
avant la guerre meurtrière & malheureufe qui lui
fit quitter Tes* premiers Toyers. Forcé de s expatrier
, il fe réfugia dans une vallée très-fertile &
entourée de hauteurs efçarpées , où il vit fans
communication avec fes voilîns. Lorfque fes anciens
vainqueurs fe réunifient pour l'attaquer dans
cette pofition heureufe , il lâche; un. grandi nombre
de boeufs fur la-croupe de fes montagnes.
Les afiaillans qui n'ont. que ce butin'en v u e ,
s'emparent des troupeaux quittent les armes ;
pour les reprendre Iorfqu’ils peuvent encore réuf-
fir à former une confédération affez puiffante
pour déterminer les quimoffes à acheter de nouveau
la paix.
Du gouvernement des naturels. Madagafcar eft
divifé en plufieurs peuplades plus ou moins nom-
breufes,, mais indépendantes les unes des autres.
Chacune de ces foibles, afibeiâtions habite un canton
qui lui eft propre , & fe gouverne elle-même
par. fes ufages. Un ch e f, tantôt é le& if, tantôt
héréditaire , & quelquefois . ufurpateur, y jouit
d'une afiez grande autorité. Cependant il ne peut
entreprendre la guerre que de . l'aveu des principaux
membres de l’état, ni la foutenir qu’ avec
les contributions & lés efforts volontaires de fes
peuples.
Le dépouillement des champs enfemencés, le
Vol des troupeaux, l’enlevement des femmes &
des enfans., telles font les fources ordinaires de
leurs divifions. Ces peuples agreftes font tourmentés
de* la rage de jouir par l’injuftice & la
violence , aulîi vivement que les nations les plus
policées. Leurs hoftilités ne font pas meurtrières
>• mais les prifonniers deviennent toujours ef-
çlaves.
On n*a pas à Madagafcar une idée fort étendue
de ce droit de propriété, d4où dérivent le goût
du travail, le motif de la défenfe & la foumif-
fion au gouvernement. Aufli les peuples y montrent
ils peu d’attachement pour les lieux qui les
ont vu naître. Des raiforis.de mécontentement ,
de convenance ou de néceffi.té, leur font aifé-
ment quitter leur demeure pour une autre contrée
plus abondante ou plus éloignée de leurs ennemis.
Souvent même , par pure'inconftance, un
madecaffe fe choifit une autre patrie, pour en
changer encore lorfqu’il aura un nouveau caprice
, ou qu’il craindra quelque châtiment pour un
a&e de fureur ou pour un larcin. Il eft afin ré
de trouver par-tout des terres a cultiver. Jamais
elles ne font ^ partagées. C ’eft; ordinairement la
commune qui les enfemence & qui en partage
enfuite les produirions. Ainfi le droit ciyîl eft
peu de chofe dans ces' régions -, mais Je droit
politique y eft encore moins, étendu.
Indujirie & arts. On apperçôit un commencement
de lumière & d’induftrie chëW ces peu’pîeâ.'
Avec de là foie, du coton, du filId’ecorcé d’arb
re , ils fabriquent quelques e&flfes;. L ’ art dé fondre Ôc de fprger le fer ne leur eft pas entiéremèrit
inconnu. Leurs poteries font agréables.
Dans plufieurs cantons, ils pratiquent la manière
de peindre la parole par le moyen de l’écriture.
Ils ont même des livres d’hiftoire, de médecine
, d’aftrologie , fous la garde de leurs ombis,
qu’on a pris mal-à-propos pour des prêtres, &
qui ne font réellement que des impbftéurs , qui
fe difent & peut-être fe croient forciers.^ Ces
cqnnoifîances, plus répandues à l’oueft que dans
le relie de l’ifle, y ont été portées par les arabes
, qui de. temps immémorial y viennent trafiquer.
• Vingt-quatre familles arabes , qui très-anciennement
avoient ufurpé l’empire dans la province
d’Anoffi, en ont long-temps joui fans trouble,
& l’ont perdu" en 1771 , fans être ni chafîees,
ni maffacrées , ni opprimées..
Détails fur 'l'_ établiJfement qu’y avoit formé notre
compagnie des Indes. T e l étoit Madagafcar } lorf—
qu’en 166 ƒ il y arriva quatre vaifieaux françois.
La compagnie des Indes qui les avoit expédiés,
étoit réfolue à former un établiffement folide dans
cette ifle. C e projet étoit fage , & l’exécution
n’en, devoit pas être fort coûteufe.
Toutes les colonies que les européens ont établies
en Amérique pour en obtenir des productions
, ou au cap de Bonne-Efpérance , dans les
ifles de France , de Bourbon , de Sainte-Hélene*.
pour l’exploitation de leur commerce aux Indes,
ont exige des .déperifes énormes , un très-longtemps*
& des travaux confidérabîés.. Plufieurs^de
ces régions étoient entièrement défertes, & io n
ne VQyoit dans les autres que. des hàbitans qu’ il
n’étoit pas poflîble de rendre utiles. Madagafcar
offroit au contraire un foi naturellemènt fertile ,
& un peuple nombreux, docile , ^intelligent, qui
n’avoit befoin que id’inftrùétiori pour fecorider
efficacement les vues qu’ori fe propofoit.
Ces infulaires étoient fatigués dé T é tâ t,d e
guerre & d’anarchie, où ils vivoient continuel-
lément. Ils foupiroient après une "police qui put
les faire jouir de la paix, de la liberté. Des dif-
pofitions fi favorables ne permettoient pas de
douter qu’ils fe prêtaient facilement aux efforts
qu’on veudroît faire pour leur ciyihfatiôn..
Rien ri’étoit plus aile que de la rendre, très-
avantageufe. Avec, des foins fui,vis, Madagafcar
devoit produire beaucoup de denrées convenables
pour les Indes, pour la Perfe, pour l’Arabie &
poux.le continent de l’Afrique. En y attirant quelques.
indiens. quelquês chinois, on y auroit
riaturalifé tous les. arts , toutes lés cultures de
I’Afie. Il étoit. facile d’y cpnftruire des .navires ,.
parce que les-matériaux s’y trbuvoient de bonne
qualité. & en abondance , de les, armer même,
parce .qiie les 'Hôffimes s’y montroient propres, à
la riavigàtîori/ Toutés ces innovations auraient eu,
une foli(i,ité_que Jës,co.npuêtes des européens n’auront'.
pays ne pxendçont jamais nos loix ? nos. moeurs*
peut-être: pas.aux Indes , où les naturels du'
notre Culte, ni par cônféquent cette difpofition
favorable qui attache les peuples à une domination
riouvelle. " #
Urie fi heureufe révolution ne devoit pas etre
l’ouyrage de la violence. Un peuple brute, nombreux
& brave n’auroit pas préfenté fes mains
aux fers, dont une poignée d’étrangers auroient
voulu le changer. C ’étoit par la voie douce de la
erfuafîon , c’étoit par l’appas fi féduifant du
onheür, c’étoit par l’attrait d’une vie tranquille,
c’ étoit par les avantages de notre police, par
les jouiffances de notre induftrie, par la fupé-
riorité de notre génie , qu’il falloit amener l’ifle
entière à un but également utile aux deux nations.^
La iëgiflation qu’il convenôit de donner à ces
peuples , devoit être aflortie à leurs moeurs , à
leur cara&ère, à leur climat. Elle devoit s’ éloigner
en tout de celle de l’Europe , corrompue &
compliquée par la barbarie des coutumes féoda-
dales. Quelque fîmple qu’elle fû t , les points divers
n’en pouvoient être propofés que -fucceffive-
ment, & à mefure que l’efprit de la nation fe
feroit éclairé, qu’il fe feroit étendu. Peut - être
même n’ auroit-il pas fallu fonger à y amener les
hommes dont l’âge auroit fortifié les habitudes j
peut-être auroit-il fallu s’attacher uniquement aux
jeunes gens qui, formés par nos inftitutions, ƒ«-
roient devenus avec le temps, des millionnaires
politiques , qui auroient multiplié les profélytes
du gouvernement.
Le mariage des filles madecaffes avec les colons
françois, auroit encore plus avancé le grand fyf-
tême de la civilifation. C e lien fi cher & fi fen-
fible auroit éteint ces diftin&ions odieufes qui
nourriffent des haines éternelles, & qui féparent
à jamais des peuples habitant la même région ,
vivant fous les mêmes loix.
Il eût été contre toute jufticè, contre toute
politique, de prendre arbitrairement des terres
pour y placer-îes nouvelles familles. On auroit
demandé à la nation aflemblée celles qui n’auroient
pas été occupëés ; & pour aflurer plus de çon-
fiftanceà l’acquifition , le gouvernement en auroit
donné un prix qui pût plaire à ces infulaires. Ces
champs légitimement acquis auroient eu , pour la
première fois , des maîtres.' Le droit de propriété
& feroit établi de proche en proche. Avec le
temps, tous tes peuples de Madagafcar aùroient
librement adopte une innovation, dont aucun
préjugé, ne peut obfcurcir les avantagesi
Plus les colonies qu’ il s’agiffoit de fonder à
Madagafcar , pouvoient réunir de genres d’utilité ,
mieux il falloit choifir les fituations propres à les
faire éclore, à les multiplier, à les vivifier, à
les conferver. Indépendamment d’un établïffe-
ment qu’ il étoit peut être convenable de placer
dans 1 intérieur de l’ifle , pour obtenir de bonne
heure la- confiance des madecaffes , il étoit jn-'
ûifpenfablç d’en former quay:e fur Us côtes. L ’uo
à la baîe de Saint-AuguftiV, qui auroit ouvert
une communication facile au continent d’Afrique ;
le fécond à Louquez, ou une chaleur vive &
continue devoit faire prôfpérer toutes les plantes
de l’Inde j le troisième au fort Dauphin , qu’une
température douce & faine rendoit propre au bled
& à la plupart des productions de l’Europe j le
quatrième, enfin à Tametave, le canton le plus
fertile, le plus peuplé , le plus cultivé du pays.
Cette dernière pofition méritoit même d’être choi-
fie pour être le chef lieu de la colonie , & voici
pounquoi.
Il n’y a point de port connu à Madagafcar.
C ’ eft une erreur de croire qu’ il feroit poflîble
d’en formér un au fort Dauphin , en élevant un
môle fur des récifs qui s’avancent dans la mer.
Les travaux d’une’ iî grande entreprife ne feroient
pas feulement immenfes , la dépenfe en feroit
encore inutile. Jamais un môle ne mettroit à l’ abri
des ouragans les vaifieaux que les montagnes
elles-mêmes n’en garantiffent pas. D ’ailleurs ce-,
port faélice , ouvert en partie à la fureur des
vagues, auroit.néceffairement peu d’étendue. Les
navires n’y auroient point de chaffe. Un feul démarré
les feroit tous échouer, & ils périroient
fans reffource fur une côte où la pier eft toujours
agitée, ôù les fables font mouvans partout.
Il n’en eft pas ainfi à Tametave. La b aie, dé-
barraffée de cette incommode barre qui s’étend
fur toute la côte de l’eft de Madagafcar, eft très-»
fpacieufe. Le mouillage y eft bon. Les vaifieaux
y font à l’abri des plus fortes brifes. Le débar-»
quement y eft facile. Il fuffirôit de faire creufer
l ’efpace d’uné lieue & demie la grande rivière
qui; s’y je tte , pour faire, arriver les plus gros
bâtimens à l’ étang de Noffe-Bé, où la nature 3
formé un excellent port. Au milieu eft une ifle ,
dont l ’air eft très-pur, & dont la défenfe feroit
aifée. Cette pofition a , cela d’heureux , qu’avec
quelques précautions on en pourroit fermer l'entrée
aux efeadres ennemies.
Tels étoient les avantages que la compagnie
de France pouvoit retirer de Madagafcar. La conduite
de fes agens ruina malheûreufement ces
brillantes efpérances. Us détournèrent fans pudeur
une partie des fonds dont ils avoient l'ad-
miniftration j ils confumèrent en dépenfes folles
ou inutiles des fommes plus confidérabîés j j l s f e
rendirent également odieux, & aux européens
dont ils dévoient encourager les travaux, & aux
naturels du pays qu’il falloit gagner par la douceur
& par les bienfaits. Les crimes & les malheurs
fe multiplièrent à un tel excès*, qu’ en 1670
les affociés crurent devoir remettre au gouvernement
une poffeflîon qu’ ils tenoiént de lui. Le.
changement de domination ffamena pas un meilleur
efprit. La plupart des françois qui étoient
reliés dans l’ifle , furent maffacrés deux ans après, Ceux qui avoient échappé à cette mémorable