
compoûtion , l’étendard de celui qui s’en faififfoit,
étoit arboré (ur les tours.
On a v u , quand j’ai parlé des privilèges du
connétable de France , que , dès qu’une ville ou
château avoient été forces ou rendus, la bannière
du connétable étoit auffi-tôt plantée fur les murailles.
Si le roi étoit prêtent, on y plantoit d’abord fa
bannière, & enfuite celle du connétable. Le roi de
France avoit le même droit à l’égard de touts fes
yaflaux, fuffent-ils princes ou rois.
Lorfque Philippe-Augufte & Richard, roi d’Angleterre
, étoient en Sicile, pour paffer au Levant
contre les Mahométans, il y eut entre eux un
grand différent fur ce fujet. L e ro i d’Angleterre,
ayant été infulté par les Meffinois, fe mit à la tête
de fes troupes, força Meffine, & planta fon étendard
fur les murailles. Philippe-Augufte , qui étoit
auffi-tôt accouru à la ville , pour empêcher le dé-
fordre , ayant fçu ce qu’avoit fait Richard, s’en
tint fort offenfé. Quoi ! dit-il, le roi d’Angleterre
ofe arborer fon étendard fur le rempart d’une ville
où il fçait que je fuis ! & en même-temps il donna
ordre à fes gens de marcher vers le lieu où étoit
l’étendard, pour l’en arracher, & y mettre celui
de France. On étoit au moment de voir un très
grand carnage, lorfque le Roi d’Angleterre, ayant
appris la réfolution de Philippe-Augufte, l’envoya
prier de ne rien précipiter , & lui fit dire qu’il
étoit prêt d’ôter fon étendard , mais que , li on fe
mettoit en devoir de l’arracher, il y auroit bien du
fang répandu. Cette demi-fatisfa&ion du roi d’Angleterre
arrêta le roi ; on parlementa, & on prit
le parti de s’en contenter.
Lorfque, durant la guerre, une v ille , jufqu’alors
neutre, prenoit parti, c’étoit en élevant fur les
remparts l’étendard du prince pour qui elle fe dé-
claroit. On voit dans l’hiftoire une infinité d’exemples
de cet ufage.
Je reviens aux bannières & aux pennons des
chevaliers. La bannière du banneret fe plantoit fur
un lieu un peu élevé, proche de l’endroit où fa
troupe çombattoit, & il y avoit toujours un détachement
pour la garder. Si la troupe étoit défaite,
les vainqueurs marchoient à la bannière pour
J’abattre, & enfuite pour l’enlever. La bannière
abattue étoit une marque certaine de déroute.
La figure des enfeignes a fort variée. Touts ceux
que l’on voit fur les bas-reliefs du tombeau de
Louis XII à Saint-Dénis , font longs & étroits,
& fendus par le bout en façon de banderoles.
Au contraire , dans les bas-reliefs du tombeau de
François 1er. l'on fucceffeur, les drapeaux de la
cavalerie font plus larges, fort courts, arrondis
par l’extrémité.
La cavalerie légère qui, félon Brantôme , ne
commença à fe bien former en France que fous
Louis X I I , eut auffi fes étendards; mais on ne
peut pas douter que, même avant ce temps-là,
elle n’en eût eu.
Quoique , dans l’ordonnance de Charles V I I ,
pour l’inftitution de l’infanterie des francs archers^
&. dans le mémoire du temps de Louis X I , que
j’ai tranfcrit, il ne foit point parlé d‘enfeignes , il
n’eft pas à prélumer qu’il n’y en eût point dans
un corps fi nombreux ; & , fi on avoit fait mention
de touts les officiers de ces troupes dans les ordonnances
, nous y trouverions affurément des
enjeignes.
Dans les fept légions établies par François I ,
lefquelles étoient chacune de fix mille hommes,
il n’y avoit que quatorze enfeignes pour chaque
légion. La multiplication des régiments d’infanterie
qui furent inftitués plufieurs années après
les légions de François I , donnèrent lieu à la
multiplication des drapeaux. Il y ' a eu de notre
temps divers changements à cet égard. J’en parlerai
quand je traiterai des diverles efpèces de
troupes qui compofent maintenant les armées de
France.
- Il n’y avoit rien de réglé pour la couleur &
pour les ornements de ces étendards ; & tout cela
dépendoit des capitaines : mais communément ils
étoient de la couleur de ce qu’on appelloit les
robes ou les livrées du capitaine; c’eft-à-dire, du
hoqueton que portoient les archers d’une compagnie
de chevaux-légers ; c’eft ce qui eft marqué
dans plufieurs ordonnances de nos rois. Depuis
Louis X I I , les bandes ou compagnies d’infanterie
ont toujours eu leurs drapeaux ou enfeignes beaucoup
plus grandes que les étendards de la gendarmerie
& de la cavalerie légère. Pendant longtemps
on a compté en France les compagnies d’infanterie
par enfeignes ,* par exemple , ôn difoit que
dans telle place il y avoit dix compagnies d’infanterie.
Les Allemands & les Suiffes comptoient
de même. Depuis l’inftitution de la charge de
colonel général de l’infanterie, il n’y avoit que
les compagnies colonelles qui euffent droit de
porter leur enfeigne de taffetas purement blanc.,
ainfi qu’on l’a pu remarquer dans tout ce que j’ai
rapporté des mémoires de Brantôme, en parlant
de cette- dignité militaire. Il falloit que les enfeignes
des autres compagnies àjoutaffent quelque
autre couleur ou quelques figures à leurs enfeignes.
Mais outre ces étendards particuliers des compagnies
, foit de cavalerie, foit d’infanterie, il y
a eu autrefois dans les troupes françoifes des étendards
fameux, dont il eft fouvent fait mention
dans nos hiftoires. Le plus ancien de ces étendards
étoit celui qu’on appelloit la chape de faint
Martin : mais j’examinerai fi c’étoit en effet un
étendard; il y avoit encore l’étendard roy al, &
puis celui qu’cn appelloit oriflamme , à laquelle,
on prétend que fuccéda la cornette blanche. Je
vais dire ce que j’ai trouvé de plus certain là-
deffus.
De la chape de faint Martin.
Il eft confiant que nos rois de la première &
de la fécondé race, à commencer dès C lo v is ,
opt
©•nt eu une vénération toute particulière pour faint
Martin, évêque de Tours. Nous en avons une
infinité de preuves dans notre hiftoire.
Il eft encore certain que nos anciens rois fai-
fbient porter à l’armée ce'qu’on appelloit la chape
de faint Martin, comme ils y faifoient porter les
reliques de quelques faints. C ’eft ce que nous apprenons
de Walfrid Strabon, du moine de faint
G a i, dans la vie de Charlemagne, & de plufieurs
autres, & qu’ils regardoient ces reliques comme
un gage de la viéloire qu’ils s’affuroient de remporter
fur les ennemis : mais on demande ce que
c’étoit que cette chape de faint Martin ?
Les uns ont dit que c’étoit le manteau de faint
Martin, d’autres, que c’étoit le voile qui couvroit
fon tombeau ; d’autres, que c’étoit une efpèce de
rochet fans manches, qu’il avoit coutume de porter
de fon vivant ; & ceux qui veulent qu’on ait fait
ou de ce manteau, ou de ce rochet, ou de ce
voile, un étendard, prétendent qu’on le portoit
au bciit d’une lance dans les armées françoifes.
Ce qui. les .a déterminés à croire que ce mot
‘de chape fignifipit ou le manteau ou le rochet
de faint, Martin, c’eft qu’en effet le mot de capa
ou de cappa dans la baffe latinité, fignifie un vêtement,
& qu’en françois, dans nos vieux romans ,
il fignifie la même chofe.
Cil del chaftel s ’adoubbent à droiture
Veftent hauberts, ceignent efpées nuës
E t par defuere ont les chapes veftues.
C ’eft pour cela que le préfident Fauchet, dans
fon livre de l’origine des dignités & magiftrats
de France, croit que cette chape de faint Martin
étoit la chape dont il fe fervoit en officiant à
l’autel, & que nos premiers rois, allant à la guerre,
fe revêtoient de cette chape aux jours de bataillé.
Mais ceux qui prétendent que cette chape étoit
un étendard , ne fe font point accommodés de ce
fentiment de Fauchet, qui ne paroît en effet nullement
fondé , & ont foutenu que c’étoit ou le
manteau ou le rochet de faint Martin.
Le fieur Augufte Galand, qui imprima en 1637
un petit ouvrage fur les enfeignes & étendards de
France, eft auffi de l’opinion de ceux qui difent
que la chape de faint Martin étoit un étendard,
& croit que c’étoit l’étendard de l’abbaye de Saint-
Martin de Tours, comme l’oriflamme étoit l’étendard
de l’abbaye de Saint-Denis en France.' Il
eft certain que l’oriflamme étoit l’étendard de l’abbaye
de Saint-Denis; mais' je montrerai dans la
fuite que la chape de faint Martin n’étoit nullement
l’étendard de Saint-Martin de Tours.
Pour moi, je fuisperfuadé que la chape de faint
Martin ne fut jamais un étendard dans les armées
de France ; & voici les raifons qui m’empêchent
de le croire.
i° . Je ne vois point que. dans nos hiftoires de
la première & de la fécondé racé, il foit parlé
de cette chape comme d’un étendard.
Art militaireTome IJ.
2.*. On île trouve rien dans nos anciens romanciers
qui en donne cette idée, au lieu que ceux-ci
&.nos hiftoriens parlent à toute occafion de l’oriflamme
comme d’une bannière . & comme de
la bannière de faint Denis , que nos rois faifoient
porter dans leurs expéditions militaires ; oarce
qu’en effet, depuis lé règne de Louis -le -Gro s,
c’étoit le principal étendard des armées françoifes ;
d’où vient que les romanciers qui ne fe mettoient
pas fort en peine de la chronologie, le tranfpor-
tent jufqu’au temps de Dagobert.
3°. Parce que c’étoient des clercs qui portoient*
dans les armées la chape de faint Martin ; & c’eft
de-là, difent plufieurs anciens écrivains, qu’ils
furent appelles chapelains. O r , de porter un étendard
dans les armées, ne convient pas à des clercs.
L’oriflamme au contraire fut toujours portée par
un chevalier des plus vaillants & des plus diftin-
gués du royaume.
4°. Il eft très faux que la chape de faint Martin ,
foit qu’on entende par-là ou le niante au ou le
rochet de ce faint, ou bien le voile qui couvroit
fon tombeau, ait été l’étendart de leglife
de Saint-Martin que portoient les comtes d’Anjou
& les feigneurs de Preuilli, dans les guerres particulières
que l’abbaye avoit quelquefois contre
fes voifins, & en d’autres rencontres ; comme
l’oriflamme étoit l’étendard de l’abbaye de Saint-
Denis , qui étoit porté d’abord par les comtes du
Vexin en pareilles ôccafions, & depuis par un officier
de nos rois dans leurs expéditions militaires.
Je tire la preuve de ce que j’avance ici de
l’hiftoire de Touraine manufcrite de feu M. Carreau
, qui avoit fort recherché les antiquités de
fon pays. Voici l’extrait d’une longue note qu’il
a faite fur la chape & fur l’étendard de faint Martin.
« A l’égard, dit-il, des repréfentations de l’étendard
de faint Martin , ôn ne peut en voir de plus
fidelles & de plus authentiques que celles qu’on
trouve dans les- fceaux & dans les écuffons des
barons de Preuilli en Touraine, qui avoient droit
de porter l’étendard de faint Martin avec le comte
d’Anjou, fuivant les ftatuts de cette églife : ipfe
débet portare vexillum beati Martini cum comité An-
degavenfi. - -
La première repréfenfation eft dans un fceau
de cire jaune, qui eft attaché en placard à un
titre de l’an 1205, avec deux petites bandes de
parchemin au milieu du fceau. Il y a deux maffues,
autrement nommées maffes d’armes, accompagnées
de cinq alerions, & dans la légende, ces
mots autour du fceau ; Ekinardus de Pruiltacç :
c’étoit Efcninard II du nom, fils aîné de Pierre
Morabat, baron de Preuilli & de la Rochepofai.....
Au contre-fceau eft la repréfentation de l’étendard
de faint Martin, à trois queues, de même
qu’eft décrit l’oriflamme dans la Philippide de
Guillaume- le-Breton, dans la vieille chronique
de Flandres.
Autour du contre-fceau, il y a ces mots : faint
U