qu’il raccourcit le fe r ) , il augmente donc encore
par-là leur force. L’air chaud, au contraire , relâche
les extrémités des fibres, & le s alonge ; il diminue
donc leur force & leur reffort.
On a donc plus de vigueur dans les climats
froids ; l’aélion du coeur & la réaéfion des extrémités
des fibres s’y font mieux ; les liqueurs y
font mieux en équilibre, le lang eft plus déterminé
vers le coeur, & réciproquement le coeur a
plus de puifiance.
Cette force plus grande doit produire bien des
effets ; par exemple , plus de confiance en foi-
même, c’eft-à-dire, plus de couvait, plus de con-
noiffance de fa fupériorité, c’eft-à-dire , moins de
defir de la vengeance ; plus d’opinion de fa fureté,
c’eft-à-dire , plus de franchife, moins de foupçons,
de politique, & de rufes. Enfin , cela doit faire des
caraélères bien différents.
Mettez un homme dans un lieu chaud & enfermé,
il fouffrira par les taifons que je viens de
dire, une défaillance de coeur très grande. Si dans
cette circonftance on va lui propoler une aâion
hardie , je crois qu’on l’y trouvera très peu dif-
polé ; la foibleffe préfente mettrai un découragement
dans fon ame ; il craindra tout, parce qu’il
fentira qu’il ne peut rien. Les peuples des pays
chauds font timides comme les vieillards le font ;
ceux des pays froids font courageux comme le
font les jeunes gens. Si nous failons attention à
des guerres allez récentes, (celle de la fucceflion
d’Elpagne ) , qui e ft, pour -ainfi - dire, fous nos
yeux , &. dans laquelle nous pouvions mieux voir
de certains effets légers , imperceptibles de loin,
flous fendrons bien que les peuples du Nord transportés
dans les pays du Midi, (en Efpagne , par
exemple ) , n’y ont pas fait d’auffi belles aâions
que leurs compatriotes , qui, combattant dans leur
propre climat, y jouiffoient de tout leur courage.
La force des fibres des peuples du Nord fait que
les fucs les plus grofliers font tirés des aliments.
Il en réfulte deux chofes : l’une que les parties du
chyle ou de la lymphe font plus propres par leur
grande furface à être appliquées fur les fibres, &
à les' nourrir ; l’autre , qu’elles font moins propres
par leur groflièreté à donner une certaine lenfi-
bilité au fuc nerveux. Ces peuples auront donc
de grands corps & peu de vivacité.
Les nerfs qui aboutiffent de touts côtés au tiffu
de notre peau, font chacyn un tiffu de nerfs,
ordinairement ce n’eft pas tont le nerf qui eft
remué, c’en eft une partie infiniment petite. Dans
les pays chauds oh le tiffu de la peau eft relâché ,
les bouts des nerfs font épanouis & expolés à la
plus petite aâion des objets les plus faibles. Dans
les pays froids le tiffu de la peau eft refferré & les
mamelons comprimés , les petites houpes Yont en
quelque façon paralytiques, la fenfation ne paffe
guère au cerveau que lorlqu’elle eft extrêmement
forte, & qu’elle eft de tout le nerf enfemble. Mais
$’çft d’un nombre infini de petites fenfations que
dépendent l’imagination, le goût, la fenfibilité , l<t
vivacité.
De ces expériences, M. de Mcintefquieu tire
des conféquences que l’on voit qui peuvent appartenir
au militaire ; il en tire encore pluiieurs autres
qui ne font pas de mon fujet.
Mais quoique phyfiquement je ne croie pas
qu’on puilTe détruire ces principes, qui paroiflent
lolidement fondés-fur les fyftèmes de pluiieurs fça-
vants , fur les caufes phyiiques de la force ou de
la foibleffe de certains peuples, & que les conquêtes
des nations du Nord ayent été attribuées à
la fupériorité de forces , & par conléquent de
courage dont la nature a doué les hommes de ce
climat, préférablement à ceux du Midi : cependant,
dis-je , un auteur très éclairé de nos jours ,
détruit puifiamment ce fyftème , & nous prouve „
par des exemples qu’il nous montre dans l’hiftoire
des fuccès également éclatants chez les nations des.
climats oppofés, que c’eft à d’autres caufes qu’il
faut attribuer les qualités qui rendent de certains,
peuples plus propres que d’autres au métier de la
guerre.
La nation , dit-il, la plus çourageufe , eft celle
oh la valeur eft mieux réçompeniee , & la lâcheté
plus punie. C ’eft donc à des caufes morales , &
non à la température de certains climats, que
l’on peut attribuer cette fupériorité de certaines
nations fur certaines autres.
Nous avons vu dans le morceau que je viens de
citer, que la valeur peut être confidérée comme
un fentiment produit par la confiance que nous
infpire le degré de force que nous fentons en nous ;
& qu’une nation qui, par le phifique de Ion climat,
feroit généralement plus forte qu’une autre, devroit,
par cette raifon,être auifi plus çourageufe. Mais fi
comme l’hiftoire nous le montre , l.es nations fep-
tentrionales & méridionales ont également étonné
la terre par l’éclat de leurs conquêtes; fi l’on a vu
la viéloire voler alternativement du.tnidi au nord ,
& du nord au midt-*& touts ces différents peuples
alternativement conquérants &. conquis , on en
pourra conclure que les effets des climats differènts
n’influent en rien fur la force , ou au moins fur le
courage des nations ; & l’on rapportera à des caufes
morales la différence que l’on trouve entre une
nation & une autre, entre un peuple & lui-même
dans les différents temps.
Comme j’ai pris le morceau qui contredit cette
dernière opinion, je vais prendre celui qui la favo-
rife : il eft fait pour plaire autant qu’inftruire.
La caufe phyfique , vdit l’auteur des conquêtes
des feptentrionaux , eft , dit-on , renfermee dans
cette fupériorité de courage ou de force , dont le
nature a doué les peuples du nord préférablement
à ceux du midi : cette opinion , propre à flatter
l’orgueil des peuples de l’Europe , qui , prefque
touts tirent leur origine des peuples du nord , na
point trouvé de contradicteurs. Cependant, pour
; s’affurer de la vérité d’une opinion fi fiatteufe,
examinons»
examinons fi les peuples feptentrionaux font réellement
plus courageux & plus forts que les peuples
du midi. Pour cet effet, fçaçhons d’abord ce que
c’eft que le courage , & remontons jufqu’aux principes
qui peuvent jettèr du jour fur une des quef-
tions les plus importantes de la morale & de la
politique. • '
Le courage n’eft dans les animaux que l’effet de
leurs befoins ; ces befoins font-ils latisfaits, ils deviennent
lâches. Le lion affamé attaque l’homme ,
le lion raffafié le fuit. La faim de l’animal une fois
appaifée, l’amour de tout être pour fa confervation
l’éloigne de tout danger. Le courage dans les animaux
eft donc l’effet de leurs befoins ; fi nous donnons
le nom de timides aux animaux pâturants ,
c’eft qu’ils ne font pas forcés de combattre pour
fe nourrir , c’eft qu’ils n’onc nuis motifs de braver
leS dangers. Ont-ils un befoin, ils ont du courage :
le cerf en rut eft aufli furieux qu’un, animal vorace.
Appliquons à l’homme ce que j’ai dit des animaux.
La mort eft toujours précédée de douleurs ,
la vie toujours accompagnée de quelques plaifirs.
On eft donc attaché à, la vie par la crainte de la
douleur, &. pour l ’amour du plaifir ; plus la vie
eft heureufe, plus on craint de la perdre ; & de-là
les terreurs qu’éprouvent à l’inftant de la mort-,
ceux qui vivent dans l’abondance. Au contraire ,
moins la vie eft heureufe , moins on a de regret de
la quitter • delà cette infenlibilité avec laquelle le
payfan attend la mort.
Or,fi l'amour de notre être eft fondé fur la crainte
de douleur, & l’amour du plaifir , le defir d’être
heureux eft donc en nous plus puiffantque le defir
d! être. Pour obtenir l’objet à la pofleflion duquel
on attache fon bonheur , chacun eft donc capable
de s’expofer à des dangers plus ou moins grands ,
mais toujours proportionnés au defir plus ou moins
v if qu’il a de pofféder cet objet. Pour être abfolu-
ment fans courage , il faudroit être abfolument fans
defir. Delà le principe que la nation la pluscoura-
geufe , eft celle où le courage eft le mieux réedm-
penfé, & la lâcheté plus punie.
Les objets des defirs des hommes font variés ;
ils font animés de paflions différentes : telles font
l’avarice, ^’ambition , l’amour de la patrie , celui
des femmes , &c. En conféquence , fhomme
capable des réfolutions les plus hardies pour fatis-
faire une certaine pafiïon, fera.fans courage lorfqu’i!
s’agira d’une autre paflion. On a vu mille fois le
flibuftier anime d’une valeur plus qu’humaine, lorf-
qu’el'e étoit foutenue par l’efpoir du butin , fe
trouver fans courage pour fe venger d’un affront.
Cæfar qu’aucun péril n’étonnoit quand il marchoit
à la gloire , ne montoit qu’en tremblant dans
fon char , & ne s’y affçyoit jamais], qu’il n’éût
fuperftitieufement recité trois fois un certain vers
qu’il s’imàgirioit devoir l’empêcher de , yerfer :
l’homme timide , que tout danger effraie , peut
s’animer d’un courage défefpéré , s’il s’agit de défendre
fa femme, fa maîtreffe ou fes enfants. Voiià
Art militaire, Tome 11.
de quelle manière on peut expliquer mie partie
’ des phénomènes du courage , & la raifon pour
laquelle le même homme eft brave oc timide,
félon les circonftances diverfes dans lesquelles il
eft placé.
Après avoir prouvé que le courage eft un effet
de nos befoins, une force qui nous eft communiquée
par nos. paftionS;,. & qui s’exerce fur les
o.bftacles que le halard ou l’intérêt d’aucrui mettent
. à notre bonheur, il faut maintenant, pour prévenir
toute objection , & jetter plus de jour fur une matière
ft importante , diftinguer deux efpèces de
courage.
11 en eft un que je nomme vrai courage ; il con-
fifte à voir le danger tel qu’il eft , & à l’affronter.
■ Il en eft un autre qui n’en a pour ainfi dire que
les effets : cette efpèce de courage, commun; à
■ prefque touts les hommes , leur fait braver les. dan-*
: gers quand ils les ignorent , parce que lés paflions,
en fixant toute leur attention fur l’objet de leurs
defirs , leur dérobent du moins une partie du
péril auquel elles les expofent.
Pour avoir une meiure • exaâe du vrai courage
de ces fortes de gens , il faudroit pouvoir en foufi
traire toute la partie du danger que les paflions ou
les préjugés leur cachent; êc cette partie eft ordinairement
très tonfidérable. Proppfez le pillage
d’une ville à ce . même foldat qui monte avec
crainte à l’aflaut, l’avarice fafeinera fes yeux , il
attendra impatiemment l’heure de l’attaque ; le
danger difparoîtra ; il fera d’autant plus intrépide
qu’il fera plus avide ; mille.autres caufes produifent
l’effet de l’avarice. Le vieux foldat eft brave , parce
que l’habitude du péril auquel il a toujours échappé,
rend le péril nul ; le foldat vi&orieùx marche à
l’ennemi avec intrépidité, parce qu’il ne s’attend
point à fa réfiftance, & croit triompher fans danger.
Celui-ci eft hardi parce qu’il fe croit heureux ;
celui-là parce qu’il fe croit adroit. Le courage eft
donc rarement un vrai mépris de la mort. Aufli
l’homme intrépide , l’épée à la main, fera fouvent'
poltron au combat du piftolet. Traniporté fur un
vaifleau.le foldat qui brave la mort dans le combat,
il ne la verra qu’avec horreur dans la tempête,
parce qu’il ne la voit réellement que là.
Le courage eft donc fouvent l’effet d’une vue
peu nette du danger. Que d’hommes font faifis
d’effroi au bruit du tonnerre, & craindroient de
paffer une nuit dans un bois, éloigné des grandes
routes, lorfqu’on n’en voit aucun qui n’aille de
nuit, _& fans crainte , de Paris, à VerfaiU.es J C e pendant
la mal-àdrelfe d’un poftillon , ou la rencontre
d’un affaflin dans une grande route , font
des accidents plus communs , & par conféquent
plus à craindre qu’un.coup de tonnerre, pu la
rencontre de cet affaflin dans un bois écarté. Pourquoi
donc la frayeur eft-ellé plus commune dans
le premier cas que dans le fécond ? C’eft que .la
lueur, des éclairs, le bruit du .tonnerre ,, présentent
1 à chaque inftant à l’efprit l’image d’un péril que