
me retirer , moi , général de cette armée 3 la bataille
e jl perdue ? Vis f i tu veux, mais moi je dois mourir.
Pour nous j nous applaudirons au foldat qui préférera
la mort à la retraite ou à des fers honteux , ,nous
louerons les militaires fubalternes qui adopteront
une opinion femblable , la patrie ne peut que
gagner à cet enthoufiafme de bravoure ; mais
comme l’état court de grands dangers lorfque le
général n’a pas le courage de réprimer en lui ces
élans trop rapides; nous lui dirons, domptez ces
mouvements impétueux, ils ne font pas aufîi fu-
blimes qu’ils vous le paroifl'ent ; vos compatriotes
ne vous tiendroient aucun compte du facrifice
de votre vie , 6c la poftérité vous taxeroit avec
juftice d’avoir manqué de courage. La patrie eft
jufte, elle fait un crime au général de la défaite de
fon armée lorfqu’elle peut l’imputer à fon imprudence.,
à fa lâcheté ou à fa trahifon ; mais dans
les autres circonftances elle lui.pardonne tout,
elle cherche même à le confoîer de fon malheur.’
La prifon chez, les ennemis , ne flétrit que les généraux
qui ont dburu au-devant des fers, que les
chefs qui y font tombés par leurs fautes , qui les
ont portés fans courage , ou qui n’ont pas cherché
à les rendre utiles à leur patrie ; la captivité de
Louis IX_n’a-t-elle pas ajouté à fa gloirè ? Du
Guefclin en eft-il moins un héros pour avoir deux
fois porté les fers des Anglois; les négociations de
1 allard, pendant fa prifon , n’ont.-elles pas fait oublier
les fautes qu’il commit à Hochtedt ? Enfin ,
quoique Turenne & Condé , Créqui, &.c. ayent
été battus ou forcés de lever des lièges, en font-
ils moins comptés au rang des hommes les plus
illuftr’es.
Ménager fà v ie , donner touts' fes foins à la
retraite ; s’occuper des moyens les 'plus prompts
de réparer l’échec qu’on a reçu ; rendre par fon
air , fon ton & fes difcouars , le courage & la confiance
à fon armée ; montrer par-tout un guerrier
que la fortune peut maltraiter , mais qu’elle ne
fçauroit jamais abattre ; fe fouvenir que- le fénat
Romain remercia Varron de n’avoir pas défefpéré
du falut de la patrie, & d’après cela ne s’abandonner
jamais à un lâche défefpoir, telles font
les réfolutions que le courage infpire au général
après une bataille perdue.
Il eft peut-être plus difficile au général d’être
jnodefte au fein de la viéloire que d’être ferme au
milieu des revers ; nous nous réfervons à lui faire
voir dans le paragraphe dix-neuf que la modeftie
répand fur les fuccès un éclat vif & durable -, &
qu’elle fut toujours la vertu des héros.
Aujourd’hui des ordres rigoureux que le général
a reçus & qu’il ne peut communiquer, l’obligent
à fe tenir fur la défenfive , des circonftances
connues de lui ’feul le forcent d’enchaîner la valeur
bouillante de fon armée ; il veut peut - être
même par une crainte fimulée donner à l’ennemi
une vaine confiance en fes propres forces ; il ne
s’agit donc plus de combattre, il faut au contraire
reculer l’inftant de la bataille. De combien de
force d’ame & de fermeté de courage le général
ne doit-il pas être armé, pour méprifer les bravades
de l’ennemi qui vient le provoquer jufques
aux pieds de fes retranchements ; pour fermer
l’oreille aux cris impétueux que pouffent les foldats;
pour n’être point ému par les farcafmes qü’ils
lancent ; ÔC par les foupçons injurieux qu’ils répandent
contre leur chef ? Fabius le Temporifeur ,
dont nous avons cité la fermeté en parlant de la
bravoure du commandant en chef 6c touts les généraux
iliuftres, qui en imitant ce grand homme
ont lauvé leur patrie , fortifieront par l’exemple
de leurs fuccès le courage du général d’armée ,
tandis que les chefs foibles qui fe font laiffés entraîner
par les defirs aveugles de leurs foldats 3 lui
offriront, une leçon plus inftru&ive encore , par
l’exemple de leurs malheurs..
Quelques difficultés qu’offrent au général les circonftances
que nous venons de prévoir, il pourra
cependant fe préfenter dans le cours de fa vie
militaire, des occafions où il aura beloin de montrer
un courage plus ferme & une patience plus
grande.
Un fouverain veut faire acquérir de la gloire à
un prince de fon l^ng ; il veut lui procurer le
moyen d’égaler les héros de fa race ; mais oubliant
qu’on n’apprend à commander qu’en obéif-
fant, il donne au jeune prince le titre & le pouvoir
de commandant en chef. Il entrevoit cependant
que le jeune général pourroit bien n’avoir pas
toutes les connoiffances néceffaires pour triompher
des ennemis ; il jette alors les yeux fur les guerriers
de fa cour ; il cherche un homme capable
par fes talents de fixer la viétoire, &. par fa fa-
geffe de captiver la bouillante ardeur du jeune
prince.
Que le guerrier choifi pour fervir de guide 6c
de confeil à un tel général s’arme d’une patience
à toute épreuve , fur-tout fi la foule des jeunes
courtifants accompagnent le prince. Ils commenceront
par lancer l’arme du ridicule fur le fage mentor,
ils le peindront comme un homme d’une auftérité
repouftante , ils feront remarquer à fon altejfe que
fon guide manque aux égards dus à un prince , qu’il
décide, qu’il tranche dans toutes les occafions, &
cependant l’unique tort qu’aura le Mentor fera de
n’avoir pas confulté cette jeunefle éventée; ils
blâmeront touts les projets qu’il formera ; ils condamneront
toutes les opérations qu’il entreprendra,
peut - être même effaieront - iis pour le perdre d’en
rendre Tiflue douteufe* Ils mettront touts les fuccès
fur le compte du prince , 6c rendront fon confeil
refponfable de touts les revers ; quel fera le fruit
de ces malignes infinuations ? L ’amitié que le jeune
prince avoit pour fon guide s’affoiblira d’abord,
bientôt la confiance qu’il avoit en fes fages confeils
fera moins grande, enfin il ne daignera plus le
confulter ; il agréera d’après lui-même , ou ne
prendra que les avis des compagnons de fes plaifirs.
Comment des malheurs fans nombre ne fuivroient- j
ils pas une pareille conduite : le célèbre duc de Guife I
ayant été nommé par François Ier pour fervir de
gouverneur & de confeil au jeune duc d’Orléans,
qui devoir commander une armée deftinée à agir
contre le duché de Luxembourg , éprouva prefque
touts les événements que nous venons de décrire ; le
maréchal de Tavannes fervant de Mentor au duc
d’Anjou , en fit auffi une dure expérience dans les
campagnes de 1568 & 1570 ; le premier maréchal
de Briiiac en auroit été auffi la viâime quelques
années auparavant , fi par une fermeté louable il
n’eût pas réprimé la fougue du prince de Condé ,
& celle de touts les jeunes courtifans qui l’avoient
fuivi dans le Piémont.
Cependant le général a encore à craindre des
écueils plus dangereux que ceux que nous avons
déjà montrés ; la voix de l’amitié & celle de
la nature fe font entendre à lui. Que le guerrier
facrifie tout à la tendre amitié, qu’il écoute la voix
de la nature , qu’il lui obéiffe avec empreflement 3
quand il ne s’agit pas de l’intérêt ou du falut de
l’état ; on ne peut qu’applaudir à ces fentiments,
on ne peut que l’en eftimer 6c l’en aimer davantage
; la guerre ne rend infenfibles que les âmes
naturellement froides & dures ; mais fi la patrie
exige que le général oublie ce qu’il a de plus cher,
& qu’il lui abandonne même les objets qui le lient
a l’é tat, ne doit-il point par un généreux effort de
courage s’élever jufqu’à ce haut facrifice ? C ’eft
ainfi qu’a Rome Brutus & Man’ius immolèrent
leurs fils , le premier à la liberté , le fécond à
l’amour de la difcipline. C ’eft ainfi que dans des
places affiégées les fils défobéirent à leurs pères ,
& que les pères ne craignirent pas d’accabler de
pierres & de traits ceux de leurs enfants que les
aflaillants avoient faits prifonniers, & qu’ils avoient
fait placer au premier rang en montant à l’affaut.
En parcourant l’hiftoire moderne 3 on croit
quelquefois lire les faftes des républiques anciennes
^es plus renommées par la grandeur d’ame , la fidélité
& la fermeté de leurs citoyens ; ici l’on voit
Sanguinet, cet intrépide défenfeur de Belvedère ;
il a le courage de facrifier fes deux enfants à fon
devoir ; la c eft Schomberg , il eft couvert du fang
de fon fils qui vient d’être tué à fes côtés; il ordonne
qu’on emporte l’objet de fon amour, &
continue à vifiter la tranchée. C ’eft un nouvel.
Agricola qui. attend, pour donner des larmes à fes
enfants, que la campagne finie lui permette de
redevenir père , époux &. citoyen. C ’eft enfin
Belle-Ifle qui dit a ceux qui vouloientle confoîer
roort de fon frère ! Je n’ai plus de frère ,
înais j’ai une patrie 3 travaillons pour la fauver.
Les exemples femblables à ceux que nous venons
de rapporter , font fréquents chez touts les peuples,
cependant on ne peut fe difumuler qu’on trouve
auffi Agéfilas , roi de Lacédémone , renommé
Çar fon amour pour l’équité &c la juftice, cont
e r a Pyfandre le commandement de la flotte de
Sparte, non parce qu’il étoit le plus digne de ce
pofte éminent, mais parce qu’il étoit frère de fa
femme ; on entend Cæfar avouer qu’il a accordé
les emplois de tribuns militaires à des hommes plus
attachés à fes intérêts qu’habiles dans l’art de la
guerre ; on voit enfin un maréchal de France que
M. de Voltaire cite comme un des hommes qui
ont le plus aimé la patrie , ordonner un affaut
quoique la brèche ne fut pas praticable, & cela
pour procurer à un officier qu’il aimoit l’occafion
d’acquérir de la gloire. Ces foibleflfes des grands
hommes , foiblefles qui furent toutes fuivies d’événements
malheureux, ne nous montrent-elles pas d®
la manière la plus claire que le général doit être
fans celle en garde contre les plus doux fentiments
de la nature ; qu’il doit fermer l’oreille à la voix fé-
du&rice de l’amitié ; en un mor, qu’il doit, dans les
camps, porter le courage julqu’au ftoïcifme.
Il e ft, hors des camps , des inftants où le commandant
en chef a befoin de courage, de grandeur
d’ame & de fermeté : il vient de perdre la confiance
& la faveur de fon maître ou de fa patrie. -
Dans ce moment, qu’il fe repréfente Camille
Phocio.n , Ariftide , Miltiade , Epaminondas, Béli-
faire, &c. Qu’il fe garde pourtant bien de conclure
de ce grand nombre d’hommes fameux, poürfuivis
par l’envie, noircis par la calomnie, qu’on ne peut
être heureux & célèbre en même-temps. Il nous
feroit aifé de lui faire voir qu’Ariftide eft peut-être
le feul héros perfécuté pour fon trop de vertu :
mais , quelle que foit la caufe de fa difgrace , qu’il
imite Gonfalve de Gordoue ; la conduite de ce
grand homme eft la plus belle leçon qu’on puiffe
offrir aux généraux.
Après avoir terminé fes nombreux & brillants
exploits par la conquête du royaume de Naples j
après avoir facrifié aux foupçons injuftes de fon
maître l’honneur de commander l’armée combinée
des V enitiens & du pape , Gonfalve doit croire
que Ferdinand ne le rappelle au pied du trône
que pour le. combler des grâces les plus fignalées r
mais le monarque envieux 6c jaloux dé la gloire
que le grand capitaine vient d’acquérir par fa modération
& fes viéîôires, loin de lui accorder les
récompenfes qui lui font fi légitimement dues, &
qu’il lui a même folemnellement promifes, ne le
rappelle en Efpagne que pour lui annoncer le terme
de fa faveur, d’abord par des délais affeâés , enfui te
par de durs refus, enfin par des mépris infultants*
Gonfalve dilgracié ne fera point retentir le palais
de fon maître de plaintes indignes de lui ; il ne
cherchera point à rétablir fa faveur par de baffes
intrigues ; il prendra un parti plus noble & plus
fait pour fa grande ame ; il fuira cette coùr qui
le dédaigné , & fe retirera dans une de fes terres
pour y trouver la folitude & le repos. Comme fa
gloire eft indépendante de la faveur dont il a joui ,
la dilgrace lui donnera un nouvel éclat. Jufqu’ici il
n’a pu exciter que de l’admiration ; fes trophées ont
été arrofés de lang ; ils ont été mouillés des larmes