
les provinces etoient ravagées par une ufure de
cette efpèce, fousl'adminiftration ruineufe de leurs
proconfuls. Les lettres de Cicéron nous apprennent
que le vertueux Brutus prêta de l'argent en
Chypre à quarante-cinq pour cent.
Dans un pays qui auroit acquis toute la ri-.
chelTe dont il eft fufceptible par la nature de, fon
ibl , de fon climat & de fafituation 3 relativement
aux autres pays, qui par conséquent ne pour-
roit plus faire de progrès & qui n e. reculerait
pas j le falaire du travail & les bénéfices des
capitaux feraient probablement fort bas. Dans
un pays qui auroit acquis toute la population
que foiî^territoire & fes capitaux pourvoient
nourrir & employer, la concurrence pour
trouver de l'emploi ferait fi grande , qu'elle réduirait
le falaire :du travail à ce qui fuffiroit pour
y entretenir le nombre d'ouvriers qu'il auroit 5 &
comme il ferait, affez peuplé 3 ce nombre ne
pourrait jamais augmenter. Dans un pays où les
capitaux pour toutes les entreprifes à faire y feraient
aufliabondans qu'ils pourraient l’être 3 qn
en emploierait dans chaque branche particulière
autant que. fa nature & l'étendue, du commerce,
en comporteraient 3 -ainfi la .concurrence ferait
par-tout.la plus grande , & le bénéfice le plus bas
poffible.
Mais il n'ell peut-être aucun pays qui foit ja mais
parvenu, à ce degré d'opulence. La,Chine
paroît avoir été long-tems ftationnaire, & c'eft pro,
bablement depuis des. fiècles qu'ellé eft aufli riche
que la nature de fes loix~ & de fes infiitutions lui
permet de -i'être. Mais- fa richefle peut être, fort
inférieure à ce que comportent fon fo l , fon climat
& fa fituatiôn ^ fi elle avoit eu d'autres loix
& d'autres infiitutions. Un pays qui néglige ou
qui dédaigne le commerce é t r a n g e r& qui n'admet
que dans un ou deux de fes ports les vai.f-
feaux des.autres nations, n'a pas toute l'indufirje
qu'il pourrait avoir , & ne fait pas tout ce qu'il
pourrait faire avec des loix & des infiitutions différentes.
D ’ailleurs, quoique les gens riches ou
les proprietaires de grands capitaux joui fient à la
Chine d'une affez grande fureté , il n'y en a pref-
qu'aucune pour les pauvres & les petits propriétaires
, qui en tout tems font pilles & volés par
les mandarins inférieurs. La quantité de capitaux,
employée dans les diverfes branches des affaires
qui s'y fon t, ne peut être égale à ce que la nature
& l'étendue de ces affaires comporteraient. L ’op-
preflion des pauvres doit établir dans chaque branche
le monopole des riches, q u i, en s'emparant
de tout Te commerce A y feront de gros bénéfices.
Aufli dit-on qu'à la Chine l'intérêt commun
de l’argent eft à douze pour cent, & il faut bien
que les profits ordinaires des- fonds fuffifent pour
les donner. Cette réflexion eft applicable aux pays
de l’ Inde, où \ Intérêt légal de l'argent eft encore
plus confidérable.
Un vice, dans les loix peut quelquefois haufier
le taux 4e Vintérêt bien au-delà de ce qu'e^gç^
roit l'état du pays confidéré par rapport à fa rien
elfe ou à fà pauvreté. Lorfque la loi ne prête
pas fon autorité aux contrats, elle met tous les
emprunteurs à-peu-près fur le pied où font, dans
les pays mieux réglés, les banqueroutiers & les
gens d'un, crédit douteux. L'incertitude de re*r
cou-vrer fon argent , fait que le prêteur exige le
même Intérêt ufuraire qu'on exige communément
des banqueroutiers. Parmi les nations barbares qui
ont inondé les provinces occidentales de l'Empire
romain , les contrats furent laifles pendant plu-
fieurs fiècles à la bonne foi des parties contractantes.
Les cours de jufticede leurs rois s’ en .mê-
loient rarement. Peut-être que le haut intérêt qu’on
payoit dans ces anciens t,ems , vient en partie de
cette caufe.
Lorfque la loi défend toute efpèce. à*intérêt ,
elle ne l’empêche pas. Il faut que bien des gens
empruntent 3 & ceux qui prêteront, exigeront
quelque chofe pour le danger & la difficulté d’éluder
la loi. M. de Mqntefquieu rend raifon de
Y intérêt exorbitant .qu’ on prend chez les peuples
mahométans, non par leur pauvreté, mais par
le péril de la contravention., & par le péril de
rinfolvabilité.
Le taux ordinaire îe plus bas du bénéfice .doit
toujours être un peu aù-defîus de ce qui fuffit
pour compenser les pertes accidentelles, auxquelles
eft expofé tout emploi des capitaux.. C e
furplus eft uniquement ce qui forme le profit net
ou clair 3 & l’intérêt que l’emprunteur peut payé^
eft en proportion de ce profit feulement.
• Le taux ordinaire le plus bas de Y intérêt, doit
être de même un peu plus que fuffifant pour con>
penfer les pertes accidentelles auxquelles eft expofé
le p rê t, même celui qu’ on fait avec fageffe :
autrement il n’y auroit que la charité ou l’amitié
qui pourraient engager quelqu'un à prêter.
Si on fuppofe un pays qui a acquis toutes les
richeffés'dont il eft fufceptible, & qui a pour
chaque branche d’induftrie, la plus grande quantité
de'capitaux dont elle eft fufceptible : comme le
taux ordinaire du profit net feroit fort petit, ce
qu'on pourra en tirer pour payer Yintérêt au taux
du marché , fenrfi peu de chofe que les pçrfon-
nes les plus opulentes pourront feules vivre de
Yintérêt de leur argent. Tous les gens d'une petite
qu d’une médiocre fortune feront obligés de
diriger eux mêmes.remploi de leurs capitaux. IL
faudra que prefque tout le monde fe mette dans,
les affaires, ou embrafle quelque profeflion. La.
province de Hollande paroît fort près de cet état-
Il n'y eft point à la mode de ne rien faire. La.
néceflltë oblige prefque tous les individus à travailler
,, & par-tout .c’ eft la coutume qui règle la
mode. Comme il eft ridicule, de s'habiller autrement
que les autres, il. l'eft aufli, en quelque:
manière d’être défoeuvré lorfque tçut le monde:
eft occupé*.
lé t a u x ordinaire le plus haut du bénéfice peut
être tel que , dans le prix de la plupart des mar-
chandifes, il abforbe tout ce qui devrait aller à
la rente de la terre, & qu'il ne lai fie que ce qu'il
faut pour payer le travail nécefiaire à leur préparation
& à leur tranfport au marché, félon le
taux le plus bas poflible du falaire , c'eft-à-dire j
la ftriéte fubfiftance de l'ouvrier. Il faut toujours
que l’ouvrier foit nourri tandis qu’il travaille 5
mais il n’y a pas la même néceflité que-le maître
ou le propriétaire de la terre foit payé. C e taux
des bénéfices n'eft peut - être pas fort éloigné
de ceux du commerce que les fréteurs de la compagnie
desJndes orientales font aujourd’hui dans
le Bengale.
La proportion qui doit fe trouver entre Yintérêt
au taux ordinaire du marché, & le taux ordinaire
du profit n e t, varie néceflairemen.t félon
que le profit haufle ou baifle. Dans la Grande-
Bretagne , on évalue au double de Yintérêt de
l ’argent ce que les négoçians appellent un bénéfice
honnête, modéré , raifonnable. Si le taux
.ordinaire du profit net eft de huit ou dix pour
cent , il peut être raifonnable qu’on en défalque
la moitié pour le paiement de Yintérêt, lorfque ;
les affaires fe font avec de l’ argent prêté. Le car
pital eft aux rifques de celui qui emprunte , &
qui l’afiure, pour ainfi dire, à celui qui prête,3
& quatre' ou cinq pour cènt dans la plupart des
branches de commerce, peuvent être un profit
fuffifant fur les rifques de cette afiurance , & en
même-temps une récompenfe proportionnée à la
peine d’ employer le capital. Mais la proportion
entre Yintérêt & le profit n e t, peut n’être pas
la même dans les pays où le taux ordinaire du
profit feroit bien au-deflous ou bien au-deflus.
S’il étdit bien au-deflous , l’on ne pourrait pas
en prendre la moitié 5 & s’il étoit bien au-deflus-,
on pourrait en prendre plus de la moitié pour
payer Yintérêt.
■ Dans les pays qui font de grands progrès , ou
qui s’enrichiflent rapidement , le taux bas du bénéfice
dans le prix de plufieurs marchandifes,
compenfe le haut falaire du travail, & met en
état de les vendre auflî ,bon marché que les ven
dent les pays voifins , qui vont moins vite dans
l ’acquifition des richefles, & où le falaire peut
être plus bas.
Nous avons indiqué plufieurs pays où Yintérêt
de l’ argent a été défendu par les loix. Mais comme
on peut faire par-tout quelque chofe avec de
l ’argent, on doit payer par-tout quelque chofe pour
l'ufage qu’on en fait. L ’expérience a montré que
ce réglement ne fait qu’aggraver le mal de l’u-
fure au lieu de le prévenir, ainfi que nous l’avons
déjà dit.'
Dans les pays où Yintérêt eft permis, la lo i ,
pour prévenir les extorfians de l’ufure, fixe en
général le plus haut taux qu’on puifle prendre fans
encourir une peine. C e taux doit toujours être un
peu au-deflus du plus bas prix courant, ou du
prix que payent communément pour.l’ ufa^e de
l’argent ceux qui peuvent donner les meilleures
furetés. Si ce taux légal étoit fixe au-deflous du
plus bas prix courant, les effets de cette fixation
feraient à-peu-près les mêmes que ceux d’une prohibition
totale de l’intérêt. Le créancier ne prêtera
point fon argent à un taux plus bas que ne
le déterminé l’ ufage. Si on fixe le taux précisément
au plus bas prix courant, on ruine , parmi les
honnêtes gens qui refpeétent les loix du pays, le
crédit de tous ceux qui ne peuvent donner les
meilleures furetés, & on les oblige d’avoir recours
à des ufuriers. Dans un pays^ tel que la
Grande-Bretagne, bû l’on prête à trais pour cent
au gouvernement, & aux particuliers qui font fol-
vables, à quatre & à quatre & demi pour cent,
le taux aétuel de cinq pouf cent eft peut - être
auflî convenable qu’aucun autre.
Il faut encore que le taux légal ne foit pas fort
au-deffus du prix courant. S i , par exemple, il
étoit fixé en Angleterre à huit ou dix pour cent ,
la plus grande partie de l’argent à prêter feroit
prêtée à des prodigues ou à des faifeurs de projets
, qui feuls voudraient le prendre à fi gros intérêt.
Les gens fages qui ne veulent donner pour
l’ ufage d e i’argent qu’une partie du bénéfice qu’ils
peuvent faire, ne fe mettraient pas fur les rangs
pour emprunter. Ainfi une grande partie du capital
du pays n'iroit pas dans les mains capables
d’en tirer un bon parti, & il feroit jetté dans celles
qui feraient les plus propres à le confumer &
à le détruire. Si au contraire le taux légal de l’intérêt
eft Amplement fixé un peu au-deflus du taux
courant le plus bas, on donne univerfellement la
préférence aux gens fages, & on leur prête plutôt
qu’aux prodigues &: aux hommes portés à de
folles entreprifes. Le prêteur, tire prefqu’autant
d’ intérêt des premiers qu’il oferoit en prendre des
derniers , & fon argent eft pla-cé bien plus füre-
ment dans les mains des uns que dans celles des
autres. Une grande partie du capital du pays tombe
ainfi entre lès mains les plus capables de Le faire
valoir avec avantage.
Il n’y a point de loi qui puifle réduire le taux
de l’intérêt au-deflous du taux courant le plus bas
qui exifte dans le.temps qu’elle eft portée. En
1766 3 le roi de France a tenté de mettre à quatre
pour cent le taux de l’intérêt qui .étoit à cinq*
Malgré- fon éd it, l’on continua d'y prêter à cinq
pour cent 3 la loi fe trouvant éludée en bien des
manières. Ceux qui ont cru régler l'intérêt avec
des loix ont montré bien peu de çonnoifîances fur
L'économie politique.
Il fout obferver. que le prix courant ordinaire
des terres dépend par-tout du taux courant ordinaire
de l’ intérêt. Celui qui poflède un- capital *
dont il veut tirer lin revenu fans fe-donner la.
peine, de L'employer lui - même , délibère s'il er»
achètera- une teri;e , ou s'il le placera à intérêt* L e