
" où font les ehofes. Comment Rome pourroît-
** elle vivre? Comment pourroient vivre les pro
” vinces? Nous avions de la frugalité, lorfque
35 nous étions citoyens d'une feule ville 5 aujouc-
” d'hui, nous confommons les richeffes de tout
w J’univérs j on fait travailler pour nous les mai*
« très & les efclaves. Il croyoit qu'il nefalloitplus
” de loix fomptuaires ».
Lorfque, fous le même empereur, on propôfa
au fenat de défendre aux gouverneurs de mener
leurs femmes dans les provinces, à caufe des dé-
réglemens qu'elles y apportoient, cela fut rejette.
On dit, que les exemples de la dureté des anciens
avoient été changés en une façon de vivre plus agréa-
ile '(i') . On fentit qu'il falloir d'autres moeurs.
Le luxe ell donc néceffaire dans les états monarchiques.
Il l’eft encore dans les états defpoti-
quês. Dans les premiers, c'eft un ufage que l'on
fait de ce qu'on pofsède de liberté : dans les autres,
c’eft un abus qu'on fait des avantages de fa
fervitude j lorfqu'un efciave choifi par fon maître
pour tyrarinifer les autres efclaves, incertain pour
le lendemain de la fortune de chaque jou r, n’ a
d'autre félicité que celle d’affouvir l'orgueil, les
défirs & les voluptés de chaque jour.
Les républiques finiflent par le luxe y les monarchies
par là pauvreté (2) : mais malgré l’ incertitude
oui refte encore fur la queftion du luxe, on
peut établir pour maxime, que même dans une
monarchie, le luxe porté trop loin amollit les âmes,
corrompt l’efprit, & mène au defpotifme.
Dans quel cas les loix fomptuaires font utiles dans
une monarchie.
C e fut dans l’efprit de- la république, ou dans j
quelques cas particuliers, qu’au milieu du treizième
ftècle on fit en Aragon des loix fomptuai* !
res. Jacques I ordonna que le roi ni aucun de fes
fujets ne pourroient manger plus de deux fortes de
viande à chaque repas, & que chacune ne feroit !
préparée que d’une feule manière, à moins que j
ce ne fût du gibier qu’on eût tué foi même ( $). j
On a fait; auffi de nos jours, en Suède, des loix
fomptuaires j mais elles ont un objet différent de
celles d’Aragon.
Un état peut faire des loix fomptuaires dans 1
l’objet d’une frugalité abfolue ; c ’eft l'efprit des j
loix fomptuaires des républiques y & la nature de ;
la chofe fait yoir que ce fut l’objet de celles d’A - i
lagon.
Les , loix fomptuaires peuvent suffi avoir pour |
objet une frugalité relative > lorfqu’un état* fen-
tant que des marchandifes étrangères d’un trop
haut prix demanderoient une telle exportatiôn des
fiennes, qu'il fe prîveroit plus de fes befoins par
celles-ci qu’il n’en fatisferoit par celles-là, en défend
abfol.ument l’entrée : & c'eft l’efprit des loix
que l'on a faites de nos jours en Suède (4). Les
loix fomptuaires conviennent déjà aux monarchies.
Montefquieu dit qu'en général , plus un état eft
pauvre, plus il eft ruiné par fon luxe relatif ; &
plus par conféquent il lui faut de loix fomptuaires
relatives y que plus un état eft riche, plus fon
luxe relatif l'enrichit, & qu’il faut bien fe garder
d'y faire des loix fomptuaires relatives : mais la
queftiondu luxe eft une de celles qui, par*Tanalyfe
très-détaillée dont elles ont befoin, ne conve-
noient point à la marche brillante & rapide de
fon génie;
De Incommunication du pouvoir.
Dans le gouvernement defpotique, le pouvoir
paflfe tout entier dans les mains de celui à qui on
le confie. Le- vizir eft le defpote lui-même ; 8c
chaque officier particulier eft le vizir. Dans le
gouvernement monarchique, le pouvoir s'applique
moins immédiatement ; le monarque, en le donnant,
le tempère (y)* R fait une telle diftribution
de fon autorité, qu'il n'en donne jamais une partie
qu’il n'en retienne une plus grande.
Ainfi, dans les états monarchiques, les gouverneurs
particuliers des villes ne relèvent pas tellement
du gouverneu? de la province, qu'ils ne
relèvent du prince encore davantage j & les officiers
particuliers des corps militaires ne dépendent
pas tellement du général, qu’ils ne dépendent du
prince encore plus.
Montefquieu dit que dans la plupart des états
monarchiques, on a fagement établi, que ceux
qui ont un commandement un peu étendu, ne
foient attachés à aucun corps de milice ; de forte
que n’ayant de commandement que par une volonté
particulière du prince, pouvant être employés &
ne l’être pas, ils font en quelque façon dans le
fervice , & en quelque façon dehors. C e fait n’ eft
pas exaél : on fait qu’en Pruffe & dans les états
de la maifon d’Autriche, des hommes qui ont
des commandemens étendus font attachés à des
corps de milice, & que les cabinets de Berlin 8c
de Vienne connoiffent fort bien ce qui peut maitv
tenir la monarchie.
C ’eft une règle générale, que les grandes réi
i ) Multa duritiet vetemm meliùs & loetiùs mut ata. Tacite ann. lïv. III.
U) Opulentia paritura mox egdfatem. Florus, liv. III.
Conftitution de Jacques J. de l’an 1234 , art. <5, dans Marea hifpaniea , pag. 14-29.
M r? n y, a pd,efe,n ,U les v’?s exq( s) Ut ejje rhczbt dulcius lumenf™ole t& ^tres marchandifes précieufes.
Jam Jam cadentis . . .
compenfes, dans une monarchie 8c dans une république
, font un figne de leur décadence, parce
qu’elles prouvent que leurs principes font corrompus
y que d’ un c ô té , l’idée de l’honneur n’v a
plus tant de force ; que de l’autre, la qualité de
citoyen s'eft affoiblie.
Les plus mauvais empereurs romains ont été
ceux qui ont le plus donné 5 par exemple, Cali-
gula, Claude, Néron, O thon, Vitellius, Commode
, Héliogabale & Caracalla. Les meilleurs,
comme Augufte, Vefpafien, Antonin-Pie, Marc-
Aurèlé & Pertinax . ont été économes. Sous les
bons empereurs, l’état reprenoit fes principes y le
tréfor de l’honneur fuppléoit aux autres tréfors.
Les loix doivent, elles forcer un citoyen a accepter
les emplois publics ?
r Elles le doivent dans le gouvernement républicain
, & non pas dans le monarchique. Dans le
premier, les magiftratures font des témoignages
de vertu, des dépôts que la patrie confie à un
citoyen, qui ne doit vivre, agir & penfer que
pour elle ; il ne peut donc pas les refufer ( 1 ). Dans
le fécond, les magiftratures font des témoignages
d'honneur : o r , telle eft la bizarrerie de l’hon
neur, qu'il fe plaît à n’ en accepter aucun que quand
*1 veut 8c de la manière qu'il veut.
L'un des rois de Sardaigne (2) puniffoit ceux
qui refufoient les dignités & les emplois de fon
état; il fuivoit, fans le favoir, des idées républicaines.
Sa manière de gouverner d’ailleurs, prouve
affez que ce n'étoit pas là fon intention.
Eft-ce une bonne maxime, qu’un citoyen puijfe être
obligé d'accepter dans l'armée une place inférieure
à celle quil a occupée ?
On voyoit fouvent chez les romains le capitaine
fervrr l’année d'après fous fon lieutenant (3). C ’eft
que, dans les républiques , la vertu demande qu'on
faffe à l’état un facrifice continuel de foi-même &
de fes répugnances^ Mais dans les monarchies,
l’honneur vrai on faux ne petit fouffrir ce qu'il appelle
fe dégrader.
Dans lès gouvernemens defpotiques, où l’on
abufe également de l'honneur , des polies & des
rangs, on fait indifféremment d’un prince un gouja
t, & d’un goujat un prince.
Mettra-t-on fur une même tête les emplois civils G*
militaires s
On peut quelquefois les unir dans les républiques
; mais il faut en général les féparer dans la
monarchie. Dans les républiques, il feroit bien
dangereux de faire de la profeffion des armes un
état particulier, diftingué de celui qui a les
fondlions civiles; & dans les .monarchies 3 il n’y
auroit pas moins de péril à donner les deux fonctions
à la même perfonne.
On ne prend les armes dans la république qu’en
qualité de défenfeur des loix 8c de la patrie ; c’eft
parce que l’on eft citoyen que l ’on fe fait pour un
temps foldat. S’ il y avoir deux états diftingués,
on feroit fentir à celui qui, fous les armes, fe
croit citoyen, qu’il 'n’ eft que foldat.
Dans les monarchies, les gens de guerre n’ont
pour objet que la gloire, ou du moins l’honneur
ou la fortune. On doit bien fe garder de donner les
emplois civils à des hommes pareils: il faut, au
contraire , qu’ils foient contenus par les magiftrats
civils ; & que les mêmes gens n’ aient pas en
même-temps la confiance du peuple, 8c la force
pour en abufer (4).
Voyez dans une nation ou la république fe
cache fous la forme de la monarchie , combien l ’on
craint un état particulier de gens de guetre y 8c
comment le guerrier refte toujours citoyen, ou
même magiftvat, afin que ces qualités foient un
gage pour la patrie, & qu’on ne l’oublie jamais.
Cette divifion de magiftratures en civile * &
militaires, faites par les romains après la perte de
la république, ne fut pas une chofe arbitraire. Elle
fut une fuite du changement de la conftitution de
Rome : elle étoit de la nature du gouvernement
monarchique y & ce qui ne fut que commencé fous
, Augufte (5 ) , les empereurs i^ivans ( 6) furent
obligés de l’achever , pour tempérer le gouvernement
militaire.
Ainfi Procope , concurrent de Valens à l’empire
, n’ y entendoit rien, lorfque donnant à Hor-
rnifdas, prince du fang royal de Perfë , la dignité
de proconful, (7) il rendit à cette magillra-
ture le commandement des. armées qu’ elle avoit
(1) Platon, dans fa République, liv. VIII, met ces rqfus au nombre des marques de la corruption de la
république, Dans fes Loix , liv. VI, il veut qu’on les jftmifle par une amende. A Venife, on les punit par
l’exil. ..
(2) Viâor Amédée.
(3) Quelques censurions ayant appellé au peuple pour demander l’emploi qu’ils avoient eu. Il eft jufte %
mes compagnons , dit un centurion, que vous regardiez comme honorables tous les poftes où vous défendrez la
république. Tite-Live , liv. XLII.
(4) Ne imperium ad optimos nobilium transferretur , fenatum milïtiâ vetuit Gallienus , etiam adiré exercitum.
Aurelius Victor , de virs illuftrib.
H Augufte ôta aux fenateurs , proconfuls & gouverneurs, le droit de porter les armes. Dion , liv. XXXIII.
(6) Conftantin. Voyei Zozime, liv. II. *
(7) Ammien Marcellin , liv. XXVI. More veterum & beUa reSuro.