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craindre ? Annibal l’éprouva en Italie. Après
avoir épuile en vain beaucoup de rufes militaires
pour attirer au combat Fabius-le-Temporifeur ,
le général Carthaginois veut en employer une
plus puiffante que toutes les autres ; il réfout
de ravager la Campanie fous les yeux du dictateur
; il ordonne à trois cavaliers Campaniens
qui lui fervent de guides, de conduire fon armée
dans le territoire de Cajîn .5 mais il prononce li
mal ce mot, qu’ils entendent Cafilin , & ils la
mènent en effet à une petite diftance de Cafilin
, dans les défilés qui.réparent le Samnium de
la Campanie : alors le di&ateur voyant Annibal
engagé dans ce détroit , attaque fon arriere-garde,
lui tue beaucoup de monde, &. met une partie de
fon armée en défordre.
L’empereur ManuelComnène & plufieurs autres
princes ou généraux anciens & modernes ^ont
éprouvé combien il étoit néceffaire au chef d’une
armée de eonnoître les langues vivantes ; aulïi
beaucoup en ont-ils fait une etude fuivie.^ Je me
contenterai de citer l’empereur Charles-Quint qui,
à Ingolftadt, parla leur langue maternelle aux
divers corps de fon armée , & le célèbre maréchal
de Loewendal qui connoiffoit fept langues differentes.
, ’
Mais à l’étude de quelles langues les generaux
doivent-ils donner la préférence ? Parmi les langues
vivantes, ils doivent étudier d’abord celles que
parlent les puiffances limitrophes de la nation dont
ils fe propofent de commander les armées ; mais
ils apprendront de préférence la langue & meme
les divers dialeÔes des alliés & des ennemis naturels
de la puiffance qu’ils fervent. Ils doivent
en outre eonnoître & parler le patois du lieu qu ils
prévoient devoir fervir de théâtre à la guerre. Pour
acquérir toutes ces connoiffances, le general fe gardera
d’avoir uniquement recours aux grammaires :
cette manière d’apprendre une langue eft infiniment
longue & rebutante ; elle lui feroit perdre
un temps toujours précieux. Il voyagera donc dans
les divers pays dont il voudra parler 1 idiome ;
il lira les auteurs militaires & les meilleurs hifto-
riens écrits dans cette langue ; il compofera fa
maifon de domeftiques tirés des différentes contrées
, & fe fera une loi de leur parler leur langue
maternelle.
La langue allemande doit être la première pour
un général,François ; la langue angloife doit fuivre
immédiatement ; puis viendra le dialeâe flamand ;
enfin l’italien, l’efpagnol & le ruffe. T e l eft a-peu-
près l’ordre que le vainqueur de Berg-op-zoom
avoit fuivi. F ,
Les Romains que nous citons avec tant de com-
pîaifance , mais que nous imitons fi peu, faifoient
apprendre à leurs enfants la langue du peuple avec
lequel ils étoient en guerre. C ’eft Tite-Live qui
rapporte ce fait ; quand il feroit faux, il n en four-
niroit pas moins une maxime utile. D ’a p is ce
principe , ne devroit-on pas obliger toutê les officiers
G É N
François à fçavoir au moins l’allemand & l’anglois ?
Mais le latin, cette langue qu’ont parlé nos
maîtres dans l’art de la guerre ne doit-elle pas
être connue du général ? Dans toute 1 Europe, les
fçavants Sc les prêtres parlent latin ; beaucoup
d’ouvrages inftruéfifs ont été compofés en cette
langue ; ainfi elle peut être d’un grand fecours au
chef d’une armée. 11 pourra donc confacrer quelques
inftants à fe la rendre familière ; mais l’homme
de guerre a moins befoin du ftyle que des chofes ;
les bonnes traduirions nous tranfmettent les idées
1 des auteurs ; aufli nous ne rangerons pas le latin
dans la claffe des connoiffances prefque neceffaireç
au général.
§ . V I.
Du droit des gens•
On donne le nom de droit des gens aux loix
réciproques que les divers peuples ont établies entre
eux , &. qu’ils font convenus de fuivre pendant la
paix & pendant la guerre. Ces lo ix , dit Mon-
tefquieu, font fondées fur ce principe, que les
diverfes nations doivent fe faire dans la paix le
plus de bien, & dans la guerre le moins de mal
qu’il eft pofïible, fans nuire à leurs véritables intérêts.
On ne mettra pas en doute l’utilité de cette
fcience pour le général d’armée ; elle lui apprendra
jufqu’oii s’étendent les droits de la vi&oire; elle
lui fera eonnoître fi les moyens qu’il fe propofe
d’employer pour l’obtenir, font juftes, & s’ils font
fondés fur les conventions générales. Pour s’inftruire
dans cette fcience, le général aura quatre guides
affurés dans les ouvrages de Grotius, Puffendorff,
Montefquieu & le baron de Wolff. Le droit de
la guerre & de la paix du premier ; le droit de
la nature & des gens du fécond, ouvrages traduits
par Barbeyrac ; l’efprit des loix du troifième, ôc
les inftitutions du droit de la nature du quatrième ,
font des livres excellents que le général devroit
avoir étudiés, &. que le refte des militaires devroit
avoir lus.
§ . V I I .
Du droit public.
Outre le droit des gens, qui eft univerfel &
réciproque entre les peuples, chaque nation a
encore fon droit public, que Montefquieu appelle
droit politique. Les loix qui compofent ce droit,
marquent le rapport de ceux qui gouvernent avec
ceux qui font gouvernés. Il eft néceffaire au général
de fçavoir quels font ces rapports & chez le peuple
dont il doit commander les armées, & chez les
nations alliées ou ennemies. Inftruit du fiftème
de chaque gouvernement & de fes loix fondamentales
; fçaehant quels font les droits de la puiffance
fouvçraine, ceux des peuples, les conventions
»
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tions, les traités faits avec les nations voifines ,
les bornes du commerce, de la navigation, &c. 1
il pourra plus aifément former un bon plan de ,
guerre &. de campagne; & fouvent, s’il fçait en
profiter, le choc des divers pouvoirs lui offrira
Toccafion d’acquérir de la gloire à peu de frais;
car la manière de faire la guerre à un defpote,
a Une république démocratique , ariftocratîque ou
fédérati-ve , militaire ou commerçante , enfin à un :
gouvernement mixte, doit être réellement différente.
Parmi les droits publics, celui de l’Allemagne
mérite une étude particulière à caufe de la quantité 1
de princes # de républiques, & d’autres fou verains
dont on doit ménager les différents intérêts.
§ . v i n .
Du droit civil»
Outre le droit des gens & le droit public, le
général d’armée doit cohnoître encore celui qu’on
appelle droit civil , & qui eft l’expreflion des rapports
que les citoyens ont entre eux. Il n’eft pas
néceffaire que le chef d’une armée connoiffe à
fond la jurifprudence civile ; mais, comme il fe
préfentera certainement dans le cours de fon commandement
des circonftances où il lui fera néceffaire
de fe décider d’après les loix .écrites , ne
faut-il pas qu’il les connoiffe ?
§ . I X .
De la politique*
La politique fait eonnoître les divers intérêts des
peuples & des fouverains ; elle apprend quelle eft
la meilleure manière de traiter avec eux ; elle
ènfeigne au chef d’une armée le moyen de pratiquer
des intelligences utiles à l’exécution de fes deffèins.
L’étude de cette fcience eft donc néceffaire au
général, & les capitaines les plus célèbres s’en font
conftamment occupés. Eugène & Villars , ces deux *
célèbres rivaux , négocièrent à Radftat avec la
même fupéridrité dé génie qui les avoit fait triompher
à Malplaquet &. à Denain. Marlbourough,,
après avoir employé l’été à vaincre les François ,
s’occupoit pendant l’hiver à négocier contre eux.
Tallard , prifonnier en Angleterre , fit oublier par
fes négociations qu’il avoit caufé notre honte à
Hochtedt. En un mot , les la Trimouille , les
Briffac , les Deftrades , les Rohan, les Belle-Ifle ,
les Grammont, &. mille autres, ont fervi l’état
comme ambaffadeurs. & comme généraux , &.
leurs négociations ont autant contribué à leur renommée
que leurs vi&oires..
§ . X.
Des mathématiques.
Les partifans outrés des mathématiques ont voulu
les faire regarder comme néceffaires à toutes les
fciences : la religion, ont-ils dit , la morale, la
politique , & toutes les connoiffances humaines
Art militaire. Tome II,
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en naiffent ou en dépendent ; les détracteurs des
mathématiques les ont ravalées. D'après ces jugements
, on feroit tenté de croire que les uns &. les
autres ne les connqiffent pas. Ces fciences né
ferviffent-elles qu’à rendre Vefprit jufte & confé-
quent, ne fiffent-elles que faciliter lacquîfition des
autres connoiffances , elles n’en mériteroient pas
moins d’être étudiées par l’homme de guerre. C ’étoit
ainfi que penfoient Saxe & Lowendal : ces deux
généraux célèbres en avoient fait une étude particulière
, & ils en ont retiré des avantages cônfi-
dérables. Cependant comme les différentes parties
des mathématiques ne peuvent être également
néceffaires au commandant en chef , voyons a
quelle branche de ces fciences il doit s adonner
principalement.
L’arithmétique, ou l’art de calculer les nombres ,
fe préfente la première. Peut - être auroit-elle du
trouver place parmi les connoiffances indilpenfables.
La géométrie & la trigonométrie re&iligne viennent
enfuite : elles enfeignent à mefurer les diftances &
les hauteurs inacceflibles, &c. Elles font donc ne-
ceffaires au général dans les camps , dans les fieges ,
& dans les batailles. Enfin la méchanique, l’hidrau-
lique & l’architeélure militaire , complettent le
cours de mathématiques propre au chef d’une ar mée.
Quant à la géométrie tranfeendante , le militaire
pourra en abandonner l’étude aux fçavants qui en
font leur unique occupation. L’homme de guerre
doit bien fe garder encore de chercher dans toutes
fes opérations la certitude géométrique ; il perdroit
à calculer un temps qu’il doit employer a agir , &
il réfulteroit de fes calculs une inaêtion prefque
continuelle, parce qu’à la guerre il eft peu d événements
dont la réuflite puiffe être rigoureulement
démontrée.
§ . X I.
Du dejjin.
Le deflin eft utile pour apprendre l’art de la
guerre; mais il eft plus utile encore pour le mettre
J en pratique. Le général veut-il reconnaître un
champ de bataille , s’il n’a pas l’art d’en lever le
croquis, comment pourra-t-il faire dans fon cabinet
la meilleure difpofition relativement aux cif-
conftances du terrein ? Il pourra, je le fçais , fe
I faire fuppléer par quelques-uns de les fubalternes ,
ou par les ingénieurs-géographes qu’il a a fes ordres ;
mais ni les uns ni les autres ne voyent avec les
yeux du général ; ils pourront donc négliger quelque
détail qu’ils croiront minutieux , mais qui fera
important pour le chef de l’armée. Le général qui
connoît le deflin, diftingue plus aifément les fignes
de convention qu’on employé pour repréfenter
les divers objets ; il évalue avec plus de facilité
les rampes, les hauteurs -, les profondeurs des ravins ,
des ruifîeaux, & c . objets qui doivent lui être parfaitement
connus. Le général qui n’eft pas habitue
à deftiner fe forme difficilement une idée bien
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