les calamités publiques comme l’effet de Ton im-.
prudence, ou comme une jufte punition de fes
déréglemens.
On avoit fait les plus belles Ioix pour obliger à ne
donner la couronne qu'au mérite 5 mais là fuperfti-
tion donnoit aux prêtres une grande influence dans
les élections.
Dès que l'empereur étoit inltallé , il étoit obligé
de faire la guerre, & d’amener des prifonniers aux
dieux. C e prince , quoiqu'éleétif, étoit fort ab-
folu, parce qu’il n’y avoit point de loix écrites,
& qu'il pouvoit changer les ufages reçus.
, Prefque toutes les formes de la jullice & les
étiquettes de la cour étoient confàcrées par la religion.
Les Ioix punilfoient les crimes qui fe puniflfent
par tout > mais les prêtres fauvoierrt fouvent les
criminels.
; ® y avolt deux loix propres à faire périr bien des
innocens , & qui dévoient appefantir fur les mexi-
cams le double joug du defpotifme & de la fùperf-
tition. Elles condamnoient à mort ceux qui auroient
ui r ' 1 *a'n.tetf k religion, & ceux qui auroient
bleffe la majefte du prince. On voit combien des
Ioix fi peu précifes faciiitoient les vengeances particulières,
ou les vues intéreflees des prêtres & des
courtifans.
On ne parvenoit à la noblefle, & les nobles ne
parvenoient aux dignités que par des preuves de
courage, de piété & de patience. On faifoit dans
les temples un noviciat plus pénible que dans les
armeesj & enfuite ces nobles, auxquels il en
avoit tant coûte pour l'ê tre , fe dévouoient aux
fondions les plus viles dans le palais des empereurs.
Cortès penfa que, dans la multitude des vaffaux
du Mexique , il y en auroit qui fecoueroient volontiers
le joug , & s'affocieroient aux efpagnols.
Il avoit vu combien les mexicains étoient hais
des petites nations dépendantes de leur empire, &
combien les empereurs faifoient fentir durement
leur puinance.
j apperçu que la plupart des provinces j
deteftoient h religion de la capitale, & que dans
Mexico meme les grands, les hommes riches,
dans qui l'efprit de fociété diminuoit la férocité des
préjugés & des moeurs du peuple, n'avoient plus
qiie de l'indiffe'rence pour cette religion. Plufieurs
d entre les nobles étoient révoltés d’exercer les
emplois les plus humilians auprès de leurs maîtres.
Depuis fix mois, Cortès mûriffoit en filence fes
grands projets, lorsqu'on le vit fortir de fa retraite,
fuivi de cinq cents quatre-vingt-dix efpagnols, de
dix mille tlafcalteques, de quelques autres Indiens,
amenant quarante chevaux & traînant huit ou neuf
pièces de campagne. Sa marche vers le centre des
états mexicains r fut facile & rapide. Les petites
nations , qui auroient pu la retarder ou l'embar-
rafler, furent toutes aifément fubjuguées , ou fe
donnèrent librement à lui, Plufieurs. des peuplades
qui- occupoient les environs de la capitale de l’etti**
pire, furent auffi forcés de fubir fes loix, ou s'y
fournirent d'elles-mêmesi
Des fuccès propres à étonner même les plus pré-
fomptueux, auroient dû naturellement livrer tous
les coeurs au chef intrépide & prévoyant dont ils
étoient l'ouvrage. Il n'en fut pas ainfi. Parmi fes
foldats efpagnols, il s'en trouvoit un allez grand
nombre qui avoient trop bien confervé le fouvenir
des dangers auxquels ils avoient fi difficilement
échappé. La crainte de ceux qu'il falloit courir enco
re , les rendit perfides. Ils convinrent entr’eux
de maflacrer leur général, & de faire pafler le
commandement à un officier q u i, abandonnant
des projets qui leur paroiiïoient extravagans, pren-
droit des mefures fages pour leur confervation. La
trahifcn alloit s'exécuter, quand le remords con-
duifit un des conjurés aux pieds de Cortès. Auffi-
tôt ce génie hardi, dont les événemens inattendus
développoient de plus en plus les reffources, fait
arrêter, juger & punir Villafagna, moteur principal
d'un fi noir complot 5 mais après lui avoir ar*
raché une' lifte exaéte de tous fes complices. Il
s'agifibit de diffiper les inquiétudes que cette dé- •
couverte oouvoit caufer. On y réuffit, en publiant
que le fcélérat a déchiré un papier qui contenoit
fans douté le plan delà confpiration , ou le nom
des afîociés , & qu'il a emporté fon fecret au tonv?
beau, malgré la rigueur des fupplices employés
pour le lui arracher.
Cependant, pour ne pas donner aux troupes le
temps de trop réfléchir fur ce qui vient de fe palfer,
le général fe hâta d'attaquer Mexico > lé grand
objet de fon ambition, & le terme des efpérances
de l'armée. C e projet préfentoit de grandes difficultés.
Tout étoit difpofé de longue main pour une
réfiftance opiniâtre. Les moyens de défenfe avoient
été prépares par Quetlavaca , qui avoit remplacé
Montezuma fon frère : mais la petite vérole
portée dans ces contrées par un efclave de Nàr-
vaès , l'avoit fait périr j & lorfque le fiège commença
, c'étoit Guatimofin qui tenoit les rênes de
l'empire.
Les aétions de ce jeune prince furent toutes
héroïques & toutes prudentes. Le feu de fes regards
, l'élévation de fes difcours , l'éclat de fon
courage, faifoient fur fes peuples l'impreffion qu'il
défiroit. Il difputa le terrein pied à pied} & jamais
il n'en abandonna un pouce qui ne fût jonché des
cadavres de fes foldats & teint du fang de fes
ennemis. Cinquante mille hommes accourus de
toutes les parties de l'empire à la défenfe de leur
maître 8c de leurs dieux, avoient péri par le fer
ou par le feu ; la famine faifoit tous les jours des
progrès inexprimables ; des maladies contagieufes*
s’étoient jointes à tant de calamités, fans que fon
ame eût été un inftant, un feui inftant, ébranlée.
Les aflaillans, après cent combats meurtriers &
de grandes pertes, étoient parvenus au centre dela
place, qu’il ne fongeoit pas encore à céder. On
le fit enfin -confentir à s'éloigner des décombres
qui ne, pou voient plus être défendus, pour aller
continuer la guerre dans les provinces. Dans la
vue de faciliter cette retraite, quelques ouveitures
de paix lurent faites à Cortès : mais cette noble
rufe n'eut pas le fuccès qu'elle méritoit 5 & un
brigautin s'empara du canot où étoit le généreux
& infortuné monarque. Un financier efpagnol imagina
que Guatimofin avoit, des tréfors cachés 5 &
pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre fur
des charbons ardens. Son favori, expofé à la même
torture, lui,adrefloit de triftes plaintes : Et moi,
lui dit l'empereur, fuis-je fur des rofes ? Mot comparable
à tous ceux que l'hiftoire a tranfmis à l'admiration
des hommes'. Les Mexicains le rediroient
a leurs enfans, fi quelque jour ils pouvoient rendre
aux efpagnols fupplice pour fupplice. Guatimofin
fut tiré demi-iùort du gril ardent, 8c trois ans
après il fut pendu publiquement, fous prétexte
d avoir çonfpiré contre fes tyrans 8c fes bourreaux.
Si l’on en c oït les efpagnols, M ex ico, dont,
après deux mois 8c demi d'une attaque vive &
régulière ils s'étoient enfin emparés avec le fecours
de foixante ou de cent mille Indiens alliés, & par
la fupériorité de leur difciplihe , de leurs armes &
de leurs navires > ce Mexico étoit une ville fuperbe.
La faufleté de leur defcription pompeufe, tracée
dans des monumens de vanité par nn vainqueur
naturellement porté à l'exagération, ou trompé
par la grande fupériorité qu'avoit un état régulièrement
ordonné fur les contrées fauvages , dévaf-
tées jufqu'alors dans l'autre hémifphère : cette
faufleté peut être mife aifémept à la portée de tous
les efprits.
Dépouillons le Mexique de tout ce que des récits
fabuleux lui ont prêté, & nous trouverons que
ce pays, fort fupérieur aux contrées fauvages que
les efpagnols avoient jufqu'alors parcourues dans le
Nom reau-Monde, n'étoit rien en comparàifon des
pays civilifés de l'ancien continent.
Plufieurs des provinces qu'on pouvoit regarder
commefaifanc partie de cette vafte domination, fe
gouvernoient par leurs premières loix & félon leurs
maximès anciennes. Tributaires feulement de l ’em-
pire , elles continuoient à être régies par leurs
caciques. Les obligations de ces grands vaflaux fe
réquifoient à couvrir ou à reculer les frontières de
1 état lorfqu'ils en recevoient l'ordre > à contribuer ;
fans cefîe aux charges publiques, originairement 1
d’après un tarif réglé , & dans les derniers temps
fuivant les befoins, l'avidité ou les caprices du
defpote.
L adminiftration des contrées plus immédiatement
dépendantes du trône, étoit'confiée à des
grands qui, dans leurs fondions, étoient foulages
par des nobles d’un rang inférieur. Ces officiers
eurent d’abord de la dignité & de l'importance j
mai$ iis n'étoient plus que. les inflrumens de la
tyrannie, depuis que le pouvoir arbitraire s'étoit
élevé fur les ruines d’un régime qu’on eût pu ap»-
peller féodal.
A chacune de ces places étoit attachée une portion
de terre, plus ou moins ctendue. Ceux qui
dirigeoient les cojifeils, qui conduifoient les armées
, que leurs poftes fixoien't à la cou r , jouif-
foient du même avantage. Gn changeoitde domaine
en changeant d’occupation, & on le perdoit dès
qu’on rentroit dans la vie privée.
II exiftoit des pofleffions plus entières, & qu'on
pouvoit aliéner ou tranfmettre à fes defcendans.
Elles'étoient en petit nombre, & dévoient être
occupées par les citoyens des clafles les plus distinguées.
Le peuple n’avoi.t que des communes. Leur étendue
étoit réglée fur le norribre des habitans. Dans
quelques-unes, les travaux fe faifoient en fociété,
8c les récoltes étoient dépofées dans des greniers
publics, pour être diftribuées lelon les befoins.
Dans d'autres, les cultivateurs fe partageoient les
champs & les exploitoient pour leur utilité particulière.
Dans aucune il n'étoit permis de difpofer
du territoire.
Plufieurs diftriéls, plus ou moins étendus,
étoient couverts d’efpèces de ferfs attachés à la
glèbe, paflant d’un propriétaire à l'autre, & ne
pouvant prétendre qu'à la fubfiflance la plus grof-
fière & la plus étroite.
Des hommes plus avilis encore, c'étoient les
efclaves domeftiques. Leur vie étoit cenfée fi mé-
prifable, qu'au rapport d'Herrera, on pouvoit les
en priver, fans craindre d'être jamais recherché par
la loi.
Tous les ordres de l'état contribuoient au maintien
du gouvernement. Dans les fociétés un peu
avancées , les tributs fe paient avec des métaux.
Cette mefure commune de toutes les valeurs étoit
ignorée des mexicains, quoique l'or 8c l'argent
luflent fous leurs mains. Ils avoient, à la vérité ,
commencé à foupçonner l'utilité d'un moyen uni-
verfel d'échange, & déjà ils employoient les grains
de cacao dans quelques menus détails de commerce
: mais leur emploi étoit très-borné & ne
pouvoit s'étendre jufqu'à l'acquittement de l'impôt.
Les redevances dues au fifc étoient donc toutes
foldées en nature.
Comme tous les agens du fervice public recevoient
leur‘ falaire en denrées, on retenoit pour
leur contribution une partie de ce qui leur étoit
affigné.
Les terres attachées à des offices & celles qu'on
poffédoit en toute propriété, donnoient à l ’etat
une partie de leurs productions.
Outre l'obligation impofée à toutes les communautés
de cultiver une certaine étendue de fol
pour la couronne, elles lui dévoient encore le tiers
de leurs récoltes.
Les chalfeurs, les pêcheurs, les potiers, les
peintres, tous les ouvriers fans diftinétion ren