce que le pays change a tout moment. Peut-
être feroit-on mieux dans les marches de partager
les deux armées dans les colonnes, c’eft-a-dire,
•qu’on devroit mêler l’infanterie avec la cavalerie ;
enforte que l’une ne marchât jamais fans l’appui
de l’autre, pour être préparé à tout évènement :
cela me femble dans les réglés. Sans^cette précaution
tout eft perdu. Si 1 ennemi profite dune
marche pour engager une affaire, on eft d’autant
plus furpris que ces fortes d’entreprifes font très
rares & toujouis sûres, il faut fe ranger, fe mettre
en bataille dans ces cas inopinés ; la fituation des
lieux doit me régler, dira cet officier applique
& méditatif; cette fituation eft maîtreffe de l’ordre
pour placer chaque armée au terrein qui lui convient.
„Comment s’y prendre, puifque la cavalerie
fe trouve embarquée dans un terrein qui n’eft
propre qu’à l’infanterie? Comment faire ? c’eft ce
que nous ne dirons pas ici : mais dans le cours
de notre ouvrage, où l’on verra par quels moyens
& par quelle méthode un général d armee pourra
fe tirer d’intrigue en pareille occafion. Voila un
grand fujet de le former le coup~d,czil; mais comme
je veux couler cette matière à fond, nous' ne prétendons
pas en demeurer la : car on n eft pas toujours
à la guerre, & on ne la fait pas toujours : s il
falloir l’attendré pour fe former dans l’art de voir
en guerrier , à peine trois ou quatre campagnes
fuffiroient-elles.
J’ai dit que la chaffe étoit mvbon moyen pour fe
former le coûp-d'oeil; mais tout le monde n’eft pas
agité de cette paillon, quelque noble & honnête
qu’elle foit. Les voyages peuvent nous être à
peu-près de la même utilité. Je n’en ai pas fait
un 'que je n’aie mis à profit, foit par coutume,
foit par inclination au metier. On foupçonnera
peut-être que c’étoit aufli pour trouver la fortune.
Mifejs non, je ne l’ai jamais cherchée; quelquefois
elle s*eft préfenté^fur ma route ; maïs comme elfe-
n’étoit pas d’humeur à marcher de compagnie
avec l’honneur, la franchife, la probité, & quelques
autres vertus militaires que je mène affex.
volontiers avec moi, je l’ai envoyée porter fes
faveurs à d’autres, qui-, moins difficiles, s’en font,
accommodés aux conditions qu'elle a voulu, &
j’ai continué mon chemin, ne penfant qu’au coup-
d'oeil dont eft queftion.
Lors donc que l’on eft en voyage, on examine-
en marchant tout le pays qui fe trouve à portée delà
vue, toute la ligne du terrein le plus éloigne
comme toute l’ étendue de celui où nous fommes*.
On campe par imagination une armée fur le terrein.
qui fe découvre le plus devant nous, & que nous
voyons en face. On en confidère les avantages Ô£
les défauts ; on voit ce qui peut être favorable-
à la cavalerie ; ce qui eft propre à l’infanterie ;
je fais la même chofe dans le pays qui eft en-deça .;
je forme imaginairement les deux ordres de bataille,
& imaginairement je mets en oeuvre tout
ce que je fçai de ta&ique & de rufes de guerre. Pa*
cette méthode, je me perfectionne le coup-d'oeil 9.
je me rends le pays familier, & je me fortifie
dans l’art de faifir promptement- les avantages des.
; lieux, ou ce qui peut y être dé (avantageux, outre-
que j’avance en connoiffances. (Folard, 1 .1 ,pf0.6i')o.
Le coup-d'oeil, proprement dit, fe réduit à deux,
points. Le premier e ft , d’avoir le talent de juger
combien un terrein peut contenir dé troupes. C ’eft
une habitude qu’on n’acquiert que par la pratique>
après avoir marqué plufieurs camps, 1 oeil s accoutumera
à la fin à une dimenfion fi précife, que vous,
ne manquerez que de peu de chôfe dans vos efti—
mations. ||J $
L’autre talent beaucoup fupériêur à celui-ci,’
eft de fçavoir diftinguer au premier moment, touts.
les avantages qu’on peut tirer d’un terrein. On
peut acquérir ce talent & le perfectionner, pour
peu qu’on foit né avec un génie heureux pour
la guerre. La bafe de ce coup-d'oeil eft fans contredit
la fortification aux pofitions d’une armée.’
Un général habile fçaurà profiter, de la moindre
hauteur, d’un défilé, d’un chemin creux, d’un
marais , & c .
Dans l’efpace d’un quarré de deux lieues, on
peut quelquefois prendre deux cents pofitions.
Un général à la première vue fçâura choifir la
plus avantageufe. Il fe fera précédemment porté
fur les moindres éminences, pour découvrir le
terrein & le reconnoître. Les mêmes règles de
la fortification lui feront voir le foible de 1 ordre
de bataille de fon ennemi. 11 eft encore d'une très
grande importance a un général, f r ie temps le
lui permet, de compter les pas de fon terrein ,
lorfqu’il a pris la pofition générale. -
On peut tirer beaucoup d’autres avantages des
règles de la fortification ; comme par exemple,
d’occuper les hauteurs & de les fçavoir choifir de
façon qu’elles ne foient pas commandées par d au»
fà'es ; d’appuyer toujours fes ailes pour couvrir
-les flancs ; de prendre des difpofitions qui foient
fufceptibles de défenfe , & d’éviter celles où un
homme de réputation ne pourroit fe maintenir,
fans rifquer de la perdre. Selon les mêmes règles ,
on jugera des endroits foibles de la pofition de
l ’ennemi, foit par la fituation défavantageufe qu’il
•aura prife , foit par la mauvaife diftribution de fes
troupes, ou par le peu de défenfe qu’elle lui
^procure. ( InflruH. du R. de P. ).
COUPURE. Retranchement fait dans l’intérieur
d’un .lieu que l’on veut défendre. La coupure eft
^quelquefois un fimple foffé. On y fait le plus fou-
vent un parapet en terre ; on y fait un revêtement
•de maçonnerie.
On pratique des coupures dans l’intérieur d’un
•ouvrage de fortification , pour en prolonger la
-défenfe dans l’intérieur d’une place, aux gorges
-des baftions , derrière le front qui eft attaqué , dans
.les rues d’une ville,, dans celles d’un village, pour,
difputer le terrein & prolonger la défenfe.
COU R AGE . V.égèce, qui parle fort au long de
•cette qualité militaire, examine d’abord de quel
:;pays il faut tirer fes recrues pour avoir de bonnes
troupes. Il eft certain, d it - il, qu’il naît dans touts
les pays du monde des hommes braves & des
.lâches ; mais, comme il n’eft pas moins vrai- qu’il
y a des nations qui valent mieux que d’autres
jpour la guerre ; que le climat influé beaucoup, non-
feulement fur la force du corps , mais même fur
«celle de l’ame, je rapporterai le fentiment des plus
-fçavants hommes à ce fujet.
Lés nations , difent - ils JJ les plus proches de
-l’équateur , defféchées par les ardeurs du foleil, ont
.plus de fagacité & de .génie , .mais ont moins de
fang que les autres , & par cette raifon moins de
•forces, qui cependant font le principe de cette
valeur fi néceflàire à la guerre : la foibleffe qu’ils;
réprouvent les rend timides &. leur fait fuir les dangers
.. Les peuples feptentrionâux, au contraire, qui ne
■ font point expofés aux chaleurs^brûlantes du
fo le il, font moins doués de fineffe & d’efprit,,
mais ils abondent en fang, ce qui les rend plus
vigoureux , & par conféque.nt plus propres au
métier de la guerre.
C ’eft donc des climats tempérés qu’il eft plus
.avantageux de tirer des hommes : ils raffemblent
le s qualités-de l’efprit &. du.corps que l’on trouve
partagées dans les uns & lès autres; ils ont cette
'quantité de fang, qui donnant de la vigueur , leur
Infpire de la confiance en leurs forces, leur fait
«brav'er les dangers, & la -mort même. Enfin , ils
ne manquent pas de génie, & font doués d’une
intelligente docilité qui les rend.très propres à la
•difcipline , & leur fait don fer ver dans les aâions les
•plus périlleufes un fang froid &am jugement qui
afliirent fouventde fuccès.
•0 n voit .en.effet dans Ariftote Jk dans Cicéron
qu’il y a des nations plus faites que d’autres pouf
vivre patiemment dans l’efclavage. C ’eft une opinion
femblable qui fait dire à V ég è ce , non-feulement
ce que nous voyons dans le morceau que
je viens de citer, mais qu’il dit encore ailleurs que
le général doit, avant de donner bataille, avoir
fait des obfervations qui le mettent à portée d’employer
, félon les cas, de certaines troupes de cavalerie
, contre de certaines autres de l’ennemi
plutôt que d’autres; car, a jo u t e - t - i l ,je ne fçais
par quelle raifon cachée , & en quelque forte au-
deffus de la portée de notre jugement, il y a des
troupes qui combattent avec plus de fuccès contre
de certains corps, que contre de certains autres ;
& par quel afeendant on en a vu être battus par
des troupes beaucoup plus foibles que d’autres, fur
qui elles avoient eu de l’avantage.
De-là cet auteur donne le lyftème du climat
qui produit plus ou moins de fang, félon qu’il eft
plus ou moins éloigné du foleil, ou plus ou moins
de flègme. Ce fyftème a eu des parafants, & Lucain
a dit aufli que dans les pays chauds de l’Orient,
les hommes y font foiblesg que la douceur de l’air
amollit le courage , & que leur maintien annonce
leur foibleffe, pendant qu’il dit avant, que ceux
qui font vers les pôles, dans une température plus
froide, font plus courageux, & foutiennent mieux
■ les fatigués de la guerre.
L e même poëte dit ailleurs, qu’à caufe du climat
tempéré, le Gaulois eft docile aux dogmes des
druides ; qu’il croit à 1a métempfycofe , & que
cette heureufe chimère lui fait mépriferla plus redoutable
des frayeurs, celle de la mort , rechercher
les.combats & braver les dangers.
Carte. populi quos defpicit arctos,
■ iFelices errore fuo , quos ille‘ timorum.
Maximus haud urget lethi mort us.:; inde ruendi
■ In.fçrrum mens prona viris, animoe que cap aces
.Mortis} «S* ignavum reditum parcere vita.
Ce que dit Pline fur la nature du fer même qùi a
des qualités différentes, relativement à celle du
climat où il fe forme , eft d’accord avec ce fy f tème
; & les philofophes fondés fur l’expérience,.
ont reconnu que c’eft la chaleur plus ou moins
grande qui produit les différences que l’on remarque
dans'la faveur des fruits, dans l’odeur des fleurs,
dans la groffeur des productions de la terre , dans
la corporation des animaux de même efpèce ; que
les femences dégénèrent tranfplantées d’un climat
dSns un autre, & qu’on en voit autant des hommes,
dont le naturel cha'nge en changeant de pays.
M. de Montefquieu a examiné fi les hommes
font en effet différents dans les divers climats : il
dit , avec les phyficiensque l’air froid reflerre les
extrémités des fibres-extérieures de notre corps ,
( ce -que. prouve l’expérience, .& paroît meme.à la
v u e ,.puifque dans le froid-on paroît plus-maigre } ,
.cela augmente leur ièfl'ort &cfavorife le retour da
fang des .extrémités vers le coeur. Il diminue la
longueur de ces mêmes .fibres ; ( en fçait encore