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miniftère. On le fait partir de Rochefort avec
deux vaifleaux. Il découvre le Mifliflipi en 1699»
■ le remonte jufqu'aux Natchez j & après s'être
alluré par lui - même de tout ce qu'on avoit pu-
. blié d'avantageux., il conftruit à fon embouchure
un petit fort qui ne fubfifte que quatre ou cinq
: ans. Cependant il va établir ailleurs fa colonie.
Entre le fleuve & Penfacole, que les efpagnols
venoient d'élever dans la Floride, eft une côte
_ d’environ quarante lieues d'étendue, où aucun
bâtiment ne peut aborder. Le fol- en eft fablon-
neux & le climat brûlant. On n'y voit que quelques
cèdres quelques pins épars. Dans ce grand
efpace eft un canton nommé B i l o x i , Cette po-
fition, la plus tr ille , la plus ftérile de ces contrées
, eft celle qu'on choifit pour fixer le petit
«ombre d'hommes qulberville. avoit amenés fous
l'appas des plus, grandes efpérances..
Deux ans après arrive une nouvelle peuplade.
. On retire la première des fables arides où elle
avoit été jettée , &. toutes deux font réunies fur
les bords de la-Mobile. Cette rivière n'eft na-
• vigable que pour des pirogues > les terres qu'elle
arrofe ne font pas fertiles. G'étoient des motifs
ftiffifans pour abandonner l'idée dain-pareil. éta-
bliffeme-nt. Il n'en, fut pas ainfi. On décida, que
ees défayantages feroient compenfés par la facilité
des commiHiications- avec les fauvages voifins,
avec lés efpagnols , avec les ifles françoifes & avec
l ’Europe. Le port qui devoit former ees liaiions ,
-ne tenoit pas au-continent.-Uli hafard heureux ou
malheureux l'aVoit placé à quelques lieues* de la
c ô te , dans une ifle déferte , ingrate & fauvage,
•qu’on décora-du grand nom A3Iflc»Dauphine.
Une colonie,. fondée fur de fl mauvaises bafes,
Ile pouvoir profpérer. La-mort d'Iberville , qui
en 1706 termina fa carrière devant la Havane ,
en fervant gkuieufement fa patrie dans la marine,
acheva d’éteindre le peu d'efpoir qui reftoit:- aux
. plus crédules. On voyoit la France trop occupée
d'une guerre défaftreufe., pour en pouvoir atten-
‘ dre des fecours* Les habitans fe croyoient à la
. veille d’un abandon total ; & ceux qui fe flattoient
, de pouvoir trouver ailleurs un a fy le , s'empref-
' foient, de l’aller chercher. IL ne reftoit; que vingt-
huit.familles, plus miférables-les unes que. le,s-autres
, lorfqu’on-. vit avec furprife Crozat demander
en 1712 & obtenir pour quinze ans le commerce
excluflf de la Louiflâne-.
C ’étoit un-négociant célèbre ,,q u i , par-de vaf-
tes entreprifes-, fagement combinées x avoit élevé
Fédifice (Lune fortune immenfe. Il n’avoit pas
renoncé à augmenter fes richeftes, mais il vouloir
que fes nouveaux» projets'contribuaffenuà la
profpérité de la monarchie. -Une ambition fl noble
tourna fes regards vers le Mifliflipi. L.e foin d'en
défricher lé-fol fertile.'» ne l'eceupa pas.- Son but
étoitr d'ouvrir*; par terre & par mer de? eom*
munications* avec l'ancien & le- nouveau M exi-
^ e ;* , d’y verfex: des marchandifes de-toutes les
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efpèces, & d*en- tirer le plus qu'il pourroit né
métaux. La conceflion qu'il avoit deflree lui. pa-
roifFoit l'entrepôt naturel & néceffaire de fes vaites
opérations , & les démarches de fes agens furent
dirigées fur ce plan magnifique. Mais aivenes
tentatives , toutes infr-u&ueules , l'ayant defabule
de fes efpérances y il fe dégoûta de ion privilège 3
& le remit- en 1717 à une compagnie , donc le
fuccès étonna toutes-les nationsr ,
Cette compagnie fut formée par LaW , ce célèbre
écoffois-j» fur lequel on. n'eut pas , dans e
temps ,. des idées bien arrêtées , & dont le nom
paroit aujourd’hui placé entre la foule des.iimpies
aventuriers & le petit- nombre des grands hommes.
L'occupation de ce génie hardi etoit, fepins
fon enfance , de-porter un oeil curieux & reriecm
fur toutes les puiifances de l'Europe, d en ap-
. profondir les refforts, d'en calculer les. roree^
L'état où-l'ambition dé-fordonnée- de-Louis XIV
; avoît plongé la France, fixa fingulierement les
, regards.- Ils s'arrêtèrent fur des ruines. VJn em-
; pire qui y durant quarante ansd avoit. eaufe _tant
de jaloufie , tant d'inquiétude à tous fes voiiins >
. ne montrait plus nhvigueur ni vie. La nation etoit
écrafée par les befoins du fifç , & le fifc. par l e“
, normité de fes engagemens. En vain on avoit re-
. duit la dette publique, dans l'efpoir de redonner
du prix aux créances refpeétées. Cette banqueroute
n'avoit produit que très-imparfaitement 1 ef-
pèce de bien qu’on en attendoit. Les papiers roy aux
- étoient. encore infiniment ausdefibus de leur valeur
• originaire. ^
Il falloir-ouvrir un débouché aux-effets-pour
prévenir leur difcrédit total. La voie du rembour*
.fementétoit impraticable, puifque les intérêts pour
les fommes dues abforboient prefqu'entieremenc
les revenus: du gouvemement.' LaW imagma.un.au-
tre expédient. Au mois d'août 1717 il fit-créer3
fous le. nom de compagnie dlo ce identune afiocia-
. tion, dont les» fonds dévoient être faits avec des
t. billets d'état. C e papier étoit reçu pour fa valeur
entièrequoiqu'il perdît cinquante pôur cent dans
le commerce. Aufli le capital * qui n'étoit que de
cent millions, fut-il rempli dans peu. d e jo u rs .il
eft vrai qu'avec ces finguliers moyens on ne pou-
voit pas fonder une puiffante colonie dans la Loui"
fiant, ,comme le privilège excluftf fembloit 1 exiger
: mai? un efpoir d'un autre genre foutenoic
l'auteur de. ces nouveautés^. 7
Ponce.de Léon n'eut-pas plutôt ab'orde a; h
l Floride, en 1 y.i 2 , | qu’il fe répandit dans l'ancien
; & le nouveau-Monde , que cette région étoit remplie
de métaux. Ils ne furent découverts, ni par
François-de Gordoue , ni par Velafquez de Ay|-
lon, ni par Philippe de N a rva ez , ni par Ferdinand
de Soto,.quoique ces hommes entreprenais
. ’ les eufient- cherchés pendant trente* ans avec des
fatigues incroyables^ L'Efpagne avoit-enfin renonce
à fes efpérances ÿ elle n'avoit même laiffé aucum
monument*- de. fes- e n t r e p r i s e s& cependant »
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cfoit refté vaguement dans l'opinion des peuples
eue ces contrées renfermoient des trefors immenses.
Perfonne ne déflgnoit le lieu précis où ces
richeffes pouvoient être : mais cette ignorance
même fervoit d'encouragement a 1 exagération.
S i l’enthoufiafee fe refroidiffoit par intervalles,
p-gtoit que pour occuper plus vivement les ef-
prits quelque temps apres. Cette difpofition ge- . Jiérale à une crédulité avide pouvoit devenir un
merveilleux infiniment dans des mains habiles. .
Dans les temps malheureux , il en eft des efpe-
tances du peuple comme de fes terreurs „ comme
de fes fureurs. Dans fes fureurs „ en un clin-d'oeil
les places font'remplies d'une multitude qui s a -
gite & qui menace. La nuit vient; le tumulte,
ceffe, & la tranquillité renaît. Dans fes terreurs „
en un clin-d'oeil la confternation fe répand d'une
ville dans une autre ville, & plonge dans l'abat-
tement toute une nation. Dans fes efpérances , le
fantôme du .bonheur, non moins rapide , fe pre-
fente par-tout. Par-tout il relève les efprits , &
les bruyans tranfports de l'allégrefle fuccedent au
snorne filence de l'infortune. La veille, tout etoit
perdu j le jour fui van t , tout eft fauve.
De toutes les pallions qui s’allument dans le
coeur de l'homme, il n'y en a point dont 1 ivrefle
ioit auflî violente que celle de l'or. Ou connoit
le pays des belles femmes, & I on n eft point
tenté d'y voyager. L'ambition fedentaire s agite
<lans une enceinte allez étroite. La fureur des conquêtes
eft la maladie d'un fëul homme qui en entraîne
une multitude d'autres a fa fuite. Mais
fiippofez tous les peuples, de la- terre egalement
policés, & l'avidité de l'or déplacera les habitans
de l'un 8c l'autre hémifphère. Partis des deux extrémités
du diamètre de l'équateur, ils fe croiseront
fur la route d'un pôle à Lautre.
L a w , auquel ce grand reflort étoit bien connu,
perfuada aifément aux françois, la plupart ruines,
que les mines de la Louifiane, dont on avoit fi
long-temps parlé, étoient enfin trouvées » qu elles
étoient même plus abondantes que la renommee
ne l'avoit publié. Pour donner plus de poids a
cette faufieté, déjà trop accréditée, on fit partir
les ouvriers deftinés à mettre en valeur une découverte
fi précieufe, avec les troupes nécefîaires
pour les foutenir. ,
L'impreflion que fit ce ftratagême fur un peuple ;
finguliérement paflionné pour les nouveautés, eft
inexprimable. Chacun s'agitoit pour acquérir le
droit de puifer dans cette fource regardee comme
inépuifable. Le Mifiiflipi devint un centre où tous
les voeux » toutes les efpérances, toutes les com-
binaifons fe réunifibient. Bientôt des hommes rich
e s , puiflans-, & qui la plupart paffoient pour
éclairés, ne fe contentèrent pas de participer au
gain général du monopole 5 ils voulurent avoir des
propriétés particulières dans une région qui paffoit
pour le meilleur pays du monde. Pour l'exploir
tation de ces domaines, il falloit Lps. L4
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France, la Suifle & l'Allemagne fournirent avec
abondance des cultivateurs qui, après avoir travaillé
trois ans gratuitement pour celui qui auront
fait les frais de leur tranfplantation , dévoient devenir
citoyens, pofféder eux-mêmes des terres 3 &
les défricher.,
Durant lés accès de cette fièvre ardente , ou
dans les années 1718 & 1719 3 on entaifoit fans
foin & fans choix , dans des navires , tous ces
malheureux. Ils n'étoient pas dépofés à 1 Ifte-
Dauphine, dont des monceaux de fable venoient
de combler la rade. Ils n'étoient pas jettés à la
Mobile , à laquelle il ne reftoit phis rien depuis
qu'elle avoit perdu fon port. C'étoit le Biloxi »
cet affreux Biloxi , qui recevoit tous les nationaux,
tous le$ étrangers qu'on avoit féduitç. Ils perff-.
foient par milliers , de faim, d’ennui & de chagrin.
Pour les conferver, il n'auroit fallu que les
faire entrer dans le Mifliflipi, que les placer fur
les terreins qu'ils dévoient mettre en valeur. Mais
telle étoit l'impéritie ou la négligence de ceux
qui dirigeoient l'entreprife, qu'ils ne firent jamais
conftruire les bateaux néceflaires pour une
ration fl fîmple. Après même qu on fe fut auure
que les navires qui arrivoient d’Europe , pouvoient
la plupart remonter le fleuve, le Biloxi
continua à être le tombeau des trilles victimes
d'une impofture politïque.On ne transfera le quartier
général de la Nouvelle-Orleans qu au hout de cinq
ans , c eft à-dire , lorfqu’il ne reftoit prefqu'aucun
des infortunés qui s’étoient fi légèrement expatriés.
Mais , à cette époque trop tardive , le charme
étoit rompu. Les mines avoient difparu. Iln e ref-,
toit que la confufion d'avoir embraffé des chimè-
' res. La Louifiane éprouvoit le fort de ces hommes
finguliers, dont on s'eft fait d'abord une idée trop
avantageufe , & qu'on punit de cette renommée
en les rabaiffant au-deflous de leur valeur reelle.
On cherche par l'excès du blâme à perfuader
qu'on n'a pas donné dans l’erreur commune. Comment
en effet imaginer qu'on s'acharnât a dire du
mal de foi ? C e pays d’enchantement fut en exé-
, cration. Son nom devint un nom d'opprobre. Le
Mifliflipi fut la terreur des hommes libres. On ne
lui trouva plus de colons que dans les prifons „
que dans les lieux de débauche. C e fut un cloaque
où aboutirent toutes les immondices du royaume.
Que pouvoit-on efpérer d’un édifice élevé avec
ces matériaux ? Le vice ne peuple point, ne travaille
point, ne fe fixe point, plusieurs des mifé-
rables qui avoient été tranfplantés dàns ces climats
fauvages, allèrent étaler dans les établiffe-
meris anglois ou efpagnols. le dégoûtant fpe&acle
de leur nudité. D'autres, périrent très-rapidement
du poifon dont ils avoient apporté le germe. Le
plus grand nombre erra dans les . forêts , jufqu'à
ce que la faim & les fatigues euffent terminé fon
fort. Rien n'étoit commencé, dans la colonie,. &
cependant on y avoit enterré vingt-çinq millions,
î^es adminiffrateur§ de la compagnîe q^î faifoit
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