590 P E R P E R
mais fôn patrimoine étoit fi mêlé avec celui des
fujets, qu if n’étoit pas poflible de fertilifer l'un
fans fertilifer l'autre. Les peuples , encouragés par
ces commodités qui laiffoient peu de chofes à
faire à leur induftrie , fe livrèrent à des travaux
que la nature de leur-loi, de leur climat & de
leurs confommations ' rendoit très-légers. Mais ,
malgré tous ces avantages , malgré la vigilance
toujours a&ive du magiftrat, malgré la certitude
de ne pas voir leurs moiffôns ravagées par un.
voifin inquiet, les péruviens ne s'élevèrent jamais
au-deffus du plus étroit néceflaire. On peut
alfurer qu'ils auroient acquis les moyens de varier
& d’étendre leurs jouiflances, fi des proprié- 1
tés foncières, commerçables, héréditaires avoient
aiguifé leur génie.
Les péruviens, à la fource de l'or & de l'arg
en t, ne connoifïbient pas l'ufage de la mônnoie.
Us n'avoient pas proprement de commerce} &
les arts de détail, qui tiennent aux premiers be-
foins de la vie fociale , étoient fort imparfaits
chez eux. Toutes leurs fciences étoient dans, la
mémoire, & toute leur induftrie dans l'exemple.
Us apprenoient leur religion & leur hiftoire par
des cantiques , leurs devoirs & leurs profeflions
par le travail & Eifnitatiôh.
Leur légiflation étoit fans doute imparfaite &
très-bornée, puifqu'elle fuppofoit le prince toujours
jufte 8ç infaillible, & les magiftrats intègres
comme le prince 5 puifque nonTeulement le monarque
, mais un décurioh , un centenaire , un
millénaire , tous fes prépofés pouvoïent changer
à leur gré la deftinatîon des peines & des
réèompenfes. Chez ce peuple, privé de l'avantagé
inappréciable de l'écriture , les loix les
plus fages n'ayant- aucun principe de fiabilité 3
dévoient s'altérer infenfiblement, fans qu il refiat
aucun moyen pour les ramener à leur para é lite
Primitif,
Les contre-poids de ces dangers fe trouvaient
dans l’ignorance abfolué des monnoies d’o r ,&
d’argent : ignorance qui rendoit impoflible, dans
Un defpote péruvien, la funefte manie de thefàu-
rifer. Ils fe trouvoient dans la conftitution de
l ’empire, qui avoir déterminé la quotité du revenu
du fouverain, en déterminant la portion des
terres qui lui appartenoient. Ils fe trouvoient dans
des befoins peu étendus, toujours faciles à fa~
tisfaire, & qui rendoierit le peuple heureux &
attaché à fon gouvernement. I ls . Te trouvoient
dans la force des opinions religieüfes, qui FaL
foient de l'ab-fervation des loix un principe de
confciesce; Le defpotilme des Incas étoit ainfi
fondé fur une confiance mutuelle entre le fou-
verain & les peuples j confiance qui étoit le fruit
des bienfaits du prince, de la protection conf-
tante qu'il accordoit à tous fes fujets, & de l'intérêt
ferifrble qu'ils avoient à lui être fournis.
Un pyrrhoniime, quelquefois outré , qui a fuc-
çédé à une crédulité aveugle 9 a voulu jetter des
nuages fur ce quJon vient de lire des loix, des
moeurs, du bonheur de l ’ancien Pérou.
Si l'imagination exaltée des' efpagnols S trop
embelli le tableau, les recherches & l’aufière
fagelfe de M . Robertlon nous ont prouvé que
les 'chofes étoient à-peu-près ainfî.
Nous ne juftifierons pas avec la même aflu-
rance les relations que les conquérans du Pérou
publièrent fur la grandeur & la magnificence des
| monumens de tous les genres qu’ils avoient trouvés.
Le defir de donner plus d’éclat à la gloire
de leurs triomphes, les aveugla peut-être. Peut-
être, fahs être perfuadés eux-memes, voulurent-
ils en impofer à leur nation , aux nations étrangères.
Les premiers témoignages, qui même fe
i contrarioient, ont été infirmés par ceux qui les
ont fuivis, & enfin totalement détruits, lorf-
que des hommes éclairés ont porté leurs pas dans '
cette partie fi célèbre du nouvel hémifphère.
Il faut reléguer au rang-des fables ces ma-
jeftueux palais defiraes à loger les Incas dans le
lieu de leur réfidence & dans leurs voyages, ces
places de guerre qui couvroient l’empire , ces
aqueducs, ces réfer.voirs comparables à ce que
l’antiquité nous a laiffé en ce genre de plus magni-
ft]ue.
Il faut réléguer au rang des fables, ces fuper-
. bes voies qui rendaient les communications fi
faciles, & ces ponts fi vantés 5 les merveilles.
attribuées à ces quipof, qui remplaçoient chez •
les péruviens l’ art d’écrire qui leur é'tôit inconnu.
Les efpagnols rie méritent pas davantage d’être
crus, quand ils nous parlent de ces Bains dont
les cuves & les tuyaux étoient ou d’argent ou
d 'o r5 de ces jardins remplis d'arbres, dont les
fleurs étoient d’argent & les fruits d'or, & où
l'oeil tronjpé prenoit l’art pour la nature j de ces
champs de mais, dont les tiges étoient d'argent
& les épis d'or 5 de ces bas-reliefs, où l'on au-
roit été tenté de cueillir les herbes & les plantes
; de ces habillement couverts de grains d'or
plus fins que la femence de perle, & dont les
plus habiles orfèvres de l'Europe n'auroient pas
égalé le travail.
En réduifant les chofes à la vérité , nous trouverons
que les péruviens étoient parvenus à fondre
l'or & l'argent & ; à les mettre en peuvrfo/.
Avec ces métaux ils faifoient des ornemens , la
plupart très-minces, pour les bras, pour le cou ,
pour le nez , poyr les oreilles > & des ftatues
creufes , fans foudure, qui , fculptées ou fendues,
n'avoient pas ^plus d'épaifieur. Rarement
ces riches matières etoient - elles converties en
vafçs. Leurs vafes ordinaires étoient d'une argille
très-fine, facilement travaillée , de la grandeur
& de la forme convenable aux ufages pour lesquels
ils étoient deftinés. Les poids n'étoient .pas
inconnus, & l'on découvre de temps- en temps
des balances, dont les baflins font d’argent &
“J ont la figure d'un cône renverfé. Deux efpèees
Î Ê B
’de pierre, l’une molle 8c l’autre dure, l’une entièrement
opaque 8c 1 autre un peu tranfparente ,
Tune noire 8c l’autre couleur de plomb, fervoient
de miroir : on étoit parvenu à leur donner un
poli fuffifant pour réfléchir les objets. La laine s
le coton, les écorces d-arbres recevoient des mains
de ce peuple un tifiu plus ou moins ferre, plus
ou moins groflier, dont ori s habilloit, dont on
faifoit même quelques meubles. Ces étoffés, ces
toiles étoient teintes en noir, en bleu en
rouge,. par le moyen du rocou » de 'differentes
herbes & d’une fève fauvage qui^ croît dans les
montagnes. On donnoit aux emeraudes toutes
les figures. C e qu?on en tire affez fouvent des
tombeaux, ja plupart fort élevés , ou les citoyens
diftingues fe faifoient enterrer avec ce quils pof-
fëddient de plus rare , prouve que ces pierres
précieufes avoient une perfection qu on ne leur
a pas retrouvée ailleurs. Desrieureux hafards offrent
quelquefois des ouvrages de cuivre rouge,
des ouvrages de cuivre jaune, & d autres ouvrages
qui participent de ces deux couleurs , d ou
l’on a conclu que les péruviens connoiffoient le
mélange des métaux. Une chofe plus importante,
c ’eftique ce cuivre n’éft jamais rouillé, qu’il ne
s’y attache jamais de vert-de-gris j ce qui paroît
prouver que ces indiens faifoient entrer dans fa préparation
quelques matières qui les préfervoient de
ces inconvéniens funeftes. Il faut regretter que
l ’art utile de le tremper ainfi ait été perdu , ou
par le décburàgemènr des naturels dù pays,’ ou
par lé mépris que lés conquérans avoient pour
tbüt ce qui n avoit point de rapport avec leur |
paffion pour les richeffes.
Suite de rhifloire politique & de la fondation de la
colonie du Pérou.
• Quoi qu’ il en foit des arts qu’offre le Pérou ,
les efpagnols ne fe virent pas plutôt les maîtres
dé ce vafte empire , ’ qu’ils s’ en disputèrent les
dépouilles avec tout l’acharnement qu’annonçoient
leurs premiers exploits. Les femerices de cétte
divifion avoient été jettées par Pizarre lui-même
q u i, dans fon voyage en Europe pour pre'parer
une fécondé expédition dans les mers du S u d ,
s’étoit fait donner par le minifière une grande
fupérioritë fur Almagro. Le facrifice de ce qu’ il
devoit à une faveur molnentartée, l ’avoït un peu
réconcilié avec fon affocié juftement offenfé de
cette perfidie : mais le partage de la rançon d’A-
tabaliba aigrit de nouveau ces deux brigands altiers
& avides. Une dilpute qui s’éleva fur les limites
de leurs gouvernemens refpeétifs , mit le comble à
leur haine, & cette extrême averfion eut les fuites
les plus déplorables.
Après quelques négociations de mauvaife fo i ,
d’un côté au moins* & par conféquent inutiles,
on eut recours au glaive pour favoir lequel des
deux' concurrens régiroit le Pérou entier. Le 6
avril 1538 , dans les plaines de Salines, non loin
P É R SS>i
de C u fc o , le fort fe décida contre Almagro qui
fut pris & décapité. ^ *
Ceux de fes partifans qui avoient échappé au
carnage, fe feroient volontiers réconciliés avec le
parti vainqueur. Soit' que Pizarrë n’ofât -pis fe
fier auxfoldats - de fori rival, foit qu’ il ne put
furmonter une haine trop v iv e , il eut toujours
pour eux un éloignement marqué. On ne-les ex-
cluoit pas feulement des grâces que l ’acquifition
d’un grand empire faifoit prodiguer, on les dé-
pouilloit encore ries .técompenfes anciennement
accordées à leurs fervices 5 on les perfécutoit, on
les humilioit.
Ces.traitémens en conduifent un grand nombre
à Lima. L à , dans la maifon du fils de leur général,
ils concertent dans le filence la perte de leur
oppreffeur. Dix-neuf des plus intrépides en for-
ten t , l'épée à la main , le 26 juin 1541 , au milieu
du jour , temps de repos dans les pays chauds.
Us pénètrent, fans réfiftance, dans le palais de
Pizarre > & le conquérant de tant de valles ! états
eft paifiblement maffacré au milieu'.d’une ville qu’il
a fondée, & dont tous les habitans font fes créatures
, fes ferviteurs, fes parens, fes amis ou fes
foldats.
Ceux qu’on croit les plus difpofés à venger
fon fang, périffent après lui. La fureur s'étend.
Tout ce qui ofe fe montrer dans les rues & dans
les places, eft regardé comme ennemi, & tombe
fous le glaive. Bientôt les maifons & les temples
font comblés de carnage, & ne présentent que
des cadavres défigurés.
Les. jours qui fuivent ces jours de deftruclion c
éclairent des forfaits d'un autre genre. L'ame du
jeune Almagro , qu'on a-revêtu de l'autorité ,
paroît faite pour la tyrannie. Tout ce qui a fervi
à l’ennemi de fa maifon, eft inhumainement prof-
cri t. On dépofe les anciens magiftrats. Les troupes
reçoivent de nouveaux chefs. Les tréfers du
prince & la fortune de ceux qui ont péri ou qui
font abfens, deviennent la proie de l'ufurpateur.
Ses complices , liés à fon fort par les crimes
dont ils fe font fouillés , font forcés d'appuyer
des entreprifes dont ils ont horreur. Ceux d’en-
tr'eux qui laiffent percer leur chagrin, font immolés
en fecret, ou périffent fur un échafaud.
Dans la confufion où une révolution fi peu attendue
a plonge le Pérou 3 plufieurs provinces
réçoivent des loix du rnonftre qui s’eft fait proclamer
gouverneur de la capitale ; & il v a , dans
l'intérieur rie l’empire, achever de réduire ce qui
réftfte ou balance.
Une foule de brigands fe joignent à lui dans fa
marche. Son armée ne refpire que la vengeance
ou le pillage. Tout plie devant elle. La guerre
étoit finie , fi les talens militaires du général euf-
fent égalé l'ardeur des troupes. Malheureufement
pour Almagro, il avoit perdu fon guide, Jean
d'Herrada. Son ipexpérience le fait tomber dans
J les pièges qui lui font tendus par Pedro Alvarèe*