
Les grands orages , en matière politique ÿ ne
fe forment pas à propos de rien. Ils , ont communément
des caufes graves , fouvent préparées de
Jbin , fur-tout dans les états conftitués fortement ,
& dont rébranlement n'eft & ne peut jamais être
l'ouvrage d'un moment. Plufieurs fiècks s'écoulèrent
entre l’époque des principes de la chute
de la république romaine & fa decadence réelle.
M. de Montefquieu a bien développé cette vérité
dans ce qu’il a écrit fur les romains. ,
Ces caufes font prefque toujours les événemens
mal entendus, mal conçus, ou mal appliqués à l'intérêt
particulier de chaoue état : car il n'en eft
pas deux où le même événement doive faire la
même fenfation, & par conféquent où il puiffe
produire des effets pareils & des mouvements
égaux.
De là la néceflité pour l'homme public d'em-
braffer une multitude prefque innombrable de
rapports 8c de combinaisons , au milieu defquels
il fe méprendra, s'il n'a pas dans l'efprit des principes
certains & invariables qui lui tiennent lieu
du fil de Dédale dans le labyrinthe.
Il fùffit de fe tromper fur un feul de ces points
de combinaifon , pour porter & faire porter tous
les autres états à faux ; & la politique eft peut-
être la feule fcience dont on puiffe dire que les erreurs
particulières font nécelfairement des erreurs
générales. En effet , un état n'entre point dans I
de fauffes routes s fans y entraîner les autres ,
foi par fes confeils ou fes fuggeftions : les autres
états trompés par les apparences 3 8c prenant des
fyftêmes momentanés pour des fyftêmes permanent
3 fe portent d'eux-mêmes à des engagemens
& à des mefures précipitées qui renverfent l'é quilibre
3 & qui fouvent ôtent pour longtemps
les moyens de fe replacer fur fon pivot.
Ainn l'on forme des defirs qui font chimériques
3 8c des demandes qui ne peuvent être accordées
; on tente de fuggérer des craintes ou des
efpérances de peu d’effet ; on fe détermine enfin
à des entreprîtes fans des forces proportionnées.
Il faut fe perfuader que chaque pays a fes calculateurs
& fon arithmétique -particulière. En
avôit-on bien fuivi de toutes parts les règles dans
la fameufe ligue où Louis X I I entraîna tant d’acteurs
? Il n'en falloit pas tant pour réuffir 3 fi le
principe eût été bien calculé. Et ».dans des
temps plus rapprochés de nous 3 la médaille ( i )
ingén'ieufe, quartâ déficiente rota 3 ne pouv.oit-elle
pas être une leçon de politique applicable à ce
qui fait la matière de cet article ?
Travailler dans l’intérieur de l'état pour affurer
le triomphé de Y opinion 3 c'eft donc faifir le v é ritable
efprit des maximes politiques ; c'eft fe
préparer les'moyens d’affurer à un état toute la
confédération dont il peut être fufceptible.
O P PE LN 3 principauté d’Allemagne. Vbye%
l’article Silésie prussienne.
O R ; effets de l’abondance ou de la difette de
l’or. Voye-[ l’article N umér aire.
O R C AD E S. Voye[ l’article Ecosse.
O R E N O Q U E » établiffement efpagnol en
Amérique, fur les bords du fleuve Orenoque.
C e fut Colomb qui le premier découvrit, en
1498 3 Y Orenoque } dont les bords furent depuis
appellés Guyane espagnole. Ce grand fleuve tire
fa fource des Cordelières 3 & ne fe Jette dans
l'Océan, par quarante embouchures, qu apres *avoir
été groffi dans un cours immenfe par un nombre
prodigieux de rivières plus ou moins confidera-
bles. Telle eft fon impétuofité , ’qu'il traverfe les
plus fortes marées 3 & conferve la douceur de
fes eaux douze lieues après être forti du vafte &
profond canal qui l'encnaïnoit. Cependant fa rapidité
n'eft pas toujours égale 3 par l'effet d une
fingularité très - remarquable. U Orenoque , commençant
à croître' en avril, monte continuellement
pendant cinq mois 3 & refte le fixieme dans
fon plus grand accroiffement. En odtobreo il commence
à baiffer graduellement jufqu'au mois de
mars» qu'il paffe tout entier dans le ta t fixe de
fa plus grande diminution. Cette alternative de
variations eft régulière» invariable même.
La tyrannie exercée contre les femmes fur les
rives de Y Orenoque 3 encore plus que dans le refte
du nouveau-Monde » doit être une des principales
caufes de la dépopulation de ces contrées
fi favorifées de la nature. Les mères y ont contracté
l habitude rie faire périr les -filles dont elles»
accouchent » en leur coupant de fi près le cordon
ombilical » que ces enfans meurent d'une hémorragie.
Le chriftianifme même n'a pas reuffi a
déraciner cet ufage abominable. On a j>our garant
le jéfuite Gurailla qui » averti que l'une de
fes néophites venoit de commettre un pareil af-
faffinat » alla la trouver pour lui reprocher fon
crime dans les termes les plus énergiques. Cette
femme écouta le millionnaire fans s émouvoir.
Quand il eut fini » elle lui demanda la permiflion
de lui répondre » & elle lui répondit d'une manière
touchante à laquelle il ne fut que répliquer-
Les efpagnols qui ne pouvoienr s'occuper de
toutes les régions qu'ils découvroiéht » perdirent
de vue Y Orenoque. C e ne fut qu'en 1535 qu'ils
entreprirent de le remonter. N 'y ayant pas trouvé
les mines qu'ils cherchoient » ils le meprifèrent.
Cependant le peu d'européens qu'on y avoit
jette» fe livrèrent à la culture du tabac avec tant
d’ardeur, qu'ils en livroient tous les ans quelques
cargaifons aux bâtimens étrangers qui fe
fi) Médaille frappée en Hollande, à l’occafion de la quadruple alliance de 1718..
préfentoîent pour l’acheter. Cette liaifon interlope1
fut profcrite par la métropole, & des corfaires1
entreprenans pillèrent deux fois cet établiffement
fans force. Ces défaftres le firent oublier. On
s'en reffouvint en 175- 5. Le chef d'efeadre N i colas
de Yturiaga y fut envoyé. C et homme fage
établit un gouvernement régulier dans la colonie
qui s’étoit formée infenEblement dans cette partie
du nouveau-Monde.
En 1 7 7 1 , on voyoit fur les rives de YOreno-
que treize villages qui réuniffoient quatre mille
deux cents dix-neuf efpagnols , métis » mulâtres
ou nègres ; quatre cents trente-une propriétés ;
douze mille huit cents cinquante-quatre boeu fs ,
mulets ou chevaux.
A la même époque, les indiens qu'on àvoit
réufli à détacher de la vie fauvage, étoient ré
partis dans quarante-neuf hameaux.
Les cinq qui avoient été fous la direéiion des
jéfuites, comptoient quatorze cents vingt-fîx ha-
bitans, trois cents quarante - quatre propriétés ,
douze mille trente têtes de bétail.
Les onze qui foqt fous la direétion. des Cordeliers,
comptoient dix-neuf cents trente-quatre habitans
, trois cents cinq propriétés, neufs cents
cinquante têtes de bétail-
Les onze qui font fous la direéfcion des capucins
aragonois, comptoient deux mille deux cens onze
habitans , quatre cents foixante - dix propriétés ,
cinq cents fept têtes de bétail.
Les vingt-deux qui font fous la direction des
capucins de Catalogne, comptoient fix mille huit
cents trente habitans , quinze cents quatre-vingt-
douze propriétés, quarante-fix mille têtes de
bétail.
C ’étoit en tout foixapte-deux peuplades, feize
mille fix cents vingt habitans, trois mille cent
quarante-deux propriétés , foixante - douze mille
trois cents quarante-une têtes de bétail.
Jufqu'à ces derniers temps, les hollandois de
Curaçao trafiquoient feuls avec cet établiffement.
Ils fourniffoient à fes befoins, & on les payoit
avec du tabac, des cuirs 8c des troupeaux. C ’é toit
à Saint-Thomas , chef-lieu de la colonie ,
que fe conduoient tous les marchés. Les noirs
8c les européens faifoient les leurs eux-mêmes :
mais c'étoient les millionnaires feuls bu* traitoient
pour leurs néophytes. Le même ordre de chofes
fubfifte encore, quoique depuis quelques années
la concurrence des navires efpagnols ait commencé
g écarter les navires interlopes.
Il eft doux d'efpérer que ces vaftes 8c fertiles
contrées fortiront de l'obfcurité où elles font
plongées, & que les feménees qu'bn y a jettées
produiront, un peu plutôt, un peu plus tard,
des fruits abondans. Entre la vie fauvage & l’état
de fociété , c’ eft un défert immenfe à traverfer :
mais de l’enfance dé la civilifatïon à la vigueur
du comnrierce, il n’y a que des pas à faire. Le
temps qui accroît les fo r c e s , abrège les diftances.
Le fruit qu’on retireroit du travail de ces
peuplades nouvelles, en leur procurant des commodités
, donneroit des richeffes à l ’Efpagne.
Voyei les articles particuliers des établifiemens
que les efpagnols ont formés dans le continent
du nouveau-Monde & l’article E s p a g n e .
O R G U E I L N A T I O N A L : c ’eft Topi-
nion avantageufe qu’une nation a d’elle-même.
L 'orgueil national appliqué à des chofes graves »
8c étranger aux petiteffes & à là fottife , feroit
utile dans chaque état. Mais jufqu'à préfent on
n’a point vu Yorgueil national fe contenir dans
de juftes bornes.
G. Patio appelloit les anglois des loupf voraces ;
Adiffon , plus p o li, fe contente d'infinuer « qu’on
pourroit trouver aux françois de la reffemblance
avec les fmges.
Un maître à danfer demandoit s'il étoit vrai
que Harlay fût grand tréforier ; on lui dit que
oui : cela m'étonne, répondit- il , quel mérite
la reine a-t'elle donc trouvé dans ce Harlay ;
Pour moi j'ai eu cet homme deux ans, & jamais
je n'en ai pu rien faire.
Un orateur anglois difoit à la fin du dernier
I fiècie en public Y oui, milords, avant peu, vous
j verrez Louis X IV aux pieds du parlement, lui
demander la paix.
Le canadien* croit faire un grand éloge du
françois , en difan’t : c’eft un homme comme moi.
L'arabe, perfuadé que fon ca ife eft infaillible »
rit de la fimplicité du bon tartare , qui s’imagine ,
que fon lama eft immortel. bur les rives du Mif-
fiffipi, au fond de là Louifiane , le fouverain fort
dès le grand matin de fa cabane , 8c trace au
foleil le chemin qu’il doit parcourir.
On amena devant un prince nègre de Guinée,
quelques françois qui venoient d'aborder ; affis
fous un arbre, il avoit pour trône une groffe
bûche , pour gardes trois nègres » armés de piques
de bois ; ce ridicule monarque demanda: parle-t’on
~ beaucoup de moi en France ?
Les perfans regardent notre continent comme
une petite ifle , où l'on manque du néceffaire.
Pourquoi, difent - ils , les Européens viennent-
ils achèter nos marchandifes ? c'eft qu'ils ne
trouvent rien chez eux : lorfque le Kan des tar-
tares, qui ne pofsède pas une maifon , qui vit
de rapines, a achevé fon dîner, confiftant en
laitage &: en chair de cheval, il fait publier par
un héraut, que tous les potentats, princes 8c
grands de la terre peuvent fe mettre à table.
Un payfan efpagnol remet la charrue à des
mains étrangères, il s'occupe à des exercices plus
relevés , il joue de la guitare ; ou fi fes mains
daignent conduire le fo c , fon chapeau eft couvert
de plumes, il porte l’épée au côté , fe
couvre de-fon manteau 6c marche gravement. On
fait qu'un gentilhomme caftillan fe croyoit plus
noble que le roi Philippe V , parce que, difoit-il,