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puis fa fondation. Les fept provinces unies fub-
ïiftent dans l'harmonie, la plus parfaite, 8c depuis
leur union, jamais cette harmonie n'a été troublée
par aucune guerre civile ; on diroit que ce
n’eft que le gouvernement d'une feule famille :
les treize cantons Suiffes ont confervé leur
liberté depuis leur établifTement ; & quoique leur
union ne foit pas à beaucoup près fi grande que
celle des Hollandois, la Suiffe a vu la révolution
de tous les autres états, fans avoir effuyé aucun,
changement. Il n'eft pas befoin de montrer combien
ces remarques font dénuées dejufteffe, 8c ce
qui fe paffe dans les Provînces-Unies au moment
où nous écrivons, achève de montrer la bonho-.
mie de l'abbé de Saint-Pierre. Quoiqu'il en foit, il
ajoute que Henri I V a pu croire que ce que
les allemands, les hollandois, les fuiffes ont fait,
tous les fôuverains de l'Europe le pouvoient faire
, en prenant pour modèle ce qu'il peut y avoir
de bon dans l’union de l’Allemagne, de la Hollande
& de la Suiffe, ôc en évitant tout ce qui
pourroit être contraire à l'objet d'un étabiifte-.
ment fi falutaire; que l'exemple de l'union Belgique
& celui de l'union helvétique qui fubfif-
tent fans chefs perpétuels, prouvent qu'une fo-
ciété de fôuverains peut fe paffe r de ch e f, &
que l'exemple de l'union germanique qui fubfilïe
fous un chef depuis tant de fiècles, fait voir que
des fôuverains héréditaires, très-puiffans, peuvent
trouver de l'avantage à former une fociété
permanente avec des princes beaucoup moins puif-
fans , héréditaires ou fucceffifs, & avec des républiques
8c des états de religion différente.
Sans examiner fi ces divers exemples font bien
çhoifîs, fi les faits que l'auteur pofe font bien
e x a â s , & fi les gouvernemens compofés dont
il parle font plus propres que les gouvernemens |
limples à rendre les peuples heureux au-dedans , :
& à les mettre en fureté contre les entreprifes du
dehors, ce qui doit être l’objet de tout fage lé-
giflateur; il eft clair qu’un établifTement utile &
praticable en petit ne l’eft pas toujours en grand.
Les économies royales ont donné lieu a tout
ce qu'on a écrit fur ce~prétenduprojet de Henri IV $
& il ne paroît pas qu'on puiffe compter ici fur
les économies royales. Les compilateurs de ces
mémoires déclarent d'abord qu'ils n'ont pu rien
apprendre de certain, de M. de Rofny que Iorf-
qu'ils l’avoient queftionné fur cet article j il s'é-
toit toujours contenté de répondre que « c 'é-
toient lettres clofes & non patentes, mais qu'ils
avoient cru en reconnoître quelque partie en général,
feulement par l’affemblage de quelques papiers
jettes comme inutiles, non lignes, déchirés
à demi, & où il fe trouvoit peu de fuite 8c de
liaifon. Oubliant enfuite qu'ils ont fait cet aveu 3
ils difent, quelques pages après,' que R o fn y ,
plors ambaffadeur en Angleterre, jugea l’époque
f|ç fa troifîème audience propre à développer au
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roi d’Angleterre le grand deffein de Henri IV î
& ils rapportent une lettre fort longue que Rofny
écrivit le lendemain à Henri I V , où il en fait
un détail circonftancié. Puifque les fecrétaires de
Rofny, avoient cette lettre en main, comment
ont-ils avance qu’ils ne favoient rien de pofitif
fur les projets de la république chrétienne ; qu’ils
n avoient pu tirer aucun ecclairciffement certain
ni des papiers, ni des difeours de leur maître?
Si Rofny ne leur a pas communiqué fa lettre,
où l’ont-ils prife ? Et pourquoi ne marquent-ils
pas où ils ont vu l’original de la lettre dont ils
donnent la copie ?
Ils ajoutent que tous ceux dont le roi fe .fer-
voit pour traiter cette importante affaire auprès
des puiffances étrangères, rendoient compte de
leur négociation au prince immédiatement, &
non a fes miniftres, afin que le fecret fût mieux
gardé 5 mais parmi tant de négociateurs qui avoient
. traité la même affaire dans les diverfes cours de
l’Europe , comment ne s’ en eft-il pas trouvé un
feul qui ait laiffé à la poftérité des traces de la
plus importante négociation qu’on ait jamais entamé
? Comment les princes étrangers ou leurs
miniftres, ont-ils gardé un fi profond filence ?
Pourquoi le nom des négociateurs eft-il enfévefi
dans l’oubli auffi bien que leurs négociations, &
comment ce myftère dont on a inftruit toute
l’Europe , n'a-t-il été révélé que par les compilateurs
des mémoires de Sully ? -
Henri I V , lorfqu’il fut affaffiné , venoit de
conclure un traité avec le duc de Savoie, il avoit
promis lès fecours dont ce prince avoit befoin
pour la conquête du Milanès. Il venoit auffi de
traiter avec l’affemblée de H a ll, & de promettre
aux héritiers du duc de Juliers, un fecours de
troupes qui les mettroit en pofleffion de fes états.
Ces deux engagemens de faire la guerre en Italie
& en Allemagne, & les conditions de ces
deux traités, direélement contraires aux articles
du prétendu projet de paix perpétuelle, montrent
affez que ce projet n'a jamais eu de réalité que
dans l ’imagination des compilateurs des économies^
royales, ou que fi Henri I V , T a eu , il n’y
jamais fongé férieufement. Voici les articles de
paix perpétuelle que l’abbé de Saint-Pierre a
! propofés dans ces derniers temps à tous les potentats
de l'Europe.
_ I. Confédération entre tous les princes chrétiens
pour le maintien de la paix , des formes de
gouvernement établies, 8c du commerce tant en
Europe qu’en Amérique fur le pied qui feroit
réglé,
IL L ’établiffement d’un fénat dans une ville
libre de l'Europe, d'un confeil dans les Indes ,
& de plufieurs chambres de commerce dans différentes
villes de l'Europe, qui feroient compo-
fée§ des députés des fôuverains.
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III. L ’union ne fe mêleroit point du gouvernement
intérieur des états. Elle conferveroît à
tous les gouverneméns leur forme, 8c donneroit
fecours aux princes 8c aux régences contre les
féditieux qui en troubleroient la tranquillité.
IV. Chaque foüverain fe contenteroit des états
qu'il polfède ou qu'il devroit poffèder, félon la
règle qui feroit établie par le traité d'union.
V . Un foüverain ne pourroit poffèder deux
fouverainetés.
VI. Le fénat régleroit les.différens des princes
, 8c les forces de l'union feroient employées
contre les réfraétaires.
V I I . Les députe's du fénat feroient nommés j
par chacune des puiffances ci-après , qui feroient
les feules revêtues du droit de fuffrage. I. La
France. IL L’Efpagne. III. L’Angleterre. IV . La
Hollande. V . La Sardaigne > lt Piémont & la
Savoie. VI. L e Portugal. VII. Bavière 8c af- ;
fociés. VIII. Venife IX. Gênes 8c affociés. ,
X.Florence. XI. Suiffes & affociés. XII. Lorraine-
& affociés. XIII. Suède. X IV . Danemarck.
X V . Pologne , Courlande 8c Dantzick. X V I . Le
Pape. X V I I . La Mofcovie. X V I I I . L ’Autriche
& dépendances. X IX . Prtiffè.XX. Saxe. XX I. Palatin
& affociés. X X I I . Hanovre 8c affociés.
X X I I I . Electeurs eccléfiaftiques & affociés.
L ’auteur ajoute beaucoup d'autres articles, &
H penfe qu'il fuffiroit d'inviter d'abord les plus
puiffans fôuverains de l'Europe à ligner cette
police générale 8c permanente, pour la rendre
indiffoluble 8c inattaquable, faur à faire entrer
dans la fuite les autres fôuverains dans la ligue
générale.
Il n'eft pas befoin de réfuter longuement ce
projet.
Saris doute le traité de paix perpétuelle feroit
avantageuît à toute l’Europe., mais peur - on en
efpèrer la conclufion ? Les princes font hommes,
& les .hommes ont des paflions. Parmi ce grand
nombre de princes , les vues particulières de
quelques-uns leur donneront toujours .un mouvement
contraire à celui dé l’intérêt general, &
le défaut d'uniformité’ dans l’intention rendra rié-
ceffairement l’exécution de ce projet impraticable.
Viendroit-on à bout de concilier tant d'intérêts
qui partagent les fôuverains ! Plufieurs états d’Italie
relèvent de l'empire d’Allemagne. Comment
imaginer que le corps germanique veuille qu'on
les en détache , pour en faire des membres de
l’union chrétienne ? Il eft peu de princes en Europe
qui 11'aient des prétentions les uns contre
les autres. De ce-s prétentions naiffent différens
intérêts ; 8c de cette diverfité d'intérêts, différentes
vues. Que de fujets de querelle dans toutes
lesTégions de l'Europe !
(BScon. & polit, diplomatique. Tome U h
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Les grandes puiffances ne fe porteront pas X
accepter un projet dont l’exécution les dégrade-
roit. Le tribunal dont on prapofe l’ére&ion feroit
fupérieùr aux plus grands potentats. O r , quel
eft le foüverain qui voudroit s’y foumettre, 8c
perdre la prérogative de ne dépendre que de
Dieu feul, jx>ur n’être dans l’union que ce qu’eit
un prince d’Allemagne dans le corps german
iq u e . - .v>
rouf s’ affurer de l’intégrité du tribunal , il
faut commencer par fuppofer que tous les membres
de ce tribunal feront des hommes d’une
vertu incorruptible , que des motifs humains n’ébranleront
jamais des hommes tout à la lois
infiniment vertueux 8c infiniment éclairés.
Eri. fuppofant l’intégrité du tribunal, un prince
qui n’auroit pas affez de modération pour fe rendre
juftice lui-même, voudroit-il fe foumettre
au jugement de quelques particuliers ? Seroit-il
bien difficile à un monarque p.uïffant de déta-
clier de l’union une ou plufieurs autres puiffances
que des vues contraires attireroient dans les
intérêts du prince condamné ? Le tribunal des
Amphyélions empêcha t il les troubles de la Grèce
? Les pays confédérés font plus expofés que
les autres aux guerres inteftines, quoi qu'en dife
l’abbé de S. Pierre.
Si un prince réfufe de ligner l’union , ou fe détache
de l’union après l'avoir lignée , on n’op-.
pofera que les forces d’une ligue chancelante 8c
foible de fa nature à un ennemi qui exercera un
pouvoir indépendant 8c réuni.
Quand même plufieurs puiffances auroient ligné
le traité de paix perpétuelle, celles qui auroient
refufé d'y fouferire , n’auroient - elles pas lieu
d'efpérer qu'il feroit bientôt rompu ? 1 elle eft
la nature des ligues ordinaires, qu’on peut compter
qu'elles ne feront pas durables- Que pour-
roit-on efpérer d'une confédération de route l'Europe
?
Le feul intérêt de la cour de Rome, la feule,
différence des religions ne dévoient ils pas éclairer
l’abbé de Saint-Pierre fur les çombinaifons
chimériques de ce projet.I II fe flatroit donc que
le p’âpe 8c les princes proteftans pourroient s’ac-
; corder.
L'abbé de Saint-Pierre alla à Utrecht, à Rad-
ftadt, à Bade , à Cambrai, à Soiffons, dans
tous les lieux où il y eut des négociations de
paix, folliciter les plénipotentiaires qui y étoient
affemblés. Il répandit fon livre par-tout; il parla
j aux miniftres. Perfuada-t-iT une feule cour? La
guerre eft un mal fans remède , 8c il eft des cir-
conrtances où on ne peut non plus l'éviter que
les autres maux qui affligent le genre humain.
L’idée du marchand hollandois qui , ayant mis
pour enfeigne à la paix perpétuelle , fit peindre un
cimetière dans le tableau , n'eft maîheureufe-
ment que trop jufte.
Enfin nous répéterons que les projets de l'abbé
V v v v