
, s.j. M A D
n'avoiént établi un gouvernement qu'en vue de '
procurer le bien général ; & Ton y portoit atteinte
en immolant , par d'odieux monopoles , l'intérêt
public à des intérêts privés. Ils fortifioient ce
principe fécond & inconteftable, par une expérience
allez récente. Durant la rébellion, difoient-
ils , ies marchands particuliers, qui s'étoicnt emparés
des mers d'A fie, y portèrent le double des
marchandifes nationales qu'on demandoit auparavant
, & ils fe trouvèrent en état'de donner
les marchandifes en retour, à un prix affez bas
pour fupplanter les Hollandois dans tous les
marchés de l’Europe. Mais ces républicains habiles,
certains de leur perte fi les Anglois conduiraient
plus long-temps les affaires fur les principes d'une
liberté entière , firent infinuer à Cromwel, par
quelques perfonnes qu'ils avojent gagnées, de
former une compagnie excluiîve. Ils furent fécondés
dans leurs menées par lesnégocians Anglois
qui faifoient alors ce commerce, & qui fe pro-
mettoient pour l'avenir des gains plus confidéra-
b lé s , lorfque devenus feuls vendeurs ils donne-
roient la loi aux confommateurs. Le protecteur,
trompé par les infinuations artificieufes des uns
& des autres, renouvella le monopole-, mais
pour fept ans feulement, afin de pouvoir revenir
fur fes pas, s'il fe trouvoit qu'il eût pris un mauvais
parti.
C e parti ne paroiffoit pas mauvais à tout le
monde. Affez de gens penfoient que le commerce
des Indes ne pouvoit réufiir qu'à l'aide d'un privilège
exclufif : mais plufieurs -d'entr'eux foute-
noient que la charte du privilège^adtuel n'en étoit
pas moins nulle , parce qu’ elle aVoit été accordée
par les rois , qui n'en avoient pas le droit. Ils rap-
pelloient plufieurs a&es de cette nature , caffés par
le parlement, fous Edouard I I I , fous Henri I V ,
fous Jacques I e r, fous d'autres règnes. [Charles II
avoit à la vérité gagné un procès de cette nature
à la cour des plaidoyers communs , mais fur une
raifon puérile. C e tribunal avoit ofé dire^ que
le prince devoit avoir V autorité et empêcher que tous
les fu je ts pujfent commercer avec le s in fid è le s , dans
la crainte que la pureté de leur f o i ne s'altérât.
Quoique les partis dont on a parlé euffent des
vues particulières , & même oppofées, ils fe réunirent
tous dans le projet de rendre le commerce
libre , ou de faire annuller du moins le
privilège de la compagnie. La nation , en général,
fe déclaroit pour eux : m a ille corps attaqué
leur oppofoit fes partifans, les miniftres, tout
ce qui tenoit à la cour , qui faifoit elle-même
caufe commune avec lui. Des deux côtés , ôn
employa la voie des libelles, de l'intrigue, de
la corruption. Du choc de ces paflions, il fortit
un de ces orages, dont la violence ne fe fait guère
fëntir qu'en Angleterre. Les factions, les feétes_,
les intérêts fe heurtèrent avec impétufité T o u t,
fans diftinCtion de rang, d'âge , de fexe , fe partagea.
Les plus grands éyènemens n'avoient pas
M A D
excité plus d'enthoufiafme. La compagnie, pour
appuyer la chaleur de fes défenfeurs, offrit de
prêter de grandes femmes, à condition qu'on lui
laifferoit fon privilège. Ses adverfaires en offrirent
de plus cohfidérables pour le faire révoquer.
Les deux chambres, devant qui s'inftruifoit ce
grand procès, fe déclarèrent pour les particuliers.
Il leur fut permis de faire, enfemble ou
féparément, le commerce de l'Inde. Ilss’affocièrent
& formèrent une nouvelle compagnie. L'ancienne
obtint la permiflion de continuer fes arméniens
jüfqu'à l'expiration très-prochaine de fa charte.
Ainfi l'Angleterre eut à la fois deux compagnies
des Indes Orientales, autorifées par le parlement,
au lieu d'une feule établie par l'autorité royale.
On vit alors ceS deux corps aufli ardens à fe
détruire réciproquement, qu'ils l'avoient ete a
s'établir. L'un & l'autre avoient goûté les avantages
qun procuroit le commerce, & fe regar-
doient avec cette jaloufie, cette haine , que l'ambition
& l'avarice ne manquent jamais d'infpirer.
Leur divifion fe manifetta par de grands éclats
en Europe, & fur-tout aux Indes. Les deux
fociétés fe rapprochèrent enfin, & finirent par
unir leurs fonds en 1702. Depuis cette époque,
les affaires de la compagnie furent conduites avec
plus de lumières, de fageffe & de dignité. Les
principes du commerce, qui fe développoient de
plus en plus en Angleterre, influèrent fur fon admi-
niftration, autant que le permettaient les intérêts
de fon monopole. Elle améliora fes anciens éta-
bliffemens ; elle en forma de nouveaux. C e qu'une
plus grande concurrence lui ôtoit de bénéfice, elle
cherchoit à fe le procurer par des ventes plus
confidérables. Son privilège étoit attaqué avec
moins de violence, depuis qu'il avoit reçu la
fanétion des lo ix , & obtenu la protection du
parlement.
Quelques difgraces paffagères troublèrent fes
profpérités. Les Anglois avoient formé en iy o t
un établiffement dans Tille de Pulocondor ,
dépendante de la Cochinchine. Leur but étoit
de prendre part au commerce de ce riche royaume,
jufqu’alors trop négligé.Unefévérité outrée révolta
feize foldats Macaffars, qui faifoient partie de
la garnifon. Daus la nuit du 3 mars 170; , ils
mirent le feu aux maifons du fort > & maffa-
crèrent les Européens à mefure qu'ils fortoient pour
l'éteindre. De quarante t cinq qu'ils étoient, trente
périrent de cette manière } le refte tomba fous
les coups des naturels du pays , mécontens de
l’ infolence de. ces étrangers. La compagnie perdit
par cet événement les dépenfes que lui avoif
coûté fon entreprife, les fonds qui étoient dans
fon comptoir , & les efpérances qu'elle avoit
conçues.
D'autres nuages s'élevèrent fur plufieurs de
fes comptoirs. C'étoit l'inquiétude, c'étoit 1 ava**
rice de fes agens, qui les avoient affemblés. Une
politique plus modérée fit abandonner d odieufes
prétentions.
M A D
prétentions, & la tranquillité fe trouva bientôt
rétablie. De plus grands intérêts ne tardèrent pas
à fixer fon attention.
L'Angleterre & la France entrèrent en guerre
en 1744. Toutes les parties de l’univers devinrent.
le théâtre de leurs divifions. Dans l'Ind e,
comme ailleurs, chaque nation foutint fon caractère.
Les anglois, toujours animés de Tefprit de
commerce , attaquèrent celui de leurs ennemis,
& le détruifîrent. Les françois fidèles à leur pal- ■
fion pour les conquêtes, s'emparèrent du prin- ,
cipal établiffement de leur concurrent. Les évène-
mens firent voir lequel des deux peuples avoit
agi avec plus de fageffe. Celui qui ne s'étoit
oepupé que defon agrandiffement, tomba dans une
inaCtion entière , tandis que l'autre , privé du
centre de fa puiffance, donnoit plus d'étendue
à fes entreprifes.
A peine les deux nations avoient mis fin aux
hoftilités qui les divifoient, qu'elles entrèrent
comme auxiliaires dans lés démêlés des princes
de l'Inde. Peu après, elles reprirent les armes pour
leurs propres intérêts. Avant la fin des troubles,
les -françois fe trouvèrent chaffés du continent
& des mers d'Afie. A la paix dé 1763, la compagnie
Angloife dominoit en Arabie, dans le
golfe Perfique, fur les côtes de Malabar & de
Coromandel, & dans le Bengale.
Il faut en convenir j la corruption à laquelle
les anglois fe livrèrent dès les premiers momens
de leur puiffance dans l'Inde , Toppreflion qui
en fut la fe ite , tes abus qui fe multiplioient de
jour en jour, l’oubli profond de tous les principes
, tout cela forme un contrafte révoltant avec
leur conduite paffé'e dans l'Inde., avec la conf~
titution aCluelle de leur gouvernement en Europe.
Mais’ cetteiefpèce de problème moral fe réfoudra
facilement, fi l'on confidère avec attention l'effet
des évènemens & des circonftances.
É Dominateurs «fans contradiction dans un empire
ou ils n'étaient, que négocians , il étoit bien
difficile que les anglois n'abufaffent pas de leur
pouvoir. Dans l'éloignement de fa patrie , Ton
n'eft plus retenu par la crainte de rougir aux
yeux/de fes concitoyens. Dans un climat chaud,
où le corps perd de fa vigueur, l'arne doit perdre
de fa force. Dans un pays où la natu;re<& les
ufages conduifent à la molelïe, on s'y laiffe entraîner.
Dans des contre'ès où Ton eft venu s'enrichir,
on oublie aifément d'être jufte. "
Peut-être cependant qu'au milieu d’une pofîtion
fi périlleufe , les anglois auroient confervé du
moins quelqu'apparence de modération & de vertu
, s'ils eüffent été retenus par. le frein des loix :
mais il n'en exiftoit aucune qui pût les diriger
ou les contraindre. Les réglemens faits par la compagnie
, pour l’explication de fon commerce, ne
s'appliquoient point à çe nouvel ordre de chofes >
& le gouvernement anglois ne çonfîdérant la
(JEcon. p o li t , ô* diplomatique, T o tn , 1 1 1 ,
MAD 18 ƒ
conquête du Bengale que comme un moyen d’augmenter
numérairement les revenus de la Grande-
Bretagne , pour 9,900,000 de liv. par an , la del-
tinée de douze, quinze ou vingt millions d’hommes.
Ges malheureufes victimes d'une infatiable cupi-
1 dité furent accablées de tous les fléaux que la
tyrannie peut raffembler 5 & le corps qui ordon-
noit ou qui fouffroit tant de forfaits, n'en fut
pasmoins- menacé d'une ruine totale. Elle alloit
être confommée , lorfqu'en 1773 l'autorité vint
. à fon fecours, & le mit en état de faire face
aux engagemens téméraires qu'il avoit contrariés.
Mais le parlement ordonna 'que tous les détails •
d'une adminiftration fi corrompue feroient mis
fous fes y eu x } que les abus multipliés & crians
qu'on avoit commis feroient publiquement dévoilés
y que les droits d'un peuple entier feroient
péfés dans la balance de là liberté & de la
jullice.
Ces efpérances , fondées fur la haute opinion
que devoit infpirer la législation britan«
nique, ont-elles été réali fées ? On en jugera.
D'abord, pour prévenir une banqueroute inévitable
, & dont le contre-coup fe feroit étendu
au lo in , le gouvernement permit que la compa-
gniè empruntât 31,^00,000 liv.. à un intérêt de
quatre pour cent. Cette Tomme a été fucceffive-
ment rembôurfée, & le dernier paiement a été
fait au mois de- décembre 1776.
L e parlement déchargea enfuite la compagnie
du tribut annuel de 9,000,099. de liv. que depuis
1769 elle pay.oït au fife.'L'époque du renouvellement
de*cette contribution ne fut pas fixée.
On arrêta feulement que les intéreffés ne pour-
roient pas toucher une dividende de plus de huit
pour cen t, fans partager le furplus avec le gou-
' vernement.
Le fort des intéreffes occupa aufli l'autorité.
Le commerce des Indes étoit mal connu ,
& conduit fur des principes très - variables
dans le dernier fiecle. Il arrivoit de là q ue, dans
quelques circonftances , on y faifoit d'énormes
bénéfices, & d'autres fois d'aflez grandes pertes.
Les répartitions qué recevoient les a&ionnaires ,
fuivoient le cours de ces irrégularités. Avec le
temps, elles fe rapprochèrent davantage, mais
fans être jamais égales. En 1708, le dividende
n'étoit que de cinq pour cent. On le porta à
huit en 170 9 , & à neuf en 1710. Il fut de dix
les onze années fuivantes, & de huit feulement
depuis 172.1 jufqu’ en 1731. De 1731 à 174 3 ,
il ne paffa pas fept pour cent, De 1743 à 175Ô ,
il s'éleva à huit, mais pour retomber à fix depuis
i.7jô jufqu'en 1766. En 17 6 7 , il monta à d ix *
& augmenta de deux fucceflivement les années
fuivantes. En 1 7 7 1 , on le pouffa jufqu'à douze
& demi : mais dix-huit mois après, le parlement
le réduifit à f ix , pied fur lequel il devoit refteç
jufqu'au paiement de l'emprunt, de 3 i,yoo,ooo li v ,