
Toutes les nations fauvages qui n’ont ni moeurs ni
police , ont été fubjuguées fans exception par les
iiations policées.
Des principes fondamentaux de la politique.
Il n eft pas auffi difficile qu’on le croit de remonter
aux principes fondamentaux de la politi.
Hue j 8c la route qui y conduit n'eil embarraifée ou
epineufe qu'à caufe des préjugés & des erreurs
que les vices & des vues intéreffées fe font trop
conftamment occupés à y raffembler. Cette fcience
exige , a la v érité, des connoiffances & des méditations
dégagées de toute prévention, fans lef-
querles j bien loin d’être utile aux états, la po-
htique n’eft qu’une charlatanerie , également per-
nicieufe a ceux qui ƒ en fervent & à ceux qu’on
le propofe, ou qu'on eft chargé de conduire,
fo u r les connottre ces principes, il fuffit de con-
lulter la raifon , de ne confulter qu’elle , & de
selever par fon fecours jufqu’ à la connoiffance
des vues generales de la nature fur nous; il fuffit
auffi de ‘favoir diftinguer les vrais befoins, de
ceint que les hommes le font fait eux-mêmes, &
qui caufent tous leurs malheurs, en leur procu-
rant par intervalles i des plaifirs momentanés,
dont ils fimflenc prefque toujours par être les
victimes.
Avant que de rétablir les reflorts d’un gouvernement
énervé, il faut avoir le courage 8e le talent
d’aller jufqu’à la caufe des vices même qui
obitruent le corps de l’éta t, ou qui en aigriffent
ou irritent les humeurs. Sans cette opération ef-
lentielle, tous les remèdes qu’on imaginera ne
Jeront que des palliatifs : or c’ell alors de la charlatanerie
ou de l’ignorance, & non pas de la po-
itttquei car il s’ en faut bien que l’art de tromper
jes hommes foit celui de les rendre heureux. A
la tete de 1 adminiftration , le chef ou le miniftre
ne faura s’occuper que du moment préfenr, &
ce moment lui échappera lans ceffe ; fa politique
incertaine 8c toujours agitée par des circonftances
imprévues, verra fes efpérances trompées & fes
projets s’évanouir : ce qui paroiffoit hier fixer le
calme dans l ’éta t, y excite aujourd’hui des orage
s ; 8c ces variations ne peuvent être rapportées
qu’ à l’ ignorance ou à l ’oubli de ces principes lumineux,
fixes 8c immuables que la nature nous
a donnés pour chercher & affermir notre bonheur.
Il n’eft qu’un bonheur fur la terre, 8c la
nature l’offre également à tous les hommes. Tout
confîfte à connoître 8c à favoir mettre en ufage
les moyens à la faveur defquels on y peut parvenir
: car , pour peu qu’on s’ en écarte, on s’égare
& plus on croit s'approcher de la félicité, plus
on s éloigné ; enforte que , de fentier en fentier
on s’en trouve infenGblement à la diftance la plus
ptodigieufe. C e qu’il y a de plus fâcheux alors,
eft que les efforts que l’on fait pour fe remettre
fi« la route qu’on a imprudemment abandonnée, ,
n aboutiffent prefque toujours qu’ à s’en écarter
encore davantage. Telle eft l’erreur de la plupart
des peuples, qu’ils cherchent paifiblement le
bonheur ou il n eft pas : ils nomment politique
i inquiétude qui les agite dans leur courfe incertaine
8c trompeufe.
Si la raifon n’ étoit qu’ un préjugé , la vertu ne
leioit plus qu un mot inutile & vuide de fens :
la terie ne feroit plus qu'un féjour affreux & un
vaite theatre ou les paffions fans frein exerce-
roient impunément leur tyrannique empire. Les
tigres, dans un tel'féjour, feraient moins dangereux
pour 1 homme que l'homme même. Qui
ne voit en effet, & malheureufement auffi qui
ne lent par expérience que c ’eft le vice qui éloigné
es uns des autres les citoyens, qu'il n'appartient
qu a la vertu de rapprocher & de tenir unis ?
que c elt le vice qui divife les peuples par les
haines , les craintes & les foupçons? Qui ne voit
que c eft lui qui excite fans ceffe les paffions
qu accompagnent les guerres , les meurtres, les
trahifons, .les violences, les injuttices, les per-
hdies & les lâchetés * tandis que la raifon , feule
en état de calmer leur effervefcence, appelle
autour d elle la paix, la bonne foi & le bonheur,
luivis de toutes les vertus, c
De <Æ que les paffions font dangereufes 8c nui-
IibJes, il ne faut pourtant point en conclure qu’il
leroit avantageux où néceffaire de les anéantir :
car, 3 fuppofer même la poffibilité d'une telle
entreprife , il y attroit de l’imprudence autant que
de linjuftice a la tenter : ce feroit vouloir déta-
cher notre ame de tous les biens de nos fens t
ce feroit vouloir aller plus loin que l’auteur de la
nature, dont elles font l'ouvrage, 8c qui nous
ordonne de les tempérer, de les régler de les
diriger par les confdls de la raifon, attendu que
ce n elt que par là feulement qu'elles peuvent
perdre leur venin 8c contribuer à nccre bonheur.
Mais il s en faut bien que les hommes , 8c fur-
tout que les chefs des états forment le projet
d enchaîner 8c de diriger les: paffions , pu,T0ue
c e ft au contraire fur elles 8c d’après elles qu’ils
fondent 1 édifice d e s .lo ix , 8c qu'ils règlent le
plan de leur adminiftration, c’eft-à-dire auHs
prennent la route la plus direélement oppofe'e à
celle qu ils devroient tenir. Quels maux onfré-
luJte , 8c quels défaftres réfultent chaque jour de
cette erreur univerfellement reconnue, & qu'au
lieu d extirper, il femble qu’on s'attache à^perpétuer.
La politique attendra-t-elle de nouvelles
révolutions dans les états, & de nouvelles dif-
grâces, de nouvelles décadences, pour fe convaincre
enfin que le bonheur des grandes fo»
cietes veut un autre fondement eue des paffions
injuites, aveugles, légères, inconftantes & ca-
pncreules ? Quel fpe&acle la terre préfenteroit ?
fi tous les habitans, femblables à Socrate réu-
nifloient en eux toutes les vertus 1 S'il eft vrai que
t o s ce flouvd âge d o r , ou les paffions feroienc
réprimées & dirigées par la raifon, la félicité
habiterait parmi les^hommes, n'eft-il pas certain I
que la politique doit nous faire aimer la vertu ,
& que c'eft-ïà le feul objet que doivent fe pro-
pofer les légiflateurs, les loix & les magif-
trats.
Dans quel temps la terre fut-elle arrofée du
fang & des larmes de fes habitans ? N e fût - ce
point lorfque nos pères, plus femblables à des
k,et^s farouches qu'à des hommes, vivoient fous
1 empire des -paffions ? Dans quel temps commen-
cerent-ils à etre moins malheureux ? N e fut ce
pas quand des loix & des magiftrats, fe fervant
tour-a-tour des châtimens & des récompenfes ,
commencèrent à réprimer quelques paffions, &
a mettre en honneur quelques vertus ? Ainfî ,
dans tous les fiècles & dans tous les climats, les
peuples ont été plus ou moins heureux ê fuivant
que la politique plus ou moins habile a rendu les
moeurs plus ou moins honnêtes. Les fuites de
1 hilloire préfentent d’âge en â g e , des villes ,
des états, des empires déchirés par des divifions
inteftines $ mais pour peu que l'on remonte aux
caufes de ces diffenfions , on voit conftamment
que quelque paffion , enhardie par l'efpérance du
fucces' ou de l'impunité, a rompu le frein trop
foible qui la retenoit : en un m o t, on compte
toujours les calamités d’ une nation par le nombre
de fes vices. Pourquoi un peuple qui s'eft rendu
célébré pendant une longue fuite de fiècles, vient-
il a décliner ? Pourquoi, de difgrace en difgrace,
tombe-t-il dans le mépris ? Il y aurait de la folie
a imputer les révolutions qu’il éprouve à une fortune
aveugle, qui n’exifte que dans l'imagination
de ceux qui en parlent : ce n'eft point au !
hafard, mais au changement qui s'eft fait dans
les moeurs de ce peuple, qu'il faut rapporter fa
tuine. Eh ! comment eût-il évité fa chute ? La foif
de 1 or qui dévorait les citoyens , avoit étouffé
en eux l'amour de la patrie : leur luxe refufoit
tout aux devoirs de l'humanité. Les plaifirs, l'oi-
I ' a molleffe g mille autres vices avoient
avili les âmes. Par quel moyen eût-il été poffi-
ble de délivrer ce peuple de ces implacables tyrans
. 11 eut fallu lui rendre fa première tempérance
, fa candeur , fa juftice > & dès-lors on lui
eut en meme-temps rendu , avec fon ancienne
union , les forces qui confcrvoient fa liberté.
De Vobjet principal de la politique»
L a raifon eft l’organe par lequel l’auteur de la
nature nous ;fait connoître fes volontés : c'eft
donc la raifon^ feule qui peut nous conduire au
bonheur. 11 n eft point de bonheur fans l'honnê-
tete des moeurs , puifque la raifon nous enfeigne
que 1 auteur de la nature condamne & proferit
les mauvaifes moeurs $ de ces réflexions, ou plutôt:
de ccs principes, il réfulte que la politique
doit etre le miniftre & le coopérateur de la providence
parmi les hommes, parce qu’il n’appartient
qu'à la morale , ou à la fcience des moeurs
d infpirer aux hommes une faine politique. Qu’y
a-t-il donc de plus fouverainement méprifable que
cet art illufoire q u i, empruntant le nom de po-
litique , & n'ayant de règle que les préjugés vulgaires
& les paffions de la multitude, n'emploie
que la rufe, l'injuftice & la force j & qui, fe
flattant de réuffir par des voies contraires à l’ordre
éternel des chofes , voit s'évanouir entre
fes mains le bonheur qu'elle croyoit pofféder.
Comme le laboureur, pour recueillir d'abondantes
moiffons , doit étudier la culture qu'exige
le f o l , obferver les faifons deftinées à la production
de chaque fruit, & ne jamais en changer
1 ordre j de même la politique 3 après avoir pénétré
les fecrets de la nature fur la deftination de
la fociété & les caufes de fon bonheur, doitfui-
vre conftamment les vues de la nature, & n*
point s'écarter des caufes du bonheur de la foc
iété, encore moins s’y oppofer. La politique eft
donc faine & utile , lorfqu'elle fait fa principale
étude de la morale, qui enfeigne à diftinguer les
vertus véritables de celles qui n'en ont que le
nom, & que les préjuges, l'ignorance & la mode
ont imaginées. L e principal objet de la politique
e f t , en donnant une attention particulière aux
vertus les plus néceffaires à la fociété, de pren-
j ûre les mefures les plus efficaces pour empêcher
que les paffions ne fortent vidorieufes du combat
qu'elles ont à foutenir perpétuellement contre
la raifon, & de les tenir courbées fous fon
joug.
Par la dégradation fucceffive de la morale dans
Athènes , & l’affoibliffement tout auffi marqué
de fa puiffance 3 on fe convainc aifément qu'il
n'y a point de petite vertu aux yeux de la politique,
& quelle ne peut, fans péril, en négliger
aucune. Le même exemple prouve que les loix
les plus effentielles au bonheur & à la fûreté
des états, font celles qui regardent le détail des
moeurs. C'étoit dans cette vue que Platon blâmant
la monarchie abfolue , l’ariftocratie & le
gouvernement populaire, comme laiffant une carrière
trop libre aux paffions, vouloir d'abord
que , par un mélangé habile de ces trois gouver-
nemens, la puiffance publique fût partagée en
différentes parties , propres à s'impofer, fe balancer
& fe tempérer réciproquement. Mais comme
il ne penfoit pas qu'un éta t, quelle que fût fa
nature, pût fe foutenir fans le fecours des moeurs
domeftiques, il vouloit que l’on y employât la
plus grande vigilance àffe rendre maître des paffions
» que l'on y fournît la vertu à une règle austère
& invariable. Et en effet, quelque admirable
que fut le gouvernement de Sparte, tel que
Lycurgue l’avoit fondé, il n'évita les cabales ,
les fa étions , les troubles , les defordres , qu'aux
tant que les chefs de l'état furent attentifs^ maintenir
dans toute leur vigueur les loix que Lycür