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pas vu qu'elle périroit II la France périffoit, Il
fembl.e qu’il Toit facile d’affujettir l’Europe à la
même monarchie. Cette monarchie univerfelle eft
împoflible } & c’eft un cri de ralliement qu’on a
employé , fans bien- examiner ce qu’on difoit.
Après l’avoir répété fans ceffe contre Charles-
Q u in t, on le fit valoir, contre Louis; X IV avec
le même foin. Quel que foit l ’orgueil ou le vertige
des confeils d’un grand monarque , il y a lieu
de croire que jamais le cab.inet de Charles-Quint
ou celui de Louis X IV ne fongea à la monarchie
univerfelle. La maifon de France 3 qui eft redoutable
depuis près de huit cents ans , a profité,
dans le dernier fiecle , & dans celui où nous vivons
j des débris de celle d’Autriche qui étoit
plus nouvelle, & qui n’avoit jetté les premiers .
fondemens de fa grandeur que dans le treizième
fiècle. Mais quel eft/on Empire en comparaifon
du refte de l’Europe ? Elle forme quatre branches
j l’ aînée règne en France 5 la puîhée en Ef-
pagne, & déux^cadettes de la puînée fur les !
Deux-Siciles & aParme : & comment réunir fur
tous les-points les cabinets de Verfailles, de Madrid
8c de Naples ? L ’empereur réunit prefque
tous les. états de la maifon d’Autriche : mais fes
domaines font féparés : fes reyenus font peu con-
fidérables , & doit - il faire craindre une grande
révolution ?
; Après ces deux maifons 3 qui ont partagé l’attention
de l’Europe jufqu’à préfënt, l’Angleterre
& la Hollande ont été les deux puiffances qui
ont le plus influé dans les affaires de la partie du
monde que nous habitons.rLa maifon de France
& la maifon d’Autriche ont été 3 difent les pu-
bliciftes , regardées comme les baflins de la balance
de l’Europe. L ’ un & l’autre, de ces baflins
ont reçu leur mouvement de l’Angleterre & de la
Hollande , qui en étoient comme le balancier. C e
n’eft que par le feul motif de maintenir cet équilibre
que la Hollande, l’Angleterre & plufieurs
autres puiffances avoient garanti la pragmatique-
fanétjon de Vienne. La France elle-meme 3 dé-
farmee par fes victoires, & contente de quelques
avantages qu’on lui avoit faits 3 avoit garanti
„çette même pragmatique-fanétion que la feule
crainte de fa puiffance 'avoit enfantée ; & le fort
de cette pragmatique n’a pas été heureux 3 quoiqu’elle
eût été confirmée par le dernier traité de
paix d’Aix-la-Chapelle,
Les princes-, qui n’ont aucune vue particulière
qui les écarte de l’intérêt commun de l’Europé ,
penfent que , pour la confervation de fa liberté,
il eft néceffaire que la maifon de France & celle
de Lorraine fubfiftent toutes deux & fubfiftent
floriffantes ; non qu’il foit à craindre de voir
la monarchie univerfelle établie par l’une ou
par l’autre, mais afin que leur ambition contenue
refpeéte les gouvernemens établis, ou du moins
foit plus modérée dans leurs réclamations ou dans
leurs entreprifes. Il eft inuÿle d’ajouter avec les pu-
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bliciftes : « tant que Rome & Carthage confer*
as vèrent leur puiffance entière, la terré fut h-
33 bre i auffi - tôt qu’on eut permis que Rome
»3 triomphât de Carthage , les républiques & les
33 royaumes devinrent des provinces de 1 Ijmpire
33 romain. Ces deux maifons font Rome & C a r - ,
33 thage pôur l’Europe. Sa liberté eft attachée a
3j leur confervation, comme la liberté de l’ uni-
» vers le fut au fort de ces deux fameufes ré-
» publiques. De même que la liberté de 1 Europe
33 dépend de la confervation de ces deux maifons,
33 fon repos dépend d’une certaine proportion &
33 d’une égalité de forces qu’on doit mettre en-
33 tr’elles, afin que l’aine n’ efpérant guères ae
»3 pouvoir rien emporter fur l'autre , elles ne fe
>3 portent pas aifément à s’attaquer , & qu elles
33 fervent ainfi réciproquement , lune contre
>3 f autre , de rempart 8c de défenfe aux états
33 inférieurs » : Il n’eft pas ici queftion de Rome
ou de Carthage, 8c les tems font bien changés.
* Au refte, l’Europe offroit jadis un bien plus
grand nombre de fouverainetés. Comme elles
étoient moins confidérables, leurs mouvemens ou
leurs déterminations ne portoient pas de fi grands
coups > mais aujourd’hui il eft plufieurs états dont
les déterminations ne font pas indifférentes a 1 ordre
général, ou pour lefquels, à le bien pren-
dre, rien de ce qui fe paffe dans l’Europe n éft
indifférent.
Les réfolutions des maifons de France & de
Lorraine ; celles de la Ruffie q u i, malgré fes for-
1 ces précaires , a obtenu une influence fi marquée >.
celles de l’Angleterre dont la marine eft fi redoutable
, entraîneront vraifemblablement tout ce qui
fe trouvera dans la fphère de leur mouvement.
La deftinée des états moins confidérables doit fui-
vre la fortune de l’une de ces quatre puiffances,
félon qu’elles entreront dans fon alliance , ou
qu’elles* fe mettront fous fa prote&ion. La puiffance
de cçs quatre états n’ eft pas égale à beaucoup
près ; mais on peut dire des plus foibles ce
qu’Henri V I I I , roi d’Angleterre, avoit voulu
exprimer par fa devife : celui pour qui je me déclare
, Vemporte. Il fe fit peindre tenant dé la main
droite une balance , dans les baflins de laquelle
étoient les monarchies de France 8c d’Efpagne
avec un fi jufte équilibré, qu’il dépendait abfo-
lument de lui de faire, pencher celle où il laiffoit
' tomber le poids qu’ il avoit à la main gauche.
Pour revenir à cet équilibre, que de flots de
fang il a fait répandre ! cette nouvelle idole, cette
efpèce de divinité des politiques ne fe contente
pas de la fumée de l’encens , ni de l’odeur
des parfums, il lui faut des vi&imes humaines,
& on lui en a déjà facrifié plus qu’on n’ en immola
jamais aux divinités les plus meurtrières du
paganifme. Il y a long - temps que , pour détourner
des maux éloignés 8c incertains, les princes
s’en caufent de réels, & qu’ ils fe font la
guerre pour tâcher de l’éviter. O n n’a pas ençorç
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èore trouvé cet'équilibre qui doit maintenir la
paix, & qu’on cherche d’une manière fi dange-
reufe. Si on l’avoit trouvé , il feroit împoflible de
le maintenir- Les paffions des princes, les inclinations
des peuples, les maximes des états, les
changemens de règne, de petites cîrconftances que
bien peu de perfonnes remarquent, 8c les révolutions
intérieures ne dérangeroient-elles pasdefi belles
combinaifons ? L’équilibre peut-il être affez parfait
, pour que la balance ne penche jamais plus
d ’un côté que de l’autre ? Pour qu’il y eût une
parfaite égalité, il faudroit non - feulement une
parfaite égalité de puiffance, mais une parfaite
égalité de génie entre les fouverains 8c leurs mi-
niftres, 8c l’on comprend que c’ eft une efpéran-
ee chimérique. Si on l’ avoit atteint ce parfait
équilibre, fubfïfteroit-il long-temps ? Des troubles
inteftins, un adminiftrateur prodigue affon-«
bliront une de ces deux monarchies qu’on regarde
comme les baflins de la balance, pendant qu’un
droit de fucceflion, des acquifitions graduelles &
une adminiftration économe accroîtront la force
de l’autre, 8c l’équilibre fera renverfé. Le maintien
de cet équilibre dépendroit d ailleurs de la
confervation des alliés des deux monarchies. Que
l’un de ces alliés devienne ou plus puiffant ou
plus foible, la balance fera encore renverfée :
que s’il n’arrive aucun changement dans la puiffance
des alliés , n’en arrivera-t-il point dans leur
volonté ? Le maintien de l’équilibre de l’Europe
ne fera-t-il jamais làcrifiéi leur ambition , à leur
jaloufie, à des defirs de haine & de vengeance, à des efpérances de qüelqu’avantage préfent &
particulier ? Quelle que fut la puiffance de la maillon
d’Autriche, fous les règnes de Charles-Quint
8c de Philippe I I , quarante ans d’ un mauvais
gouvernement fuffirent pour l’affoiblir au point
qu’elle devint aufli inférieure en forces à fa rivale
, qu’ elle lui étoit fupérieure auparavant. Quel
ne fut point l’agrandiffement de la France fous le
règne de Louis X IV 3 8c l’abaiffement de l’Efpa-
gne fous celui de Charles II ?
De la balance des dijférens intérêts politiques ,
quand ils font mixtes.
Toute combinaifon eft plus ou moins difficile
à faire en proportion du nombre d’objets , fur
lefquels elle doit porter, & de la complication de
ces mêmes objets, pris en eux-mêmes ou dans
les rapports des uns avec les autres.
Il ne fuffit pas d’étudier féparément les divers
intérêts politiques ; il faut en approfondir l’enfem-
ble , puifqu’il n’eft prefque point d’états où iis
ne fe mêlent^ & ne produisent une réa&ion. Chaque
état dépend tout-àda-fois des circonftances
de fa pofîtion , de la nature de fon gouvernement,
de fes befoins , de l’étendue de fes forces
& de fes reffources , de la poflibilité de les
mettre en ufage ; & l’état n’eft bien-gouverné ,
qu autant que ces divers intérêts font ménagés
avec fageffe & fuivis avec difeernemejnt. Chacun
(&conf polit. £r* diplomatique. Tome l l f
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de ces intérêts doit être apprécié $ 8c te s Sacrifices
ou l’abandon de ceux qui font le moins im-
portans, demandent à être pefés mûrement.
II eft prefque împoflible , quand même on Tes
pourroit tous approfondir, de faire tout ce que
chacun fembleroit exiger. Quand on le pourroit,
peut-être même feroit-ce mal faire , parce
qü’en tout état il eft plufieurs fortes d’intérêts 3
quelques-uns méritent plus ou moins d’attention
de la part d’ un homme public } 8c une attention
égale à des objets dont l’importance n’eft pas la
même , mettant de niveau ce qui n’ eft pas fait-
pour l’être , feroit un vice dans l’ adminiftration.
On doit toujours diftinguer les intérêts généraux
& ceux de détail. Dans l’un & l’autre genre ,
il y en a d’effentiels , de fimple utilité 8c de Ample
convenance.
Il eft moins difficile de fe méprendre dans la
façon de juger des intérêts généraux, que dans
l’examen des intérêts de détail; ceux-ci demandent
plus de connoiffances particulières que les pre^
miers, auxquels fuffit quelquefois l’opération fimple
du bon fens ou du raifonnement, parce qu’ils font
fi palpables qu’on les pourroit mettre au rang desvérités
géométriques qui portent teur démonftra-
tion avec elles.
Un intérêt général, par exemple, & néceffaire
à chaque éta t, eft celui de fa confervation ; elle
dépend de la fûreté de fes frontières , & cet intérêt
eft commun à tous les états.
Pour un état commerçant il faut y ajouter ce qui
peut iméreffer fon commerce, parce qu’il en tire fa
richeffe ; & que s’il diminue, le corps de l’état
s’affoiblit dans la même proportion. Nous parlons
ici d’après les principes ou les préjugés
reçus ; 8c nous ajouterons, d’après les mêmes principes
8c les mêmes préjugés , que cette confidé-
ration entrera encore dans les objets de la confervation
, parce que tout affoibliffement continué
conduit à l’impuiffance ou à la deftruétion.
Un état républicain comptera entre fes intérêts
généraux effentieîs, ceux de fa liberté. La
fûreté de fes frontières fera un moyen de détail.
Il exige une attention plus particulière à
éloigner le théâtre de la guerre, 8c à prévenir
. les querelles entre les puiffances voifines qui pour-
roient l’entraîner dans les engagemens ruineux ou
même hafardeux. Son vrai fyftême fera de fe tenir
toujours en état d’emplbyer des foins de médiation
, foit pour concilier les différends avant qu’ ils
éclatent ^ ou pour ramener à des fentimens de
paix. Rien n’eft plus propre à procurer une grande
confîdération, quand on foutient le çaraéfère d’impartialité
qu’exige toute médiation en matière publique
comme dans l’ordre civil. On s’expoferoit
fans cela à recevoir , par la réeufation de quelqu’une
des parties , un affront qu’ on pe pourroiç
imputer qu’ à foi.
Pour un état maritime, ce fera un intérêt général
8c effeotid que d’aifùrer fes ports 8c fes