
voulons que le foldat porte le fufil avec grâce
qu’il le manie avec adreffe , & qu’il le charge
avec .promptitude ; nous voulons qu’il marche
comme un danfeur de l’Opéra , la pointe du pied
baffe & en dehors , le jarret tendu, qu’il coule
le pied avec lenteur, qu’il foutienne le pas, & c .
Dans peu de régiments les foldats connoiffent
leurs armes, la manière de les monter, de les
démonter ; cependant perfonne ne doute de la
néceffité de cette étude.
Examinez un régiment qui vient de faire un
exercice à feu, & vous verrez qu’un tiers des fufils
n’a pas tiré ; commandez un nouvel exercice,
fixez-en l’époque à huit jours, & vous verrez
encore que le tiers des fufils ne fait pas feu : les
bas-officiers ne lçavent pas ou n’enfeignent point
a leurs foldats à placer la pierre , ils ne regardent
point fi la batterie a befoin d’être retrempée, &c.
Beaucoup d’écrivains ont recommandé d’accoutumer
l’infanterie à voir fans crainte la cavàlerie
s’approcher d’elle avec irapétuofité ; & jamais je
n ai vu un efeadron de cavalerie s’approcher de
la troupe que je commandois. Le marquis de
Santa-Cruz dit expreffément : « que les officiers
d’infanterie doivent, en préfence de leurs foldats,
faire monter, fur un cheval fort & robufte, tel
homme qu’on voudra chpifir , qui viendra fondre
enfuite fur un fantaffin, qui l’attendra de pied
ferme , feulement un bâton à la main, & ils verront
que ne faifant que voltiger le bâton aux yeux
-du cheval, ou en le touchant à la tête , ce cheval
fera un écart fans vouloir avancer, à moins qu’il
ne foit dreffé à ce manège. De-là les officiers, continue
M. le marquis de Santa-Cruz, prendront occa-
fion de repréfenter aux foldats, que fi un cheval
s’effarouche d’un homme qui tient ferme, n’ayant
qu’un bâton à la main , à plus forte raifon ils trouveront
que les efforts de la cavalerie font inutiles
contre des bataillons ferrés , dont les bayonnettes ,
les balles & l’éclat des armes, la fumée & le bruit
de la poudre font plus capables d’épouvanter les
chevaux ».
M.de Santa-Cruz recommande encore d’exercer
les foldats aux- différents travaux qu’ils Ont à faire
dans les armées, « II faut, dit cet auteur , accoutumer
les foldats à remuer la terre , à faire des
fafeines & à les pofer, à planter des piquets ,• à
fçavoir fe fervir de gabions pour fe retrancher en
formant le foffé , le parapet & la banquette , dans
l’endroit que les ingénieurs auront tracé , ou le
parapet & la banquette feulement, prenant la
terre en dedans, de la même manière que cela fe
pratique dans les tranchées pour les attaques des
places ; car lorfqu’il eft befoin de faire de fem-
blables travaux , fur-tout à la vue de l’ennemi,
les troupes qui ne s’y font pas exercées fe trouvent
embarraffées & les font imparfaitement ou trop
lentement ». Malgré cet avis donné depuis fi
long temps, j’ofe avancer qu’il n’y a peut-être
pas cent foldats par régiment qui fçaehent ce que
c’eft qu’un gabion , qui fçaehent faire une fafeine ,
&c.M
. de Santa-Cruz veut encore qu'on inftruife
les fantaffins à monter en croupe de la cavalerie ,
parce que cela eft fouvent néceffaire pour les paf-
fages des rivières, les marches précipitées , & c .
Il obferve auffi, « que les anciens apprenoient
aux foldats à manier lès armes des deux mains,
& qu’il ne feroit pas inutile que le foldat fçût tirer
de la main gauche dans les défenfes des murailles
& des retranchements qui ont un angle fort obtus
vers la droite, lorfqu’étant à cheval il eft néceffaire
de tirer vers le côté droit ; qu’il y auroit également
de l’avantage à exercer les cavaliers à fe
fervir de la main gauche pour le fabre , fur-tout
lorfque dans les elcarmouches l’ennemi lui gagne
de ce cÔté-là , parce qu’alors ils ne peuvent pas
fe fervir du fabre avec la main droite , à moins
qu’il ne foit fi long, qu’il puiffe bleffer de la
pointe ».
« Quant à la cavalerie , dit encore M. de
Santa-Cruz,.il faudrait que les cavaliers exercent
leurs chevaux à franchir des foffés , à grimper fur
des montagnes, &. à galoper dans les bois, afin
que ces différents obftacles ne les arrêtent point
dans l’occafion ; que les chevaux foient habitués
à tourner promptement de l’une & de l’autre main ;
qu’on les empêche de ruer , de peur qu’ ils ne
mettent les efeadrons en défordre ; qu’on évite
avec foin qu’ils ne prennent le mors aux dents, &
qu’ils ne jettent les cavaliers par terre, ou qu’ils
ne les emportent malgré eux au milieu des ennemis.
A ces avis généraux, tirés de Xénophon , dans
fon traité du général de la cavalerie , M. de Santa-
Cruz ajoute qu’il faut accoutumer les chevaux à
ne pas s’épouvanter de la fumée, du bruit de la
poudre, de celui des tambours & des trompettes
dont on fe fert dans les armées ; il propofe auffi
de mettre aux chevaux des brides qui les obligent
à tenir la tête un peu élevée ,. afin que les cavaliers
foient plus couverts ; d’avoir des étriers un
peu courts , parce qu’en s’appuyant deffus on a
plus de force , & qu’on peut allonger plus facilement
le corps & le bras pour frapper ». Qu’il y
a loin de cette manière d’exercer la cavalerie à
touts les exercices qu’on lui fait faire dans nos manèges.
Touts les écrivains militaires recommandent les
camps de paix , & cependant on n’en voit jamais ,
ou ceux qu’on affemble inftruifent peu. La caufe
de la rareté des- camps de paix eft leur extrême
cherté. L’auteur de XEfprit militaire nous-fournit
cependant un moyen facile d’en affembler de très
inftruâifs & peu difpendieux. « Nos grandes villes
de guerre , Metz, Lille , Strasbourg , Befançon ,
Perpignan, &c. ont chacune un établiffement pour
dix à quinze mille hommes, ou plus. Tout ce
qu’on tranfporte dans le camp avec tant de frais
pour le ro i, & de dérangement pour les campagnes
, l’artillerie , les munitions, les vivres, les
outils , & c . fe trouvent abondamment en magafin
dans les grandes places. Raffemblez-y touts les
ans vers la fin de l’é té, les troupes du Royaume ;
chaque régiment gagnant celle de ces villes dont
il fe trouvera le plus à portée , elles rempliront
l’objet d’autant de camps d’inftru&ion. La feule
différence fera , qu’au lieu de loger fous la tente,
le Çoldat couchera dans la caferne , & qu’à la place
de plufieurs millions , il n’en coûtera qu’une fomme
modique pour le dommage très léger que les terres
pourront fouffrir , attendu qu’alors la récolte fera
faite. Les troupes de la garnifon fortiront tous les
jours pendant deux mois pour être exercées1 aux
grandes manoeuvres. Enfuite chaque régiment
retournera dans fon quartier , pour revenir l'année
fuivante à la même époque. Il eft à croire que
la. perfpeétive de paroître annuellement fur une
des fcènes publiques d’inftruéfion, d’y recueillir
la louange ou le blâme, les punitions ou les grâces,
produira &. entretiendra dans les troupes la plus
vive émulation.
Mais c’eft pour les officiers généraux, fur tout,
que ces grandes écoles feroient d’une utilité inappréciable.
Touts les ans ils viendroient y mettre
à l’épreuve leurs connoiffances , & en acquérir de
nouvelles. Ils auroient le public pour témoin &
pour juge de leur capacité. Et quelle eft l’ame indolente
& baffe pour qui cette penfée ne deviendroit
pas un aiguillon falutaire ? Mais combien le zèle uni-
verfel feroit accru, fi le fouverain honoroit tour-
à-tour , de fa préfence, les lieux où fe donne-
roient ces utiles leçons de la guerre I Quel encouragement
tout-puiffant, & pour les troupes &
pour les chefs 1 Que de talents on verroit naître j
& fe développer fous l’influence des regards du ;
maître ! Le maître lui-même s’inftruiroit à ces j
écoles : ( car les princes ont befoin d’apprendre !
comme les autres hommes. ). C ’eft-là qu’il acquer- j
roit avec facilité la théorie d’un art fi néceffaire j
aux rois , puifque c’eft lui qui fonde , foutient & l
renverfe les empires ; & l’exemple du monarque
deviendroit, pour fon armée , la plus puiffante ,
la plus fruéiueufe des leçons ».
Depuis que je fers , le hafard m’a toujours
placé dans de grandes garnifons ; j’ai par confé-
quent vu beaucoup de colonels , & par conféquent
j’ai vu beaucoup de manières différentes d’exercer ;
car, en France , autant de chefs , autant d’ufages
différents. Celui de touts les colonels dont la manière
d’exercer fon régiment m’a paru la meilleure,
étoit M. de M.... à préfent infpe&eur ; fon
régiment ne devoit manoeuvrer que trois fois par
femaine , & ne faire chaque fois qu’un certain
nombre de manoeuvres qui pouvoient être exécutées
en une heure ; mais chacune de ces manoeuvres
devoit être faite avec précifion , &
toutes celles qui étoient manquées étoient recommencées
jufqu’à ce qu’on eût atteint le point de
perfection qu’il avoit en vue. Quand cette perfection
n’a voit pas été atteinte le premier jour , on
recommençoit le lendemain , ainfi de fuite. Ce
régiment, qui n’étoit rien moins qu’habile quand
il eut M. de M... pour colonel, manoeuvra à merveille
avant la fin de la première année militaire ,
&. il n’alla cependant pas auffi fouvent à Xexercice
que le refte de la garnifon. Ce même colonel
faifoit quelquefois exercer féparément les officiers
de fon régiment à touts les objets qu’ils dévoient
exécuter à la tête de leurs troupes ; & quoiqu’ils
n’euffent que leurs ferre-files & leurs bas-officiers ,
ils étoient obligés de garder leurs diftances, de
répéter les commandements comme s’ils avoient
eu fous leurs ordres d ix , douze ou quinze files.
Avant de les exercer de cette manière, il s ’étoit
affuré qu’ils fçavoient à fond l’ordonnance des
exercices. Ses bas-officiers étoient dans le même
cas ; il lui arrivoit quelquefois de faire commander
fon lieutenant colonel, & alors il prenoit
lui-même le commandement d’un bataillon ; quelquefois
il commandoit un peloton, & le chef de
ce peloton commandoit, ou le régiment, ou un
bataillon : auffi touts les officiers auroient-ils pu
le remplacer. Quan,d il fut affuré de l’inftruCtion
des capitaines, il s’occupa de celle des lieutenants.
Les jours qu’il deftinoit à ce dernier exercice , les
capitaines venoient fiir le terrein , mais uniquement
pour fe promener. Une fécondé claffe
appellée , conformément à l’ordonnance, peloton
d’inftradion , étoit exercé chaque jour ; il alloit
lui-même le voir exercer. ( Voye^ I n s t r u c t i o n ,
p e l o t o n d ’ i n s t r u c t i ON.)Ses*travailleurs
étoient auffi inftruits que le refte de fes foldats.
( Voye^ T r a v a i l l e u r s . ) Deux jours par femaine
étoient confaerés aux manoeuvres en grand ,
& un jour aux manoeuvres de détail ; ainfi les
exercices en grand ne faifoient perdre au foldat ,
ni la pofition du corps , ni le port de l’arme. Il
avoit tiré un très grand parti de l’infpe&ion des
hommes qui montoient ou qui defeendoient la
garde. ( Voye{ In s p e c t i o n d e s g a r d e s . ) Un
des grands principes de M. de M... étoit de ne
s’écarter jamais de l’ordonnance. C ’eft la loi &
les prophètes , difoit-il proverbialement. Un autre
grand principe de M. de M... étoit une exaéfitude
fcrupuleufe dans tout ce qu’il faifoit ; p eu , mais
bien , répétoit-il fouvent. 11 puniffoit la plus petite
, faute , la plus légère inattention ; il vouloit qu’à
Xexercice on ne fut occupé que de fon objet. Je
ne fçais fi je me trompe , mais je crois qu’un
colonel qui adopteroit les principes que nous
venons de détailler , verroit avant peu , fon
régiment jouir de la renommée la plus brillante
& la plus méritée.
Plantez dix drapeaux au milieu d’une plaine,
& demandez à des foldats quel eft celui fous
lequel ils doivent fe rallier, & vous les verrez
incertains , ne fçavoir où diriger leurs pas. Cet
exercice feroit cependant très utile. Je conviens
que la manière dont nos drapeaux font conftruits ,
rend cette reconnoiffance très difficile ; mais plus y vij