
$9$ P É R
Un découragement univerfel étoit la fuite né-
ceflaire de cette conduite. Auffi les naturels du
pays fe dégoûtèrent-ils de l'état focial & des fa-
tigues qu il entraîne. Us perfévèrent dans ces
difpontions fâcheufes 3 & ne fe donneroient même
aucun foin pour faire naître des fubfiilances, s'ils
n y etoient contraints par le gouvernement. Leur
conduite fe reffent de cette violence. Les habi-
tans d'une communauté , hommes, femmes, en-
fans, fe réuniffent tous pour labourer, pour en-
femencer un champ. Ces travaux interrompus à
chaque moment par des danfes & par des fellins,
fe font au fon de divers inftrumens. La même négligence
, les mêmes plailirs acompagnent la récolte
du maïs & des autres grains.’ Ces peuples
ne montrent pas plus d'ardeur pour fe procurer
des veremens. Inutilement on a tenté d'infpirer
un meilleur efprit , un efprit plus convenable au
bien de 1 empire. L'autorité a été impuiffanre contre
des ufages qu une mauvaife adminillration
réitéré & qu'elle etïtretenoit.
Le'vuide qui s'étoir fait dans la population du
Pérou , & l'inertie de ce qui y étoit refié d'hom-
!mes, déterminèrent les^ conquérafis à l'introduc
tion d’une race étrangère : mais ce fupplément
fur plus^nuilible à l’Afrique, qu'utile au pays des
inras. L avarice ne retira pas de ces nouveaux ef-
claves tous les avantages qu’ elle s’en étoit promis.
Le gouvernement fit un monopole de ce vil commerce.
Il fallut recevoir les noirs d’une main rivale
ou ennemie , les faire arriver à leur deilina- -
tion par des climats mal-fains & des mers im-
menfes, foutenir la dépenfe de plufieurs entrepôts
fort chers. Cependant cette efpèce d’hommes fe
multiplia beaucoup plus au Pérou qu’au Mexique.
Les efpagnols s y trouvent auffi en bien plus grand
nombre : ôc voici pourquoi.
, -Au temps des premières conquêtes., lorfque les
émigrations étoient les plus fréquentes le pays
des incas avoit une plus grande réputation de ri-
chefife que la Nouvelle - Efpagne j & il en fortit
en effet plus de tréfors pendant un demi-fiécle.
La pafïion de les partager devoir y attirer réellement
un plus grand nombre de Caftillans. Quoiqu’ils
y fuffent tous ou prefque- tous paffés avec
l ’efpoir de venir jouir un jour dans leur patrie de
la fortune qu’ ils auroient faite , ils fe fixèrent la
plupart dans la colonie. La douceur du climat 8c
la bonté des denrées les y attachoient. Ils comp-
toient d’ ailleurs fur une grande indépendance dans
une région fi éloignée de la métropole.
Il faut voir à quel degré de profpérité s’ eft élevé
i-J?frou ’ par ^es travaux réunis de tant de races
differentes.
. **'d,xc4te imNmenfe s’étend depuis Panama
jufqu’à Tombés.,! & qui en 1718 fut détachée du
Pérou pour être incorporée au nouveau royaume,
eft une des plus miférabJes régions du globe; Des
marais vaftes de nombreux en occupent une grande
P É R
partie. C e qu’ ils ne couvrent pas eft inondé durant
plus de fix mois chaque année par des pluies qui
tombent en torrens. Du fein de ces eaux crou-
piflantes & mal - faines s’élèvent des forêts auffi
anciennes que le monde, 8e tellement embarraG?
fées de lianes, que l’homme le plus fort ou le
plus intrépide ne fauroit y pénétrer. Des brouillards
épais & fféquens jettent un voile obfcur fur
ces hideufes campagnes. Aucune des productions
de l’ancién bémifphère ne fauroit croître dans ce
fol ingrat, & celles même du nouveau n’y prof-
pèrent guère. Aufli n’y voit-on qu’un très-petit
nombre de fauvages la plupart errans, & fi peu
d’efpagnols , qu’on pourroit prefque dire qu’il n’y
en a point. La côte eft heureufement terminée
par le golfe de Guayaquil, où la nature eft moins
dégradée.
_Ce fleuve vît s’élever en 153 3 , la fécondé ville
que les efpagnols bâtirent dans le Pérou. Les indiens
ne laifsèrent pas fubfifter long - temps ce
monument érigé contre leur liberté : mais il fut
rétabli quatre ans après par Orellana. C e ne fut.
plus dans la baie de Charopte , qui avoit été
d’abord choifie , qu’on le plaça. La croupe d’une
'montagne éloignée de la rivière de cinq à fix
cents toifes, fut préférée. Les befoins de commerce
déterminèrent dans la fuite les négocians
à former leurs habitations fur la rive même. L’ef-.
p^ce qui les féparoit de leur première demeure a
été occupé fuccdfivement; & aujourd’hui les deux
‘quartiers font entièrement réunis.
Guayaquil étoit naguère un lieu abfolument ouvert*
11 eft maintenant fous la protection de trois,
for ts , gardés feulement par fes habitans.
C ’ elt une.particularité aujourd’hui connue, que
fur la côte d ; Guayaquil, auffi bien que fur celle
de Guatimala, fe trouvent les limaçons qui don/-
nent cette pourpre fi célébrée par les ancièfis, &
que les modernes ont cm perdus.
Guayaquil fournit aux provinces voifines, des
boeu fs , des mulets, du fe l, du poiffon. Il fournit
une grande abondance de cacao au Mexique
& à l’Europe. C ’eft le chantier univerfel de la
mer du Sud, & il pourroit le devenir en partie
de la métropole. On ne connoît point de contrée
fur la terre, qui foit plus riche en mâtures & en
bois de conltruCtion. Le chanvre & le goudron
qui lui manquent, lui viennent de Chili .& de
Guitimala.
Cette ville eft l’entrepôt nécelfaire de tout le
commerce que le bas Pérou , Panama &* le Mexique
veulent faire avec le pays de Quito. Toutes
Jes marchandifes que ces contrées échangent a
paffent par les mains de fes négocians. Les plus
gros des navires s’arrêtent à Lille du Puna , à fix
ou fept lieues de la place. Les autres peuvent remonter
trente-cinq lieues dans le fleuve jufqu’ à
Caracôl.
Malgré tant de moyens de s’élever, Gnayaquil,
dont la population eft de vingt mille a mes, 11’a
P É K
rçuë de l’aifance. Les fortunes y ont été fuccef-
fivement renverfées par neuf incendies, & par des
corfairesqui ont deux fois faccagé la ville. Celles qui
ont été faites depuis cés fuueftes époques n’ y font
pas reftées. Un climat où les chaleurs font intolérables
toute l’année., où les pluies font continuelles
pendant fix mois » où des infeétes dégoû-
tans & dangereux ne laiffent pas un inftant de
tranquillité, où paroiffent réunies les maladies des
températures les plus oppofées, où l’on vit dans la
crainte continuelle de perdre la vue : un tel climat
n’eft guère propre à fixer fes habitans. Auffi n’y
voit-on que ceux qui n’ont pas acquis aifez de
bien pour aller couler ailleurs des jours heureux
dans l’oifiveté & dans la molleffe.
En quittant le territoire de Guayaquil > on entre
dans les vallées du Pérou. Elles occupent
quatre cents lieues d’une côte feméfi d’un grand
nombre de mauvaifes rades, parmi lefquelles un
heureux bafard a placé un ou deux a fiez bons
ports. Dans tout ce vafte efpace , il n’y a pas la
trace d’un feul chemin ; & il faut le parcourir
fur des mules pendant la nuit, parce que la réverbération
du foleil en rend les fables impraticables
durant le jour. A des diftances de trente
ou quarante lieues, on trouve les petites villes
de Piura, de Peyta , de Senta, de P ifc o , de
N a fca , d’i c a , de Moquequa, d’Arica, & dans
l ’intervalle un petit nombre de hameaux ou de
bourgades. Il n’ y a dans toute cette étendue que
trois villes de ce nom : Truxilio qui a neuf mille
habitans, Arequipa qui en a quarante mille, &
Lima qui en a cinquante-quatre. Ces divers éta-
bliffemens ont été formés par-tout où il y avoit
quelque veine de terre végétale, & par-tout où
les eaux pouvoient fèrtilifer un limon naturellement
aride.*
Le pays offre les fruits propres à ce climat &
la plupart de ceux de l’Europe. La culture du
mais, du piment & du coton, qui s’y trouvoit
établie, ne fut pas abandonnée ; & on y porta
celle du froment, de l’orge , du manioc, des
pommes de terre du fucre, de l’olivier & de la
vigne, La chevre y a beaucoup réuffi j mais la
brebis a dégénéré , & fa toifon eft extrêmement
groffière. Dans toutes les vallées il n’y a qu’une
mine, & c ’eft celle de Hutantajaba.
Dans le haut Pérou, à cent vingt lieues de la
mer , eft Cuico , bâtie par le premier des incas,
dans un terrein fort inégal 8c fur le penchant de
plufieurs collines. C e ne fut d abord qu’une foî-
ble bourgade, qui avec le temps devint une cité
considérable , qu’on divifa en autant de quartiers
qu’ il y avoit de nations incorporées à l’Empire.
. Chaque peuple avoit la liberté de fuivre fes anciens
ufagrs : mars tous dévoient adorer l’ aftre
brillant qui féconde le globe.
I Au nord de cette capitale étoit une efpèce de
citadelle , élevée,avec beaucoup de foin, de travail
& de dépenfe. Les efpagnols parlèrent long-temps
p É R m,
de ce monument de l’induHriè Péruvienne avec1
une admiration qui fubjugua l’Europe entière.
Des gens éclairés ont vu ces ruines, & le mer-’
veilleux a difparu. On s’eft enfin convaincu que
cette fortification n’avoit guère d’autre fupériorite
fur les autres ouvrages du même genre érigés dans
le pays, que d ’ a v o i r été confiante avec des pierres
plus confidéràbles. : • ! ; ' - - _ !
, Cufco compte fous fes nouveaux maîtres vingt*
fix. mille habitans-.
Au milieu des montagnes fe voient encore quelques
autres villes, : Chupuifaca ou la Plata , qui
a treize mille âmes ; Potofi, vingt - cinq mille >
Oropefa , dix - fept mille ; la Paz , vingt mille ;
Guancavelica , huit mille 5 Huamanga , dix huit
mille cinq cents.
Mais, qu’on le remarque bien, aucune de ces
villes ne fut élevée dans les contrées qui offroienc
un terroir fertile, des .moiffons abondantes, des
pâturages excellens, un climat doux & fain, toutes
lès commodités de la vie. Ces lieux, fi bien cultivés
jufqu’ alors par des- peuples nombreux &
floriflans, n’attirèrent pas un feul regard. Bientôt
ils ne préfentèrent que le tableau déplorable
d’un défert affreux, & cette confufion plus trille
& plus hideufe que ne devoit l ’être l ’afpeél fau-
vage de la terre avant l’origine des fociétés.
Cette foif infatiablé de l’o r , qüi n’avoit.égard ,
ni aux fubfiftances, ni à la sûreté , ni à la politique
, décida feule de tous les établifîemens.
Quelques - uns fe font foutenus j plufieurs font
tombés, & il s’en eft formé d’autres. Tous ont
fuivi la découverte , la progrdfion, la déca-.
dence des mines auxquelles ils étoient fubor-:
donnés.
Qn s’égara moins dans les moyens de fe pro-
curer des vivres Les naturels du pays n’avoient
guère vécu jufqu’alors que de maïs , de fruits & de
légumes., où il n’ entroit d’autre affaifonnement
que du fel & du piment. Leurs liqueurs com-
pofées de différentes racines , étoient plus variées.
La chica étoit la plus commune.
Les conquérans ne s’accommodèrent, ni de la
nourriturè , ni des boiffons du peuple vaincu. Us
naturalifèrent. librement & avec fuccès tous les
grains , tous les fruits, tous les quadrupèdes de
l’ancien hémifphère dans le nouveau. La métrop
o le , qui s’étoit propofée de fournira fa colonie,
des huiles , des eaux-de-vie, voulut d’abord
interdire la culture de la vigne & de l’olivier :
mais on ne tarda pas a comprendre qu’il fèroit
impoffible de faire paffer régulièrement au Pérou
des objets fujets à tant d’accidens 8c d’ un fi gros
volume ; & i f fut permis de les y multiplier autant
que le climat & les befoins le comporte-
roient.
Après avoir pourvu à une fubfiftance meilleure
& plus variée, les efpagnols voulurent avoir un
habillement plus commode & plus agréable que
celui des péruviens. C ’étoit pourtant le peuple