
dont on auroït profité , & que l’on regrette encore
touts les jours.
S’il eft permis cependant de faire quelques réflexions
fur un deffein auffi vafte, on ne peut s’empêcher
d’avouer que le fuccès en étoit bien incertain
, on oferoit prefque ajouter que le but en
etoit affez inutile à bien des égards. En effet, n’y
a-t-il pas affez d'écoles où l’on enfeigne la théologie
& la jurifprudence ? Manque-t-on de fecours
pour s’inftruire dans toutes les fciences & dans
touts les arts ? S’il s’eft gliffé quelques abus dans
ces inffitutions , il eft plus aifé de les réformer
que de faire un établiffement nouveau , qui ne
pourroit que difficilement fuppléer à ce qui eft
fait ; la partie militaire fembloit donc être la feule
qui méritât l’attention du fouverain ; & il y a
bien de l’apparence que dans la fuite on s’y
feroit borné, fi l’établilfement du collège académique
avoit eu quelque fuccès.
Après des conquêtes auffi glàrieufes que rapides,
4e roi venoit de rendre la paix à l’Europe;
occupé du bonheur de fes fujets, fes regards fe
portoient fucceffivement fur .touts les objets qui
pouvoient y contribuer, & fembloient fur-tout
chercher avidemment des occafions de combler de
bienfaits ceux qui s’étoient diftingués pendant la
guerre & fous fes yeux. Les difpofitions du roi
n’étoient ignorées de perfonne. Déjà les militaires
que le hafard de la naiffance n’avoit pas favorifé,
venoient de trouver dans la bonté de leur fouverain
la récompenfe de leurs travaux ; la nobleffe
jufqu’alors refufée à leurs defirs, fut accordée à
leur mérite : ils tinrent de leur valeur une diftinc-
tion qui n’en eft pas une à touts les yeu x , quand
on ne la doit qu’à la naiffance.
Mais cette faveur étoit bornée , & ne s’étendoit
que fur un certain nombre d’officiers. Ceux qui
avoient prodigué leur fang & facrifié leur v ié ,
avoient laiffé des fucceffeurs , héritiers de leur
courage & de leur parenté. Ces fucceffeurs,
viâimes refpeétables & glorieules de l’amour de
la patrie , redemandoient un père, qu’ils ne pou-
voiênt pas manquer de trouver dans un fouverain,
plus grand encore par fes vertus que par fa puif-
fance.
Animé d’un zèle toujours conftant, & qui fait
fon bonheur, un citoyen, frère de celui dont
nous avons parlé, occupé dans fa retraite de ce
qui étoit capable de remplir les vues de fon maître,
crut pouvoir faire revivre en partie un projet,
échoué peut-être parce qu’il étoit trop vafte.
Le plan d’une école militaire lui parut auffi pra-
tiquable qu’utile ; il en conçut le deffein , mais il
en prévit les difficultés* 11 étoit plus aifé de le
faire goûter que de le faire connoître ; on n’approche
du trône que comme on regarde le foleil.
Perfonne ne connoiffoit mieux les difpofitions
& la volonté du ro i, que madame la marquife de
Pompadour : l’idée ne pouvoit que gagner beaucoup
à être préfentée par elle ; elle ne Payolt
pas feulement conçue comme un effet de la bonté
& de 1 humanité du roi ; elle en avoit apperçu
touts les avantages , elle en avoit fenti toute
l’etendue , elle en avoit approfondi toutes les con-
fequences. Touchée d’un projet qui s’accordoit
avec fon coeur, elle fe chargea du foin glorieux
de prélenter au roi les moyens de foulager la
nobleffe indigente. Il ne lui fut pas difficile de
montrer dans tout fon jour une vérité dont" elle
étoit fi pénétrée : pour tout dire en un m o t,
c’eft à fes foins généreux que l'école royale militaire
doit fon exiftence. Le projet fut agréé : le
roi donna fes ordres , fit connoître fes volontés
par fon édit de janvier 1751 ;& c’eft d’après cela
qu’on travailla à un plan détaillé, dont nous
allons tâcher de donner une efquiffe.
S’il n’eft pas aifé de former un fyftême d’éducation
privée, il eft plus difficile encore de fe former
des règles certaines & invariables pour une
inftitution qui doit être commune à plufieurs ; on
oferoit prefque dire qu’il n’eft pas poffiblc d’y parvenir
: en effet, nous avons un affez grand nombre
d’ouvrages dans lefquels on trouve d’excellents préceptes,
très propres à diriger l’inftru&ron d’un jeune
homme en particulier ; nous en connoiffons peu
dont le but l'oit de former plufieurs perfonnes à
la fois. Les hommes les plus éclairés fur cette matière
, fe contentent touts d’une pratique confirmée
par une longue expérience. La diverfité des génies x
dès difpofitions, des goûts, des deftinations , eft
peut-être la caufe principale d’un filence qui ne
peut qu’exciter nos regrets. L’éducation, ce lieu
fi précieux de la fociété j n’a point de loix écrites ;
elles font dépofées dans des mains qui fçavent en
faire le meilleur ufage, faiis en laiffer approfondir
l ’efprit. L’amour du bien public auroit fans doute
délié tant de langues fçavantes, s’il eût été poffibîe
de déterminer des préceptes fixes, qui ftiffent en
même temps propres à touts les états.
Il n’y a point de feienee qui n’ait des règles certaines
; tout ce qu’on a écrit pour les communiquer
aux hommes , tend toujours à la perfeâion; c’eft
le but de touts ceux qui cherchent à inftruire ; mais,
comme il n’eft pas poffibîe d’embraffer touts les
objets , la prudence exige qu’on s’attache particulièrement
à ceux qui font effentiels à la profeffion
qu’on doit fuivre. L’état des enfans n’étant pas toujours
prévu , il n’eft pas facile de fixer jufqu’à quel
point leurs lumières doivent être étendues fur telle
ou telle fcience. La volonté d’un père abfolu peut,
dans un inftant, déranger les études les mieux dirigées
, & faire un évêque d’un géomètre.
Cet inconvénient, inévitable dans toutes les éducations,
ne fubfifte point dans l ’école royale militaire
, il ne doit en fortir que des guerriers; & la
fcience des armes a trop d’objets, pour ne pas
répondre à la variété des goûts. Voilà le plus
grand avantage que l’on ait eu en formant un
plan d’éducation militaire. Seroit-il fage de defirer
qu’il en fût ainfi de toutes les profeffions ?
toos fouhâits étoient contredits, nous ne croyons
pas que ce fût par l’expérience. Mais avant que
de donner l ’efquiffe d’un tableau qui ne doit être
fini que par le temps &. des épreuves multipliées,
nous penfons qu’il eft néceffaire de faire quelques
obfervations.
Le feul but qu’on fe propofe, eft de former
des militaires &. des citoyens; les moyens qu’on
met en ufage pour y parvenir , ne produiront
peut-être pas des fçavants, parce que ce n’eft pas
l’objet. On ne doit donc pas comparer ces moyens
aux routes qu’auroienf fuivies des gens dont les
lumières très refpe&ables, d’ailleurs, ne rempli-
roient pas les vues qui nous font preferites.
Dans toutes les éducations , on doit fe pro-
pofèr deux objets, l’efprit & le corps. La culture
de l’efprit confifte principalement dans un
foin particulier de ne l’inftruire que de chofes
utiles, en n’employant que les moyens les plus
aifés, & proportionnés aux difpofitions que l’on
trouve.
Le corps ne mérite pas une attention moins
grande ; & à cet égard il faut avouer que nous
iommes inférieurs, non-feulement aux Grecs &.
aux Romains, mais même à nos ancêtres, dont
les corps mieux exercés, étoient plus propres à
la guerre que les nôtres. Cette- partie de notre
éducation a été fingulièrement négligée, fur un
principe faux en lui-même. On convient, il eft
v ra i, que la force du corps eft moins néceffaire,
depuis qu’elle ne décide plus de l’avantage des
combattants ; mais outre qu’un exercice continuel
l’entretient dans une fanté vigoureufe, défirable
pour touts les états, il eft conftant que les militaires
ont à effuyer des fatigues qu’ils ne peuvent
furmonter qu’autant qu’ils font robuftes. On
foutient difficilement aujourd’hui le poids d’une
cuiraffe qui n’auroit fait qu’une très légère partie
d’une armure ancienne.
Nous venons de dire que l’efprit ne devoir être
nourri que de chofes utiles. Nous n’entendons pas
par-là que tout ce qui eft utile doive être enfeigné;
touts les génies n’embraffent pas touts tes objets;
les connoiffances néceffàires n’ont peut-être que
trop d’étendue : ainfi dans le détail que nous allons
faire, il fera facile de diftinguer par la nature des
chofes, ce qui eft effentiel de ce qui eft avantageux
; en un mot, ce qui eft bon de ce qui
eft grand.
Religion. La religion étant fans contredit ce
qu’il y a de plus important dans quelque éducation
que ce lo it, on imagine aifément qu’elle a
attiré les premiers foins, M. l’archevêque de Paris
eft fupérieur fpirituel de l'école royale militaire ;
lui-même vint voir cette portion précieufe de
fon troupeau. Il fe chargea de diriger les inftruc-
tions qui lui étoient néceffàires ; il en fixa l’ordre
& la méthode ; il détermina les heures & la durée
des prières, des catéchifmes, & généralement de
touts les exercices fpirituels qui fe pratiquent ayec
autant de décence que d’exaéfitude. Ce prélat
confia le foin de cette importante partie à des
doéleurs de Sorbonne, dont il fit choix : on ne
pouvoit les chercher dans un corps ni plus éclairé
ni plus refpeétable.
Les exercices des jours ouvriers commencent
par la prière & la meffe ; ils font terminés par
une prière d'un quart-d’heure. Les inftru&ions
font réfervées pour les dimanches & fêtes, elles
font auffi fimples que lumineufes ; on y interroge
régulièrement touts les élèves, fur ce qui fait la
baie de notre croyance. M. l’archevêque connut
parfaitement l’étendue & les bornes que doit avoir
la fcience d’un militaire dans ce genre-là. Nous
n’entrerons pas dans un plus grand détail à ce
füjet ; ce que nous venons de dire eft fuffifarit
pour tranquillifer l’efprit de ceux qui ont cru trop
légèrement que cette partie pouvoit être négligée ;
un établiffement militaire n’a pas à cet égard les
mêmes dehors &. le même extérieur que bien
d’autres.
Après la religion, le fentiment qui fuccède le
plus naturellement, a pour objet le fouverain. Il
eft fi facile à un François d’aimer fon ro i, que
ce feroit l’infuker que de lui en faire un précepte.
Outre ce penchant commun à toute la nation ,
les élèves de Xécole royale militaire ont des motifs
de reconnoiffance, fur lefquels il ne faut que réfléchir
un moment pour en être pénétré. Si on
leur parle fouvent de leur maître & de fes bienfaits,
c ’eft moins pour réveiller dans leur coeur
un fentiment qu’on ne celle jamais d’y apperce-
v o ir , que pour redoubler leur zèle.&. leur émulation
; c’eft principalement à ce foin qu’on doit
les progrès qu’ils ont faits jufqu’ici : on n’y a
encore remarqué aucun rallentiffement.
Etudes. La grammaire, les langues françoile,
latine, allemande, & italienne; les mathématiques
, le deffein, le génie, l’artillerie, la géographie
, l’hiftoire, la logique , un peu de droit naturel,
beaucoup de morale, les ordonnances militaires
, la théorie de la guerre , les évolutions,
la danfe, Tefcrime, le manège & fes parties, font
les objets des études de Vécole royale militaire.
Difons un mot de chacun en particulier.
Grammaire. Là grammaire eft néceffaire & commune
à toutes les langues ; fans elle on n’en a
jamais qu’une connoiffance fort imparfaite. C e
que chaque langue a de particulier , peut être
confidéré comme des exceptions à la grammaire
générale, par laquelle on commence ici les études.
On juge aifément qu’elle ne peut s’enfeigner qu’en
françois. C ’eft d’après les meilleurs modèles qu’on
a tâché de fe reftreindre au plus petit nombre
de règles qu’il a été poffibîe. Les premières applications
s’en font toujours à la langue, françoife ,
parce que les exemples font plus frappants & plus
immédiatement fenfibles. Lorfqu’une fois les élèves
font affez fermes fur leurs principes, pour appliquer
facilement l’exemple à la règle, & la règle