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cians les plus confidérables de la célèbre ville
d'Anvers ; mais fa tyrannie fe trouvant laflee par
leur patiencei il leur ordonna de quitter, dans
vingt-quatre heures, cette ville où étoient presque
tous leurs effets & leurs biens ; Amfterdam
& Rotterdam , qui ne faifoient alors que com-
mencer à fe peupler, les reçurent avec joie j &
comme ces deux places les mettoient à l'abri de
la perfécution, & que la nature en défendoit
Rapproche aux forces • de; leurs ennemis, ils y
établirent leurs demeures ;■ &à l'aidé des lettres-
de change , inconnues jufqu’alors, ils emportèrent
leurs biens, & firent manquer le projet du
gouverneur qui vouloit les dépouiller de leur ri-
chefîe. Leur exemple fut bientôt fuivi par tous
ceux que perfécutoit cet exécrable gouverneur ;
Amfterdam & Rotterdam devinrent bientôt flo-
riffantes, & établirent un grand commerce fur
le s ruines de celui d'Anvers, & des autres villes
du Brabant & de la Flandre.
Les malheureux que chafibit la tyrannie, formèrent
entr'eux un gouvernement républicain, &
ils étendirent & fortifièrent leurs villes, en même-
temps_ qu’ils étendoient leur commerce : tous les
négociais, opprimés dans les dix-fept provinces,
ne tardèrent pas a voir que leur propriété feroit
en fureté à Amfterdam & à Rotterdam , & que
ces villes étoient commodes pour le commerce
du nord & du midi, & en remontant le Rhin &
la M eufe , pour le commerce de l'intérieur de
l'Allemagne : ils s'y retirèrent, & , animés de
l'amour de la liberté ,■ ils réfolurent de braver
tous les dangers pour fe défendre, & ils apprirent
bientôt à l'univers que l'induftrie & l'économie
font les voies les plus fûres de parvenir à la
richeflc & à la puiffance.
Toute l'Europe avoit les yeux fur ces miféra-
blés pêcheurs & les malheureux fugitifs que chaf-
foit la tyrannie du duc d'Albe ; les nations éton-
nées-les virent'bientôt commercer avec les différentes
parties du monde, étendre & embellir:
leurs villes, couvrir prefque tout l’Océan de leurs
vaiffeaux & de leurs barques, & acquérir par-là
une heureufe aifance.
Dès que ces braves républicains furent tranquilles
, leur premier objet, après avoir établi
de nouvelles loix en faveur de leurs libertés ,
fut d’ étendre leur commerce dans les pays. éloignés
, d’encourager l’induftrie autant qu’il feroit
poffible, & fur-tout le genre d'induftrie qui leur
convenoit. Les Etats, confidérant que. ces provinces
ne produifoient pas des denrées de confom-
mation en affez grande quantité pour la fubfif-
tance des habitans, que la liberté & l’équité de
leur nouvelle forme de gouvernement y ame-
noient fans ceffe de France , d'Allemagne &
d'Augleterre, maris qu’il falloiten tiret une grande
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partie dè ! etranger , prirent fur-le-champ des
melur.es favorables àr cette importation , en exigeant
de tres-petits droits à l'entrée & à la fortie
des marcbandifes : voulant même placer tous les
citoyens dans 1 impoffibilité de vivre en Hollande,
a moins qu ils ne fuffent riches, ou qu'ils ne fe
diftmgualîent par leur indulürie & leurs travaux,
j c. .§erent Ie? denrées de première nécéflîté
de droits confidérables 5 & en même - temps ,
comme des Tommes prodigieufes entroient fans
ceffe dans la république par le commerce , ils
diminuèrent de beaucoup l'intérêt de l'argent >
de. forte que la nécéflîté obligea les gens d'une
petite fortune à la frugalité & au travail. Quoique
les hollandôis fiffent alors la plus grande partie
du commerce de l'Europe, & que par conséquent
ils puflent mettre le prix qu'ils vouloient
a beaucoup d'articles,ils craignirent de donner l'alarme
aux autres Etats j ils fe contentèrent quelquefois
de fi petits profits , que les étrangers s'étonnèrent
comment les habitans des Provinces- Unies
çouvoient vendre à fi bon marché. Leur politique
etoit très-fage. En effets on vit bientôt que *
pour parvenir au commerce univerfel, ils avoient
befoin des marchandifes d'un pays pour acheter
celles d un autre, & qu'ils dévoient vendre fou-
vent avec peu de bénéfice d'un cô té , lorfqu'ils
avoient l’efpérance de gagner davantage de
l'autre.
M; de Montefquieu a expliqué ce fait avec fa
fagacite ordinaire 5 mais il n'a pas vu qu’il entroit
dans le plan des legîftateurs. « Il arrive quelquefois
, dit i l , qu’une nation qui fait le commercé
d économie , ayant befoin d'une marchandée
d un pays , qui lui ferve de fonds pour fe procurer
les marchandifes d'un autre, fe contente
de gagner très-peu, & quelquefois r ien , fur les
unes, dans l'efpérance ou la certitude de gagner
beaucoup fur les autres. Ainfi , lorfque la Hollande
fai foi t prefque feule le commerce du midi au
nord de l’Europe, les vins de France qu'elle
pbrtoit au nord , ne lui fervoient en quelque maniéré
que de fonds pour faire fon commerce dans
le nord ».
.c< On fait que fouvent, en Hollande, de certains
genres de rrtàrchandife, venue de loin , ne
s’y vendent pas plus chers qu'ils n'ont coûté fur
les lieux mêmes. Voici la raifori qu’on en donne :
un capitaine qui a befoin de le fier fon vaifieau ,
prendra du marbre ; il a befoin du bois pour
l'arrimage, il en achètera 5 & pourvu qu'il n'y
perde rien , il croira avoir beaucoup fait. C'eft
ainfi que la Hollande a aufli fes carrières & fes
forêts ».
Non - feulement un commerce qui ne donne
rien peut être utile, un commerce même défa-
vantageux^ peut l'être. J'ai ouï dire en Hollande
que la pêche de la baleine » en général, ne
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fend prefque jamais ce qu’elle coûte (1 ) : mais
ceux qui ont été employés a la conftruôtion du
vaiffeau, ceux qui* en ont fourni les agrès, les
apparaux, les vivres, font auflLceux qui prennent
le principal intérêt à cette peche. Perdif-
fent-ils fur la pêche , ils ont gagné fur les fournitures.
Ce commerce eft une efpèce de loterie,
& chacun eft féduif par l'efpérance d'un billet
noir. Tout le monde aime à jouer j & les gens
les plus fages jouent volontiers, lorfqu'ils ne
voient point les apparences du jeu, fes égare-
mens, fes violences, fes diflïpatîons, la perte du
temps & même de toute la vie ». , , '
Pour continuer nos obfervations, la Hollande
mit fur-tout en ufage cette politique de fe contenter
de petits bénéfices , quand elle faifoit tout
le commerce de la Baltique j elle échangeoit
alors , avec très-peu de bénéfice, les productions
& les manufactures d'Angleterre , & les vins &
les fruits de France & d'Efpagne , contre les
productions du nord. Les négocians entendoient
fi bien les intérêts de leur commerce & l'art de
s'en approprier lés avantages, q ue , pour mieux
entretenir l’ éloignement des peuples' pour ce traf
ic , & leur faire croire'que ces profits étoient
peu confidérables , ils fe déterminèrent à vendre
a aulfi bon marché que dans les pays de fabrique
plufieuts fortes de marchandifes qui venoient des
pays éloignés. Le capitaine , qui prenoit un chargement
de chanvre & de lin à Pétersbourg ,
avoit befoin d'une certaine quantité de matière
pefante pour mettre fon vaiiïeau en eftive 5 & ,
s’il n'achetoit pas pour cela du fe r , il devoir
prendre des pierres ou du gravier ; f i , à fon re-
tou r , il donnoit fon fer pour le prix d'achat &
pour le prix du fret, il gagnoit le montant du
fret : on peut faire la même obfervation, s’iî
prenoit un chargement de fer, & qu’ il eût befoin
de bois pour remplir fon bâtiment : c'eft ainfi
que les négocians Faifoient leurs grands bénéfices
fur la partie principale de la.cargaifon, & qu'ils
montrèrent quelquefois du défintéreffement, en
Vendant certains articles à très-bas prix.
On imagina enfuite la banque d'Amfterdam ,
dont nous avons parlé en détail à l'article H oll
a n d e , & perfonne ne peut calculer l'influence
qu’a eu cet établiflement fur le commerce des
Provinces- Unies.
Nous ajouterons ici que la banque a étendu,
d’une manière particulière , le commerce d'Amfterdam.
Les négocians ne peuvent s'éloigner des
lieux où eft dépofé leur tréfor, & où ils ont un -
fi grand crédit. Ils ne vont guère habiter un endroit
où ce crédit n'eft pas auflî reconnu , &
où ils ne pourroient l'exercer qu'avec beaucoup
de peine.
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Le commerce eft peu délicat, aî«fi que tout
le monde le fait, & il paroît que les légillateurs
& les adminiftrateurs des Provinces Unies ont attenté
volontairement aux loix naturelles ôt à l’équité
, pour accroître la riehefle de leur pays &
celle de fes citoyens. Nous le dirons bientôt, &
on' le verra fur-tout dans la feétion neuvième>
lorfque nous ferons l'analyfe de fes régie mens &
de fes loix, fur lesifles qui fourniflçnt les épiceries.
N o u s . nous contenterons d'obferver ici
que la plus grande partie des loix civiles & la politique
intérieure des Provinces-Unies 3 relativement
au commerce, font très - imparfaites 5 que
peut-être elles fe font méprifes fur le« avantages
qu'elles efpéroient de ces mauvaifes loix j que
peut-être, loin de fervir au commerce, elles lui
ont été nuifibles : nous né citerons que les ré-
gleinens furies banqueroutes, qui ne garantiffent
pas affez le négociant de bonne fo i, de la fraude
& de l’injufticé des banqueroutiers : on lui a ôté
les moyens de recouvrer fa propriété. Ce qui eft
encore plus étonnant, lorfque les cours de ju-
dicature trouvent leurs loix incomplettes, ils ont
recours aux décifions des loix romaines en pareil
cas , fans voir que ces loix furent faites pour un
gouvernement qui eft précifément le contraire de
celui des Provinces - Unies. La juftice s'y admi-
niftre pourtant fans partialité & d’une manière
équitable, vu l'extrême imperfection des loix.
Plufîeurs négocians profitent de l'indulgence
des loix pour commettre toutes fortes de friponneries
5 dans le commerce, on eft fouvent obligé
de confier à la bonne foi de grandes Tommes ,
de,placer & déplacer fon argent. Si le débiteur
ne peut être contraint par corps de remplir fes
engagemens, il eft tenté de tromper fes créanciers.
C'eft être injufte envers eux que leur faire
attendre les décifions lentes d’une cour de juftice
, pour qu'ils pulfifent recouvrer leur propriété
lorfque l'emprifonnement du débiteur prod
u is it le même effet, & quand peut - être le
créancier, privé de cette reffource, eft obligé de
manquer lui-même,
Mais, parce que les loix des Provinces-Unies
font ainfi favorables aux débiteurs , les villes de
commerce font devenues l'afyle d’un grand nombre
de négocians, à moitié ruinés, des autres
états de l'Europe ; en acquérant les privilèges de
la bourgeoifie , ils ont gagné du temps pour rétablir
leurs affaires, & des travaux plus heureux
leur ont mérité de nouveau la confiance du
public.
La liberté de confcience fur les matières relî-
gièufes, accordée à tous les étrangers qui viennent
s'établir dans les Provine es -Uni es } y attire
un grand nombre de commereans j dès qu'un
C1) Soit qu’ on ait perfectionné cette pêche , foit qu’on ait trompé M. de Montefquieu , il paraît que l’ar-
tnement des navires qu’on y emploie , eft toujours utile aujourd’hui.